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Les Avadânas, contes et apologues indiens/Préface

La bibliothèque libre.
Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (1p. vii-xvi).


AVERTISSEMENT

DU TRADUCTEUR.


J’ai trouvé, dans une Encyclopédie chinoise, les Contes et Apologues indiens que j’offre aujourd’hui au public. Cette découverte inattendue, amenée tout à coup par de savantes questions de mon honorable ami, M. Antoine Schiefner (membre de l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg), témoigne hautement des richesses de la littérature chinoise, trop négligée aujourd’hui.

Parmi les douze sections des livres bouddhiques, il en est une appelée Pi-yu, «  Comparaisons ou Similitudes, » en sanscrit Avadânas. De plus, tous les morceaux qu’on va lire sont tirés, soit de Recueils indiens, qui portent précisément le même nom, soit d’ouvrages bouddhiques, composés en sanscrit, où ils figurent au même titre. C’est pour ce double motif, que je me suis cru autorisé à écrire le mot Avadânas en tête de ma traduction, quoiqu’elle ait été rédigée sur un texte chinois.

L’ouvrage où j’ai puisé ces fables, allégories et historiettes indiennes, est intitulé Yu-lin, ou la Forêt des Comparaisons.

Suivant le grand catalogue de la bibliothèque impériale de Pé-king[1], « il a été composé par Youen-thaï surnommé Jouhien, qui obtint, en 1565, le grade de docteur, et parvint plus tard au rang de président du ministère de la justice. Il recueillit, dans les livres anciens, tous les passages et les morceaux qui renfermaient des Comparaisons, et en forma un Recueil en vingt-quatre volumes, qu’il divisa en vingt classes ; puis, il subdivisa ces vingt classes en cinq cent quatre-vingts sections, commençant chacune par un axiome de deux mots qui en indique le sujet. L’auteur n’acheva cet ouvrage qu’après vingt ans d’un travail assidu. Il lut et dépouilla environ quatre cents ouvrages. Il a eu constamment le soin de citer, à la fin de chaque extrait, le titre de l’ouvrage d’où il l’a tiré, et en a souvent indiqué le sujet et la section. »

Après ces détails empruntés au grand catalogue de l’empereur Khien-long, je dois ajouter qu’à la suite des livres purement chinois, la table des matières donne les titres de deux cents ouvrages traduits du sanscrit, ou rédigés, d’après des textes indiens, par des religieux bouddhistes.

Dans le nombre de ces deux cents ouvrages, il s’en trouve onze d’où sont tirées la plupart des fables, allégories et historiettes bouddhiques que nous avons traduites.

En voici les titres :

1. Fo-choue-fan-mo-yu-king, le livre des Comparaisons relatives aux brâhmanes et aux démons, expliqué par le Bouddha.

2. Fo-choue-tsien-yu-king, le livre des Comparaisons tirées de la flèche, expliqué par le Bouddha.

3. Fo-choue-kiun-nieou-pi-king, le livre des Comparaisons tirées des bœufs, expliqué par le Bouddha.

4. Fo-choue-pi-yu-king, le livre des Comparaisons, expliqué par le Bouddha.

5. Fo-choue-i-yu-king, le livre des Comparaisons tirées de la médecine, expliqué par le Bouddha.

6. Tsa-pi-yu-king, le livre de mélanges de Comparaisons.

7. Khieou-tsa-yu-pi-king, l’ancien livre de mélanges de Comparaisons.

8. Pe-yu-king, le livre des cent Comparaisons.

9. Tchong-king-siouen-tsi-pi-yu-king, le livre des Comparaisons rédigées d’après les livres sacrés.

10. ’O-yu-wang-pi-king, le livre des Comparaisons du roi Açôka.

11. Fa-kiu-pi-yu-king, le livre des Comparaisons tirées des livres bouddhiques.

Ces onze ouvrages et les cent quatre-vingt-neuf autres, sont conservés dans la grande collection des livres bouddhiques, qui a été imprimée à Péking, en chinois, en mandchou, en mongol et en thibétain. Nos apologues sont d’autant plus précieux qu’il serait peut-être impossible de retrouver aujourd’hui, dans l’Inde, la plupart des originaux sanscrits sur lesquels ils ont été traduits.

L’éminent indianiste, M. Théodore Benfey, dont l’enseignement relevé et les savants travaux font le plus grand honneur à l’Université de Goettingue, publie actuellement une traduction allemande du Recueil de fables appelé le Pantchatantra, et se propose de donner ensuite une multitude de compositions du même genre, empruntées soit à des textes sanscrits inédits, soit aux récits légendaires des peuplades mongoles qui suivent encore la religion bouddhique[2].

Il y a quelques mois, j’ai eu l’honneur de communiquer à M. Th. Benfey une dizaine des fables que j’ai traduites. Ce savant orientaliste les a accueillies avec un intérêt extrême, et il avait l’intention de les incorporer (einverleiben) dans sa prochaine publication. J’aime à penser que le présent volume, qui précédera peut-être la seconde partie de son grand ouvrage, lui fournira l’occasion de faire des rapprochements littéraires d’une haute valeur, et probablement de remonter, par de profondes recherches, à l’origine même de la plupart des morceaux que j’ai traduits, lesquels, à l’exception de trois ou quatre, ne se trouvent point dans les recueils de contes et d’apologues indiens imprimés jusqu’à ce jour en diverses langues.

Malgré les prédictions flatteuses d’indianistes éminents et de littérateurs d’une grande autorité, que j’ai eu l’honneur de consulter, pour recueillir leurs opinions diverses et profiter de leurs conseils éclairés, j’ignore quel sera le sort de cette publication neuve et inattendue, qui fait revivre et remplace dans une certaine mesure, des originaux sanscrits, malheureusement perdus pour toujours. Si elle recevait un favorable accueil, je me sentirais encouragé à donner plus tard un second volume de Contes et d’Apologues indiens tirés d’une Encyclopédie purement bouddhique, intitulée Fa-youen-tchou-lin (La Forêt des perles du Jardin de la loi), et peut-être aussi, par la suite, un volume de Fables chinoises, dont personne jusqu’ici n’avait connu ni soupçonné l’existence dans la littérature du céleste empire.

On trouvera, à la fin de ce volume, plusieurs pièces d’un caractère original qui pourront donner, par avance, quelque idée du goût et du genre d’esprit qui règnent dans les fables purement chinoises[3]. J’y ai ajouté une légende pleine d’intérêt, des poésies et des nouvelles chinoises.

Ces traductions, qui sont pour moi un délassement des travaux difficiles et pénibles qui m’ont occupé depuis plusieurs années, ne retarderaient pas d’une manière sensible la continuation des Voyages des Pèlerins bouddhistes, dont le troisième volume, qui termine les Mémoires de Hiouen-thsang sur l’Inde, a paru le 20 novembre 1858.

Stanislas Julien.
  1. Sse-kou-thsiouen-chou-tsong-mo-ti-yao, livre CXXXVI, fol. 6.
  2. Voici le titre du grand ouvrage de M. Benfey : Pantschatantra : Fünf Bücher indischer Fabeln, Maerchen und Erzaehlungen. Aus dem Sanskrit übersetzt, mit Anmerkungen und Einleitung von Theodor Benfey. Erster Theil : Einleitung über das indische Grundwerk und dessen Ausflüsse, so wie über die Quellen und Verbreitung des Inhalts derselben. — Zweiter-Theil : Uebersetzungen und Anmerkungen.
  3. Ces fables sont tirées d’un Recueil in-18 en 4 volumes, intitulé Siao-lin-kouang-ki « La forêt des contes pour rire. »