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Les Assemblées du clergé en France sous l’ancienne monarchie/03

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Les Assemblées du clergé en France sous l’ancienne monarchie
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 35 (p. 265-300).
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LES
ASSEMBLEES DU CLERGE
EN FRANCE
SOUS L'ANCIENNE MONARCHIE

III[1].
LES ASSEMBLÉES DU CLERGÉ AU TEMPS DE LA FRONDE

La mort de Richelieu, que suivit à un assez court intervalle celle du roi auquel il avait imposé ses volontés, délivra le clergé et la noblesse d’un ministre qui leur était plus qu’incommode, et les deux premiers ordres de l’état se flattèrent de ressaisir sous le nouveau régime une prépondérance que le cardinal ne leur avait pas permis d’exercer. L’avénement de Mazarin au timon des affaires faisait espérer au clergé l’entier rétablissement de ses immunités. Tout annonçait chez cette nouvelle Éminence des façons d’agir absolument différentes de celles du redoutable cardinal. Mazarin affectait les dehors de la mansuétude et de l’humilité. Il était de l’accès le plus facile et semblait l’homme de la conciliation. Il ne devait qu’à son caractère ecclésiastique la haute dignité à laquelle il était parvenu ; l’on se persuadait qu’il en serait toujours reconnaissant à l’église, qu’il ne pouvait que travailler à en accroître la puissance et l’autorité. La reine, Anne d’Autriche, était dévote comme une Espagnole et paraissait femme à s’en remettre en tout à la direction du clergé ; elle ne savait pas d’ailleurs refuser à ceux qui avaient pris sur elle un certain empire. Il n’y avait qu’à lui demander pour obtenir ; chacun du moins le répétait, et La Feuillade disait en plaisantant que c’était à ces quatre petits mots : la reine est si bonne, que se réduisait désormais la langue française. Le clergé devait donc penser qu’elle lui rendrait la domination dans toutes les matières où il la réclamait au nom de sa divine mission, et qu’il n’aurait plus adonner l’exemple de la servitude sous le titre d’obéissance que le cardinal de Retz, dans ses Mémoires, lui reproche d’avoir trop souvent prêchée. Le clergé ne se doutait pas que Mazarin, à l’attitude si modeste, entendait continuer la politique autoritaire de son prédécesseur, tout en recourant à d’autres moyens, en usant de la ruse là où Richelieu employait l’intimidation, en dupant ses ennemis là où celui-ci eût frappé les siens. Le clergé avait trop peu pratiqué l’adroit Sicilien pour s’être aperçu que ce ministre n’avait pas plus de piété que de dévoûment sincère à l’église, et que la confiance sans bornes que lui témoignait Anne d’Autriche était entretenue par un tout autre sentiment que le respect de la pourpre dont il était revêtu.


I.


Ainsi, au début de la régence de la mère de Louis XIV, l’ordre ecclésiastique était plein de l’espoir de reconquérir son indépendance, et quand se réunit à Paris, en 1645, son assemblée générale, presque tous les députés partageaient une semblable illusion. Ce qui se passa aux séances de cette compagnie l’eut bien vite dissipée. Les élus des provinces ecclésiastiques étaient arrivés dans la capitale avec la ferme intention de faire rendre à l’église de France la jouissance des droits dont Richelieu l’avait dépossédée. Un esprit de réaction contre les actes du grand ministre se manifestait chez une bonne partie de la nation, surtout chez la noblesse, que l’évêque de Luçon avait si peu ménagée. L’épiscopat presque tout entier était dans de tels sentimens, car l’affront fait à l’assemblée de Mantes avait singulièrement accru l’aversion du haut clergé pour Richelieu. La nouvelle assemblée s’empressa de faire une manifestation contre la mesure arbitraire prise quelques années auparavant et de témoigner de la sorte sa résolution de revenir sur ce que le despotisme du feu cardinal avait imposé au clergé français. Charles de Montchal avait été choisi une seconde fois pour représenter sa province. La compagnie le réélut à la présidence, lui restituant ainsi la dignité dont il s’était vu si brutalement dépouillé. Elle décerna le même honneur à l’autre archevêque expulsé, Octave de Bellegarde, qui était venu reprendre son siége à l’assemblée, mais qui ne devait plus vivre que quelques mois, et le quitta pour cause de maladie.

L’archevêque de Toulouse se montra très touché de l’acte de réparation dont il était l’objet. Pour mettre le sceau à sa réhabilitation, la compagnie le pria de donner devant elle une relation de ce qui s’était passé à l’assemblée de Mantes. Il le fit en termes dignes, mais énergiques, ne craignant pas de comparer ce qui avait eu lieu alors au brigandage d’Éphèse. Il stigmatisa la conduite des prélats qui avaient, selon lui, abusé le roi. Il ne manqua pas de rappeler qu’aux derniers jours de sa vie, Louis XIII avait témoigné du repentir de ce qu’on l’avait entraîné à faire, et écrit aux évêques pour lesquels il s’était montré si dur, afin de les assurer de son estime et de ses regrets. La relation fut écoutée avec faveur ; on en décida l’insertion au procès-verbal. Quand la compagnie aborda la délibération sur ce qu’elle avait à faire touchant les décisions qu’on avait arrachées du clergé à Mantes, Montchal s’apprêta à sortir de la salle. Comme sa personne était intéressée en cette affaire, il ne voulait pas être juge et partie ; mais ses collègues, tout d’une voix, lui dirent de demeurer afin qu’ils pussent profiter de ses lumières dans une discussion dont son rapport devait faire la base. La compagnie fut unanime pour approuver la conduite qu’avaient naguère tenue les prélats et la résistance qu’ils avaient opposée aux injonctions arbitraires d’un ministre peu scrupuleux. On décida donc que l’archevêque de Toulouse serait officiellement remercié du zèle et de la fermeté avec lesquels il avait soutenu l’honneur et la dignité du clergé, et, pour effacer la flétrissure infligée aux prélats qui avaient eu le courage de tenir tête à Richelieu, on décida que ceux d’entre eux qui n’avaient point été réélus députés, et qui se trouvaient alors à Paris, seraient priés de prendre place à l’assemblée et d’y donner leurs bons avis, et qu’on inviterait par lettres ceux qui étaient hors de la capitale à venir jouir du même privilège. On alla plus loin ; l’un des prélats expulsés, l’évêque de Bazas, était mort depuis sa disgrâce ; l’assemblée voulut qu’il fût considéré comme étant décédé dans l’exercice et la possession du titre de député, et l’un des membres de la compagnie, l’éloquent Godeau, évêque de Vence, fut chargé de prononcer son oraison funèbre. Enfin, pour donner plus d’éclat et de publicité à cette solennelle réparation, l’assemblée arrêta que la lettre qui avait été écrite par le feu roi à l’archevêque de Toulouse, le 25 avril 1643, et qui portait témoignage de sa bonne conduite, ce sont les expressions mêmes dont on se servit, serait insérée dans le procès-verbal de la présente assemblée et également imprimée. On voulut qu’une copie en fût faite pour être annexée au procès-verbal de l’assemblée de Mantes, de façon que l’acte d’infirmation ne fût point séparé de l’acte qu’on venait de condamner. Tout ce qui avait été fait dans la réunion de Mantes, à partir du 15 mai, fut déclaré nul, hormis le vote des sommes accordées au roi en vertu d’un contrat sur lequel la compagnie n’entendait pas revenir.

Cette première démonstration dirigée contre une décision du feu roi froissa Anne d’Autriche, qui y vit un blâme solennel infligé à son époux, et, quoiqu’il s’agît en réalité d’une mesure émanée de Richelieu, dont elle avait eu fort à souffrir, elle se tint pour offensée. C’est ce que rapporte le cardinal de Retz, l’un des instigateurs des résolutions que prit l’assemblée dès le début de sa session. « Il arriva par hasard, écrit-il dans ses Mémoires, que lorsque l’on y délibéra, le tour, qui tomba ce jour-là sur la province de Paris, m’obligea à parler le premier. J’ouvris donc l’adsis selon que nous l’avions tous concerté, et il fut suivi de toutes les voix. À mon retour chez moi, je trouvai l’argentier de la reine qui me portait l’ordre de l’aller trouver à l’heure mesme ; elle estoit sur son lit, dans sa petite chambre grise, et elle me dit avec un ton de voix fort aigre, qui lui estoit naturel, qu’elle n’eust jamais creu que j’eus esté capable de lui manquer au point que je venais de le faire dans une occasion qui blessoit la mémoire du feu roi son seigneur. » Retz donna ses raisons, et Anne d’Autriche lui dit d’aller les exposer à Mazarin, qui ne les goûta pas plus qu’elle. « Il me parla, poursuit le coadjuteur, de l’air du monde le plus haut ; il ne voulut point escouter mes justifications, et il me déclara qu’il me commandoit de la part du roi que je me rétractasse le lendemain en pleine assemblée. » Retz ne voulut rien promettre, et il chercha vainement à ramener le ministre à d’autres sentimens ; voyant qu’il n’y réussissait pas, il prit le parti d’aller trouver l’archevêque d’Arles, esprit sage et modéré, et il le pria de se joindre à lui pour faire entendre raison à Mazarin. La démarche n’eut pas plus de succès, et les deux prélats sortirent de chez le ministre convaincus qu’il était l’homme du monde le moins entendu dans les affaires du clergé.

