Les Artifices de toilette/02

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Les Artifices de toilette
Revue des Deux Mondes5e période, tome 8 (p. 891-922).
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LES ARTIFICES DE TOILETTE

II[1]
CHEVEUX TEINTS ET POSTICHES — LES ARTIFICES DE TOILETTE SUR LA SCÈNE

Sous le règne de Louis XV, il s’éleva une discussion des plus aigres entre Chirac, médecin du roi, et le docteur italien Sorrazi, parce que chacun de ces deux savans prétendait avoir, le premier, reconnu au microscope la nature intime des cheveux ; de là, polémiques interminables, puis injures, et enfin procès internationaux qui compliquèrent si bien les débats qu’à la mort des deux contestans, la question de priorité n’était pas encore tranchée. Quoi qu’il en soit, on n’ignore plus, depuis lors, que les cheveux, comme les poils, figurent un tube enveloppé dans une écorce ou gaine, colorée si le cheveu est noir, blond, rouge, transparente s’il grisonne. Cylindriques, les cheveux restent plats ; élargis, ils frisent ; fins, ils ondulent.

Les règles de la mode, plus ou moins d’accord avec celles de l’esthétique et de l’hygiène, exigent de la chevelure certaines qualités que la nature lui refuse invariablement dans leur plénitude. En bonne règle, une femme, par exemple, devrait jouir de cheveux plus ou moins frisés ou bouclés, d’une nuance soit blonde, soit blanche, suivant les époques, ne changeant pas avec l’âge du sujet, et surtout de cheveux se maintenant en grande abondance, malgré les ravages des ans, les soucis, les maladies. Pour réaliser ces diverses conditions, on a vu se produire différens artifices dont il nous reste à parler maintenant, depuis l’innocente frisure au fer, jusqu’à la poudre, jusqu’aux teintures bien souvent dangereuses et finalement jusqu’aux perruques.


I

Si la question de la frisure semble concerner exclusivement l’art du coiffeur, elle n’en a pas moins préoccupé les théologiens. Chez les Juifs, en effet, il était de la bienséance qu’une femme n’exposât jamais sa chevelure aux regards des hommes. Par l’organe de saint Paul, l’Eglise ordonna de même aux néophytes chrétiennes d’assister voilées à l’office divin, et cette règle est encore suivie. Elle régit strictement les religieuses dont le voile constitue l’emblème essentiel ; elle gouverne aussi les laïques qui, bien que libres d’agir à leur gré dans la vie ordinaire, doivent couvrir leurs cheveux à l’intérieur des églises. Beaucoup plus sévère aux temps primitifs du christianisme que de nos jours, une semblable règle s’attaquait moins à l’exhibition d’or et de perles dans les cheveux, — beaucoup de jeunes femmes avaient pour ne pas la pratiquer les mêmes raisons que la bergère de Boileau, — qu’à l’étalage de cheveux trop bien ajustés et surtout frisés, agrément à la portée des coquettes les moins fortunées. Aussi une lutte s’établit-elle entre la frisure désireuse de s’étaler au grand jour et le voile qui supprimait toute élégance. Tertullien, dans l’opuscule De velandis virginibus, et saint Cyprien écrivirent sur ce sujet des dissertations qui nous sont parvenues. La mode des cheveux frisés disparut complètement de la tête des saintes femmes, perdit peu à peu de sa généralité, mais se maintint à travers les âges à titre d’exception.

Un concile tenu à Constantinople au VIIe siècle anathématise encore les cheveux frisés ou bouclés par artifice. En 1583, c’est particulièrement aux ecclésiastiques porteurs de cheveux longs frisés ou bouclés que s’adressent les vertes semonces d’un concile provincial tenu à Tours. Plus tard, en 1644, les protestans de Bordeaux, s’appuyant sur le texte de saint Paul, interdisent l’accès de leur consistoire aux personnes porteurs de cheveux frisés. Fénelon, enfin, dans son Traité de l’éducation des filles, résume à peu près la note actuelle ; il blâme sans doute les frisures et n’approuve pas les coiffures trop volumineuses, mais sans lancer d’anathème, et s’exprimant suivant son goût, il conseille comme gracieuse la simplicité antique des cheveux flottans.

Progressons d’un degré dans l’artifice. Au moyen de poudre on peut donner à la chevelure un éclat factice ou lui appliquer une nuance transitoire. Sous le haut Empire, les cheveux vrais ou faux de Lucius Verus, de Commode, de Gallien reluisaient de poussière d’or dans les grandes circonstances, à en croire les récits de l’Histoire Auguste[2]. Par un singulier rapprochement, plus d’une grande dame de la cour de Napoléon III a repris cette mode des cheveux pailletés d’or, à l’occasion des réceptions des Tuileries, et Piesse[3], qui fournit ce dernier détail, ajoute que l’on vendait alors deux qualités bien distinctes de cette poudre : la première faite d’or véritable, la seconde composée simplement de limaille de cuivre.

Sans viser pour cela à faire resplendir sa tête, de nos jours encore, mainte brune s’est amusée à se changer en blonde pour un soir, en saupoudrant ses cheveux et sourcils noirs d’un nuage suffisamment adhérent de poudre jaunâtre. Elle imite alors sans le savoir les dames italiennes du Ve siècle dont saint Paulin de Noie recommande de fuir l’exemple. Pour les temps modernes, nous avons un passage fort curieux du journal de l’Estoile à la date de décembre 1593. « Certaines religieuses à Paris, dit-il, sous leurs voiles sont fardées, musquées et pouldrées. » On voit par là que les sévères admonestations des autorités ecclésiastiques du temps s’attaquaient à des abus parfaitement réels et graves.

Scandale d’autant plus grand que la pratique de la poudre aux cheveux ne s’implanta pas tout de suite chez les femmes du monde et ne se propagea chez les hommes que beaucoup plus tard. En somme, cette mode ne régna au XVIIe siècle que par intermittences. Les citations des auteurs contemporains, les lettres de Mme de Sévigné notamment, en font foi. Ce ne fut que sous la Régence que toutes les têtes devinrent blanches pour un demi-siècle et plus. Mercier, en 1783, se récrie sur l’effroyable quantité d’amidon que cette mode consomme, prétendant que dans une ville comme Paris, où le plus humble marmiton se poudre à l’instar du grand seigneur, il se gaspille journellement tant de farine qu’avec cette provision, on nourrirait dix mille infortunés. La poudre elle-même n’aurait pas adhéré sans une forte application de pommade et il fallait bien aromatiser celle-ci par de l’ambre et de l’essence dont le parfum saisissait l’odorat dans les plus modestes boutiques. Parfois civette et ambre avaient peine à corriger l’odeur de fermentation peu agréable que dégageait la pâte en rancissant ; comme la poudre sans cesse répandue dans le magasin salissait tout, meubles et vêtemens, la vue ne souffrait pas moins que l’odorat.

Vers 1750, les enfans de sept ans eux-mêmes portaient la poudre comme de petits hommes. Les moines échappèrent à cette tyrannie ; les habitans de la campagne s’en abstinrent généralement d’abord, à ce qu’affirme en 1773 un historiographe des modes françaises[4]. Dix années plus tard, Mercier observe cependant que les villageoises usent de pommades sans aromates et de poudre sans odeur, ce qui prouve qu’elles ne dédaignaient pas tout à fait l’emploi de l’amidon.

Transcrivons, toujours d’après Mercier, un détail bien caractéristique. Vers la fin de l’ancien régime, et par un triste et bizarre contraste, à une de ses périodes les plus brillantes, on comptait à Paris 1 200 perruquiers maîtres et privilégiés qui employaient 6 000 garçons, sans parler de 2 000 irréguliers ou « chambrelands » qui risquaient à raison de leur situation non autorisée une visite à Bicêtre, sans parler non plus de 6 000 laquais exerçant le même emploi auprès de leurs maîtres. Comparons ces chiffres à ceux du Bottin. Actuellement on ne compte à Paris que 2 500 patrons coiffeurs patentés, et à trois « clercs » en moyenne par boutique, on n’arrive pas au chiffre de 8 000 employés. Bien peu de maîtres de maison se font coiffer et encore moins raser par leurs domestiques. Enfin le chiffre total des « artistes capillaires » s’est à peine accru tandis que la population de la capitale a quadruplé. Qu’on juge, par la comparaison des chiffres, de l’extrême importance de cette profession avant la dévolution. Les coiffeurs ajustaient aussi les femmes, mais depuis les dernières années de Louis XV seulement. Auparavant, dit Mme de Genlis, jamais les dames n’eussent accepté d’être poudrées et frisées par la main d’un homme et elles n’avaient recours qu’à des coiffeuses.

Inutile de dire que pendant les famines qui signalèrent les dernières années du XVIIIe siècle, plus d’une fois la poudre fut anathématisée en France par les Jacobins à cause du gaspillage d’amidon qu’elle occasionnait.


II

Nous avons fortement abrégé l’histoire de la poudre parce que, auxiliaire de coiffure, plutôt que véritable artifice de toilette destiné à tromper le public, la poudre ne produit pas toujours d’illusion de teinte et ne modifie que passagèrement la vraie nuance de la chevelure. Tout autre est le but des teintures pour cheveux : encore mieux que les dents fausses qui, après tout, ne comblent que des vides éventuels, elles métamorphosent d’une manière permanente l’aspect de la personne qui en fait usage. Elles peuvent se diviser en deux séries ; les unes agissent pour transformer et les autres pour rajeunir, mais souvent le même réactif joue les deux rôles à la fois.

