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Les Aventures de Til Ulespiègle/CII

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Anonyme
Traduction par Pierre Jannet.
À l’enseigne du pot cassécoll. Scripta Manent, n°44 (p. 231-232).
Appendice

CHAPITRE CII.


Comment Ulespiègle devint bedeau ou valet de ville à
Berlin, et comment il convoitait l’avoir des paysans.



Étant valet de ville à Berlin, Ulespiègle fut une fois envoyé dans un village pour réclamer de l’argent d’un paysan qui n’aimait pas à payer, et qui, de plus, n’était pas riche. Il s’en allait tranquillement avec sa hallebarde, sans penser à mal, lorsque le diable se présenta sous la forme d’un paysan. Ulespiègle s’aperçut tout de suite que c’était le diable. Ils commencèrent à causer ensemble. Le paysan dit : « Tu vas chercher de l’argent ; si tu veux nous partagerons ; moi je vais chercher un trésor caché, dont je te donnerai ta part. » Ulespiègle, qui avait souvent entendu dire que le diable savait trouver les trésors, accepta la proposition. Peu de temps après, comme ils traversaient un village, ils entendirent un enfant qui pleurait, et sa mère qui lui disait : « Va donc ! pleure tant que le diable t’emporte ! » Ulespiègle lui dit : « Entends-tu qu’on veut te donner un enfant ? Pourquoi ne le prends-tu pas ? – Mon cher, dit le diable, la mère ne le dit pas sérieusement ; ce n’est qu’un mouvement de colère. » Ils allèrent plus loin, et dans les champs ils virent un grand troupeau de cochons. Le berger courait après un qui s’était détaché de la bande, et criait : « Que le diable emporte le cochon ! » Ulespiègle aurait bien voulu avoir sa part du cochon, qui était bien gras ; il dit au diable : « Entends-tu ? maintenant on te donne un cochon ; pourquoi ne le prends-tu pas ? Je ne veux plus être de moitié avec toi. – Mon cher, dit le diable, que pourrais-je faire d’un cochon ? Le berger ne parle pas sérieusement, et si je prenais son cochon, il serait obligé de le payer. J’attends quelque chose de mieux. » Ulespiègle pensa qu’il s’agissait d’un trésor. Bientôt ils arrivèrent chez le paysan à qui Ulespiègle allait réclamer de l’argent. Aussitôt qu’il l’aperçut avec sa hallebarde, le paysan s’écria : « Te voilà encore ! Que le diable t’emporte ! » Le diable dit alors à Ulespiègle : « Entends-tu maintenant ce que dit le paysan ? Celui-là le dit sérieusement, et je t’emmène. — J’en appelle à la justice, dit Ulespiègle, car je t’ai dit que je ne voulais plus être de moitié avec toi. Tu n’as donc rien à me réclamer. Je suis valet de ville, et je te cite devant mon bailli. » Mais le diable ne se présenta pas. Ulespiègle se démit bientôt de son emploi.