Le mauvais accueil qu’avait fait le gouvernement à la démonstration contre les actes de Richelieu ne détourna pas les députés de leur intention de revenir sur tout ce que le clergé avait voté sous la pression de ce ministre, et ils nommèrent une commission pour réviser les dernières décisions adoptées à Mantes, rechercher ce qui avait été fait de contraire à la dignité et aux intérêts du clergé et y remédier au plus vite, afin que de pareilles atteintes ne pussent plus se renouveler. Cette commission devait faire un rapport fournissant la matière d’une circulaire à adresser à toutes les provinces et indiquant les mesures à adopter. L’humeur que la reine avait té moignée au coadjuteur ne l’empêcha pas d’entrer dans la commission, où il eut pour collègues l’archevêque d’Auch et les évêques d’Uzès, de Coutances et de Maillezais. Il s’y rencontrait aussi quelques députés du second ordre, notamment les abbés de Caminade et de Charrier, qui devaient un peu plus tard se signaler par leur attachement au remuant prélat qu’on était assuré de trouver dans toutes les intrigues dirigées contre Mazarin. L’assemblée du clergé s’était imposé la tâche de rendre à l’épiscopat toute son autorité ; elle se hâta de dresser ses batteries contre l’édit de Nantes. avait le tort impardonnable aux yeux des évêques de soustraire à leur juridiction spirituelle ceux qui faisaient profession de calvinisme. La compagnie n’attendit même pas qu’elle eût achevé de rédiger ses cahiers pour présenter à la régente des remontrances touchant les entreprises des huguenots. La ruine des religionnaires comme parti politique ne suffisait point au clergé ; il voulait qu’on leur enlevât toute faculté d’exercer leur culte ; il insistait au moins pour que le gouvernement veillât sévèrement à ce qu’ils ne sortissent pas des limites étroites dans lesquelles ce culte était toléré. La propagande que faisaient les calvinistes alarmait les évêques qui les accusaient d’instituer des prêches là où on les avait interdits, de reconstruire les temples, dont l’autorité épiscopale avait fait opérer la destruction, plus solidement qu’ils n’étaient bâtis auparavant. Toutes ces récriminations furent développées dans la harangue que Claude de Rebé, archevêque de Narbonne, adressa à Anne d’Autriche au nom de l’assemblée. Il y insista pour que, selon ses expressions, l’église, quand la France étendait ses frontières, pût aussi étendre les siennes. Il signala les dangers que créait pour la religion catholique la tolérance envers l’hérésie, et fit un pressant appel à la piété de la reine, qu’il ne craignait pas d’appeler la plus grande et la plus vertueuse princesse de la terre. À l’entendre, la couronne n’avait qu’à s’en remettre au zèle de l’église, et il eut soin de ne rien dire qui rappelât la résistance qu’avait opposée Richelieu aux prétentions de domination du clergé. Il ne voulait voir dans le feu roi que le protecteur des droits, immunités et franchises de l’église, l’ennemi juré de ceux qui la voulaient opprimer. Louis XIII n’était pour lui que l’ange exterminateur de cette liberté impie et injurieuse qu’on prétendait maintenant ressusciter. Des devoirs que la nécessité d’assurer la paix du royaume imposait au gouvernement, l’archevêque ne s’en occupait pas. Il estimait l’édit de Nantes une transaction honteuse, et l’heure était venue, selon lui, d’user des mesures propres à étouffer l’hérésie. Entre ces mesures, il mentionnait l’abolition des chambres mi-parties. On ne saurait s’étonner de ce langage. La régence d’Anne d’Autriche avait réveillé les espérances du parti de la réaction catholique, et le clergé voulait à tout prix pousser la reine plus avant dans la voie où l’on pensait que sa dévotion devait l’engager. Claude de Rebé se plaisait à représenter l’église gallicane comme étant déjà assurée par le seul avénement de la reine mère au pouvoir de retrouver toute son autorité. « C’est, disait-il à Anne d’Autriche, de votre majesté que nous avons tous les sujets du monde d’attendre cet accomplissement et ce comble de bonheur et de félicité, et déjà nous prévoyons que l’église, cette épouse du fils de Dieu, ne doit jamais appréhender de devenir souffrante sous votre royale conduite. » Le prélat termina sa harangue en rappelant ce qu’avait fait le feu roi pour l’église et donnant à entendre qu’on espérait maintenant davantage. « Nous espérons, votre même nous tirons de là, s’écriait-il, un secret pronostic des beaux jours pleins de joie, de paix et de jouissance, dont nous jouirons, Dieu aidant, pendant le règne du fils, sous la douce régence de la mère. » Ces paroles ne prophétisaient que trop la révocation de l’édit de Nantes. Mais l’heure n’était pas encore venue pour le clergé de remporter cette funeste victoire, et Anne d’Autriche, toute dévote qu’elle fût, se montra plus sage que ne devait l’être son fils. Elle se borna à répondre par des assurances peu compromettantes sur ses bonnes dispositions à l’égard du corps ecclésiastique. Elle ne prit aucun engagement positif et renvoya, selon l’usage, le contenu des remontrances à l’examen du chancelier. C’était en effet à celui-ci qu’il appartenait de peser la valeur des plaintes, et ce magistrat était un politique trop avisé pour laisser le gouvernement se mettre encore sur les bras les protestans, quand il avait déjà à pourvoir à tant de difficultés, surtout du côté de ses finances. En dépit de la promesse formelle de Louis XIII de ne rien demander au clergé en sus du subside des quatre millions, quand même la guerre durerait plus de trois années, la régente avait résolu de lui faire un nouvel appel de fonds ; mais comme un tel appel risquait fort d’être mal accueiUi, l’on jugea nécessaire d’user d’abord de beaucoup de ménagemens. Les commissaires royaux se bornèrent à représenter à l’assemblée les grandes dépenses auxquelles la guerre obligeait l’état et le devoir qui incombait à l’ordre ecclésiastique de venir à son aide. Le ton de ces représentations était assez timide, et ils les accompagnèrent de force démonstrations de respect pour l’auguste compagnie : précautions d’autant plus opportunes qu’outre le renouvellement du contrat avec l’Hôtel de Ville il s’agissait d’obtenir le vote d’une subvention extraordinaire d’un chiffre élevé. Tout occupée de réviser ce qui avait été fait à Mantes, l’assemblée ne se pressa pas de répondre à cette mise en demeure ; elle entendait, avant de rien donner, que le gouvernement revînt sur plusieurs des mesures auxquelles l’assemblée tenue dans cette ville avait été contrainte d’ad hérer et sur d’autres imposées depuis sans l’assentiment du clergé, à savoir : la taxe du huitième denier des biens aliénés, la réduction des gages des officiers du clergé et l’impôt des 800,000 écus destinés à garantir à perpétuité aux acquéreurs la possession des biens ecclésiastiques aliénés. En édictant ces mesures, la couronne avait, suivant la compagnie, outre passé ses droits et blessé l’équité. Une députation de l’assemblée alla le représenter aux commissaires royaux. Elle s’attacha à réfuter les raisons sur lesquelles se fondait le gouvernement pour maintenir ses édits et qui ne tendaient rien moins qu’à déposséder le clergé du privilège de ne payer de décimes que ceux que ses mandataires avaient consentis. L’un des principaux griefs qu’allégua la députation à l’encontre de la demande de la couronne était l’application au corps ecclésiastique de l’impôt levé en vertu du droit de joyeux avénement alors que cet ordre succombait sous le poids des contributions qu’on ne cessait de lui réclamer. Elle soutenait que l’église avait supporté sa part de l’accroissement des impôts mis sur la nation, cet accroissement ayant eu pour effet de faire diminuer ses propres revenus. Bref, le clergé déclarait par l’organe de ses députés être hors d’état de rien donner en sus de ses décimes, lesquels enlevaient déjà aux gros bénéficiers le tiers et parfois la moitié de leurs revenus. Cette fin de non-recevoir décida le conseil du roi à parler plus catégoriquement, et ses commissaires eurent ordre de signifier à l’assemblée le montant du subside qu’il attendait d’elle. Ce chiffre dépassait de beaucoup ce qui avait été demandé à Mantes, car il s’élevait à dix millions de livres, et, comme pour faire comprendre à la compagnie que le gouvernement ne renonçait pas aux moyens dont le règne précédent avait fait usage, la reine avait choisi pour l’un de ses commissaires ce même d’Émery qui s’était fait, à l’instigation de Mazarin, le brutal exécuteur des volontés de Richelieu. D’Émery, alors contrôleur général des finances, déclarait sans réticence que la couronne avait le droit d’exiger du clergé les sommes qui Un étaient nécessaires. « Encore que le roi, dit-il dans sa harangue, sache que la considération des besoins de l’état ne puisse manquer de frapper l’esprit de la compagnie, je crois devoir ajouter que, quoique le roi pour le respect du clergé n’ait été privé jusqu’ici des grands secours qu’il prétend avoir droit de prendre légitimement sur les biens de l’église ou sur les officiers du clergé, etc. le roi a droit de confirmation sur tous les biens privilégiés de l’église qui lui ont été donnés par les rois ses prédécesseurs depuis leurs anciennes fondations et dotations. » L’assemblée ne pouvait entendre de sang-froid l’exposé d’une doctrine si contraire à ses sentimens. Elle répliqua en termes très fermes par la bouche de l’archevêque de Lyon, le cardinal du Plessis de Richelieu. Elle décida qu’elle nommerait simplement une commission pour rechercher les moyens de fournir au roi un nouveau subside ; mais elle n’en fixa pas le chiffre, et la commission ne se pressa pas. Près de sept mois s’écoulèrent sans que l’assemblée votât aucune subvention ou se mît en mesure de renouveler le contrat de l’Hôtel de Ville. Les commissaires revinrent à la charge pour la quatrième fois, pressant la compagnie de conclure. L’archevêque se borna à leur répondre que la commission n’avait rien pu découvrir, en fait de ressources, qu’un nouvel impôt à mettre sur le clergé, déjà aux abois, et qui en consommerait la ruine. Les lenteurs continuèrent ; l’assemblée alléguait toujours quelque nouveau grief et signalait quelque nouvelle entreprise de l’autorité laïque sur les immunités ecclésiastiques. Elle protesta notamment contre un édit qui portait atteinte aux droits des juridictions seigneuriales dont le clergé de Paris était en possession, à savoir : la juridiction du chapitre de Notre-Dame, celle de l’abbaye de SaintVictor et celle de l’abbaye de Sainte-Geneviève ; enfin elle déclara formellement qu’elle ne voterait aucune allocation pécuniaire à l’état que l’édit ne fût rapporté. Mazarin recula devant un conflit qui pouvait ne pas tourner à l’avantage de son gouvernement, qui aurait au moins pour effet d’indisposer au dernier degré un corps qu’il travaillait à gagner par la persuasion. Malgré la perte que devait causer au trésor royal la révocation d’un édit dont l’intérêt fiscal avait été l’unique motif, il se résigna à subir les conditions que dictait l’assemblée. Il montra à l’égard du corps ecclésiastique une égale condescendance dans une affaire qui touchait encore de plus près aux immunités de l’église de France, car il s’agissait des droits de l’épiscopat.

René de Rieux, évêque de Léon, avait été destitué de son siège, en vertu d’une sentence rendue par une commission spéciale dont Richelieu avait obtenu du pape Urbain VIII la nomination. Compromis, ainsi que deux autres prélats, l’évêque d’Alby, Alphonse d’Elbenne, et l’évêque de Nîmes, Claude Thoiras, dans les intrigues et les conspirations de Marie de Médicis, René de Rieux, afin de se soustraire à un procès pour crime de lèse-majesté, avait suivi la reine mère en Flandre ; il y était demeuré. La commission spéciale avait été composée de prélats à la dévotion de Richelieu, de Robert de Barreaux, archevêque d’Arles, de Boutillier, coadjuteur de Tours, auparavant évêque de Boulogne, de Charles de Noailles, évêque de Saint-Flour, et de Séguier, évêque d’Auxerre, plus tard de Meaux, et frère du chancelier. On avait compté qu’effrayés de la procédure entamée contre eux, les trois évêques se hâteraient de donner leur démission afin d’arrêter les poursuites. Mais Claude Thoiras seul avait agi ainsi ; d’Elbenne s’enfuit en Italie, et René de Rieux, de sa retraite dans les Pays-Bas, n’avait cessé de protester contre sa destitution et la nomination du successeur qu’on lui avait donné. Cette affaire fut fort agitée à l’assemblée du clergé de 1635. Les membres les plus attachés aux principes gallicans contestaient au pape le droit de nommer de son autorité une commission investie de la faculté de déposer par jugement des évêques. Il fallut la pression qu’exercèrent sur la compagnie deux des commissaires que Richelieu était parvenu à faire nommer députés, l’évêque de Saint-Flour et le coadjuteur de Tours, pour que l’assemblée ne se déclarât pas formellement contre la sentence de déposition qui avait été rendue. Ne rencontrant plus d’appui dans la représentation ecclésiastique, René de Rieux en avait appelé de la commission au pape, et il était encore en instance pour que son appel fût reçu quand se réunit l’assemblée de 1645. Avec ses sentimens hostiles aux actes du feu ministre, la compagnie ne pouvait manquer de prendre en mains la cause de l’évêque de Léon dépossédé. L’affaire fut donc examinée dès le début de la session. Quelques-uns de ceux qui avaient fait partie de la commission judiciaire siégeaient parmi les députés ; ils furent vivement interpellés ; la compagnie leur adressa de durs reproches, les accusant de lâcheté pour avoir consenti à faire partie d’un tribunal qu’on taxait d’illégal. L’assemblée protesta contre les brefs que Richelieu avait obtenus pour ce procès en 1632 et 1633, et elle envoya une députation à la reine mère et au premier ministre pour demander que des instructions fussent données à l’ambassadeur de France à Rome afin de solliciter du saint-père la révision du jugement. Mazarin fit mine d’approuver la démarche et il parut d’abord y donner satisfaction. Des négociations furent entamées avec le souverain pontife tant de la part de l’assemblée que de celle de la couronne ; elles marchèrent assez rapidement. Toutefois, comme la session s’avançait et que l’affaire menaçait de n’être point réglée avant la clôture, la compagnie remit à l’archevêque de Corinthe, coadjuteur de Paris, la charge de mener à bonne fin la négociation. On était en présence d’assez grosses difficultés qui venaient tant des prétentions du saint-siège que de la résistance du successeui* donné à René de Rieux, Robert Gupif. Celui-ci s’élevait contre l’intention qu’on manifestait de rétablir son prédécesseur ; il en appelait comme d’abus au parlement de Bretagne. Retz nous a fait connaître dans ses Méjnoires la part qu’il prit à cette affaire. Il nous montre que Mazarin n’était pas, à beaucoup près, dans des dispositions aussi favorables à l’égard de la réintégration de l’évêque de Léon que l’avaient donné à supposer les paroles articulées par lui dans l’assemblée où il s’était rendu de sa personne. Malgré ses assurances à l’archevêque de Corinthe et à plusieurs députés des provinces, il cherchait à enterrer l’affaire, car il comprenait que le gouvernement royal, tout ennemie qu’eût été Anne d’Autriche de Richelieu, demeurait solidaire de ce qu’avait fait le grand cardinal, et que l’on porterait quelque atteinte au prestige de la couronne si l’on condamnait les actes auxquels elle avait donné sa sanction. Lors donc qu’il fallut passer des paroles à la pratique, il changea tout à coup d’attitude et il fit presser par la reine le coadjuteur pour que l’on prît un biais qui, écrit celui-ci, m’aurait infailliblement déshonoré. Le jeune et ambitieux prélat n’entra donc pas dans les vues de Mazarin ; il essaya de le dissuader ; il n’y parvint pas. La patience finit par lui manquer ; il rappela au ministre sa promesse et, n’en ayant rien tiré, il se décida à écrire à toutes les provinces. Comme il venait de composer sa circulaire et l’allait fermer, le duc d’Orléans entra chez lui, lut la lettre et la lui arracha des mains, en disant qu’il voulait finir cette araire. Le prince, en effet, se rendit immédiatement chez Mazarin, et, plus heureux que le coadjuteur, il obtint l’expédition des lettres à Rome que celui-ci avait vainement réclamées. Le pape accorda le bref nécessaire pour qu’on pût procéder à la révision du procès de l’évêque de Léon, et ce bref arriva avant que l’assemblée se fût séparée. Elle nomma pour l’examiner des commissaires, au nombre desquels étaient l’évêque de Chartres et le coadjuteur. Après en avoir pris connaissance, ils représentèrent à la compagnie que la lettre pontificale contenait des clauses de nature à porter préjudice aux usages, droits et libertés de V église gallicane. Les députés s’en émurent, et ils rédigèrent une protestation qui déclarait que le bref ne saurait infirmer ces usages, droits et libertés. Cette réserve n’empêcha pas les effets du bref. La commission désignée par le pape se réunit et elle rendit un jugement qui réintégrait de Rieux dans son siège épiscopal. Cupif fut transféré à l’évêché de Dol. Mais celui-ci refusa longtemps d’obéir à la décision de la commission papale. Une lutte des plus vives s’engagea entre les deux compétiteurs, qui fulminèrent l’un contre l’autre et contre leurs adversaires respectifs des anathèmes. Le conseil d’état, mécontent de l’appel fait au saint-siège, soutenait Cupif, homme violent et emporté qui se répandait en injures contre la commission et se laissa même aller à des voies de fait sur des prêtres opposés à ses prétentions. Le conflit se prolongea jusqu’à la fin de l’année 1650, et Cupif ne consentit à désavouer sa conduite qu’après avoir été mandé devant l’assemblée du clergé qui se tint cette année-là.