Mentionnons d’abord le henné. Nous savons qu’en broyant les feuilles de ce végétal et les faisant macérer dans l’eau, celle-ci se charge d’une substance colorante orangée (la phloroglucine des chimistes modernes) dont les Orientaux font grand usage. Cette substance colore en rouge carotte les cheveux même les plus foncés, une fois qu’on les a bien savonnés ; et si après les avoir teints de cette façon et nettoyés à l’eau tiède, on les traite avec de l’indigo en pâte, il se développe une nuance d’un noir un peu verdâtre que la rapide oxydation de l’indigo transforme en noir de jais à reflets bleus (la nuance des cheveux des Andalouses suivant Théophile Gautier).

Telle est du moins l’affirmation des spécialistes, mais suivant M. Paschkis il faut en rabattre ; ses expériences, pratiquées sur des cheveux de mort, ne lui ont donné qu’une teinte brun grisâtre foncé qui, par exemple, imite très bien la nature. Le procédé doit être renouvelé tous les mois et il est assez long à appliquer (une demi-heure d’après le même auteur) ; enfin, avec un opérateur malhabile ou malheureux, des accidens, point fâcheux, mais parfaitement ridicules pour le patient, peuvent survenir. Tel vieux beau qui souhaitait colorer en noir sa moustache blanche n’a réussi qu’à obtenir une nuance lie de vin ; du moins lui reste-t-il la ressource de se raser la lèvre. Mais que dirait une femme sur le retour dont les cheveux, au lieu d’adopter la belle couleur marron désirée, deviendraient bleu violacé ? Force est alors à la victime de dissimuler ses cheveux et de se condamner à garder la chambre en prétextant une indisposition subite, et ce déboire a dû survenir plus d’une fois. Nous disons bien « en prétextant » car, à part le risque de manquer l’opération, l’inconvénient de tacher en jaune rougeâtre la peau de la tête, le désavantage d’une odeur que tout le monde n’apprécie pas, l’emploi du henné n’offre aucun danger pour la santé, et favorise même, à ce qu’on dit, la croissance des cheveux. De plus, la même drogue ne coûte pas cher et se conserve indéfiniment sans perdre sa puissance tinctoriale, au rebours de l’indigo, plus altérable.

L’usage du henné remonte à l’antiquité la plus reculée ; celui du brou de noix verte pour teindre en noir les cheveux se pratiquait du temps des Romains, et les principes chimiques spéciaux aux deux agens colorans se rattachent au même groupe. Naguère, aux Etats-Unis, le brou de noix a servi à grimer les quarterons fuyant l’esclavage ; il peut aujourd’hui rendre le même service aux filons qui veulent dépister les agens. Voici une autre manière de changer le signalement : pour qui préfère adopter le blond fade spécial aux perruques de théâtre, s’offre la teinture alcoolique de curcuma. Un simple lavage à l’eau élimine cette nuance factice, circonstance aussi utile au repris de justice après qu’il a réussi à tromper la police, qu’au gendarme chargé de confondre un malfaiteur déjà arrêté et se prétendant victime d’une erreur.

Comme tous les livres d’hygiène et tous les ouvrages relatifs aux cosmétiques répètent bien haut et avec juste raison que les drogues végétales employées comme fards ou colorans ne présentent pour la santé aucun danger immédiat, les fabricans ou vendeurs des agens tinctoriaux dont il nous reste à parler, s’adressant à des pratiques peu instruites en chimie, ont grand soin de baptiser leur marchandise : eaux végétales, extraits de plantes salutaires, quintessence de fleurs fraîches… etc., pour inspirer la confiance. Or, voyons la réalité des choses. Il s’agit avant tout d’obtenir une teinte par exemple noire, de bel aspect, assez durable. Considérons les deux sels d’argent les plus connus : le nitrate et le chlorure ; dissolvons le premier dans l’eau, ce qui est facile et, quant au chlorure insoluble par lui-même, diffusons-le dans l’eau ammoniacale à laquelle il s’incorpore à merveille, comme toutes les combinaisons quelconques de l’argent. Trempons dans ces liqueurs du bois, du papier, de la laine, des cheveux, ou plus simplement mettons-y le doigt : ces matières organiques ou notre peau se tacheront en noir et l’action est d’autant plus prompte qu’elle se produit dans un local mieux éclairé. Et même dans un laboratoire, les flacons en verre blanc renfermant des solutions argentiques noircissent peu à peu au contact des poussières atmosphériques, si on ne maintient le flacon hermétiquement bouché en le plaçant dans un local obscur. D’autre part, si, dans une liqueur de ce genre parfaitement claire, on verse une solution, claire également, de sulfure de sodium, le mélange se trouble et il se forme un précipité noir de sulfure d’argent. Avec un sel de plomb, comme l’acétate ou le nitrate, avec un sel de cuivre soluble, tel que le vulgaire sulfate ou vitriol bleu (toutes substances qui ne se modifient pas à la lumière et ne tachent pas la peau), le même réactif sodique produirait un dépôt de même couleur.

Telles sont les transformations chimiques élémentaires, qui, appliquées à l’art de la toilette, ont fait le bonheur de plus d’une femme dont les cheveux blanchissaient prématurément. Le noir obtenu par les sels d’argent est tenace et durable, car, appliqué aux cheveux, il résiste plus de deux mois et se conserve près d’un mois s’il adhère à la barbe. Seulement si l’opération a été mal pratiquée, il peut se produire, au bout de peu de semaines, de désagréables reflets métalliques. Comme les combinaisons à base d’argent noircissent la peau aussi bien que les cheveux, si l’opératrice n’observe pas certaines précautions minutieuses, elle peut parsemer la peau de sa tête de taches noirâtres d’un effet peu élégant et que nous avons eu occasion de reconnaître plus d’une fois. Un teinturier coiffeur connaissant bien son métier recommandera à sa cliente de se revêtir d’un peignoir en caoutchouc, de se passer sur le front un léger enduit gras et d’appliquer la drogue avec une brosse sacrifiée quelle tiendra dans sa main soigneusement gantée. Quelques parfumeurs avaient inventé à l’usage des personnes maladroites un palliatif bien dangereux ; ils livraient en même temps que le flacon au nitrate d’argent une autre petite fiole renfermant une drogue mystérieuse, destinée à nettoyer la peau. L’effet était instantané : aucune maculature brune ne résistait, et pour cause ; cette substance n’était autre qu’une solution de cyanure de potassium, qui s’assimile très bien l’argent réduit, mais constitue en même temps un des plus effroyables poisons que connaisse la chimie.

Nous pourrions exposer tout au long d’autres détails de manipulation, soit généraux, soit spéciaux à divers cas, qu’il s’agisse d’appliquer aux cheveux une liqueur unique ou deux drogues combinées, dont l’une prépare et l’autre fixe la teinture (c’est le cas des eaux à base de plomb et de cuivre, quelquefois des eaux à base d’argent). Mais le lecteur s’intéressera moins à ces détails de nettoyage, graissage ou lavage, qu’à l’indication très sommaire des inconvéniens multiples dont court le risque celui ou celle qui se teint en noir par ces drogues métalliques. Des eczémas de nature assez grave peuvent se produire suivant M. Paschkis ; Piesse cite même des cas mortels. Peut-être notre auteur exagère-t-il, mais il est de fait qu’en Allemagne et en Autriche, les colorans à base de plomb sont interdits comme pouvant amener l’intoxication saturnine de l’organisme. Avec le cuivre, l’action générale perd de sa gravité, mais l’action locale devient plus dangereuse et entraîne de vives inflammations.

Bien d’autres réactifs, différant entre eux par leur nature chimique, leur mode d’emploi, leurs avantages ou inconvéniens, ont été proposés en sus de ceux que nous avons indiqués : ainsi la noix de galle avec les sels de fer, le permanganate de potasse, certains sels de chrome. On a aussi essayé, il y a une trentaine d’années, de lancer une teinture parfaitement inoffensive à base de bismuth qui ne fournissait qu’un noir indécis, d’où son peu de succès ; l’inventeur était un médecin chimiste des plus distingués dont les ouvrages de science et les recherches, bien qu’excellons, sont moins connus que le rôle politique qu’il a joué depuis et que nous n’avons point à juger ici.

L’eau oxygénée ou bioxyde d’hydrogène découverte par Thénard en 1818, repasse très facilement à l’état d’eau pure en cédant son oxygène aux matières instables avec lesquelles elle se trouve en contact. Or, l’oxydation, comme l’exposition à la lumière, mais mieux encore, décolore les matières organiques ; et, sous le second Empire, un coiffeur, le sieur Hugot, découvrit qu’au moyen de lotions à l’eau oxygénée appliqués à la chevelure, une brune piquante pouvait se métamorphoser en rousse. Cette invention lui rapporta beaucoup d’honneur et de célébrité et plus encore de bénéfice, car la préparation de l’eau oxygénée peut se faire sans grands frais. Le même réactif présente en outre l’avantage de ne pas maculer la peau.

