Les Auxiliaires/XVIII

La bibliothèque libre.
Charles Delagrave (p. 107-112).
XVIII. — L’autour. — L’épervier. — Les faucons

XVIII

L’AUTOUR. — L’ÉPERVIER. — LES FAUCONS

Louis. — Que faire contre des ennemis comme l’aigle ?

Paul. — Les détruire nous-mêmes par tous les moyens en notre pouvoir, car nous n’avons à compter sur aucun secours. Ils sont les tyrans de l’air ; aucun oiseau n’oserait les attaquer. La destruction des nids est le moyen le plus sûr de mettre fin aux ravages qu’ils font parfois dans les troupeaux. Mais ce n’est pas entreprise sans péril que d’atteindre l’aire de l’aigle pour tordre le cou aux aiglons. Les bergers des Pyrénées s’y mettent à deux, l’un armé d’une carabine à double coup, l’autre d’une longue pique. Au petit jour, lorsque l’aigle est déjà en chasse, les deux dénicheurs arrivent sur le haut de l’escarpement où l’aire est établie. Le premier, la carabine armée, se poste au sommet du rocher pour faire feu sur l’aigle à son retour ; le second, la pique à la ceinture, descend de roc en roc jusqu’à l’aire et enlève les aiglons, trop jeunes encore pour opposer une sérieuse défense. Au premier cri de détresse, la mère accourt furieuse et se précipite sur l’homme, qui la reçoit à coups de pique, tandis que son camarade atteint l’oiseau d’une balle. Le mâle, qui planait au-dessus des nuées, descend avec la rapidité de la foudre. Il est sur la tête du dénicheur avant que celui-ci ait eu le temps de redresser sa pique. Heureusement une seconde balle, partie du haut du rocher, casse une aile à l’oiseau.

Jules. — Si l’aigle était manqué… ?

Paul. — Le dénicheur serait perdu. La figure labourée de coups de bec, les yeux arrachés, il roulerait brisé au fond du gouffre. Non, ce n’est pas entreprise sans péril que de dénicher des aiglons.

Jules. — Pour ma part, on ne m’y prendra pas.

Paul. — Après l’aigle, l’autour est le plus grand de nos rapaces diurnes. C’est un magnifique oiseau de la taille du coq, brun en dessus, blanc en dessous avec de nombreuses petites bandes transversales sombres. L’œil est orné d’un sourcil blanc, le bec est d’un noir bleuâtre, les pieds sont jaunes.

L’autour est le fléau des colombiers ; aussi l’appelle-t-on encore le faucon des palombes. Il se choisit un observatoire sur la cime d’un arbre touffu, d’où il épie la bande des pigeons becquetant dans les guérets. Malheur à qui oubliera un moment de se tenir sur ses gardes. L’oiseau rapace fond sur lui d’un vol oblique, presque en rasant le sol ; en moins de rien, le pigeon est saisi et emporté au loin sur quelque roche solitaire, où le ravisseur le plume et le déchire encore tout chaud. Si le fermier manque de vigilance, l’autour ne fait pas moins de ravages dans la basse-cour. À l’apparition seule de l’ombre de l’oiseau, le coq jette le cri d’alarme, les poussins se réfugient à la hâte sous l’aile de leur mère, qui, les plumes hérissées, le regard allumé, en impose quelquefois au ravisseur par sa fière contenance. Si les poulets et les pigeons lui manquent, l’autour guette les jeunes lièvres, les écureuils, les petits oiseaux ; en des temps de disette, il se rabat sur les taupes et les souris. Les montagnes boisées sont sa demeure de prédilection. Il établit son nid sur les chênes et les hêtres les plus élevés. Ses œufs, au nombre de quatre ou cinq, sont légèrement roux ou bleuâtres et tachés de points bruns.

L’épervier commun est à peu près de la grosseur d’une pie. Son plumage rappelle celui de l’autour. Il est cendré-bleuâtre sur le dos, blanc en dessous avec des raies transversales brunes. La gorge et le devant du cou sont roussâtres, la queue est barrée de six à sept bandes obscures. Les pattes sont d’un beau jaune, longues et fines.