L’affaire de l’évêque de Léon ayant été remise à la diligence du coadjuteur, l’assemblée s’occupa de la demande du subside. Comme satisfaction lui avait été donnée par le gouvernement sur des plaintes qu’elle lui avait adressées et qui concernaient certaines im munités ecclésiastiques, elle se relâcha de sa raideur, et vola sans hésiter une subvention de 3,600,000 livres. Elle mit toutefois pour condition à cette libéralité, d’abord qu’une déclaration royale annoncerait qu’aucun nouvel appel extraordinaire de fonds ne serait fait dorénavant au clergé, ensuite qu’on abrogerait diverses mesures fiscales récemment introduites, notamment l’édit du huitième denier, qui n’avait reçu qu’une exécution partielle. La couronne trouva l’assemblée trop exigeante et n’accepta pas ces conditions. Il y eut de longs pourparlers entre les mandataires des deux parties. La reine et ses ministres voulaient tirer de l’assemblée beaucoup plus que celle-ci n’offrait ; ils tenaient ferme, et les députés s’apercevaient bien qu’il leur faudrait hausser leurs offres ; mais ils ne le firent que lentement et par degrés. Quand, dans une conférence, l’assemblée voyait le gouvernement rabattre un peu de ses prétentions, elle avait soin de rester toujours, dans ses propres concessions, au-dessous de ce qui était réclamé. Après force discussions, elle finit par consentir à une subvention de 4 millions de livres, au lieu des 3,600,000 offerts d’abord par elle ; mais elle rejeta absolument la condition que voulait mettre le gouvernement à son acquiescement à cette nouvelle proposition et qui était le maintien des mesures fiscales dont elle avait réclamé l’abrogation. Pour trouver cette grosse somme de k millions, l’assemblée éprouvait un grand embarras. Aussi, pendant que les conférences se poursuivaient, avait-elle discuté les différens moyens auxquels on pouvait songer pour fournir le subside et qui ne fussent pas des expédions ruineux. Si d’une part elle voulait éviter l’aliénation d’une portion des biens de l’église, de l’autre elle craignait d’accroître la contribution directe des bénéficiers. Tandis qu’elle se débattait dans cette pénible recherche, et était au moment de se voir condamnée à de durs sacrifices, les officiers des décimes lui vinrent heureusement en aide. Ils offrirent de faire un fonds de 1,400,000 livres, si l’on augmentait le total de leurs gages de 100,000 livres ; ils donnaient par là le moyen de recourir à un procédé alors fort usité pour se procurer de l’argent comptant : ils permettaient de tirer d’eux une somme dont ils avaient l’intention de se rembourser à la longue par l’augmentation des émolumens qui leur revenaient sur les décimes par eux levés. Mais l’offre ne parait pas à tous les embarras, et l’assemblée avait encore à aplanir d’autres obstacles pour régler ce qui concernait le subside promis. A la charge de qui devaient être les frais de perception, frais que l’usage où l’on était à cette époque de s’adresser à des traitans rendait considérables ? Le contrôleur général voulait qu’ils fussent supportés par le clergé, car ce corps, s’il les eût laissés au compte de l’état, aurait ainsi dimi nué en fait d’un chiffre très notable le subside qu’il avait voté. Pour prendre ces frais à sa charge, le gouvernement réclamait une allocation spéciale destinée tant à y faire face qu’à le couvrir de la perte qui résulterait pour lui de l’abandon des mesures fiscales que le clergé réclamait avec le plus d’instance. Ce ne fut pas sans peine que l’assemblée sortit de cette nouvelle difficulté et que l’accord s’établit entre elle et le gouvernement. Une déclaration royale retira l’impôt du huitième denier, la réduction des gages des officiers et les autres mesures vexatoires dont s’étaient plaints les députés. La couronne se contenta d’une allocation modérée, en sus des 4 millions, et prit à sa charge les frais de perception. Un contrat fut signé par lequel le clergé s’engageait à verser en cinq termes la subvention accordée. Ayant ainsi achevé sa tâche, la compagnie envoya, selon l’usage, une députation pour faire la harangue d’adieu à la régente, qui était alors à Fontainebleau. Les concessions (le l’assemblée avaient enfin dissipé la défiance manifestée dans le principe par Anne d’Autriche et son ministre envers les mandataires du clergé. Somme toute, c’était au gouvernement que restait l’avantage. Sans doute, il n’avait pas les 10 millions auxquels il prétendait d’abord, et qu’il ne se flattait pas, selon toute apparence, d’obtenir, mais il encaissait 4 millions nets, et, dans l’état des affaires, une telle rentrée était pour le trésor royal une véritable bénédiction.


II.


On pouvait croire, après cet heureux résultat, que l’harmonie entre le clergé et la couronne était assurée pour longtemps. L’habileté que déploya Mazarin dans l’affaire du jansénisme, après l’émotion provoquée par l’apparition du livre d’Antoine Arnauld sur la fréquente communion, dut confirmer les amis de la paix dans ces espérances. Malheureusement l’ordre ecclésiastique ne pouvait tout à fait échapper aux excitations révolutionnaires de la fronde. Déjà en 1649 le clergé s’était mêlé aux agitations politiques ; il avait pris part à la lutte soutenue contre le gouvernement impopulaire de la régente. Ses principaux représentans s’étaient réunis à la noblesse pour forcer la main à Anne d’Autriche, et, d’accord avec le duc d’Orléans, les deux ordres avaient traité ensemble des affaires de l’état et s’étaient séparés en arrachant de la couronne la permission de s’assembler toutes les fois qu’on manquerait aux promesses données. Le clergé était résolu d’arrêter ainsi les atteintes portées aux privilèges et immunités des ecclésiastiques comme à ceux des gentilshommes. Quand, en mai 1650, l’assemblée du clergé ouvrit sa session, la situation était plus grave encore que l’année précédente. La reine avait fait arrêter les princes de Condé et de Conti et leur beau-frère le duc de Longueville. Trois partis divisaient la France : celui des anciens frondeurs, celui de la nouvelle fronde, celui de Mazarin. Le parlement cherchait à prendre entre eux le rôle de médiateur et à asseoir ainsi sa prépondérance dans le gouvernement de l’état. Chez le haut clergé, les sentimens étaient en général peu favorables au cardinal. L’esprit de l’assemblée de 1650 en fut le miroir fidèle ; il se décela par l’attitude qu’elle prit dès les premières séances. Elle venait de recevoir d’énergiques réclamations des évêques de Guyenne contre les violences dont le duc d’Épernon s’était rendu coupable à leur égard, violences qui avaient été telles que plusieurs de ces prélats s’étaient vus contraints de quitter leur diocèse. La compagnie indignée décida qu’elle se rendrait en corps près de la régente pour lui demander justice. Anne d’Autriche, tout en blâmant fort la conduite de l’irascible gouverneur de Guyenne, craignait de se l’aliéner. Elle avait besoin de sa coopération pour résister à la levée de boucliers que la noblesse préparait contre elle dans le midi de la France et ne se souciait pas d’intervenir. De son côté, Mazarin, qui songeait à faire épouser l’une de ses nièces au duc de Caudale, fils du duc d’Épernon, était encore moins disposé que la reine à accueillir des réclamations auxquelles on cherchait à donner du retentissement. La régente essaya donc d’abord d’éconduire l’assemblée en lui proposant de traiter l’affaire avec quelquesuns de ses délégués ; mais les députés insistèrent, et Anne d’Autriche dut leur accorder audience et leur promettre que des arrêts du conseil mettraient un terme aux prétentions de d’îipernon. Plusieurs mois se passèrent, et les arrêts ne parurent pas. Lamoltesse qu’apportait le gouvernement en cette rencontre pour défendre les immunités du clergé acheva d’indisposer la compagnie. Tout en procédant à l’examen des comptes, elle rédigea des remontrances au roi. Il y était surtout question des protestans, dont les tentatives pour étendre la faible part de liberté qui leur avait été laissée inquiétaient les évêques. L’édit de Nantes n’avait cessé d’être chez ceux-ci l’objet d’objurgations à la couronne ; la prise de la Rochelle les avait enhardis à en réclamer l’abrogation.