Il était naturel que certains des nouveaux composés tinctoriaux dits « aromatiques » payassent tribut à l’art de la peinture des cheveux, et il ne manquait pas de principes colorans, noirs ou bruns, dans cette série ; mais, s’ils teignaient passablement les cheveux « morts, » ils se montraient impuissans vis-à-vis des cheveux « vivans, » l’opération exigeant leur immersion dans un bain d’eau tiède et l’emploi d’un mordant assez violent, le tout pour obtenir une nuance tachetée de rouge et peu flatteuse. Les savans firent des recherches ; l’un d’eux imagina de laver d’abord les cheveux avec de l’eau aiguisée d’acide nitrique, puis de les traiter à l’acide salicylique (le principe anti-goutteux par excellence), d’où un splendide blond doré. Un autre praticien fit mieux : reprenant l’eau oxygénée, il conseilla de l’appliquer, mais après avoir imprégné les cheveux d’une drogue à nom barbare intitulée chlorhydrate de paraphénylène-diamine. Nous ne saurions dire quel terme de parfumerie gracieux et euphonique remplaça cette rébarbative expression chimique, mais le spécifique obtint d’autant plus de vogue qu’il permettait de ramener les cheveux blancs à une couleur variant, au choix de la cliente, entre le blond et le noir de jais. L’Allemagne qui règne aujourd’hui sans conteste sur l’Europe en ce qui concerne les produits chimiques et la parfumerie, après avoir saturé ses habitans de la teinture nouvelle, inonda la France d’une liqueur que l’étiquette pouvait à juste titre garantir exempte de plomb, d’argent, de cuivre. Il a fallu en rabattre depuis au point de vue de l’innocuité du nouveau réactif. Comme il ne sature les cheveux qu’à la suite d’une friction énergique opérée avec une brosse dure imprégnée du liquide, la peau de la tête, irritée déjà par le frottement des poils, s’enflamme encore plus au contact du caustique. Aux lésions externes qu’un tempérament eczémateux peut rendre dangereuses se joignent, d’après MM. Laborde et Meillère des accidens internes dérivant de la résorption de ce même caustique : vomissemens et affreux maux de tête. Avec des injections de force suffisante, nos deux médecins ont réussi à empoisonner des chiens.

En définitive, les teintures pour cheveux et barbe peuvent devenir une cause de danger et de danger d’autant plus grande qu’elles opèrent mieux et plus vite. Si l’on ne tient pas à risquer des maux fort graves, à compromettre sa santé, on se méfiera des prospectus des coiffeurs ou parfumeurs et on recourra au henné qui, lui du moins, est sans péril, et pour ne pas se ridiculiser en exhibant des cheveux écarlates, on se fera appliquer cette substance par un praticien exercé. Nous voilà réduits en plein XXe siècle à recommander des recettes datant de l’âge des patriarches ! il est probable qu’à cette époque primitive, beaucoup de personnes n’essuyaient point de leur tête la neige des ans et conservaient leur aspect naturel. C’est après tout ce qu’il y a encore de plus raisonnable. En ce qui concerne les femmes, nous convenons qu’une chevelure poivre et sel n’offre pas un aspect agréable ; il vaut mieux, en pareil cas, forcer l’œuvre des années et se coiffer en poudre, dont la blancheur s’ajuste à merveille avec une figure fraîche encore. Ce n’est certes pas à une dame artificiellement blonde ou brune que s’adresse le vers bien connu :

Que vous êtes charmante avec vos soixante ans !


III

Notre tâche, en ce qui concerne les origines lointaines de l’usage des cheveux postiches, sera grandement facilitée par l’abondance de documens, car les perruques eurent autrefois leur historien spécial dans la personne, non d’un coiffeur écrivain, mais d’un vénérable ecclésiastique contemporain des derniers jours de Louis XIV : l’abbé Thiers. Une foule de textes puisés dans les auteurs grecs ou latins prouvent l’antiquité des perruques avant l’époque des Césars romains quand la mode s’en généralisa. Mais ici intervient une distinction qu’il importe de poser : lorsque, des passages cités, il ne ressort aucun détail caractéristique, on ignore s’il s’agit d’une coiffure, d’un ornement de tête garantissant du froid et de l’humidité, ou d’un véritable artifice de coquetterie. Il est probable, pour ne citer qu’un exemple, que la soi-disant perruque d’Annibal servait plutôt au général africain de préservatif contre les rhumes du bivouac que de parure d’emprunt propre à séduire les belles Capouanes.

Nous ne reviendrons pas aux faux cheveux de ces matrones sur lesquelles Martial déverse ses moqueries et les Péres de l’Eglise leurs malédictions : nous en avons déjà suffisamment parlé. Glissons même, le long de la succession des temps, jusqu’après la Renaissance, vers la fin du XVIe siècle. Représentons-nous Marie Stuart sur l’échafaud : le bourreau lève sa hache, décapite la pauvre souveraine, et saisissant par les cheveux la tête toute dégouttante de sang pour la montrer au peuple, s’écrie de toutes ses forces : God save the Queen Elizabeth ! Mais les chagrins de toute sorte subis par Marie l’ont dépouillée de la chevelure blonde dont elle était si fière autrefois ; l’exécuteur ne conserve dans ses doigts qu’une perruque, tandis que le crâne dénudé retombe bruyamment sur les planches. Du reste, la féroce reine d’Angleterre n’a pas le chef mieux garni que sa victime et sa perruque rousse n’est pas moins célèbre. Il ressort de ces détails et d’autres encore qu’à cette époque, les postiches exclusifs ne se portaient qu’à titre de luxe assez rare ; généralement les dames se contentaient de renforcer par quelques boucles fausses leur chevelure naturelle quand elle péchait par trop d’indigence.

Jusqu’ici, notre exposition de l’histoire et de la nature des artifices de toilette s’est appliquée aux modes féminines plutôt qu’aux ajustemens des hommes. Mais le sexe fort nous occupera exclusivement dans les pages qui suivent. Les historiens spéciaux au sujet qui nous occupe racontent que le roi Louis XIII se mit par fantaisie à porter les cheveux longs, mais que, son front s’étant dénudé à la suite d’une maladie, il dut recourir à une perruque et que cet ornement devint à la mode, d’autant plus qu’au gré des petits-maîtres, les cheveux naturels ne poussaient pas assez vite. On débuta, bien entendu, par adopter un terme moyen : le mélange des cheveux faux et vrais, puis, au bout de quelques années, tout le monde se rasa le chef et s’orna d’une toison d’emprunt.

Harpagon reproche à son fils Cléante de porter une jolie perruque blonde fort chère au lieu de garder des cheveux naturels « qui ne coûtent rien, » ce qui prouve que vers 1670 quelques gens âgés, économes ou originaux, conservaient l’habitude des cheveux longs, pratiquée sous la jeunesse de Louis XIII. Quoique la pièce de Don Juan soit censée se passer en Sicile, Pierrot est un vrai paysan de l’Ile-de-France, ayant fréquenté la ville et vu de loin des courtisans ; toutefois Don Juan qu’il sauve du naufrage et reçoit chez lui est le premier seigneur dont il peut examiner de près la toilette, et notre villageois remarque très bien que ses cheveux « ne lui tiennent point sur la tête, » montrant ainsi qu’une perruque à la campagne était alors une singularité assez rare.

En ce qui concerne le grand roi, arbitre naturel et suprême de la mode à cette époque, nous sommes admirablement renseignés par les lettres historiques de Pellisson. Jusqu’à l’été de 1673, le monarque se contente d’ajuster à sa tête comme complément de garniture un simple tour de cheveux ; mais au mois d’août de cette année, un coiffeur nommé Viène lui offre une perruque entière dont Louis est si satisfait qu’il lui concède immédiatement le privilège d’ornemens de cette nature, tout en confirmant les droits de deux cents confrères plus modestes de la même corporation et reconnus depuis 1659. Cette perruque trompe jusqu’aux courtisans qui sont à même d’approcher le plus près du souverain et se superpose tellement bien aux cheveux naturels que pas n’est besoin de couper ces derniers. Par exemple, comme elle ne comporte aucune tresse et que les cheveux ont été passés un à un dans la coiffe, elle coûte bon, 50 pistoles, ce qui n’empêche pas, bien entendu, les commandes d’affluer chez l’artiste, d’où renchérissement. Trente ans plus tard, Mme de Beauvilliers femme du gouverneur des enfans de France, s’informe du prix d’une belle perruque blonde destinée à coiffer le jeune roi d’Espagne Philippe V, qui s’équipe pour aller guerroyer en Italie : on lui répond qu’il s’agit de dépenser 800 livres. Eu égard à la difficulté des temps, la duchesse, avec grande raison ce nous semble, trouve le prix exagéré et, sans le savoir peut-être, elle se rencontre avec Harpagon et écrit à Louville qu’il est plus économique et aussi plus gracieux que le prince fasse la campagne en « tête naissante, » en attendant que ses boucles aient repoussé.

Nous croyons que le brave abbé Thiers prenait ses désirs pour la réalité lorsqu’il nous dit, en propres termes, que Louis XIV était personnellement opposé aux perruques. Notre auteur ne pouvait cependant ignorer, lui si instruit sur la matière, que le roi arborait sa belle perruque de Viène précisément pour aller à la messe, ce qui donnait même, suivant Pellisson, des distractions aux courtisans avides de nouveautés. Quoi qu’il en soit, cette circonstance nous rapproche du cœur même du sujet épuisé par Thiers. L’usage des perruques pour ecclésiastiques surtout à l’église, au chœur, et encore plus à l’autel, est-il licite ? Tachons de nous débrouiller dans ce labyrinthe de controverses, compliquées d’anecdotes, de défenses strictes, de permissions plus ou moins larges, souvent contradictoires[5].

