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Les Avadânas, contes et apologues indiens/33

La bibliothèque libre.
Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (1p. 135-138).


XXXIII

LA SERVANTE ET LE BÉLIER.

(Des malheurs inopinés.)


Il y avait jadis une servante, ménagère et diligente, qui préparait constamment pour son maître de la farine de grains torréfiés et des fèves. À la même époque, dans la maison de son maître, il y avait un jeune bélier qui, profitant des occasions favorables, mangeait une partie du blé et des fèves. La quantité ordinaire se trouvant diminuée, le maître était fort en colère contre cet animal, sachant bien que la servante qui avait sa confiance, n’avait point pris les grains, mais que c’était le bélier qui les avait mangés. C’est pourquoi la servante, qui soupçonnait constamment le bélier, prenait chaque fois un bâton et le frappait rudement. De son côté, le bélier conservait de la rancune contre la servante et venait la frapper à coups de cornes. Cette guerre du bélier et de la servante se répétait sans cesse. Un jour que la servante tenait du feu dans sa main[1], le bélier voyant qu’elle n’avait pas de bâton, courut droit sur elle pour l’attaquer encore. La servante, dans son trouble, jeta le feu qu’elle tenait sur le dos du bélier. Celui-ci sentant l’ardeur du feu, alla se frotter contre toute sorte d’objets. Un incendie brûla le village et s’étendit jusque dans les montagnes et les champs. À cette heure, cinq cents singes, qui se trouvaient au milieu de la montagne, furent enveloppés par les flammes, et n’ayant pas eu le temps de s’enfuir, ils furent tous consumés en un clin d’œil.

Alors, du haut des airs, un dieu prononça ces Gâthâs :

Quand des gens irrités se disputent et se battent, il ne faut pas s’asseoir à côté d’eux.

« Lorsque deux béliers luttent ensemble, les mouches et les fourmis périssent au milieu d’eux.

« Une servante, en combattant contre un mouton, a causé la mort des singes.

« L’homme prudent éloigne de lui l’inimitié et les soupçons ; il ne reste pas dans la société des sots. »

(Extrait de l’ouvrage intitulé : Tsa-pao-thsang-king, livre VIII.)
  1. Il faut supposer que la servante tenait ce feu sur une pelle ou avec des pincettes.