Des dispositions aussi peu bienveillantes dans l’assemblée du clergé ne détournèrent pas Mazarin de solliciter un large subside. Le gouvernement était obéré, et les biens ecclésiastiques étaient la seule matière imposable dont on n’eût point abusé ; mais comment agir en présence des engagemens antérieurement pris de ne plus rien demander au clergé à titre extraordinaire ? Au lieu d’envoyer à la compagnie, comme cela se pratiquait habituellement, des commissaires pour spécifier la somme que le roi attendait de sa générosité, Mazarin préféra ouvrir une conférence entre trois commissaires désignés par lacouronne, les conseillers d’Aligre, d’Irval et Gargant, et des délégués désignés par l’assemblée. Le moyen n’aboutit pas ; les mandataires du clergé restèrent sourds à toutes les demandes. Ils se retranchèrent invariablement derrière les engagemens qui avaient été pris. A leur instigation, l’assemblée déclara, après une délibération solennelle, que, vu l’état de détresse où les événemens avaient mis le clergé, elle n’accorderait rien. Mazarin ne se découragea pas ; on sait quelle était sa patiente et habile obstination. Il se flattait d’arracher, de guerre lasse, à la compagnie le subside jugé indispensable, mais de violences, il n’en voulait point user, sachant qu’elles eussent tourné contre lui. En vue de garder les députés sous sa main, la cour ayant dû à la fin de juin se rendre dans le Midi à cause de la prise d’armes des frondeurs, dont Bordeaux devenait le centre, il fit demander par la reine à l’assemblée de se transporter à Saintes. La régente allégua que le roi tenait à avoir près de lui l’auguste compagnie, afin de traiter plus facilement et à l’avantage de l’église les aifaires qu’elle lui soumettrait. Les députés n’avaient nulle envie d’aller si loin ; ils ne pouvaient cependant refuser ostensiblement d’obtempérer aux ordres de la régente ; ils décidèrent donc qu’ils se rendraient à Saintes. Mais afin de couvrir les dépenses que nécessitait cette translation, ils arrêtèrent qu’il serait levé sur le clergé une somme de 200,000 livres. La répartition de cet impôt demanda du temps ; elle s’opéra d’autant plus lentement que plusieurs provinces ecclésiastiques du Midi protestèrent contre la façon dont était fait le département ; elles soutenaient ne pas devoir être imposées sur le même pied que les autres, à raison du petit nombre de bénéfices compris dans leur ressort. En attendant que les fonds eussent été recouvrés, l’assemblée continua l’examen de la gestion de son receveur général, La Morinière, qui se retirait laissant des comptes fort embrouillés, et le règlement de diverses affaires contentieuses. Les semaines s’écoulèrent et les députés ne partaient pas, quoique le gouvernement les pressât, mais ils opposaient toujours la nécessité d’achever le département. Ils atermoyèrent si bien qu’ils étaient encore dans la capitale quand arriva la paix de Bordeaux (septembre 1650). Si la compagnie ne se souciait pas de suivre la reine, elle n’en tenait pas moins à lui présenter ses doléances, et, faute de se rendre à Saintes, elle envoya en Saintonge une députation de six membres pour lui adresser la harangue où elles étaient formulées. L’un des articles de ces remontrances avait un caractère tout politique, car il associait l’assemblée à l’opposition qu’on faisait alors au gouvernement d’Anne d’Autriche. Il concernait la sortie de prison du prince de Gonti. A raison du caractère ecclésiastique que lui donnait sa dignité d’abbé de Gluny, l’assemblée, vivement sollicitée par la princesse douairière de Condé, mère de Conti, avait jugé qu’elle devait intervenir pour sa mise en liberté. Anne d’Autriche fut avertie par les membres de son conseil restés à Paris de la démarche que le clergé comptait faire, et quand les délégués ayant à leur tête l’un des présidens de l’assemblée, George d’Aubusson, archevêque d’Embrun, furent arrivés en Saintonge, il leur fut répondu que la régente ne pourrait leur donner audience s’ils venaient lui demander la mise en liberté du prince, une telle démarche outre-passant les droits de la compagnie, attendu que le roi avait pleine autorité sur les membres de sa famille. Mazarin entendait que le discours contenant les remontrances fût communiqué préalablement à la reine, afin d’être bien sûr qu’il ne renfermait rien de relatif à la détention de Conti. Les délégués se refusèrent à ce qu’on exigeait d’eux ; ils objectaient que la chose était contraire à tous les précédens. Ils soutenaient d’ailleurs qu’en sollicitant la mise en liberté du prince, ils usaient du privilège qu’avait toujours eu l’église de faire appel à la clémence royale, surtout quand il s’agissait d’un membre du clergé. Enfin ils ajoutaient qu’en l’absence de pouvoirs à eux donnés pour modifier les termes des doléances, ils ne consentiraient pas à supprimer du discours le paragraphe concernant Conti. On ne parvint pas à s’entendre, et la députation s’en revint à Paris, s’étant bornée à entretenir Mazarin des divers sujets de plaintes que le clergé avait à adresser à la couronne. Elle rendit compte de sa mission à l’assemblée, et celle-ci consigna au procès-verbal la relation que lui firent ses mandataires. On était à la fin d’octobre et la compagnie n’ayant rien obtenu, elle ne voulait accorder aucun subside extraordinaire. Malgré les nouvelles instances que firent les commissaires du roi, elle se disposait à clore la session. Cela inquiétait le gouvernement, qui jugea qu’avant de la laisser se séparer il devait tenter un dernier et vigoureux effort, et le 27 novembre, comme l’assemblée était en séance, elle reçut la visite des trois commissaires précédemment nommés. D’Aligre apportait une lettre du roi, qui demandait itérativement au clergé son concours pécuniaire. Pour l’amener à de plus favorables dispositions, sa majesté accordait satisfaction à plusieurs des demandes dont les délégués avaient parlé en Saintonge à Mazarin. Les termes de la lettre étaient plus persuasifs qu’impérieux, et le langage de d’Aligre ne démentit pas cette modération affectée ; il protesta contre toute pensée de violenter la compagnie et lui représenta simplement le devoir d’honneur qu’elle avait de venir au secours du roi dans une si grande nécessité. Il confessait que l’assemblée avait le droit de traiter avec la couronne sur le pied de l’égalité. « Nos contrats, disait le commissaire royal, sont synallagmatiques ; nous ne traitons point sous des conditions léonines ; il est juste qu’après tant de grâces et si importantes que le roi a accordées au clergé, vous contribuiez de votre côté et fassiez effort pour lui donner contentement. » L’assemblée ne se laissa pourtant pas prendre à ces exhortations ; elle décida qu’elle expédierait préalablement les affaires qu’il lui restait à régler et verrait au moment de se séparer en quoi elle pourrait répondre aux demandes qui lui étaient faites. Ce moyen dilatoire n’était pas du goût du gouvernement, impatient d’avoir de l’argent, et quelques jours après, le 2 décembre, on apportait une seconde lettre du roi, d’un ton assez aigre. Il s’y plaignait à la compagnie des diverses fuites dont elle avait usé dans ses réponses. La lettre mettait l’assemblée en demeure de dire incontinent ce qu’elle entendait faire. Louis XIV, ou plutôt la régente qui le faisait parler, déclarait au nom du bien commun de l’état, qu’il fallait que dès le lendemain les députés en délibérassent. D’Aligre, porteur de la lettre, représenta avec amertume qu’il y avait quatre mois qu’on ajournait la réponse, et pour contraindre l’assemblée à en finir, il lui signifia qu’il ne quitterait pas le couvent des GrandsAugustins où se tenaient les séances, tant qu’on ne lui aurait pas remis la décision. Le président, l’archevêque de Reims, Léonor d’Estampes, qui, à l’encontre de son collègue l’archevêque d’Embrun, ménageait fort le pouvoir, excusa la compagnie de ses délais, en alléguant les obligations particulières où elle s’était trouvée. D’Aligre sortit de la salle, et l’assemblée, ainsi mise en demeure, inscrivit à son ordre du jour du 5 décembre la délibération sur la demande du roi. La discussif)n générale à laquelle cette demande donna lieu se passa en échange de paroles assez vives ; elle se prolongea, et ce ne fut que le 7 qu’on procéda au vote. Un peu moins des deux tiers des voix se prononcèrent pour un don gratuit, mais les opposans objectèrent que le règlement qui avait été adopté à l’assemblée de 16/i6 exigeait, quand il s’agissait de subsides extraordinaires, la majorité des deux tiers. Le subside devait donc être refusé. L’assemblée le reconnut, et elle décida que le roi sejviit très humblement supplié de ne trouver pas mauvais si l’assemblée ne lui accordait aucun don ou secours. On juge du désappointement du gouvernement ! Il semblait qu’il n’y eût plus rien à faire, et que la d(^faite de la couronne fût consommée. En effet, l’assemblée se regardait comme délivrée des importunités de Mazarin, et elle demanda pour le mois de janvier audience à la reine, afin de lui présenter les remontrances que ses délégués n’avaient pu lui adresser à Saintes. Mais Anne d’Autriche, durant ce conflit, avait changé d’altitude envers les adversaires de son ministre ; elle songeait déjà à la mise en liberté des princes, vivement sollicitée qu’elle était par la noblesse et une partie du parlement, quoique Mazarin, qui voulait en avoir le mérite, y fît encore de l’opposition. Elle ne jugea pas en conséquence qu’il y eût du danger à laisser l’assemblée l’implorer en faveur de Conti, et elle accorda l’audience pour le 18 janvier 1651. Ce fut George d’Aubusson qui porta la parole ; il renouvela à peu près et dans les mêmes termes les doléances qu’avait fait entendre la précédente assemblée, et commença son discours par une virulente sortie contre les progrès de l’hérésie, réprouvant la doctrine d’après laquelle on ne devait user envers les protestans que des voies de la douceur et de la persuasion, reprochant à mots couverts au gouvernement sa condescendance à leur égard. Il attaqua, comme l’avait fait l’archevêque de Narbonne, l’existence des chambres mi-parties, et la permission laissée dans certaines villes aux calvinistes d’exercer des charges de finances et de judicature, dont, selon lui, ils auraient dû être partout déclarés incapables. Il fit appel, pour l’extirpation de l’hérésie, au zèle et à la piété de la reine, qu’il appelait une image vivante de la Divinité. Ce sujet épuisé, il passa à la question de la mise en liberté de Conti ; mais alors son ton s’adoucit, et il donna à sa demande la forme d’une supplique. Sentant tout ce qu’il y avait de hardi dans sa démarche, il la motiva par le caractère ecclésiastique dont le prince était revêtu. C’était moins le membre de la famille royale que l’abbé de Cluny dont il sollicitait la liberté ; la détention sans jugement d’un membre de l’église étant une atteinte portée aux immunités de celle-ci qu’il s’attachait à défendre dans un autre paragraphe du discours où étaient attaqués deux arrêts, l’un du grand conseil, rendu contre l’évêque de Mirepoix, l’autre du parlement de Rouen, contre l’archevêque de cette ville touchant la question du concile provincial. « Sans vouloir pénétrer, disait George d’Aubusson à la reine, les mystères de vos conseils, nous serions déserteurs de notre ordre si nous n’intercédions auprès de votre majesté pour procurer à ce prince affligé le soulagement de ses souffrances. » La réponse d’Anne d’Autriche fut encourageante, et bientôt la nouvelle d’une prochaine délivrance des princes donna satisfaction à la démarche que l’assemblée avait hasardée. Mazarin jugea le moment favorable pour faire revenir la compagnie sur son refus de subside. Les commissaires du roi virent l’archevêque de Reims, plus disposé à être agréable à la cour que son collègue d’Embrun, et qui, pour ce motif, évitait, depuis le commencement de la session, de prendre la parole dans les occasions compromettantes. Ils dirent au prélat que la reine, qui avait tant fait pour l’église, ne pouvait se persuader que l’assemblée eût donné son dernier mot, qu’il était impossible que le clergé ne prît pas en considération les énormes dépenses dans lesquelles on allait être entraîné pour les frais du sacre du roi, et qu’il ne convenait pas à cet ordre de rendre impossible la consécration divine que devait recevoir le roi en entrant dans sa majorité. Le motif était habilement imaginé pour mettre l’assemblée dans l’obligation de délier les cordons de sa bourse, car c’était là un intérêt tout religieux. Elle ne pouvait persister dans son refus, elle se résigna donc à accorder un subside, et le 25 janvier elle votait, pour le sacre du roi, une somme de 600,000 livres, payable en deux termes, octobre 1651 et février 1652, et dont elle se réservait le département.