C’est vers l’année 1660 que les ecclésiastiques mondains se coiffent pour la première fois de cheveux étrangers ; l’abbé de la Rivière, évoque de Langres, donne le premier l’exemple, et bientôt le cardinal de Vendôme, légat a latere du Pape Clément IX, autorise un chapelain de la Cour à célébrer le saint sacrifice en perruque « modeste. » Mais les rigoristes criblent le premier d’épigrammes amères et déclarent nettement au cardinal qu’il a outrepassé ses droits. Une décision du Pape lui-même n’apaise pas leur fureur : comme un sieur Dappeville, chargé des affaires ecclésiastiques près la cour de Home, s’était présenté chez Sa Sainteté en modeste perruque à calotte, les officiers pontificaux, enchantés peut-être de ridiculiser un Français, s’indignent qu’on sollicite une audience pontificale sans avoir le chef absolument découvert et refusent l’entrée à Dappeville. Sans perdre son sang-froid, ce dernier enlève la fameuse calotte, exhibe un crâne absolument pelé, et somme les gardes de l’introduire. Le Pape, bien entendu, blâme le zèle intempestif de son personnel et permet au Français de se présenter sans être décoiffé.

Dans le clergé de plusieurs diocèses, il se forme deux partis acharnés l’un contre l’autre au sujet des perruques. Celui des rigoristes s’arme de force textes des Pères de l’Eglise et des conciles. Les perruques, disent-ils, constituent en somme un déguisement, une mascarade théâtrale indigne d’un ministre des autels. Il est interdit aux clercs de porter des cheveux frisés, bouclés, poudrés ou parfumés ; or, les perruques sont par nature parfumées, poudrées, bouclées, frisées. Comment un prédicateur ainsi coiffé peut-il persuader aux femmes de son auditoire de laisser de côté poudre et tours blonds alors qu’il porte des ornemens similaires ? Comment oser cacher une tonsure qui incarne l’emblème par excellence de la cléricature ?

De certains argumens ressortent divers détails curieux. Ainsi Thiers affirme qu’un ecclésiastique portant perruque dépense pour elle de 30 à 40 pistoles par an, d’où gaspillage abusif. Souvent le clerc possède deux perruques et par un choquant contraste, c’est la moins belle dont il se coiffe le matin pour se rendre à l’église, tandis qu’il arbore la plus fraîche pour ses visites mondaines. Les trop longs poils de la perruque sont-ils-roussis lorsque le séculier lit le soir à la chandelle, ou tachés au contact de l’assiette pendant le repas, qu’il faut réparer la coiffure, tandis que son porteur est forcé de garder la chambre. Nous apprenons aussi que tantôt les perruques supprimaient toute apparence de tonsure ou couronne, que tantôt les calottes en satin, cuir, ou peau de cochon présentaient des tonsures ou couronnes fictives.

Quels textes, quelles raisons invoquaient pour leur défense ceux qu’on appelait avec mépris les « perruquets ? » Thiers dédaigne de nous l’apprendre : mais il expose longuement les tentatives des novateurs et les difficultés qu’elles ont provoquées. Parce qu’une tradition fort ancienne et très répandue alors désignait la nuance rouge comme ayant été celle des cheveux de Judas, un puissant préjugé régnait contre les malheureux doués de cheveux carotte qu’on appelait alors des « rousseaux. » Ennuyé sans doute de se voir vilipendé pour un défaut naturel dont il était certes bien innocent, un jeune chanoine de Tours arbore perruque et la ville entière se scandalise de cette licence. (Thiers n’exagère-t-il pas un peu ? ) Le promoteur du diocèse cite devant l’Official notre chanoine et le met en demeure d’opter entre son bénéfice et son ornement illicite. Ne voulant ni se décoiffer, ni se démettre, le jeune homme tient bon et entame devant les tribunaux compétens une lutte héroïque, au terme de laquelle il succombe cependant. Redoutant sans doute les plaisanteries des malins Tourangeaux, il prend le parti d’aller dans un autre diocèse cacher en paix ses cheveux rouges.

Ce fut peut-être à Reims qu’il se rendit. En effet, à peu près à la même époque, l’archevêque de cette ville intervient dans un procès de ce genre, réconcilie les adversaires et formule une transaction qui fait pousser des cris de désespoir aux rigoristes. Il s’agissait d’un chanoine de Soissons, Rousseau de nom, s’il ne l’était de couleur, qui voulait célébrer en perruque la messe capitulaire (1679) et qu’avait approuvé le Parlement de Paris, prononçant en sens contraire des premiers juges ecclésiastiques.

Il faudrait invoquer la muse de Boileau ; il faudrait refaire un poème parallèle à celui du Lutrin, et peut-être plus long, pour chanter la lutte que Raoul Foy, chanoine de Soissons, soutient contre ses collègues du chapitre, excités par le doyen Le Fèvre d’Ormesson, lesquels, le 25 novembre 1685, commettent un bedeau et un marguillier pour interdire l’entrée du chœur à Foy parce qu’il porte une perruque « simple et modeste, » à ce qu’il prétend du moins. Double procès au Châtelet de Paris et à l’officialité de Reims. Thiers ignore le dénouement de l’affaire dans laquelle l’archevêque de Reims joua peut-être, vis-à-vis des chanoines en querelle, le même rôle pacificateur que Lamoignon auprès du clergé de la Sainte-Chapelle.

A Albi, à Bourges, l’autorité se montre absolument intransigeante ; elle menace les ecclésiastiques rebelles de les suspendre ipso facto. A Agen, règlement transactionnel qui ne satisfait personne : on tolère bien le port des cheveux artificiels ; mais les prêtres, diacres et sous-diacres doivent les quitter à la sacristie avant de monter à l’autel, et ils prétendent que les perruques ainsi déposées sont abîmées par des mains indiscrètes ou même dérobées, et il en coûte cher de les renouveler. Fait curieux, le gros du parti des « perruquets » se composait de deux troupes bien distinctes : d’abord les jeunes et élégans, puis les vieux ecclésiastiques chauves et disposés aux rhumes ; les uns pressés de se parer, les autres désireux d’éviter les refroidissemens. C’est même en faveur d’un de ces derniers, — le sieur Joseph B…, bachelier en théologie et frère d’un ascendant direct de l’auteur de ces lignes, — que Mgr de Grimaldi, archevêque d’Aix, accorde, en 1684, sur certificat médical, une autorisation en règle de porter perruque. Il y est recommandé, en latin fort élégant, que les cheveux faux simulent la couleur naturelle, qu’ils entourent une tonsure artificielle et découvrent entièrement les oreilles.

Mais, au moment où Thiers rédige son ouvrage, à la fin du XVIIe siècle, l’emploi des perruques devient si général, à son témoignage, que les laquais eux-mêmes en portent et que d’autre part, chez certains réguliers, comme les Oratoriens, les mêmes innovations qui venaient d’agiter les séculiers prennent naissance et engendrent censures identiques et expulsions parallèles.

Les perruquiers ne pouvaient guère manquer de réaliser des bénéfices considérables sur la fabrication d’un accessoire de toilette à la fois obligatoire et fort cher ; aussi n’hésitent-ils pas à s’imposer de lourds sacrifices pour conserver leurs privilèges. En 1673, ceux de Paris offrent 400 000 livres pour que leur nombre ne soit pas augmenté ; en 1689, pour le même motif. 100 000 livres, ce qui n’empêche les ministres de créer, en 1692, 150 nouveaux offices, d’où gain de 300 000 livres au profit de l’État, et les mêmes manœuvres se renouvellent encore en 1706 et 1714 avec des bénéfices toujours croissons.

Nos praticiens ne tardent pas à s’apercevoir qu’ils trouvent plus de profil à présenter à leurs cliens des perruques non moins volumineuses, mais plus légères, et les acheteurs de goûter cette transformation. La perruque type Louis XIV tient la tête trop chaude : aussi, après la mort du grand roi, on commence à rassembler les faux cheveux en arrière pendant l’été pour ne les laisser pendre latéralement qu’en hiver. Cette habitude est trouvée si commode qu’elle devient perpétuelle ; pourtant les robins, négocians, financiers sont les derniers à conserver les perruques longues et bouclées. Les militaires, eux, supportent à grand’peine l’emploi des cheveux artificiels, surtout frisés ; ils essaient d’abord des perruques « à la brigadière, » simples et légères, puis adoptent un parti plus simple, celui de laisser pousser tout bonnement leurs cheveux, mode assez bizarre dans nos idées actuelles, mais qui n’en a pas moins subsisté pendant trois bons quarts de siècle[6].

Quoi qu’il en fût, comme tout le monde n’était pas militaire et que la nature ne garnissait pas également tous les crânes, le port de perruques invariablement poudrées, bouclées et bichonnées caractérisait les contemporains de Louis XV et de Louis XVI. Une scène des proverbes de Carmontelle nous prouve que même les mendians qui sollicitaient dans les rues la charité des passans se coiffaient de perruques. Du temps de M. de Sartine, les ornemens de tête se simplifient : la perruque, simplement crêpée, est divisée par une large raie perpendiculaire au front et quelques originaux commencent à délaisser la poudre.

Nous quitterons maintenant l’examen des habitudes de nos grands-parens pour nous rendre compte de la nature des ornemens factices dont ils chargeaient leurs têtes. En ce qui concerne le XVIIe siècle, Thiers ne ménage pas les renseignemens.

