Les Astronautes/I

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Librairie Hachette (p. 121-124).
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es souvenirs flottent dans une atmosphère de fable. Une nostalgie aussi charmante que ce soir de septembre m’emporte « dans la nuit éternelle, à travers l’étendue morte », jusqu’à cette étoile rouge où j’ai vécu plusieurs saisons.

Au ras de l’occident, une lueur timide s’accroît et monte vers les astres. Compagne minuscule de la Terre, la lune surgit, couleur de cuivre, immense, dix fois plus haute que l’église Saint-Michel et qui semble tenir dans son giron tout le village de Mièvres.

À mesure, elle rend invisibles des colosses perdus au fond des étendues stellaires, alors que le chétif Mars, microbe de l’Infini, est plus éclatant, d’ici, que le triple Sirius.

Mon vieux jardin, avec ses arbres torses, ses herbes dures, ses fleurs sauvages, devient la lande des sorcières.

L’atmosphère a frissonné : l’Albatros, la fusée bleue d’Antoine, descend en spirale et atterrit aussi légèrement qu’une libellule sur les terre-plein du verger.

Antoine, Jean et Violaine en descendent, avec qui je reprendrai bientôt le voyage des espaces interstellaires.

Jean nous a gentiment, mais impérieusement, imposé Violaine. Ce n’est point sa volonté qui parlait, mais plutôt celle de cette belle fille des hommes.

Elle est sans ressemblance avec son frère. Vous la croiriez issue des terres chaudes, avec ses cheveux de nuit en serpents, ses yeux de feu noir et son corps rythmique, tandis que Jean revêt l’apparence que nous conférons aux guerriers blonds et roux de la Gaule celtique.

Pour le principe, Antoine et moi résistons depuis un mois, mais la volonté de Violaine vaincra ce soir même.

Au fond, ce n’est pas pour nous déplaire… Durant la traversée interastrale et pendant la vie sur Mars, des soins féminins nous ont manqué, les soins légers qui mêlent une grâce à la vie quotidienne.

« Votre jardin, dit Jean, s’entend bien avec le clair de lune : il vit, la nature lui a fait le don royal de la joie. »

Antoine hausse les sourcils, vérifie l’affirmation de Jean par un coup d’œil circulaire et, avec indifférence :

« C’est vrai. Le clair de lune lui va…

— Il est ravissant de vieillesse », intervient Violaine en tournant son visage charmant vers les étoiles.

Elle désigne Mars du doigt :

« Je le verrai donc de près.

— Bon, fait Antoine, vous avez pris notre décision définitive. »

Il ne rit pas, mais son sourire s’étend en largeur, au point de paraître hilare, et il grommelle :

« Vous auriez tort de croire que vous allez vous amuser ! D’abord, le voyage particulier du Stellarium !

— Dans les étoiles.

— En annulant le soleil ! Comme monotonie, on ne fait pas mieux. Quant à Mars lui-même, ce n’est pas un spectacle bien réjouissant ! »

Elle riposte avec véhémence :

« Non, mais passionnant ! Vous avez hâte de le revoir, allez, chacun à votre manière : Jean avec exaltation, Antoine avec une curiosité insatiable et vous, Jacques, avec amour. »

— Exact, fis-je.

— Et pour moi, je sais bien que ce sera le voyage au pays de la féerie. »

Antoine, cette fois, se mit à rire, de son rire creux et mat.

« Allons ! jeune Africaine, vous êtes sœur de Jean malgré l’apparence. »