Le gouvernement royal, ayant obtenu son argent, eût souhaité que l’assemblée, dont la session s’était tant prolongée, en restât là. L’agitation contre Mazarin allait croissant, et il devait craindre que la compagnie ne s’associât à la noblesse pour peser sur les résolutions de la reine. Mais la clause qui accompagnait le don gratuit laissait l’assemblée à pourvoir au département, ce qui pouvait encore exiger plusieurs semaines. Les princes n’étaient pas délivrés, et durant les premiers jours de février[2], les intrigues continuèrent. Le coadjuteur, qui y jouait un des principaux rôles, exerçait sur l’assemblée un puissant ascendant, et George d’Aubusson, ennemi de Mazarin, la poussait dans le même sens. La noblesse, c’est-à-dire les cinq cents gentilshommes réunis par le duc de Nemours et qui s’assemblaient aux Cordeliers, avait envoyé à la compagnie une députation pour l’engager à s’unir à elle afin d’agir de concert pour obtenir la liberté des captifs[3]. Les députés du clergé avaient jusque-là parlé seulement de la mise en liberté de Conti, parce qu’on le regardait comme appartenant au corps ecclésiastique ; mais il était maintenant question de Condé et de Longueville. L’assemblée se laissa entraîner par ces gentilshommes entreprenans à prendre parti dans une démarche qui n’était plus en réalité de son ressort ; elle accepta la proposition que lui faisait la noblesse. L’archevêque d’Embrun se chargea encore de porter la parole devant la reine. Cette intervention du clergé fut assez mal accueillie, et d’Aubusson ne reçut du garde des sceaux qu’une réponse peu encourageante. « La reine, disait le ministre, désavoue comme illégitime l’assemblée de la noblesse à laquelle s’est jointe celle du clergé. » Ces sèches paroles ne découragèrent pourtant pas l’ordre ecclésiastique. Il comptait sur l’appui du duc d’Orléans, auquel la députation qui avait été trouver le garde des sceaux s’empressa d’aller rendre ses hommages. Elle le complimenta sur l’attitude qu’il avait prise. Poussée chaque jour davantage par la noblesse, par la princesse de Condé, qui lui écrivait en termes aussi pressans que l’avait fait six mois auparavant la princesse douairière, morte dans l’intervalle , l’assemblée s’engagea dans une opposition de plus en plus résolue contre Mazarin ; elle soutint les seigneurs qui récriminaient, le parlement qui proclamait l’innocence des princes détenus. Cet accord des trois corps principaux de l’état eut son effet. Les envoyés du roi et du duc d’Orléans partirent pour le Havre, où ils apportèrent l’ordre de la mise en liberté des princes, devancés bientôt par le messager du cardinal qui accourait avec une lettre de la reine pour les faire sortir de prison sans conditions. L’assemblée du clergé, toute fière d’avoir contribué à ce résultat, députa plusieurs de ses membres pour complimenter Condé. Cette politesse flatta fort le héros de Rocroi ; il s’empressa d’écrire à la compagnie pour protester de sa reconnaissance. Mazarin, qui ne voulait pas laisser gagner à ses ennemis un corps aussi puissant que le clergé, prit la précaution, avant de quitter la France, d’adresser à l’assem-" blée une lettre où il l’assurait de ses bons sentimens et du désir qu’il aurait toujours de la servir. Les députés répondirent par une lettre de civilité que l’archevêque de Reims, qui tenait en secret pour le cardinal, rendit la plus courtoise qu’il put. Mais l’esprit d’opposition à la politique du ministre ne s’adoucit pas pour cela ; la compagnie resta d’autant plus unie à la noblesse qu’elle cherchait en elle un auxiliaire contre le parlement, dont les résolutions inquiétaient le clergé. Pour rendre impossible le retour de Mazarin, le parlement avait, le 7 février, libellé un arrêt qui visait le ministre fugitif et tendait à l’exclusion des conseils du roi de tous les étrangers , même naturalisés , de toute personne ayant prêté serment à un autre souverain que le roi de France. La conséquence d’un tel arrêt était de fermer l’entrée des conseils de la couronne aux dignitaires ecclésiastiques qui depuis des siècles y avaient constamment figuré. La reine n’accepta cet arrêt qu’en déclarant qu’une exception serait faite pour tous les ecclésiastiques quant au serment prêté au pape, l’obéissance impliquée par ce serment n’étant promise qu’à l’autorité spirituelle du saint-père. Le parlement se refusa à admettre la restriction qu’avait introduite la déclaration royale et il insista sur l’exclusion des cardinaux pour que Mazarin pût tomber sous le coup de l’arrêt. Informée de ce qui se passait, l’assemblée du clergé jugea nécessaire d’opposer aux prétentions de la cour de justice une intervention énergique auprès du trône, et dans sa séance du 20 février elle décida qu’elle enverrait une députation au duc d’Orléans et au prince de Condé pour solliciter leurs bons offices en cette affaire, leur représenter ce que l’arrêt avait d’inique, et une autre députation à la reine et au roi pour lui adresser les remontrances du clergé. Les députés eurent audience d’Anne d’Autriche quatre jours après ; celle-ci, que le parlement pressait vivement de faire droit à sa réclamation au sujet de l’exclusion des cardinaux, se trouvait dans une grande perplexité. Il lui fallait ménager la première cour de justice du royaume ; pour ce motif, elle ne voulait pas avouer qu’elle n’avait nulle intention de sanctionner une sentence dirigée contre l’homme auquel elle gardait toute sa confiance et son affection. Elle craignait de s’en ouvrir trop franchement avec le clergé et de lui donner une réponse catégorique. Aussi, après avoir écouté le discours prononcé par l’archevêque d’Embrun au nom de la députation dont il était le chef, se borna-t-elle à balbutier quelques paroles qu’elle prononça si bas que presque personne ne les entendit. La harangue adressée nominativement au roi était pressante et énergique pour le fond, bien qu’adulatrice dans la forme : « La même voix, disait l’archevêque, qui a exprimé à Votre Majesté la douleur que le clergé de France avait conçue de la détention de MM. les princes de votre sang est celle qui produit aujourd’hui faiblement les justes actions de grâce que cet ordre sacré doit à Votre Majesté pour le bienfait éclatant de leur liberté. Nous ne pourrions éviter un reproche honteux à la plupart des hommes qui perdent facilement le souvenir des faveurs passées et qui s’acquittent avec négligence des vœux qu’ils ont faits à Dieu au milieu des périls, si nous n’employions tous les efforts possibles pour marquer à la postérité la joie de nos cœurs. » Ce début exprimait la confiance que le clergé mettait dans la protection qu’il réclamait du roi en l’occurrence, (c Nous avons appris, poursuivait d’Aubusson, que Votre Majesté, s’étant résolue d’envoyer une déclaration au parlement pour exclure de ses conseils ses sujets qui ont serment à autres princes qu’à elle, avait eu soin d’y faire insérer distinctement une exception particulière des archevêques, évêques et autres ecclésiastiques de son royaume, qui prêtent un serment spirituel à notre saint-père le pape, et nous avons su de même temps avec un étonnement extrême que cette modification avait reçu difficulté dans les chambres assemblées de messieurs du parlement, qui font des instances pressantes pour obtenir de Votre Majesté une déclaration conçue en des termes ambigus à l’égard des évêques et avec une exclusion expresse contre les cardinaux français, sujets de Votre Majesté. Nous avons eu peine à comprendre d’abord cette loi du temps qui semble renverser les lois fondamentales de l’état, cette réformation de votre conseil dans une conjoncture où nous sommes travaillés d’une multitude presque infinie de personnes qui se mêlent du gouvernement sans aucun caractère. » Puis, après avoir rappelé le nombre considérable de cardinaux et de hauts dignitaires ecclésiastiques qui avaient rempli la charge de chancelier et été au grand profit de l’état associés au maniement des alTaiies, il s’attacha à montrer la différence qui sépare le serment prêté par les ecclésiastiques au saintpère de celui que les sujets doivent au roi, et il termina en demandant qu’aucune décision ne fût prise sur la matière par le roi avant d’avoir consulté le clergé.

La reine, suivant ce que rapporta l’archevêque d’Embrun à ses collègues, avait reparti que la compagnie pouvait se tenir assurée qu’elle maintiendrait tous les droits et les privilèges du clergé. La démarche faite par l’assemblée en provoqua une nouvelle de la part du parlement, et depuis la fin de février jusqu’à la fin du mois suivant, Anne d’Autriche se vit tirée des deux côtés, le parlement insistant pour obtenir la déclaration touchant l’exclusion des cardinaux, l’assemblée protestant contre une telle mesure. La mauvaise intelligence commençait à se mettre entre les députés et les parlementaires. Dans l’une des réunions du parlement, le discours de rarchevêc[ue d’Embrun avait été attaqué avec aigreur et la personne du prélat assez maltraitée. La chose fut rapportée à l’assemblée, qui prit fait et cause pour son président, estimant qu’une injure faite à sa personne atteignait la compagnie tout entière ; mais les plus modérés engagèrent la compagnie à mépriser ces attaques. On se borna à solliciter une nouvelle audience de la reine afin d’en obtenir des assurances plus formelles. Anne d’Autriche était toujours dans le même embarras, et sa réponse à cette seconde députation ne fut guère plus explicite que celle qu’elle avait faite à la première. Les têtes s’échauflaient dans les deux camps, et les députés du clergé, comprenant que la contestation prenait une portée plus haute, qu’il s’agissait pour eux de soutenir les privilèges de l’église contre la magistrature qui voulait exclure les prélats du gouvernement temporel, y apportèrent autant d’ardeur que d’obstination. L’assemblée ne pressait pas moins le duc d’Orléans d’agir que la reine ; elle attendait, disait-elle, tout de la piété et de la justice de cette princesse, a L’exclusion des cardinaux était à ses yeux un outrage fâcheux au clergé de France et une flétrissure honteuse au saint-siège, des intérêts duquel les députés ne voulaient, ne devaient jamais se séparer. » En louant l’archevêque d’Embrun d’avoir été le fidèle interprète des sentimens de la compagnie, on déclarait qu’on était tout prêt à souffrir pour une si juste cause et à mettre tous ses ressentimens au pied de la croix. Les députés perçaient facilement les vrais sentimens d’Anne d’Autriche et cherchaient à arracher d’elle des assurances plus positives qu’elle n’osait les donner. Les magistrats n’agissaient pas avec moins de vigueur pour combattre les efforts du clergé. Le 13 mars le parlement obtenait une audience de la reine dans laquelle il la prèssait plus que jamais de souscrire à l’exclusion des cardinaux. Orner Talon prononça, au nom de la députation, un long discours qu’il nous a conservé dans ses Mémoires. Anne d’Autriche se montra encore plus réservée dans sa réponse qu’elle ne l’avait été avec le clergé ; elle se borna à dire qu’elle en délibérerait en son conseil. Malgré cela, l’assemblée du clergé s’inquiéta de cette solennelle démarche. Poussée par le coadjuteur, intéressé plus qu’un autre à ce qu’on ne fermât pas l’entrée du conseil du roi à ceux qui portaient un chapeau qu’il se flattait d’obtenir, elle décida dès le lendemain, lu mars, qu’elle ferait opposition au sceau contre la déclaration. L’opposition fut signifiée quelques jours après ; elle était signée du président de l’assemblée , George d’Aubusson , et de son secrétaire l’abbé Tubeuf. « Cette opposition , écrit Omer Talon, offensa le parlement, parce qu’elle taxait la compagnie d’avoir fait chose contraire au service du roi et au bien de l’état, » Mais comme la cour n’avait pu avoir de réponse de la régente , elle remit à en délibérer jusqu’à ce que cette réponse fût obtenue. Anne d’Autriche cherchait à gagner du temps ; elle répondit aux demandes nouvelles que lui adressait le parlement qu’elle n’en avait pas encore pu délibérer avec son conseil. Elle donnait d’autre part des espérances au clergé, approuvant devant ses députés l’opposition faite au sceau, parce que, disait-elle, il était naturel qu’il défendit ses intérêts. Les choses tirèrent ainsi en longueur jusqu’au mois d’avril, et quand Anne d’Autriche n’eut plus à redouter l’opposition de la noblesse dont l’assemblée venait de se dissoudre et jugea le parlement moins puissant, elle se tira des sollicitations de celui-ci par une promesse ambiguë. Elle assura la cour de justice qu’elle donnerait la déclaration avec l’exclusion demandée, mais elle ajouta qu’il la fallait tenir secrète pour ne pas se brouiller avec Rome et ne pas entraver la liberté du roi une fois qu’il aurait atteint sa majorité. Le parlement dut se contenter de ce mauvais billet.

Ainsi l’accord entre le parlement et le clergé n’avait pas duré longtemps, et celui-ci n’avait fait que se rapprocher davantage de la noblesse, dont l’aréopage parisien contrariait les visées. Le parlement en effet, à la première nouvelle de l’assemblée des gentilshommes aux Gordeliers, avait traité cette réunion comme une sorte de conciliabule et n’en avait nullement favorisé les projets. La noblesse chercha alors un appui dans le clergé. Elle envoya une seconde députation à l’assemblée ecclésiastique, députation qui avait à sa tète, comme l’autre, le comte de Fiesque. Elle faisait appel à l’étroite union des deux premiers ordres de l’état, dont elle signalait la communauté d’intérêts, et engageait les députés du clergé à réclamer de concert avec les gentilshommes la convocation des états-généraux. C’était, disait-elle, le seul remède aux maux dont souffrait le pays. L’assemblée du clergé n’hésita pas à s’engager plus avant dans la voie où elle s’était laissé attirer. Ses délégués, d’accord avec ceux de la noblesse, se prononcèrent en faveur d’une réunion prochaine des trois ordres de la nation. L’assemblée qui siégeait aux Gordeliers, soutenue par le duc d’Orléans et le prince de Condé, la demandait pour le mois d’août ou les premiers jours de septembre. Anne d’Autriche, effrayée de ces manifestations, céda ou plutôt fit mine de consentir. Elle promit pour le 1er octobre la tenue des états-généraux à Tours ; elle ordonna même qu’on rédigeât les lettres de convocation. Les gentilshommes se séparèrent, et quelques jours après, au commencement d’avril, l’assemblée du clergé prononça la clôture d’une session qui s’était prolongée près d’une année. Mais les états-généraux ne furent pas réunis. Le parlement redoutait qu’ils ne lui enlevassent le pouvoir qu’il s’était arrogé, Anne d’Autriche n’en voulait pas. Mazarin, après un exil qui semblait le triomphe de ses ennemis, revint aussi puissant que par le passé, et, sans rien rabattre de ses prétentions, sans changer notablement de sentimens pour le cardinal, l’épiscopat comprit la nécessité d’apporter plus de modération dans ses actes, de ne point compromettre les intérêts de l’église en les associant de trop près aux menées des partis dont les récens événemens avaient montré la fragilité. Le clergé ne se mêla donc guère aux agitations qui suivirent la rentrée en France de Mazarin, malgré les efforts du cardinal de Retz, en quête d’auxiliaires pour ses convoitises. En septembre 1652, alors qu’une réaction se produisait à Paris en faveur du roi et que l’opinion se prononçait pour son retour dans cette ville, l’ambitieux prélat, voulant se faire honneur de la paix que tous les gens sensés demandaient à grands cris, entraîna le clergé dans une manifestation en ce sens, et conduisit à Pontoise une députation d’ecclésiastiques ; mais il ne trouva qu’un faible concours dans l’épiscopat, et il ne réussit à mettre en mouvement que le clergé de son diocèse. Il arriva à la résidence royale dans un superbe carrosse, accompagné d’un brillant cortège et traînant à sa suite les curés de Paris, les députés du chapitre de Notre-Dame et des congrégations religieuses. On ne prit pas cette démonstration au sérieux, et Pietz fut éconduit poliment.