Il nous dit que les premières perruques portaient le nom de « calottes, » et qu’on les appelait aussi moins élégamment « teignasses » ou « tignasses ; » elles couvraient la tête des gens graves et doctes, des bourgeois de robe et plus tard des ecclésiastiques[7]. On peut rattacher à cette variété la célèbre coiffure de Chapelain que Furetière a immortalisée. C’était, en effet, une calotte de satin ou de velours épousant la forme du crâne, entourée d’un « calpin » ou « canepin » en épidémie de peau de mouton, adhérente à l’étoffe. Le long de cette bordure pendaient quelques rares cheveux longs et plats que l’ouvrier avait passés un à un dans le « calpin » au moyen d’une aiguille. Pendant la minorité de Louis XIV on commença à friser les cheveux des calottes, et pour ne pas trop faire attendre le patient on inventa les « têtes à perruques. » Plus tard un perruquier nommé Quentin imagine mieux encore et crée la perruque « entière » ou « passée au métier ; » les cheveux postiches sont tressés par petites mèches, et les tresses cousues sur une légère coiffe qui ne se distingue point. Succès fou du modèle à Paris d’abord, puis en province, enfin à l’étranger, en commençant par les laïques et en finissant par les membres du clergé. En 1682, inquiets de la vogue de Quentin, ses confrères lui octroient 30 000 livres pour le rachat de son privilège exclusif.

Au XVIIIe siècle, les perruques d’homme proviennent presque exclusivement de cheveux coupés sur des têtes féminines parce qu’ils sont plus moelleux que les cheveux d’homme. On lessive les cheveux avec des cendres pour les dégraisser ; on les fait sécher dans du son et on les cuit au four. Mais comme la frisure, pratiquée par l’artiste sur la tête à perruque avant que le client n’achève sa toilette, eût été peu solide, surtout les jours de pluie, on entremêle les cheveux de poils d’une rigidité plus accentuée, tels que crins de chevaux, de queue de bœuf, soies de porc, grâce auxquels la frisure se conserve mieux.

Les faux cheveux, — on l’a bien vu par les chiffres que nous avons déjà fournis, — grevaient d’une lourde charge le budget de toilette des hommes. Aussi divers inventeurs pensèrent faire fortune en lançant des types nouveaux de perruques économiques. On en fabriqua d’excellentes, paraît-il, en fil de fer ; mais les maîtres perruquiers, furieux de cette innovation qui les ruinait doublement parce que les nouvelles perruques duraient trop et qu’elles n’avaient pas besoin d’être refrisées, les maîtres perruquiers, disons-nous, profitant de ce que l’inventeur était étranger à leur corporation, lui intentèrent un procès qu’ils gagnèrent et firent interdire le commerce des perruques en fil de fer. Ils ne purent, par exemple, s’opposer à l’innovation, pour la toilette du matin, des perruques en peau de mouton importées d’Angleterre où tous les matelots en mettaient de semblables, plutôt comme coiffure de protection contre les intempéries et contre les coups de sabre dans les combats que comme ornement.

Quoique n’ayant pas, il s’en faut de beaucoup, épuisé l’histoire des cheveux postiches ; quoique aussi les détails curieux concernant l’état actuel de cette industrie ne fassent pas défaut, nous n’en dirons pas davantage sur ce sujet, pour des raisons déjà exposées. Mais il nous reste encore à étudier l’art d’améliorer le physique de l’homme de la manière la plus artificielle, la plus accentuée et aussi la plus transitoire.


IV

Depuis de longs siècles l’homme, ou la femme, qui se produit devant le public sous un costume d’emprunt pour jouer un rôle appris par cœur, sérieux ou comique, ou déployer silencieusement son agilité, s’est cru obligé de modifier plus ou moins sa physionomie véritable. Sous ce rapport, que de nuances à analyser, depuis le masque coiffant les interprètes de Sophocle et Aristophane jusqu’à l’imperceptible voile de rouge que risque à peine sur sa face l’actrice de salon ! Entre ces deux extrêmes se distinguent le grossier peinturlurage des clowns et le savant maquillage des artistes de nos théâtres.

Nous avons tous été, dans nos classes de littérature ou d’histoire grecques, trop souvent entretenus de Thespis, de son chariot, des acteurs primitifs barbouillés de lie, etc., pour que nous en reparlions encore ici. Passons donc directement à l’âge d’or de la scène grecque. La personnalité de l’acteur, — les actrices faisant défaut, — s’éclipse complètement et le personnage représenté, quel que soit son sexe dans la pièce, est un mannequin de carnaval surmonté d’un masque à vaste perruque et reposant moins sur des chaussures que sur des échasses. L’acteur anime ce fantoche sans que, au rebours de ce qui se passe aujourd’hui, nulle partie de son corps soit visible pour les spectateurs. Des gantelets articulés cachent les mains ; de longues et larges manches voilent les bras ; une ample robe recouvre les épaules, la poitrine, le ventre capitonné et dissimule les jambes. Quelle opposition avec nos comédiennes modernes, avec nos ballerines si légèrement vêtues ! Par un curieux contraste, les Grecs qui habillaient sommairement dans les tableaux et les statues leurs déesses et leurs héroïnes ne les admettaient sur la scène que drapées dans des plis épais d’étoffes précieuses.

Nous ne voulons pas nous poser en apologiste d’une convention, qui dans nos idées d’aujourd’hui semblerait grotesque ; mais nous rappellerons, d’après les érudits, les avantages du masque de théâtre suivant les préjugés des Grecs. Eschyle, non moins habile artiste et metteur en scène qu’excellent dramaturge, s’il ne fut pas l’inventeur du masque tragique, lui avait déjà donné une forme très perfectionnée et, depuis, le masque toujours modelé par les soins des artistes les plus illustres, synthétisait l’image de la beauté idéale, ou, dans la comédie, de la laideur traditionnelle. Peu importait que l’acteur fût vieux, laid de visage ou difforme de corps ; sur la scène, il restait toujours jeune, beau, bien fait, grâce au masque et aux accessoires dissimulés sous sa longue robe. Rien n’empêchait le même comédien de remplir deux ou même trois rôles principaux ou secondaires en changeant chaque fois de costume, de masque et d’accessoires ; trois ou peut-être quatre déclamateurs de talent suffisaient pour représenter, sans comparses médiocres, une pièce à nombreux personnages. Au poète incombait le soin de combiner entrées et sorties ; de là quelques maladresses de métier ou « ficelles » trop apparentes que les hellénistes contemporains ont devinées dans certaines tragédies d’Eschyle et d’Euripide que gênait la règle dite « des trois acteurs. »

Sophocle, ajoutent-ils, est plus expert et ne commet pas de semblables fautes. Peut-être parce qu’il jouait au besoin la tragédie et prêtait son concours incognito sous le masque : ainsi nous savons, d’après Athénée, qu’il incarna le rôle de la princesse Nausicaa dans une de ses pièces. Nous n’ignorons pas non plus qu’Aristophane créa le rôle de Cléon dans les Chevaliers. Aujourd’hui on serait bien étonné de voir M. Sardou ou M. Edmond Rostand interpréter leurs propres œuvres.

Comme ce sujet des masques et des habits de théâtre chez les Grecs présente beaucoup d’intérêt, de nombreux érudits des temps modernes et contemporains l’ont abordé sous toutes ses faces : nous nommerons, rien que pour l’époque actuelle, MM. Dierks, Salomon Reinach, A. Müller, P. Girard… et bien d’autres encore.

Par malheur les antiquaires, moins heureux que le renard de la première fable d’Esope, n’ont jamais réussi, au cours de leurs fouilles en Grèce ou en Italie, à retrouver un masque de théâtre et ils se trouvent réduits à colliger d’innombrables passages extraits d’une foule d’écrivains anciens et à relire les indications très sommaires d’un auteur technique, Julius Pol-lux. Mais quelle difficulté peut décourager un savant de nos jours ?

Les masques n’étaient pas de bois, comme on l’a longtemps supposé, mais bien de chiffons comprimés dans un moule et imprégnés de stuc. Fort durs, ils auraient même gêné l’acteur sans une calotte protectrice de feutre tapissant l’intérieur et dont l’utilité se manifestait eu cas de chute sur la scène. Deux trous imperceptibles donnaient passage au regard, un orifice plus grand à la voix, et de savans artifices de dessin et de modelage combinaient des traits grossis intentionnellement, déformés même, mais à la condition de s’harmoniser avec les points fixes des prunelles et l’ouverture de la bouche pour lesquels s’imposait la coïncidence du vrai et du faux visage[8]. D’abord pâles à l’époque des tragiques primitifs, les masques, sous l’impulsion d’Eschyle, ne tardèrent pas à se colorer ; l’expression en fut d’abord sereine, peu accentuée ; puis, au temps des Alexandrins et à plus forte raison après 1ère chrétienne, elle s’exagéra et dégénéra en grimace tourmentée ; la bouche, modérément ouverte en premier lieu, se déforma en véritable gueule de four, comme en témoigne Lucien.

Tombant d’aplomb sur la tête de l’histrion, comme aujourd’hui les feux de la rampe sur sa face, les rayons du soleil eussent écrasé la physionomie du masque si la haute coiffure triangulaire nommée onchus n’avait rétabli l’harmonie. D’abondans cheveux postiches bouclés ruisselaient de l’onchus, lequel enfin s’abaissait sensiblement dans les masques de femme à chevelure flottante. Cet ornement constitua d’abord un ingénieux correctif inspiré par l’esthétique ; mais, dans la suite des âges, il grossit et s’exagéra comme l’expression du masque et sans doute aussi les couleurs.

