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Les Avares (Verhaeren)

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Œuvres de Émile VerhaerenMercure de FranceIX. Toute la Flandre, II. Les Villes à pignons. Les Plaines (p. 132-134).


LES AVARES


Les Avares des régions de Flandre

N’ont poings et mains que pour garder ou prendre ;
L’âpre janvier, avec sa neige et ses glaçons,
Règne en leur cœur et les travaille,
Mordant leur être inculte et ses broussailles,

À fond.


Un sang d’astuce et de discorde,

Sournoisement, semble courir
Dans leur corps dur comme le cuir,

Dans leurs veines dures comme des cordes.


Leurs maigres doigts minutieux

D’instinct font des gestes rapaces ;
Parmi les rides de leur face

Rien ne bouge que les deux yeux.


Sous les combles, sous les dallages,

Au trou d’un mur ou d’un sommier,
Même aux fentes de leurs fumiers,

Ils enfouissent l’argent volage.


Fermiers hâves, marchands malins,

Cerveaux étroits, âmes féroces,
Comme des pois au creux des cosses,

Dorment et s’empilent leurs gains.


Dans leur logis, plein de silence,

Jamais ne dort leur vigilance ;
Ils se chauffent avec du foin ;
Ils voient venir, vers eux, de loin,
Ceux des hameaux et des villages

Dont ils craignent les commérages ;


Ils se défient de tout gardien ;

Le soir, quand par les sentes tortes,
Passent, au long des clos, ceux qui n’ont rien,
Ils imitent l’aboi d’un chien

Derrière leur porte.


Et tels s’useront-ils en resserrant leurs jours,
Dans l’étau morne et froid de leur sordide amour,
Épluchant pour eux seuls leur vie âpre et minime,

Franc par franc, sou par sou, centime par centime,
Effrayants effrayés sur qui plane le sort,
Mais dont la foi en leur folie est si entière
Qu’aucun ne voit les deuils emplir les cimetières

Sans se croire plus dur et plus fort que la mort.