L’inquiet coadjuteur ne devait pas tarder à obtenir un concours plus réel dans de graves affaires où ses intrigues ne purent néanmoins le sauver de sa perte. Il s’était vu peu à peu abandonné du duc d’Orléans, réconcilié avec Anne d’Autriche, et de ceux de ses amis qui voulaient rentrer dans les bonnes grâces de la reine. Il avait vainement cherché, par un regain de popularité, à forcer la cour de compter encore avec lui. Il avait commencé à prêcher l’avent de dans les principales églises de Paris, et leurs majestés étaient venues l’entendre le jour de la Toussaint à Saint-Germain-l’Auxerrois pour mieux dissimuler le coup qu’on méditait contre lui. La haute opinion qu’il avait de son importance persuada le coadjuteur que la couronne voulait s’accommoder avec lui, et, trompé par les informations inexactes de Mme de Lesdiguières, il s’était rendu le 19 décembre au Louvre. Au lieu de rencontrer des bras qui se tendaient vers lui, il trouva dans l’antichambre de la reine M. de Villequier, capitaine des gardes, qui l’arrêta et le fit conduke sous bonne escorte au château de Vincennes.


III.


L’arrestation du coadjuteur produisit naturellement une vive émotion. « Les instances du chapitre et des curés de Paris, écrit celui-ci, firent pour moi tout ce qui estoit en leur pouvoir, quoique mon oncle qui estoit le plus foible des hommes, et, de plus, jaloux jusqu’au ridicule, ne les appuyast que très molle nent. » La cour ne céda pas devant ces réclamations, mais elle fut obligée de faire connaître par la bouche du chanceher que l’arrestation du prélat n’avait eu lieu que pour son propre bien et afin de l’empêcher d’exécuter les desseins qu’on lui prêtait. Bientôt l’émotion se calma. La mort de l’archevêque Jean-François de Gondi vint aggraver la difficulté. Le siège archiépiscopal passait de droit au prisonnier. Le gouvernement se trouva dans un grand embarras. Il redoutait au plus haut degré l’avènement d’un tel pasteur dans un diocèse où celui-ci n’avait cessé de lui créer des ennemis. Un archevêque d’un caractère si turbulent, quoique placé sous les verrous, était un danger de tous les instans. Aussi le conseil du roi s’efforça-t-il d’obtenir du pape soit la suspension de l’autorité épiscopale du coadjuteur que son droit appelait à la succession du cardinal défunt, soit sa translation à un autre archevêché, soit une mise en demeure de démission, et en attendant il chercha à tenir caché au prisonnier le décès de son oncle. Mais Retz, qui s’était ménagé des intelligences au dehors, fut averti de la vacance, et il arrangea tout adroitement pour prendre possession de son siège par des procureurs. Il nomma des grands vicaires qui se mirent en mesure d’administrer le diocèse en son absence. La cour ne pouvait s’opposer à ce que le cardinal usât d’un droit qu’on n’eût contesté qu’au mépris des canons ; mais elle voulut arracher au nouvel archevêque sa démission. Elle lui promit, s’il consentait à se démettre, de lui donner en compensation de nombreuses et riches abbayes. Retz refusa obstinément, et comme Mazarin craignait son ascendant sur le clergé parisien demeuré en relations suivies avec le prisonnier, grâce aux affidés, aux amis dévoués qui le servaient, il le fit transférer au château de Nantes. Les vicaires-généraux nommés par l’incommode prélat n’en persistèrent pas moins à administrer en son nom le diocèse. La cour avait, il est vrai, répandu le bruit qu’il avait consenti à donner sa démission ; mais le clergé mandait à Rome que cette démission avait éié obtenue par la violence, et le pape se refusait à l’accepter. L’administration provisoire des grands-vicaires de Retz porta le trouble parmi les fidèles. Le clergé était généralement mécontent de la résistance qu’opposait à la prise de possession Mazarin, qui restait sous le coup de sa vieille impopularité. Le gouvernement essaya de l’intimidation. Plusieurs des ecclésiastiques qui s’étaient le plus ouvertement prononcés contre la détention de leur archevêque et en faveur de ses droits furent l’objet de poursuites. L’évasion du cardinal du château de Nantes, arrivée le 8 août 1654, évasion dont il nous a laissé la curieuse relation dans ses Mémoires ne fit qu’augmenter les difficultés de la situation et enveniner le dissentiment entre le clergé de Paris et le gouvernement royal. Retz informa par une lettre le chapitre de Notre-Dame et les curés de la capitale de sa retraite au château de Brissac, près Beaupreau. Grande fut la joie parmi ses amis, qui firent chanter un Te Deum à Notre-Dame. Les ministres conseillèrent au roi, qui se tiouvait alors à Péronne, de prendre contre le cardinal, dont la fuite menaçait de rallumer la guerre civile, des mesures énergiques et ordre fut promulgué à tous les sujets du royaume d’arrêter et de livrer le fugitif, qu’on se proposait de conduire au châeau de Brest. Cette mesure indigna le clergé, auquel le pape venait de faire savoir qu’il désapprouvait la façon dont on s’y était prit pour arracher au prisonnier sa démission. Le gouvernement redoubla de surveillance et de rigueur à l’égard des partisans avoué ; de Retz et prétendit trancher la difficulté par un acte d’autorité. Un arrêt du conseil d’en-haut déclara le siège de Paris vacant, et il fut enjoint par huissiers aux doyens, chanoines et chapitre de cette ville de s’assembler pour commettre des grands-vicaires à l’adminstration du diocèse pendant cette vacance. Au lieu de calmer l’agitation, ce coup d’état la porta à son comble. La majorité du clergé parisien dénia au roi le droit de déposer l’archevêque auquel un procès en règle n’avait point été fait ; elle persista à tenir pour dûment investis de l’administration diocésaine les grands-vicaires que Rîtz avait nommés. La résistance se manifesta de tous côtés, et le fugitif, qui s’était rendu à Rome, l’excitait par ses émissaires. Il avait écrit en France pour protester contre le traitement à lui infligé, il soutenait qu’on lui avait extorqué sa démission. Il représentait, le gouvernement du roi comme voulant imposer le joug à tous les ecclésiastiques et réduire les évêques à n’être plus que de petits vicaires du conseil d’état destituables à la moindre volonté du favori.

Une assemblée du clergé s’étant peu après, comme il va être dit, réunie à Paris, Retz écrivit à cette compagnie en lui rappelant ce qu’avait fait l’assemblée de 1645 à l’égard de l’évêque de Léon ; il la sollicita de soutenir ses droits aussi énergiquement que cette précédente assemblée avait défendu ceux du prélat injustement frappé. Le gouvernement tint ferme. Les rigueurs dont il usa envers quelques-uns des plus ardens à servir les intérêts de Retz effrayèrent les timides, qui ne manquaient pas. Le clergé ne se souciait point d’aii leurs de souffrir le martyre pour un prélat peu digne de son estime. La majorité finit par accapter la nomination de grands-vicaires à la place de ceux que l’arciievêque fugitif avait commis.

Cette résolution eut pour effet d’amener un schisme dans l’église de Paris, car bon nombre de curés et de fidèles ne voulaient pas entendre parler de ces nouveaux grands-vicaires. L’assemblée avait été convoquée dans le principe pour le 25 mai 1655. Malgré la victoire qu’il venait de remporter dans la queston des grands-vicaires, le gouvernement, après avoir décidé la rémion de cette assemblée, n’avait pas été sans appréhension sur k résultat que pouvaient avoir les élections, et, à l’instar de Richilieu, il ne s’était pas fait faute d’exercer une pression sur les chcix. Les secrétaires d’état avaient écrit aux archevêques et évêqueà pour leur notifier ceux que le roi voulait qu’on députât. A. Nmtes, le maréchal de La Meilleraie, alors lieutenant-général au couvernement de Bretagne, était entré dans le lieu où se tenait l’asemblée diocésaine et avait commandé au président de la réunion, le Normand, officiai et grandvicaire de l’évêque, Gabriel de Beauvai, de faire élire pour députés à l’assemblée provinciale de Tours ceix dont il apportait les noms. Des faits analogues s’étaient produits en d’autres provinces. Ils donnèrent beau jeu pour protester au cirdinal de Retz, qui, en dépit de la police, demeurait en rapports (onstans avec son clergé et contre-cairait les efforts qu’opposait à fes intrigues la diplomatie française à Rome. La mort du pape Innocent X, arrivée le 7 janvier 1655, avait relevé les espérances de Retz, qui comptait sur l’influence qu’il pourrait exercer dais le conclave.

Le gouvernement ne fut pas d’abord beaucoup plus heureux dans son action sur le clergé parisien qu’il ne l’était dans ses instances près des cardinaux italiens, car il avait à lutter contre la résistance obstinée de certains curés, ndamment ceux de la Madeleine et de Saint-Séverin, que Retz avait nommés ses grands-vicaires. Alexandre VII, successeur d’Innocent X et sur lequel Retz, qui avait fort contribué à son élection, comptait beaucoup, crut devoir apporter plus de circonspection à soutenir la personne de celui-ci, mais il n’en maintint pas moins le principe de l’indépendance épiscopale, que le gouvernement français avait quelque peu violé. Le clergé parisien, moins soutenu par Rome, commença à fléchir. La cour en profita pour mander le curé de Saint-Séverin, sous prétexte de conférer avec lui sur ce qu’il y avait à faire dans l’occurrence, en réalité pour le retenir et l’empêcher d’agir ; restait Chassebras, curé de la Madeleine, qui déployait un zèle incroyable pour les intérêts de son archevêque ; il attisait par ses menées l’opposition du clergé. En présence de ces agitations, le gouvernement jugea prudent de proroger l’ouverture de l’assemblée, du 25 mai au 25 août, et, comme les difficultés ne s’aplanissaient point, il la remit ensuite au 25 octobre et fit envoyer par les agens généraux de nouvelles lettres dans les diocèses pour justifier cette seconde prorogation. La mesure produisit un fâcheux effet. En ajournant ainsi la réunion de l’assemblée, le gouvernement voulait se donner le temps de s’assurer les bonnes dispositions du nouveau pape, représenté par l’ambassadeur de France à Rome comme moins favorable au cardinal de Retz que son prédécesseur. Un autre embarras était d’ailleurs né de l’obligation de réunir l’assemblée provinciale de Paris en l’absence du prélat qui avait qualité pour l’autoriser et la présider ; l’élection des députés de cette métropole n’avait pu avoir lieu en même temps que celle des mandataires des autres provinces ecclésiastiques. Et si l’on passait outre pour y procéder, on prévoyait des protestations, des désaveux ; il n’y avait que l’autorité pontificale qui pût en paralyser l’effet. Le roi n’était point de retour dans sa capitale ; il fallait au moins attendre sa présence, si l’on préférait recourir encore à l’intimidation. L’assemblée générale dut pourtant s’ouvrir à la fin, dans les derniers jours d’octobre, sans que les élections de la province de Paris eussent eu lieu, car on n’était point parvenu à s’entendre sur le mode suivant lequel on devait procéder à ces élections en l’absence de l’archevêque métropolitain.