On a souvent assimilé la tragédie hellénique à notre grand opéra : les conventions assez illogiques qui gouvernent nos drames musicaux se rapprochent de celles qui réglaient les représentations du vieux théâtre attique. Héros et héroïnes, empêtrés dans leurs accessoires, s’avançaient à pas lents, modulant presque en déclamant leurs tirades ; le peu d’animation de la physionomie des chanteurs actuels, leurs gestes mesurés, correspondent à l’expression immuable du masque tragique, aux attitudes élégantes mais calmes des interprètes anciens, auxquels était interdit tout mouvement un peu vif. Voulaient-ils, emportés par le feu de l’action, sortir de leur rôle de figurans de tableaux vivans, que survenaient les accidens les plus grotesques. « Ont-ils le malheur, ce qui n’est pas rare, — dit le moqueur Lucien, — de faire un faux pas et de tomber au milieu du théâtre ; ils deviennent la risée des spectateurs ; le masque et le diadème sont brisés, la véritable tête du comédien ensanglantée, ses cuisses à nu en grande partie : on ne voit plus que ses misérables haillons et ses cothurnes tout difformes et nullement proportionnés à ses pieds. »

On s’est demandé comment la rigoureuse immobilité du masque s’accordait avec les différentes phases des passions analysées dans le drame, avec les alternatives effrayantes de bonheur ou de désespoir par lesquelles passait le personnage créé par le poète. Sans doute, ont répliqué les érudits, point de jeu de physionomie possible pour l’acteur ; mais aujourd’hui même peut-il rougir, pâlir, verser de vraies larmes, hérisser ses cheveux alors qu’il est censé faire tout cela aux yeux des spectateurs ? Il paraît démontré aussi que l’expression du masque semblait au public se modifier suivant son inclinaison et qu’un habile comédien savait mettre cette circonstance à profit[9]. L’acteur, en somme, ne changeait de masque dans le cours d’un même rôle qu’à la suite d’une mutilation du personnage (comme dans Œdipe) ou d’une de ces métamorphoses si chères à la mythologie.

Masque, accessoires, capitonnages, costume, cothurnes grandissaient et grossissaient l’histrion au point de le disproportionner absolument avec un homme non attifé pour la scène. Aussi on n’aurait pu mêler des acteurs à visage découvert à ces monstres, vraies statues animées, dont les plus petits dépassaient cinq pieds six pouces avec têtes et membres à l’avenant. Suétone cite un cas fort curieux en parlant des folies de Néron : quand l’empereur était las de jouer au théâtre des rôles d’héroïnes, sous un masque idéalisant ses favorites du jour, il représentait son propre personnage — non avec sa véritable face nue — mais coiffé d’un modelage simulant sa physionomie. Un autre détail sera mieux compris de nos lectrices : jamais à aucune époque et chez aucun peuple, femme de l’antiquité n’a subi l’épreuve d’enfouir sa tête sous un masque tragique.

Chez les Grecs, règles simples et absolues à formuler : masques d’Eschyle, artifices auxiliaires, et hommes seuls sur la scène. Chez les Romains antérieurs aux Antonins, coutumes variables et complexes : ainsi les interprètes de Plaute et de Térence sont des hommes barbouillés d’une couche épaisse de craie, plâtre ou farine, à la façon des pierrots modernes leurs successeurs, et emperruqués comme nos clowns ; on use aussi du masque collant qu’Arlequin a perpétué jusqu’à nos jours ; on joue encore à visage complètement découvert, et les femmes, comme en témoignent Horace et Cicéron, montent sur la scène, mais sans doute pour ne remplir que des rôles muets. L’origine, comme la nature même des spectacles, variait beaucoup : d’où une certaine diversité de conventions. Les Italiens d’autrefois, comme ceux d’aujourd’hui, étaient d’excellens grimaciers, des mimes de premier ordre, et les Romains ne renoncèrent pas volontiers à jouir de l’agrément des jeux de physionomie, des gestes un peu vifs. Mais il semble que les usages helléniques, comme la langue elle-même et la littérature des Grecs, envahissent peu à peu le monde latin. Le vieux masque, dont l’expression s’exagère de plus en plus avec la décadence de l’art, s’impose progressivement aux Romains qui, peu enthousiastes au début, finissent par prendre leur parti de ces figures aux traits forcés et immobiles. Deux cents ans environ après 1ère chrétienne, aucun visage d’histrion ne s’exhibe à découvert dans une représentation tragique, comique ou chorégraphique, à ce que Lucien affirme, et aucune femme ne monte plus sur le théâtre. Les rudes invectives de Tertullien contre les spectacles païens nous confirment cette dernière circonstance par l’absence de toute récrimination à l’égard des comédiennes.

La mode du masque au théâtre persiste jusqu’à l’effacement du dernier vestige du paganisme et des goûts littéraires classiques. Les Pères de l’Église du Ve siècle condamnent encore un spectacle devenu trop raffiné pour leurs contemporains ; mais ils luttent avec plus d’ardeur à l’égard d’un nouveau genre de divertissement qu’on pourrait peut-être assimiler, non certes à nos représentations modernes de cirque, mais à ce qu’elles deviendraient, jouées par la plus vile racaille des deux sexes, en présence d’un public très mal choisi, duquel les gens honorables s’excluraient d’eux-mêmes. Souvenons-nous que la future impératrice Théodora, élevée à l’amphithéâtre, avait débuté comme « clownesse » dans l’emploi que nous appellerions dans l’argot moderne les « Augustes » et qu’elle avait diverti non moins par ses plaisanteries que par les grimaces de sa figure non masquée les portefaix et les matelots de Constantinople (Procope).


V

Tout à l’heure nous avons formulé cette pensée que, dans la Rome ancienne la variété des spectacles, d’origine locale ou exotique, offerts au peuple, devait occasionner une dissemblance dans la nature des artifices de la scène. Lorsque, à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, le théâtre profane succéda aux mystères, avec des pièces souvent importées d’Italie et des acteurs nés ou formés dans la Péninsule, il en fut à peu près de même, et les comédiens adoptèrent trois moyens de se grimer.

À cette époque le masque se portait souvent dans la vie ordinaire ; qu’y a-t-il d’étonnant de le voir adopter pour le théâtre, après transformation, et fournir une longue carrière ? Le masque caractérisa, de la fin du XVIe au milieu du XVIIIe siècle, certains rôles chargés, à types traditionnels de matamores, capitans, vieillards grotesques ; peut-être Molière le portait-il lorsqu’il créa les emplois de Mascarille, notamment dans les Précieuses. Le masque a longtemps coiffé les danseurs dans les ballets mythologiques de l’Opéra, usage qui ne cessa que dans les dernières années de Louis XV pour les premiers sujets. Il a permis, à une époque où les actrices étaient rares et les danseuses de profession inconnues ou non disponibles, d’introduire sur la scène plus d’un homme travesti, soit dans l’ancienne comédie (rôles de nourrices du temps de Hardy et de la jeunesse de Corneille), soit dans les ballets qu’on dansait non seulement au théâtre, mais dans les fêtes de la Cour et jusque dans les collèges. Grâce à lui, plus d’un original amateur de chorégraphie parut incognito sur la scène de l’Opéra pour développer en public son agilité. Le masque a disparu, pour toujours probablement, mais on peut considérer comme le rappelant le faux nez en cire que se modèlent les acteurs tant soit peu camards lorsqu’ils jouent certains rôles comme celui de Cyrano.

Les spectateurs de l’ancien théâtre français toléraient le masque plutôt qu’ils ne l’appréciaient. Aussi les premiers acteurs comiques avaient imaginé une solution mixte qui combinait la laideur obligatoire avec une suffisante mobilité de physionomie ; ils « s’enfarinaient » suivant l’expression même de Scarron, dans le Roman Comique, c’est-à-dire se couvraient la face d’une couche épaisse d’amidon, comme les Pierrots actuels se blanchissent la figure. L’enfarinement signalait les personnages ridicules des farces les moins relevées. Il est plus que probable que Molière, courant la province avec sa troupe comique, a rempli le principal rôle dans une de ses premières ébauches intitulée la Jalousie du Barbouillé, canevas informe dont il a retiré plus tard George Dandin. Le titre est caractéristique et donne à penser que l’acteur qui tenait l’emploi se faisait une tête analogue à celle de nos clowns modernes.

Néanmoins, à l’époque qui nous occupe, beaucoup de rôles d’homme : rois, héros, amoureux et tous les rôles remplis par des femmes se jouaient à visage découvert. Notez qu’il n’y avait point de rampe et que souvent les spectateurs envahissaient la scène. Les comédiens se faisaient-ils leur visage ? Sans doute, mais à ce que nous croyons, cette coutume ne reposait point sur les mêmes motifs d’optique qu’aujourd’hui. Les femmes de ce temps, et surtout celles du monde dans lequel se recrutaient les comédiennes, n’avaient pas besoin de monter sur les planches pour se farder ; les petits-maîtres comiques imitaient en les exagérant à peine les raffinemens de toilette de leurs originaux à la ville ; enfin les traits des comédiens déjà vieillis avaient besoin d’être améliorés.

