Les Avadânas, contes et apologues indiens/18

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Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (1p. 83-87).


XVIII

LE SAGE ET LE FOU.

(De la prudence et de l’hébétude d’esprit.)


Dans un certain royaume, il y avait deux hommes, l’un sage et l’autre fou. Ils se dirent entre eux, « puisque nous sommes parents, sortons ensemble de la ville, et allons ramasser du riz, et nous enrichir. »

Ils partirent de compagnie, et, étant arrivés dans un village désert, ils virent par terre des tiges de chanvre. Le sage dit au fou : « Prenons ensemble de ce chanvre et emportons-le. »

Ces deux hommes en prirent chacun une charge. Ayant passé ensuite par un village situé en face de la chènevière, ils virent des bottes de fils de chanvre. Le sage dit : « Les fils de chanvre servent à faire des étoffes fines et légères ; il faut en prendre. »

Son compagnon lui dit : « J’ai déjà pris des tiges de chanvre, et ma charge est solidement attachée ; je ne puis l’abandonner. »

Le sage prit aussitôt un lourd paquet de fils de chanvre et s’en alla. Ils se remirent en route, et aperçurent, un peu plus loin, de la toile de chanvre. Le sage dit : « La toile de chanvre est une étoffe fine et légère ; il faut en prendre.

— J’ai déjà pris des tiges de chanvre, repartit l’autre, et mon paquet est solidement attaché ; je ne puis l’abandonner. »

Le sage laissa les fils de chanvre et prit la toile. Ils continuèrent leur route et virent des fruits de cotonnier. Le sage dit : « Le coton est d’un prix élevé, il est léger et fin ; il faut en prendre.

— J’ai déjà pris des tiges de chanvre, répondit le fou et mon paquet est solidement attaché. J’ai fait un long voyage en le portant ; je ne puis l’abandonner. »

Le sage laissa aussitôt la toile de chanvre et prit des fruits de cotonnier. En poursuivant leur route, ils virent successivement des fils de coton, de la toile de coton, du cuivre blanc, de l’argent blanc, du métal jaune (de l’or). Le sage dit : « Si l’on ne trouve pas de l’or, il faut prendre de l’argent blanc ; si l’on ne trouve pas de l’argent blanc, il faut prendre du cuivre blanc. Quant aux fils de chanvre, si l’on n’en trouve pas, il faut se contenter des tiges. Maintenant, dans ce village, il y a une grande quantité d’or, qui est le plus précieux de tous les métaux. Il faut que vous laissiez vos tiges de chanvre, et moi ma charge d’argent. Nous prendrons tous deux un lourd poids d’or et nous nous en reviendrons.

— J’ai pris ces tiges de chanvre, repartit l’autre ; mon paquet est solidement attaché, et j’ai fait un long voyage en le portant ; je ne puis l’abandonner. Si vous voulez prendre de l’or, vous pouvez suivre votre idée. »

Le sage laissa l’argent, prit une lourde charge d’or et s’en retourna. Ses parents voyant de loin cet homme chargé d’or, furent remplis de joie et allèrent au-devant de lui. L’homme qui apportait de l’or, voyant ses parents accourir à sa rencontre, sentit redoubler sa joie. Quant au fou qui s’en revenait chargé de tiges de chanvre, ses parents ne se réjouirent pas à sa vue, et ne se levèrent point pour aller au-devant de lui. L’homme qui apportait des tiges de chanvre se sentit accablé de douleur et d’indignation.

(Extrait de l’ouvrage intitulé : Tchang-han-king (Dirghâgama soûtra), livre VII.)