Les séances de la compagnie se tinrent, comme c’était l’usage, au couvent des Grands-Augustins. Tout annonçait au début de cette session que les débats en seraient orageux, et en effet, les délibérations furent à peine ouvertes que l’évêque de Chartres souleva la question des élections de la province de Paris dans un rapport qui fut lu devant l’assemblée. La majorité du clergé parisien se refusait à reconnaître l’autorité du chapitre de Notre-Dame, qui avait pris l’administration du diocèse comme si le siège eût été vacant. Informé de l’acte du chapitre, Retz avait écrit de Rome, le 22 mai, à son clergé, une longue lettre qu’il a insérée dans ses Mémoires. Il y représentait l’illégalité de l’administration capitulaire et protestait contre ce qu’elle pourrait faire. Les chanoines reconnurent pour la plupart la justesse de la réclamation de leur archevêque et se démirent de leurs nouvelles fonctions. « La cour, écrit le remuant cardinal, ne trouva pour elle dans le chapitre que trois ou quatre sujets qui n étaient pas V ornement de leur compagnie. » Le clergé parisien repoussa le biais qu’avait imaginé Mazarin pour sortir de l’embarras où le gouvernement se voyait jeté par la protestation de l’archevêque et la retraite des chanoines. Le moyen consistait à rendre provisoirement le titre de métropolitain de la province ecclésiastique privée de son chef à l’archevêque de Sens, dont relevait comme suffragant le siège de Paris avant qu’il eût été érigé en archevêché. Le ministre fut fort désappointé du peu de succès qu’eut sa proposition, et il recourut à un autre palliatif. C’était de transporter à Paris le métropolitain de Sens en réduisant à un simple évêché cet antique siège archiépiscopal et faisant ainsi du prélat qui en était pourvu l’archevêque de la capitale. Un tel expédient fit jeter les hauts cris aux prélats de la province dont les élections à l’assemblée demeuraient suspendues, et Mazarin s’efforça vainement de le leur faire accepter. Le gouvernement royal dut alors solliciter un bref du pape qui levait la difficulté, en commettant l’un des évêques suffragans de l’archevêque de Paris pour le remplacer dans ses fonctions archiépiscopales. Le prélat délégué eût pu dès lors présider l’assemblée diocésaine et procéder aux élections. L’ambassadeur de France à Rome agit dans ce sens près du saint-père, et il réussit, à la fin, dans sa démarche. Le bref annoncé longtemps à l’avance à l’assemblée du clergé arriva. Il désignait l’évêque de Meaux, frère du chancelier Séguier, pour remplacer le cardinal de Retz ; mais les obstacles ne cessèrent pas pour cela ; ils se produisirent au sein même de l’assemblée, quoique le ministre y eût plus d’un député à sa dévotion, car les opposans à Mazarin dominaient dans la compagnie ; ils avaient à leur tête Claude de Rebé, archevêque de Narbonne, tandis que les députés ministériels suivaient les inspirations de l’archevêque de Sens, Louis-Henri de Gondrin. Par ce prélat et quelques-uns des membres de la même faction, Mazarin fut tenu au courant de tout ce qui se passait dans l’assemblée et le secret des délibérations n’exista pas pour lui. Quoi qu’il fît, la majorité tenait bon pour l’archevêque exilé ; elle avait, dès les premières séances, clairement manifesté son intention d’en soutenir les droits, qui intéressaient ceux de l’épiscopat tout entier. L’un de ses membres les plus considérables, l’archevêque de Bordeaux, désigné pour célébrer la messe solennelle du Saint-Esprit qui inaugurait la session, s’était refusé à accepter cet honneur avant d’avoir la permission écrite du curé de Saint-Séverin, c’est-à-dire de l’un des grands-vicaires désignés par le cardinal de Retz, l’usage voulant qu’un prélat ne pût officier solennellement en un diocèse qui n’était pas le sien sans l’autorisation de l’ordinaire. Ce refus, qu’approuvaient un grand nombre de députés, était une réponse à l’arrêt du conseil d’en-haut qui avait destitué Retz ; il donna lieu à de longs débats et à bien des pourparlers avec Mazarin, qui avait compté sur le bref pour mettre fin à toute opposition. Sans doute le pape avait accordé, sur les instances du gouvernement français, le bref dont il est ici parlé ; mais il l’avait fait d’assez mauvaise grâce, ne voulant pas en cette affaire condamner absolument la conduite de son prédécesseur, et il avait donné pour instructions à Bagni, son nonce à Paris, de ne se servir du bref qu’avec une extrême circonspection. D’ailleurs on l’avait averti de la protestation que l’assemblée du clergé français se proposait de rédiger contre son bref. Le nonce, ne voulant pas donner à Mazarin une arme dont celui-ci eût pu se servir exclusivement à son profit, prit soin après avoir reçu le bref de ne point le lui communiquer. La concession du saint-siège demeura ainsi sans effet et Mazarin en fut réduit dans son différend avec l’assemblée à passer par une transaction. Elle portait qu’il serait écrit au pape pour le prier d’enjoindre au cardinal de Retz de nommer, dans le diocèse de Paris, de nouveaux vicaires-généraux qui fussent acceptables au roi.

Pendant toutes ces lenteurs, le contrat des rentes de l’Hôtel de Ville ne se renouvelait pas, et l’assemblée déclarait n’y pouvoir procéder tant que les élections n’auraient pas eu lieu dans la province de Paris. Retz, alors à Rome, usait de tous ses efforts pour maintenir ses anciens choix ; il représentait au pape l’injure que les procédés du gouvernement français faisaient à un prince de l’église ; mais il avait à lutter avec forte partie, avec H. de Lionne, alors ambassadeur de France près du saint-siège. La cour de France s’était d’ailleurs ménagé des intelligences dans le sacré-collège. Retz était sans argent, réduit aux expédiens, empruntant de tous côtés pour soutenir sa dignité de cardinal, et la guerre incessante que lui faisait le gouvernement français diminuait chaque jour son crédit. Il voyait tous ses biens saisis en France et ne savait plus en vérité où donner de la tête, comme le constate ce qui est consigné dans ses Mémoires. Force lui fut donc de se rendre aux instances du pape. Il désigna pour grand-vicaire André du Saussay, official du diocèse de Paris, qui venait d’être nommé évêque de Toul et que le chapitre métropolitain avait recommandé. Mais il évita, dans la lettre où il notifiait ce choix à son clergé, de révoquer les pouvoirs qu’il avait donnés pendant sa captivité au curé de Saint-Séverin, Hodem, à celui de la Madeleine, Chassebras, et à deux autres ecclésiastiques, les abbés L’Avocat et Chevallier, qui avaient déjà exercé pendant près de six mois les fonctions à eux ainsi conférées. La concession de Retz était donc plus apparente que réelle ; il ne se désistait d’aucune de ses prétentions. Peu après avoir envoyé à Paris la nomination de Du Saussay, dont le pape lui avait promis de faire différer le sacre pour que ce prélat pût exercer l’intérim dans le diocèse, l’ambitieux cardinal adressa une lettre à l’assemblée du clergé ; il la remerciait d’avoir défendu ses droits et en réclamait l’intervention pour faire cesser les persécutions que le gouvernement royal dirigeait contre les chanoines qui s’étaient prononcés en sa faveur.

L’arrivée de la lettre ayant été connue de Mazarin, il fit interdire à l’assemblée d’en donner lecture officielle, et les termes n’en furent connus que par des copies manuscrites que les grands- vicaires nommés par Retz s’étaient procurées et qui circulèrent clandestinement. Une correspondance de contrebande s’établit entre les députés et l’archevêque exilé. Irrité de toutes ces menées, le gouvernement royal demeura inflexible à l’égard de Retz et de ceux qui se faisaient ses plus actifs émissaires. La nomination de Du Saussay avait levé la plus grosse des difficultés et permis de procéder aux élections de la province de Paris ; le nouveau grand-vicaire avait pu prendre la présidence du collège où elle devait se faire. Dominique Séguier, évêque de Meaux, fut précisément l’un des élus ; on lui donna pour collègues Jacques de l’Escot, évêque de Chartres, un chanoine et un ancien professeur de théologie en Sorbonne. L’antagonisme n’en subsista pas moins au sein de l’assemblée entre le parti de Mazarin et ceux qui soutenaient l’indépendance absolue de l’épiscopat, et le débat menaçait de se prolonger indéfiniment. Le ministre d’Anne d’Autriche eut voulu que la compagnie mît de côté cette discussion si pleine d’orages et s’en tînt au provisoire, afin de ne s’occuper que de la question des décimes et de quelques affaires intérieures de petite importance. Telle n’était pas la manière de voir des députés qui subissaient l’influence des amis du cardinal de Retz et continuaient à correspondre avec Rome. Un nouveau bref d’Alexandre Yll envoyé à l’assemblée et dans lequel il l’exhortait à travailler à la paix de l’église vint autoriser cette compagnie à poursuivre la délibération sur une matière pour l’examen de laquelle Mazarin aurait bien voulu qu’on ne prit que les ordres du roi. Ce ministre avait même cherché à en agir avec ce bref comme il en avait agi avec les lettres de Retz et à en empocher la lecture au sein de l’assemblée ; mais les adhérens de l’archevêque exilé prirent les devans et s’arrangèrent pour le faire lire en séance sans attendre qu’on délibérât pour savoir si cette lecture aurait lieu. En cela ils usaient du droit qu’on avait toujours reconnu aux assemblées du clergé de recevoir directement les brefs du pape. Toutefois, pour ne pas trop mécontenter la cour, la compagnie décida, à l’instigation de l’archevêque de Narbonne, qu’une députation serait envoyée au roi afin de s’excuser d’avoir agi en l’occurrence avec précipitation et lui demander ses ordres touchant la lettre pontificale. Le monarque prit assez mal l’explication qui lui fut donnée par les députés ; il chargea le chancelier de faire connaître à l’assemblée ses volontés. La réponse fut formulée dans une longue harangue dont on attribua la composition à Servien, qui était alors l’âme de la résistance faite à la curie romaine, et où l’on accusait le pape de prendre parti pour l’Espagne contre la France. Ce discours tendait à engager l’assemblée dans une lutte contre le saint-siège. Mazarin profita habilement de ce que les termes du bref semblaient porter quelque atteinte à l’indépendance de l’église gallicane. Grâce à ses amis, il manœuvra si bien qu’une réponse au saintsiège, conforme à ses vues et d’accord avec les idées qu’avait exprimées le chancelier, fut rédigée par l’assemblée. Le pape, qui était informé des dispositions peu favorables à son égard que manifestait le gouvernement de Louis XIV, se montrait de moins en moins enclin à le soutenir dans toute cette affaire. Retz s’en aperçut et s’empressa de retirer la concession que le souverain pontife lui avait arrachée. Le 29 juin 1656 parvenait à l’assemblée une lettre du prélat fugitif qui révoquait la nomination par lui faite de Du Saussay comme grand-vicaire, en se fondant sur ce que celui-ci aurait méconnu les instructions du saint-siège aussi bien que celles de son archevêque. Retz fit plus ; il adressa un mandement à tous ses diocésains pour leur donner avis de la révocation. Les grandsvicaires qu’il avait précédemment nommés devaient par ses ordres pourvoir exclusivement à la conduite du diocèse. Du Saussay devant prendre bientôt l’évèciié de Toul, Retz s’empressait de le destituer de ses fonctions d’ofhcial et il nommait à sa place Guy Joly. Le gouvernement répondit à ces actes par l’arrestation de l’un des grands-vicaires dans lequel Retz avait mis sa confiance. L’abbé Chevallier fut envoyé à la Rastille ; craignant le même sort, son collègue l’abbé L’Avocat se cacha, et du fond de sa retraite il fit parvenir à l’assemblée une lettre où il l’informait des mesures prises contre Chevallier et implorait pour lui-même l’assisiaiice de l’auguste compagnie. Les députés, tout en soutenant les réclamations de Retz, n’entendaient pas cependant pousser les choses jusqu’à se compromettre vis-à-vis du gouvernement royal. Ils eurent soin de ne rien décider toucliant les demandes de l’abbé L’Avocat, et afin de ménager la susceptibilité de la couronne, ils évitèrent de reconnaître officiellement à Chevallier le titre de grand- vicaire, quoiqu’on contestât si peu à Retz le droit de nomination que Du Saussay ne s’était même pas élevé contre la légalité de sa propre destitution. L’assemblée se borna à envoyer une dépatationau roi afin d’arranger l’affaire et de plaider en faveur du prisonnier. Chevallier, disait-elle, ne pouvait être puni pour avoir exécuté les ordres de son supérieur ecclésiastique, qui demeurait jusqu’à nouvel ordre le cardinal de Retz, celui-ci n’ayant subi ni excommunication ni déposition. Si ce prêtre, ajoutait l’assemblée, était coupable de quelque crime envers l’état, on devait lui faire son procès, non le retenir sans jugement à la Bastille. Les pourparlers entre la couronne et l’assemblée se continuèrent à ce sujet pendant plusieurs jours. Les députés tenaient bon sur le droit du cardinal de Retz, qui ne pouvait être contesté sans porter atteinte à l’indépendance épiscopale ; mais le gouvernement royal prétendait distinguer entre le droit et l’exercice du droit.