Après l’année 1700, les acteurs de tout emploi commencent à abuser du rouge sur la scène, en même temps que les dames à la ville se mettent à s’en appliquer avec excès ; les deux modes marchent parallèlement. Venant de Londres où cette double exagération ne se pratiquait pas, Addison est tout surpris et compare ironiquement la fraîcheur suspecte des reines de théâtres, à Paris, aux couleurs véritables des jeunes laitières de son pays. Plus tard les habitudes se modifient, les salles s’agrandissent, l’acteur s’éloigne de plus en plus du spectateur et le reflet rougeâtre de l’huile des quinquets s’accommode d’une forte dose de blanc. C’est contre l’emploi exagéré de ce blanc dont se plâtrent les comédiennes que prêche M"6 Clairon ; elle trouve que la couche, trop épaisse, nuit considérablement aux jeux de physionomie dans les scènes tragiques. Il faut se contenter, ajoute-t-elle assez sagement, d’aider la nature par des modifications peu sensibles et intelligentes aux sourcils, aux cheveux, aux oreilles, aux lèvres, conformément à l’esprit du rôle et aux principes de l’anatomie de la tête, détails que ne doit pas ignorer une bonne actrice.

A la suite de ce résumé historique, nous choisirons, pour les exposer, divers renseignemens applicables aux personnages que nous voyons actuellement s’agiter sur les planches. Quelques règles générales sont du ressort du simple bon sens. L’acteur, ce mot étant pris dans son acception la plus large, peut user d’un maquillage d’autant plus grossier qu’il reste moins longtemps en scène et se démène moins ; mais qu’il soigne sa peinture s’il prend part à une action prolongée. Peu importe à un clown ou même à une ballerine de quitter au bout de quelques minutes soit la piste, soit la scène, la face ruisselante d’une bouillie multicolore mêlée à la sueur ; mais un comédien qui joue dans les cinq actes d’une pièce, un ténor qui chante à plusieurs reprises de longs morceaux, doivent se grimer avec beaucoup de soin. En outre l’entreprise se simplifie beaucoup s’il s’agit d’un homme ou d’une femme encore jeunes ; elle se complique pour les vieux comédiens, et pour les personnes trop brunes, quel que soit leur âge.

Chaque artiste dramatique s’applique lui-même son fard, sans recourir à l’aide d’un coiffeur spécialiste, en se guidant sur une routine bien vite acquise, paraît-il. Et même chez les Allemands, gens plus méthodiques que les Français, l’art de se grimer au théâtre comporte une petite littérature technique, très nourrie, de laquelle nous extrairons la plupart des détails qui termineront cet article[10].

Autrefois, et les Mémoires de Mlle Clairon le confirment pour le XVIIIe siècle, les comédiens se servaient de fards en poudre : maintenant ils ne recourent plus qu’aux fards gras, de sorte qu’à l’art du pastelliste a succédé celui du peintre à l’huile, plus parfait en ce qui concerne la transition de la peinture à la peau et précieux surtout pour dissimuler les petites rides et les légères imperfections de l’épiderme.

L’épaisseur de la couche à appliquer, les nuances de noir, brun, gris, rouge clair ou foncé, jaune et blanc, les transitions à ménager d’une teinte à l’autre, dépendent de la nature de l’éclairage. Avant de se produire devant les feux des bougies, des lampes à huile ou à pétrole, l’acteur ne s’applique qu’une couche mince de fard, n’accentue pas beaucoup les accidens de sa face et évite les nuances intermédiaires au profil des couleurs fondamentales : rouge et blanc. Il convient déjà de forcer le maquillage en présence de l’éclairage au gaz, et enfin le comédien qui se produit en public derrière une batterie de lampes à incandescence doit accroître encore la couche de peinture, combiner de savantes dégradations à partir du rouge vif des pommettes, et ne se servir que de fards de première qualité[11].

En ce qui concerne le masque du comédien contemporain, on peut énumérer bien des effets à obtenir, citer bien des moyens d’exécution à appliquer, marquer bien des imperfections naturelles à corriger, mentionner bien des déformations à provoquer artificiellement, mais à défaut d’une fastidieuse classification technique de buts et de tours de main, il convient de mentionner comment on opère dans les deux cas extrêmes : celui de la femme et du jeune premier qui doivent avant tout s’embellir sans modifier profondément leur apparence naturelle, et celui du comédien obligé de se vieillir, de se transformer et de s’enlaidir.

« Examinez attentivement un portrait dû au pinceau de quelque grand maître et copiez-en l’aspect du mieux que vous pourrez. » Telle est la règle générale à poser dans la première des deux circonstances. L’artiste commence par se barbouiller la face avec du beurre de cacao de façon à n’en laisser sur la peau qu’une couche infiniment mince, mais uniforme ; puis il applique la teinte fondamentale : blanc (de zinc par exemple) en fard gras pour les comédiennes[12] blanc de zinc mêlé d’un soupçon de terre de Sienne et de rouge pour les jeunes acteurs (le mot jeune, bien entendu, s’applique à la nature du rôle et non à l’âge réel de l’interprète). La question du rouge aux joues, — c’est le technicien allemand qui parle, — importe beaucoup. Notre auteur suppose donc une actrice à visage ovale, à joues point trop grosses sur lesquelles les muscles se détachent eu légère saillie depuis le vomer jusqu’au confluent des maxillaires : ces sortes de figures s’accommodent fort bien de l’optique de la scène. Si notre comédienne couvre maladroitement sa joue d’une trop large tache de rouge, elle ne réussira qu’à reproduire l’image d’une paysanne vulgaire et des sourcils mal teints achèveront de l’enlaidir. En bonne règle, le doigt, trempé dans le rouge et faisant office de pinceau, ne doit laisser de traces que sur la partie supérieure de la joue, en donnant l’illusion, non de ce que la nature pratique le plus souvent, mais de ce qu’elle réalise de mieux. Il faut, bien entendu, ménager intelligemment les dégradations de teinte, ne pas choisir comme nuance fondamentale un blanc trop éclatant, et enfin se garder de se rougir l’oreille, ce que font à tort beaucoup de comédiennes. Personne n’ignore que les traits noirs très fins tracés parallèlement au contour de l’œil servent à l’élargir en apparence, que les sourcils doivent être redressés, agrandis et ramenés à une nuance plus sombre que la chevelure. Le noir de fumée ou la sépia mélangés au beurre de cacao semi-torréfié remplissent très bien cet office.

Une application de rouge tendre sur les parties creuses d’un visage trop maigre en grossit l’apparence. On affaiblit la rondeur exagérée d’une figure trop pleine en diminuant la dose de rouge aux pommettes et, si le rôle le permet, en couvrant les joues d’une barbe artificielle. Le rouge des joues, envahissant le nez, atténue l’aspect exagéré de cet organe ; s’il s’en écarte, il l’augmente à la vue des spectateurs. En garnissant de poils artificiels une lèvre supérieure trop forte, en faisant retomber les moustaches fausses ou vraies sur une bouche trop large, on corrige un peu ces défauts. Prolongée au-delà des coins de la bouche, la nuance fondamentale lui donne un aspect plus étroit. On rafraîchit au carmin des lèvres trop ternes et on rosit le menton. Autant que possible un jeune homme doit jouer sans perruque ; il se contente de dissimuler la peau de son crâne insuffisamment garni sous une couche de noir de fumée ou de crêpé sombre, à moins qu’il n’use d’un faux toupet. En rasant la bordure de ses cheveux et couvrant la bande rasée de fard couleur de chair l’acteur agrandit, en vue de la scène, un front jugé trop bas.

Il est passablement malaisé à un artiste peu âgé de se grimer en vieux, car pour cela il faut obéir à des règles rationnelles assez complexes. Ocre et terre de Sienne se mêlent en fortes proportions au blanc de la teinte fondamentale ; la tache rouge des pommettes s’accuse comme ton tout en se rétrécissant. Une application de gris bleuâtre simule les dépressions qui se creusent aux tempes, au bas des joues et sous les paupières inférieures ; les rides s’indiquent par des traits bruns et ressortent grâce à des traits clairs parallèles. Comme le premier effet du fard gras est de dissimuler les rides véritables, l’artiste ne jouit même pas de la ressource d’exagérer ses plis naturels pour se vieillir.

On fabrique aujourd’hui des perruques de chauve qui, si elles sont bien ajustées sur la tête du comédien, se raccordent parfaitement avec la peau graissée de son front, sans transition visible. Bruns, gris ou blancs, suivant le cas, les cheveux postiches sont cousus intérieurement et, comme dans la nature, se groupent par touffes. Avec du « crêpé » ou de la laine douce bien cardée, l’imitation de la barbe naturelle laisse fort peu à désirer, surtout si l’acteur prend soin de tirailler et d’éplucher au doigt le crêpé ou la laine. Suivant la nature du rôle, qu’on teigne, qu’on agrandisse, qu’on prolonge plus ou moins les sourcils, mais sans jamais en coller de postiches au bas du front.

Nous avons, dans la première partie de ce travail, fait allusion aux inconvéniens anti-hygiéniques des fards appliqués trop habituellement sur la peau. Alors quelle doit être la nocuité d’un épais maquillage, renouvelé quotidiennement, sur un épiderme que surchauffent les jeux de scènes et les feux de la rampe ? On le devine a priori et pourtant aucun ouvrage technique ne mentionne d’accidens spéciaux aux comédiens des deux sexes jusqu’à l’introduction du gaz dans les théâtres qui obligea de forcer la peinture des visages.

Suivant l’hygiéniste Chevallier, Mme V…, célèbre actrice de la Comédie-Française (sans doute Mme Volnys née Léontine Fay) aurait souffert pendant quelque temps d’une véritable intoxication saturnine qui fut combattue, avec succès d’ailleurs, parades remèdes (nombreux et énergiques tant généraux que locaux. À cette époque en effet (vers 1840 ou 1850), les artistes se servaient du blanc de plomb liquide qui communiquait à la peau un admirable éclat juvénile, mais qui déterminait à la longue, chez certains tempéramens particulièrement sensibles à l’action du plomb, des accidens très graves. Barbouillant de ce poison, non seulement leur visage, mais leurs bras, leur cou, leurs épaules, les dames s’exposaient encore plus que les hommes.

