Les Aventures de Til Ulespiègle/LI
CHAPITRE LI.
parce que son maître lui avait défendu de
fêter le lundi.
tant venu à Stendel, Ulespiègle s’engagea
chez un fileur de laine. C’était un dimanche.
Le fileur lui dit : « Mon cher garçon, vous
avez l’habitude, vous autres ouvriers, de fêter le
lundi. Je n’aime pas cette habitude-là : celui qui
veut travailler chez moi doit travailler toute la semaine. – Bien, maître ! répondit Ulespiègle ; c’est
ce que j’aime le mieux. » Le lendemain, Ulespiègle
se leva de bonne heure et se mit à battre de la laine ;
le mardi il fit de même, et le fileur était très content
de lui. Le mercredi était la fête d’un apôtre, que l’on
devait chômer. Mais Ulespiègle fit comme s’il n’en
savait rien ; il se leva de bonne heure et se mit à
battre de la laine avec tant de bruit qu’on l’entendait
de toute la rue. Le fileur se jeta aussitôt à bas
de son lit, et courut lui dire : « Cesse, cesse ! c’est
aujourd’hui fête, et l’on ne doit pas travailler
de toute la journée. – Cher maître, dit Ulespiègle,
vous ne m’avez pas parlé de fêtes, dimanche ; vous
m’avez dit au contraire, qu’il fallait travailler toute
la semaine. – Je n’y pensais pas, mon cher garçon,
dit le fileur ; cesse de battre, et je vais te donner
tout de suite ce que tu gagnerais dans ta journée. »
Ulespiègle fut content de cela. Il fêta la journée, et
le soir il fit collation avec son maître. Celui-ci lui
dit qu’il réussissait très bien à battre la laine ; qu’il
devrait seulement la battre un peu plus haut. Ulespiègle
promit de le faire. Le lendemain matin il se
leva de bonne heure, attacha le cadre en dehors de
la maison, à la hauteur du grenier, dressa une échelle
et monta dessus en emportant ses baguettes ; puis
il prenait la laine, qui était dans une corbeille par
terre, l’élevait jusqu’à la hauteur du grenier, et la
battait de façon à la faire voler au-dessus de la maison.
Le fileur était dans son lit, et il reconnut au
bruit des baguettes qu’il y avait quelque chose d’extraordinaire. Il se leva et alla voir. Ulespiègle lui
dit : « Maître, qu’en pensez-vous ? Est-ce assez haut ?
— Vraiment, dit le fileur, si tu étais sur le toit, tu
serais encore plus haut. Si tu voulais battre la laine
ainsi, tu pouvais la battre sur le toit ; tu serais mieux
que là sur l’échelle. » Puis il sortit et s’en alla à
l’église. Ulespiègle prit la chose au pied de la lettre.
Il prit le cadre, monta sur le toit, et se mit à y
battre la laine. Le maître l’aperçut de la rue ; il vint
en courant et lui dit : « Que diable fais-tu ? Arrête !
A-t-on l’habitude de battre la laine sur le toit ? –
Que dites-vous maintenant ? dit Ulespiègle ; ne
m’avez-vous pas dit tout à l’heure que je serais
mieux sur le toit que sur l’échelle, et que ce serait
encore plus haut ? – Si tu veux battre de la laine,
dit le maître, bats de la laine ; si tu veux faire des
folies, fais des folies. Allons, descend ! – Et que
ferai-je de la corbeille ? – Fais dedans ! » s’écria le
maître en fureur. Là-dessus il rentra et s’en alla
dans la cour. Ulespiègle descendit, entra dans la
maison et se mit à faire ses ordures dans la corbeille.
Le fileur revint, et, voyant ce qu’il faisait, lui dit :
« Que jamais bien ne t’arrive ! Voilà bien l’action
d’un mauvais drôle ! – Maître, je ne fais que ce que
vous m’avez commandé. Pourquoi vous fâchez-vous ?
Je fais ce que vous m’avez dit de faire. – Tu m’en
ferais bien autant sur la tête sans en être prié ! dit
le maître. Prends ce que tu as fait et porte-le là où
personne n’en veut. » Ulespiègle dit oui, mit l’objet
sur une pierre et l’apporta dans la salle à manger. Le maître lui dit : « Laisse cela, je n’en veux pas ici.
— Je le sais bien, dit Ulespiègle, que vous n’en voulez
pas ici, vous ni personne ; mais je fais ce que
vous m’avez dit. » Le fileur, furieux, courut à l’écurie
et prit un bâton pour battre Ulespiègle. Celui-ci
gagna la rue et dit : « Ne pourrai-je donc jamais
contenter personne ? » Le fileur ramassa la pierre
qui se trouvait là et voulait la lancer à Ulespiègle ;
mais, sentant qu’il s’était sali les doigts, car c’était
la pierre sur laquelle Ulespiègle avait mis ses ordures,
il courut au puits pour se laver les mains. Pendant
ce temps Ulespiègle s’esquiva.