Mazarin voulait que l’assemblée pressât le pape d’obliger l’archevêque fugitif à nommer un nouveau grand-vicaire qui fut agréable à la cour, et si le prélat s’y refusait absolument, il était d’avis qu’on passât outre et qu’on désignât un grand-vicaire sans son assentiment. La compagnie refusait de se prêter à ce système de pression, et n’obtenant rien pour Chevallier, auquel le gouvernement reprochait ses incessantes menées en faveur de Retz, elle se contenta de proposer qu’on laissât l’administration du diocèse au curé de Saint-Sé vérin, qui avait aussi reçu de l’archevêque de Paris la commission de grand-vicaire. Mazarin, après plusieurs refus d’obtempérer à ce moyen terme, dut l’accepter à la fin, car il importait de ne pas se brouiller tout à fait avec une assemblée à laquelle il demandait de l’argent pour la guerre qui se continuait au nord de la France. Condé, appuyé par les Espagnols, opposait à Turenne, qui commandait les troupes royales, une résistance inquiétante. Les intrigues du cardinal de Retz à Rome pouvaient fournir un nouvel aliment à la guerre civile, et le salut du royaume exigeait qu’on apaisât au plus tôt l’agitation qu’elles entretenaient dans Paris. L’assemblée, de son côté, tout en cherchant à se soustraire aux exigences de la couronne, voulait éviter une rupture qui eût été aussi préjudiciable à l’église qu’à l’état. En maintenant que le curé de Saint-Séverin devait continuer ses fonctions, elle décida qu’elle enverrait une lettre au cardinal de Retz pour l’engager à nommer des grands-vicaires qui fussent agréables au roi. La cour comptait qu’en atermoyant elle .obtiendrait ce qu’elle désirait. Tandis qu’elle pressait le pape, elle faisait activement surveiller le cardinal de Retz. Ce prélat aux abois s’était vu dans la nécessité de quitter Rome, mais des divers asiles où il se réfugia successivement, il ne cessait de faire parvenir par des mains sûres à l’assemblée des lettres où il réclamait son droit. Le pape, de son côté, ne voulait point autoriser une sorte de mise en régie par le gouvernement français d’un diocèse dont le pasteur n’avait point été condamné et en laisser confier l’administration à des grands-vicaires que le roi aurait désignés. Le conflit dura ainsi jusqu’en novembre. La position de Retz devenait tellement intolérable que Mazarin devait croire qu’il serait finalement forcé de se rendre. En effet, le gouvernement royal continuait, par application du principe de la régale, la saisie du temporel de l’archevêque de Paris et du revenu des abbayes dont il était titulaire ; celui-ci n’ayant pas prêté serment de fidélité à la couronne, sa prise de possession du siège de Paris par procureur demeurait aux yeux du roi sans effet. On alléguait des précédens qui voulaient qu’un évêque ne pût toucher ses revenus tant qu’il n’avait pas prêté serment. Mazarin espérait que l’assemblée finirait par s’impatienter de l’obstination de Retz, auquel le parlement s’apprêtait à faire le procès, ce qui allait remettre au jugement de cette cour le litige touchant le temporel du prélat. L’assemblée soutenait au contraire que la saisie du temporel ne pouvait avoir lieu avant que le cardinal de Retz eût été convaincu du crime de lèse-majesté. Durant tout ce débat la couronne trouva un puissant auxiliaire dans l’archevêque de Toulouse, le célèbre Pierre de Marca[4], qui mit à son service dans un long mémoire la science profonde qu’il avait acquise de la jurisprudence durant sa vie de magistrat.

Les plus ardens des députés firent rédiger contre la saisie des remontrances qui devaient être présentées au roi ; mais les obstacles que la compagnie rencontra du côté de Mazarin et du conseil refroidirent peu à peu son zèle à défendre des immunités épiscopales que semblait prendre k tâche de compromettre celui qui en réclamait le maintien ; la majorité décida finalement que les remontrances ne seraient pas portées au roi. Pour donner à l’assemblée un semblant de satisfaction, Mazarin fit rendre par le conseil un arrêt qui statuait que le mémoire adressé au roi par les agens généraux pour se plaindre que les inforinations contre le cardinal de Retz fussent faites au préjudice des immunités et exemptions acquises aux cardinaux et aux évêques, serait déposé entre les mains du chancelier. Ce mémoire devait être communiqué aux avocats et procureur général en cour de parlement et il en devait être fait ce que sa majesté ordonnerait. Mécontente d’en avoir été réduite à en passer à peu près par où le voulait la couronne, l’assemblée repoussa le subside de 1,500,000 livres, qui lui était demandé ; elle ne vota qu’un million, et encore sous la condition que le recouvrement en serait fait par le receveur général du clergé et non autrement. Le roi trouva ce chiffre bien maigre et s’en expliqua devant les agens en termes assez vifs, disant qu’il ne voulait pas recevoir du clergé durant son règne moins que n’avaient reçu ses prédécesseurs. Il écrivit à l’assemblée pour réclamer un ou deux millions de plus. Le zèle que déploya l’archevêque de Narbonne pour soutenir cette nouvelle demande indisposa fort ses collègues, mais cela n’alla pas jusqu’à la faire repousser. On redoutait l’irritation du roi. Deux millions furent votés et en surplus 1,500 livres de gratification à M. Duplessis-Guénégaud, secrétaire d’état, pour reconnaître ses bons offices. La compagnie fit une libéralité mieux placée en attribuant 36,000 livres à la veuve de Charles P% qui était dans la gêne.

Le peu de résistance que les députés avaient fait pour accorder ce subside supplémentaire enhardit Louis XIV à exiger encore davantage ; il leur fit demander une nouvelle somme de deux millions, sous prétexte que le clergé était en mesure de donner une part contributive plus forte. Il y avait dans de telles requêtes de quoi indisposer sérieusement l’assemblée, bien que dans cette nouvelle demande le gouvernement eût mis plus de formes que dans les précédentes, qu’il eût déclaré que c’était là une pure libéralité qu’il sollicitait, non une injonction qu’il adressait. La compagnie délibéra derechef et elle se résigna à donner trois millions au lieu des deux qui avaient été précédemment accordés. Il fallait en finir. On était arrivé au mois de mars 1657. Il y avait près de deux ans que les députés siégeaient. Jamais session ne s’était tant prolongée. Elle ne fut toutefois close que le 5 mai.

Malgré les défaillances qui se produisirent à la fin de sa longue existence, cette assemblée doit être signalée comme une de celles où fut défendue avec le plus de vigueur et de ténacité l’autonomie temporelle de l’église gallicane. Elle compta dans ses rangs plusieurs membres éminens du clergé. Sans parler de Claude de Rebé, archevêque de Narbonne, et de Pierre de Marca que j’ai déjà mentionnés, je rappellerai les noms de Daniel de Cosnac, évêque de Valence et de Die, plus tard archevêque d’Aix, de l’abbé de Rancé, alors archidiacre de Tours et commendataire de l’abbaye de la Trappe, de l’habile théologien François Hallier, professeur en Sorbonne et dans la suite évêque de Cavaillon, de Henri de Béthune, archevêque de Bordeaux, de La Roche-Elavin , conseiller clerc au parlement de Toulouse, d’Antoine Godeau, évêque de Vencc, l’un des premiers membres de l’Académie française, de Simiane de Cordes, alors chanoine comte de Lyon, depuis évêque de Langres, de Michel Poncet, savant théologien de la maison de Sorbonne, de l’ancien précepteur du comte de Moret, Jean de Lingendes, évêque de Mâcon, célèbre par sr>s oraisons funèbres.

Tout indépendante que fût la majorité de ses membres, l’assemblée ne put jamais jouir de sa pleine liberté. Elle était suspecte au gouvernement, et elle s’efforça vainement de garder le secret sur ses délibérations. Mazarin n’avait cessé de surveiller de près les agissemens des députés ; il se faisait rendre compte, jour par jour, de ses débats par un député qu’il avait à sa dévotion, l’abbé Ondedei, qui fut plus tard évêque de Fréjus. Ce prélat, au mépris du serment qu’il avait prêté, l’informait de l’opinion soutenue par chacun des membres. En des secrétaires de la compagnie, l’abbé de Carbon, qui fut ensuite appelé à l’évêché de Saint-Papoul, puis à l’archevêché de Courges et à celui de Sens, ne se montra pas plus discret et n’imita point l’exemple de l’abbé de Villars, auquel les faveurs qu’il devait au ministre ne firent jamais violer l’engagement qui lui était imposé. On accusait le premier d’altérer les procès-verbaux, et les mauvais plaisans donnèrent le nom de carbonadea aux délits d’inexactitude dont son plumitif se rendait souvent coupable. Mazarin se défiait tant de ces prélats qui avaient si fort contrarié ses vues, que la session une fois achevée, il n’eut de cesse qu’ils ne fussent tous partis de Paris. Plusieurs persistèrent cependant à y demeurer quelques semaines, à son grand déplaisir. François de La Fayette, évêque de Limoges, l’un de ceux qui s’attardèrent, reçut un jour la visite de son collègue Amaury, évêque de Coutances, qui feignait de le vouloir visiter avant son départ. « Je sais que vous venez ici, dit le premier, pour vous informer si je suis parti ou quand je partirai, afin d’en donner avis au cardinal ; vous lui direz que je lui demande une grâce, qui est celle de ne jamais songer à moi ; assurez-le de ma part que je ne songerai jamais à lui. » Ces paroles montrent assez le peu de cas que faisait de l’éminence ministérielle une partie de l’épiscopat français. L’archevêque de Sens, Louis-Henri de Gondrin, qui n’avait pas été un des moins hostiles à Mazarin dont il soutint d’abord les projets, attendit la mort de celui-ci pour remettre les pieds à Paris, et, malgré ses entrées et ses alliances à la cour, il fallut l’assemblée de 1660, tenue à Pontoise, et dont il eut la présidence, pour l’arracher à une retraite à laquelle il se condamnait plus encore par dégoût que par dévotion.


V.


Les destinées de l’assemblée de 1655 ressemblèrent fort à celles de la fronde. L’opposition qu’elle avait faite au pouvoir cessa devant les manifestations impérieuses de la volonté royale. Le jeune monarque entendait que rien ne vînt contrarier la réalisation des grands projets qu’il avait conçus ; il ne connaissait d’autre moyen d’assurer l’ordre dans l’état que d’y faire régner son bon plaisir. Il voulait que le clergé fût respecté, et il donnait sur ce point l’exemple, mais il n’admettait pas que ce corps eût le droit de lui refuser, dans le gouvernement des choses temporelles, l’obéissance qu’il exigeait de tous ses sujets, de contrevenir à une autorité qui, dans sa conviction, procédait de Dieu au même titre que celle du sacerdoce.

La lettre de Louis XIV à l’assemblée, au sujet du mémoire des agens généraux sur l’affaire du cardinal de Retz, avait suffisamment montré qu’il ne souffrirait pas que son autorité fut tenue en échec par les franchises et privilèges de l’épiscopat. Tout ce que cette assemblée de 1(355-1657 put obtenir, ce fut la promesse d’une déclaration portant que le roi ne voulait pas que l’on pût faire le procès aux évêques autrement que les saints décrets et l’usage du royaume l’avaient établi. Cette interminable question de l’administration du diocèse de Paris finit ainsi par s’arranger. Le clergé sacrifia un prélat qui n’avait fait que le compromettre et pour lequel il ne témoignait plus grande sympathie. Abandonné par ses ouailles qu’il avait plus agitées que conduites, Retz fut contraint, pour faire cesser son exil et échapper au dénûment auquel l’eût condamné le séquestre mis sur ses biens, de se démettre de son archevêché. Le roi consentit à arrêter les poursuites contre les ecclésiastiques qui s’étaient mêlés aux menées du cardinal. Il n’y eut d’exception que pour l’abbé Ghassebras, l’infatig.ible émissaire de l’ambitieux prélat, dont la résistance avait fait tant de bruit. Tout rentra dans l’ordre, mais cet ordre sentait un peu la servitude. Les assemblées allaient descendre pour un temps au rôle plus modeste de compagnie chargée de diriger et de contrôler l’administiation du temporel de l’église. Le calme qui reprenait possession des esprits après la longue agitation révolutionnaire de la fronde revint dans ces diètes de l’église de France auxquelles le monarque assura le respect et l’importance extérieure, mais autour desquelles il eut soin de faire un silence qui en diminua le prestige ; il entendait qu’elles ne sortissent pas de leurs attributions et que le public ne se mêlât pas de leurs affaires pour peser sur les décisions ou pour passionner les débats.

Alfred Maury.
  1. Voyez la Revue du 15 février et du 1er avril.
  2. Les princes ne sortirent du Havre, où ils avaient été transférés, que le 13 février.
  3. Il y eut entre les ordres du clergé et de la noblesse des conférences par l’intermédiaire de commissaires qui avaient été désignés de part et d’autre, et où l’on discuta les affaires communes aux deux assemblées. La solennité avec laquelle le marquis d’Entragues, qui présidait la réunion des Cordeliers, reçut la députation que l’assemblée du clergé envoya le 10 mars à cette compagnie et qui avait à sa tête l’évêque de Comminges et à laquelle s’étaient adjoints les deux agents généraux, montre que la réunion des gentilshommes se considérait comme représentant le second ordre en vertu du même droit que la réunion des Grands-Augustins représentait le premier.
  4. Marca, élu député de sa province, n’arriva qu’assez tard à l’assemblée, retenu qu’il était par la présidence des états du Languedoc.