La collection de la Gazette des Tribunaux nous fournira un exemple rétrospectif assez typique pour valoir un résumé détaillé. Dans le courant de l’année 1859, un certain nombre d’acteurs ou d’actrices éprouvèrent des symptômes fort inquiétans, enflures locales sur les parties du corps qu’ils fardaient, langueurs, dépérissement et affaiblissement de la mémoire et de L’intelligence. A la suite d’accidens répétés, le directeur du Palais-Royal se plaint au commissaire de police du quartier ; on procède à des enquêtes et expertises, et finalement le sieur F…, un des premiers parfumeurs de Paris, fournisseur des fards du théâtre, comparaît, ainsi que la dame D…, devant la 6e chambre correctionnelle du tribunal de la Seine comme ayant trompé ses cliens en leur vendant sous des noms de fantaisie des substances nuisibles à la santé.

L’acteur Darny, du Palais-Royal, comparaît comme plaignant et détaille un récit terrifiant des tortures qu’il a endurées à la suite d’une certaine représentation en février 1859. Plusieurs médecins n’ont rien compris à son état ; un dernier, après l’avoir soigné et guéri, témoigne que le mal provenait bien des coliques saturnines causées par absorption du plomb contenu dans les fards de théâtre. L’expert commis par le tribunal confirme la présence du plomb dans ces mêmes fards. René Luguet et Mlle Cico paraissent aussi à la barre : cette dernière esquive adroitement la double question du président relative à son nom et à son âge véritables et proclame que le fard en question la rendue malade, en noircissant, qui pis est, sa peau et ses bijoux. Le sieur F… et la dame D… s’entendent infliger par le tribunal trois mois de prison et 500 francs d’amende (jugement du 10 novembre 1859).

En appel devant la Cour, les choses changent de face. MMes Massu et Desmarets prononcent d’intéressantes et habiles plaidoiries au cours desquelles ils font ressortir, avec force détails historiques et techniques, ce qui peut servir à la défense des inculpés. La crise dont Darny a été la victime résulte-t-elle indubitablement d’une intoxication saturnine due à l’emploi du blanc de fard acheté par l’acteur à la maison F… ? N’est-ce pas plutôt un empoisonnement mercuriel provoqué par l’emploi d’un rouge au cinabre, rouge vendu par une autre maison et imprudemment appliqué par le comédien ? L’ignorance — bien pardonnable — de Darny, en fait de chimie ; celle — moins excusable — du médecin qui l’assiste, leur font prononcer à l’audience de véritables hérésies dont profite habilement la défense : Darny, par exemple, avant le procès, achète dans diverses maisons de parfumerie pour théâtre des échantillons de blanc de fard ; son docteur et lui y trouvent de l’argent, jamais de plomb et quelquefois du bismuth. Or les fards liquides à base d’argent n’existent pas, et, comme fait observer Me Massu, entre ceux à base de céruse, vénéneux ou non, et ceux réputés inoffensifs à base de bismuth, les acteurs n’hésitent pas et, repoussant ceux-ci, réclament formellement ceux-là à leurs fournisseurs qui les servent suivant leur goût. Dès lors, il ne saurait y avoir tromperie. Mais dans cette affaire, ajoute Me Massu, il faut faire la part du « cabotinage » et de la concurrence commerciale : plusieurs des témoins veulent faire de la réclame en faveur d’un magasin de fards pour théâtres qu’ils viennent d’ouvrir ou de commanditer. De là enfin le procès contre une ancienne et honorable maison de Paris qui, depuis trois quarts de siècle, emploie et débite les mêmes ingrédiens que les autres parfumeurs.

Sans renoncer pour cela complètement à l’accusation, l’avocat général, M. Pinard, abonda dans ce sens. Selon lui seulement, les termes « blanc Vénus, » « blanc Rachel, » « blanc superflu, » n’indiquaient pas du tout la nature assez dangereuse du blanc débité, ce qui était blâmable. La Cour, après une longue délibération, adopta l’avis de la défense et, le 8 janvier 1860, prononça l’acquittement du sieur F… et de la dame D…

On trouve d’autres exemples plus modernes d’empoisonnement cités dans la brochure de M. Altmann et dans les journaux médicaux, mais aujourd’hui le danger éventuel ne menace guère que les artistes par trop négligens ou malheureusement aussi trop pauvres pour acheter des fards gras de bonne marque. A l’emploi des poudres et surtout des affreux fards liquides ou émaux a succédé l’usage des fards gras appliqués eux-mêmes, comme nous l’avons dit, sur une infime couche protectrice de beurre de cacao et l’inoffensif blanc de baryte peut remplacer le blanc de plomb. Après la représentation, les comédiens enlèvent leur masque au moyen d’un linge imbibé de corps gras : huile d’olive, glycérine ou beurre de cacao ; après quoi ils se débarbouillent, et les techniciens conseillent aux dames de s’appliquer de nouveau pour la nuit un très léger enduit de l’éternel beurre de cacao.

On voit qu’au point de vue de l’illusion pour les spectateurs éloignés et de la santé des artistes, l’art de se maquiller à la scène a réalisé de grands progrès depuis un siècle. Est-il à souhaiter qu’il se perfectionne encore ? Peut-être que non ! Au fond, combien de critiques, lorgnant les interprètes pendant des représentations théâtrales se sont demandé à eux-mêmes si la scène ne gagnerait pas à la disparition presque complète de cet immonde barbouillage. Sans proposer l’exemple des villageois d’Oberammergau qui jouent la Passion en plein air en ne rien modifiant à leur physionomie naturelle, sans parler de supprimer tout à fait le blanc, le noir, le rouge, les perruques, sans adopter non plus certaines| opinions paradoxales de Théophile Gautier, ne pourrait-on suivre d’exemple des artistes dramatiques ou lyriques qui, comme Mme Duse, ont renoncé aux artifices de ce genre ?

L’illusion y gagnerait et si l’abolition de cet usage absurde et malpropre chassait de la scène du XXe siècle telle personnalité usée et vieillie, nous n’y verrions pas grand inconvénient pour notre part. Il faudrait seulement corriger l’éclairage actuel, ce qui ne nous semble pas impossible, et peut-être que dans bien des années nos petits-neveux s’étonneront rétrospectivement de notre répugnance à pratiquer cette innovation, comme nous-mêmes sommes surpris des difficultés qu’a soulevées, il y a un siècle, dans le monde théâtral, la question de la réforme du costume.


ANTOINE DE SAPORTA.

  1. Voyez la Revue du 15 mars.
  2. Faut-il donner à ce caprice une origine orientale ? Nous lisons dans l’Histoire des Juifs de Josèphe qu’aux temps de sa splendeur, le roi Salomon, lorsqu’il quittait son palais, se faisait escorter par de jeunes cavaliers dont la tête étincelait de papillotes en or.
  3. Auteur anglais auquel on doit un bon travail d’ensemble sur les cosmétiques et les parfums.
  4. On peut dire que l’usage du bonnet local, de type variable suivant les provinces et que toutes les paysannes portaient alors, s’opposait à l’abus de la poudre parce que ce bonnet cachait en partie les cheveux.
  5. Suivant Thiers toutes les condamnations lancées par les Pères de l’Église contre les cheveux postiches de femme s’appliquaient a fortiori aux ecclésiastiques.
    Quant aux théologiens de cette époque, ils n’approuvaient pas la mode des cheveux faux sur les têtes féminines, mais ne regardaient plus l’emploi de cet ornement supplémentaire comme entraînant une faute grave.
  6. Cette coutume, — les mémoires anecdotiques du temps en témoignent, — favorisa bien des travestissemens, puisqu’une femme du XVIIIe siècle n’avait pas à couper ou dissimuler ses cheveux pour se faire une tête de gentilhomme, ni un joli garçon à s’embarrasser d’une perruque pour simuler une femme. L’habitude de se raser strictement d’une part, et le port habituel du fard de l’autre, facilitait encore la transformation.
  7. Dans la chanson du roi Dagobert, qui sent son XVIIIe siècle, saint Éloi, personnage vieux et semi-ecclésiastique, porte une « tignasse » au lieu que Dagobert se couvre d’une « perruque. » Qu’on nous pardonne de recourir à des textes aussi peu sérieux.
  8. M. P. Girard dans la Revue des Études grecques ajoute un quatrième point fixe : l’extrémité du nez. Le problème n’en offrait que plus de difficulté.
  9. Remarque intéressante autant que paradoxale en apparence que nous avons extraite de l’ouvrage de M. Albert Lambert, Sur les planches. L’écrivain-acteur la formule à l’occasion d’une représentation rétrospective donnée à l’Opéra en 1886 et dans laquelle on joua, avec tous les accessoires du théâtre grec, une adaptation de l’Agamemnon d’Eschyle, traduit par M. de Bornier. M. Lambert figurait Clytemnestre sous le masque.
  10. Die Maske des Schauspielers, von Fr. Altmann. Drille Auflage, neu bearbeilet von Ludwig Menzel. Berlin, Bloch.
  11. Le critique musical d’un journal parisien très répandu nous a dit se rappeler parfaitement la réforme du maquillage qu’occasionna aux Variétés la substitution de l’éclairage électrique à l’ancien éclairage au gaz.
  12. Lorsque, bien entendu, elles n’incarnent pas Aïda, Sélika ou Carmen.