Les Aventures de Til Ulespiègle/LII
CHAPITRE LII.
fit ses ordures dans la boutique, pour qu’une
mauvaise odeur chassât l’autre.
ne fois Ulespiègle vint à Ascherleve ; c’était
en hiver et les vivres étaient chers. Il se
dit en lui-même : « Que vas-tu faire maintenant
pour passer l’hiver et le temps de la cherté ? »
Personne n’avait besoin de valets, si ce n’est un
fourreur qu’un garçon venait de quitter pour continuer
ses voyages. Alors Ulespiègle se dit : « Que
vas-tu faire ? nous sommes en hiver et les vivres
sont chers ; souffre ce qu’il faudra souffrir, et tu
passeras l’hiver. » Il s’engagea comme ouvrier chez le fourreur. Quand il fut installé dans l’atelier et
qu’il voulut coudre les peaux, il n’était pas habitué
à l’odeur, et il dit : « Fi ! fi ! tu es aussi blanche que
de la craie, et tu sens plus mauvais que de la fiente ! »
Le fourreur lui dit : « Comment, cette odeur te déplaît !
Il est tout naturel que cela sente mauvais ;
cela vient de la laine qu’avait le mouton. » Ulespiègle
ne dit rien, mais il pensa en lui-même : « Une mauvaise
odeur chasse l’autre, » et il lâcha une vesse
tellement puante que le fourreur et sa femme furent
obligés de se boucher le nez. Le fourreur lui dit :
« Que fais-tu ? Si tu veux lâcher des vents, va-t’en
dans la cour, et là vesse tant que tu voudras. – C’est
bien plus favorable à la santé, dit Ulespiègle, que
l’odeur des peaux de mouton. – Sain ou malsain,
dit le fourreur, si tu veux vesser, va-t’en dans la
cour. – Maître, dit Ulespiègle, ce serait peine
perdue ; les vents n’aiment pas le froid, car ils se
tiennent toujours au chaud. C’est pourquoi, si vous
lâchez un pet, il vous rentre vite dans le nez pour
retrouver la chaleur qu’il vient de quitter. » Le
fourreur se tut. Il vit bien qu’il avait affaire à un
mauvais garnement, et il se promit de ne pas le
garder longtemps. Ulespiègle resta assis et continua
à coudre, à vesser, à tousser et à cracher. Le fourreur
le regardait, et prit patience jusqu’au soir après le
repas. Alors il lui dit : « Mon cher garçon, je vois bien
que tu n’aimes pas ce métier, et je m’imagine que
tu n’es pas un vrai garçon fourreur. Je vois cela à
tes grimaces ; ou bien c’est que tu n’es pas depuis longtemps du métier et que tu n’y es pas habitué.
Si tu avais seulement couché avec la marchandise
pendant quatre jours, tu ne tordrais pas ainsi le nez
et tu ne te plaindrais pas, car cela ne te gênerais pas.
C’est pourquoi, mon cher garçon, s’il ne te plaît pas
de rester ici, tu pourras demain matin aller où tes
pieds te porteront. – Cher maître, dit Ulespiègle,
vous dites vrai. Il n’y a pas longtemps que je suis
dans le métier. Si vous voulez me permettre de
coucher pendant quatre nuits avec la marchandise
pour m’y habituer, vous verrez comment je m’en
tirerai. » Le fourreur y consentit, parce qu’Ulespiègle
savait bien coudre.