Les Astronautes/II

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Librairie Hachette (p. 125-127).
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ii



es temps sont venus. Le Stellarium va nous emporter dans les profondeurs insondables. Ce n’est plus le départ furtif de jadis. Nos travailleurs ont parlé, la multitude est accourue par terre et par ciel. Elle enveloppe et survole le champ clos, elle occupe les voies proches et répand une rumeur de troupeau.

Par intervalles, une clameur s’élève, qui se répercute, frénétique, enthousiaste, confusément menaçante aussi.

Le Stellarium est prêt. Les vérifications dernières sont terminées. Nous faisons nos adieux à la Terre. Des larmes, des étreintes, des paroles, et le navire astral se referme sur nous.

Antoine a tiré sa montre, Jean et moi sommes à la manœuvre :

« Dix heures ! »

C’est le signal.

À travers les parois indestructibles mais élastiques, nous entendons les hurlements, les rugissements de la foule, nous voyons ses remous frénétiques. C’est bref, Bientôt, il n’y a plus qu’une confuse agitation d’insectes aériens et terrestres.

Puis des paysages et des cités, puis une surface indécise et quelques ultimes aviateurs.

« Allons ! murmure Antoine, l’Espace nous tient !

— Et nous le tenons ! » riposte Jean le téméraire.

Violaine, un peu pâle, ajoute :

« Esclaves et maîtres. »

Des jours, encore des jours. Il est étrange après tout que nous ayons si peu de crainte. Seuls, dans la solitude, et quelle solitude ! Aucune ressource, dans cette vaste ambiance qui est, pour nos vies matérielles, le vide absolu.

Qu’il y ait là, comme je le soupçonne, mieux, comme je le crois, un grouillement d’existences incompatibles avec les nôtres, à peine si quelques indices commencent à le révéler à nos plus subtils appareils, prolongements de nos personnes. À peine une infime perception, indirecte de quelque chose.

L’atmosphère terrestre se révèle à nous perpétuellement par sa résistance, par ses souffles, de la plus légère brise du matin jusqu’aux cyclones qui soulèvent et font sombrer les grands navires, déracinent les arbres et abattent les monuments. Ici, rien, rien. Nulle résistance, nul mouvement hors celui, matériel, des astres, nulle révélation.

Pourtant, chez tous quatre persiste une impression de sécurité parfaite. Violaine, qui n’a point comme été aguerrie par une première traversée, fut tout de suite accoutumée. Peut-être a-t-elle moins encore que ses trois compagnons, le sentiment du risque.

Familière, spontanée, avec de légers caprices, elle est, dans ce vaisseau interstellaire, toute la jeunesse et la grâce féminine de la Terre.