L’épervier est encore un ardent chasseur de pigeons, qu’il cherche à surprendre en volant autour du colombier, ou bien en faisant le guet du haut d’un arbre touffu. L’alouette, laLa poule défendant ses poussins.
La poule défendant ses poussins.
grive, la caille, tombent fréquemment sous ses grilles. Son vol est bas et oblique comme celui de l’autour ; des ailes trop courtes et à bout arrondi ne leur permettent, ni à l’un ni à l’autre, le haut vol et les impétueuses allures. Les jeunes, récemment sortis du nid et sans expérience encore des ruses de la chasse, sont quelque temps dressés par le père et la mère à la vie de brigandage ; il n’est pas rare de rencontrer la famille chassant de compagnie. L’épervier niche sur les grands arbres. Sa ponte est de quatre ou cinq œufs blancs ornés de mouchetures brunes plus larges et plus nombreuses vers le gros bout. L’épervier partage avec l’autour une tactique de défense déjà constatée chez le hibou. Assailli par un ennemiÉpervier.
Épervier.
plus fort que lui, il se couche sur le dos et manœuvre des griffes.

Les faucons sont, de tous nos rapaces diurnes, les plus courageux et les mieux doués pour le vol. Ils ont pour caractère distinctif une dent aiguë de chaque côté de l’extrémité du bec, qui est très vigoureux et fortement recourbé dès son origine. Leurs ailes, pointues au bout, dépassent au repos l’extrémité de la queue, ou tout au moins l’atteignent. Tous chassent en planant. Dans ce genre se classent le faucon ordinaire, le hobereau, l’émerillon.

Le faucon ordinaire, grand comme une poule, est reconnaissable à l’espèce de moustache ou tache noire qu’il a sur chaque joue. Il a le dos d’un noir cendré, traversé par de petites bandes plus foncées ; la gorge et la poitrine d’un blanc pur, avec des traits longitudinaux noirs ; le ventre et les cuisses d’un gris clair légèrement bleuâtre, barrés de bandes noires ; la queue alternativement rayée de blanc sale et de noir. Le bec est bleu, noir à la pointe ; les yeux et les pieds sont d’unTête de faucon.
Tête de faucon.
beau jaune. Du reste, le plumage du faucon commun varie beaucoup avec l’âge, et ce n’est guère qu’au bout de trois ou quatre ans qu’il est conforme à la description que je vous donne.

Les cimes les plus escarpées, les rochers les plus abrupts,Faucon.
Faucon.
sont la demeure du faucon. C’est de là qu’il guette pigeons, cailles, perdrix, poulets et canards. Il s’élève et plane quelque temps dans l’air pour choisir du regard sa victime ; puis il s’abat d’aplomb sur elle comme s’il tombait des nues. Le faucon est d’une audace sans égale. Il pénètre dans les colombiers des fermes ; il chasse le pigeon jusque sous les yeux des passants, au milieu des rues populeuses ; il ravit la perdrix que le chien tient en arrêt et que le chasseur ajuste. Sa voix est forte et éclatante. Son vol soutient une vitesse de vingt lieues à l’heure, même pour une expédition de quelques centaines de lieues ; mais sa marche est gauche et sautillante, parce que ses doigts crochus, armés d’ongles férocement longs et recourbés, reposent mal sur le sol. Le faucon niche dans les escarpements de rochers exposés au midi. Son nid, construit sans art, contient trois ou quatre œufs un peu roussâtres, tachés de brun.

Le hobereau est moindre que le précédent, brun dessus, blanchâtre dessous avec les cuisses et le bas du ventre roux. Sa témérité n’a d’égale que celle du faucon. Il poursuit jusque sous le fusil du chasseur les alouettes et les cailles, il se jette au milieu des filets de l’oiseleur pour saisir les appeaux. Il se perche et niche sur les grands arbres. Ses œufs sont blanchâtres, très légèrement tachetés de roux.

L’émerillon est le plus petit des oiseaux de proie diurnes ; sa taille ne dépasse guère celle d’une grive. Il est brun sur le dos, blanchâtre en dessous et tacheté de brun. Son nid, peu commun dans nos régions, est placé dans un creux de rocher. Il contient cinq ou six œufs blanchâtres, marbrés au gros bout de brun ou de vert sale.

C’est encore, malgré sa faible taille, un effronté bandit. Les petits oiseaux se meurent de terreur au seul bruit d’ailes de l’émerillon rôdant autour d’un buisson. La perdrix elle-même n’est pas à l’abri de ses attaques. Il commence par en isoler une de la compagnie ; puis, tournant au-dessus d’elle dans une spirale descendante à cercles de plus en plus rétrécis, il l’atteint de la griffe et la culbute d’un coup violent de poitrine.

Tels sont les principaux rapaces diurnes auxquels il faut sans ménagement aucun faire la guerre. Sus à ces oiseaux de rapine, à ces féroces buveurs de sang, destructeurs de gibier, ravageurs de basses-cours et de colombiers. Prends ton fusil, vigilant fermier, surveille le faucon et l’autour, et feu sur ces brigands ! Détruis leurs nids, écrase les œufs, tords le cou aux jeunes, si tu veux sauver tes poulets, tes canards et tes pigeons.