Les Aventures de Til Ulespiègle/LIX

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Anonyme
Traduction par Pierre Jannet.
À l’enseigne du pot cassécoll. Scripta Manent, n°44 (p. 144-145).

CHAPITRE LIX.


Comment, à Helmstedt, Ulespiègle fit faire une
grande bourse.



Ulespiègle fit une fois une farce avec une bourse. À Helmstedt demeurait un faiseur de bourses ; Ulespiègle alla chez lui et lui demanda s’il voulait lui en faire une belle et grande. Le faiseur lui répondit : « Oui. De quelle grandeur ? » Ulespiègle lui dit de la faire assez grande, parce que c’était la mode des grandes bourses, longues et larges. Le faiseur en fit une très grande. Quand Ulespiègle vint chez lui et la vit, il lui dit : « Elle n’est pas assez grande ; c’est une petite bourse. Faites-m’en une assez grande, et je vous la payerai bien. Le faiseur lui en fit une d’une peau de vache tout entière, et la fit si grande qu’on eût bien pu mettre dedans un veau d’un an. Quand Ulespiègle la vit, il ne fut pas encore content ; il dit qu’elle était trop petite, mais que si on voulait lui en faire une assez grande, il donnerait deux florins à compte. Le faiseur prit les deux florins, et lui fit une bourse composée de trois peaux de bœuf, qu’à peine trois personnes auraient pu porter sur un brancard, et dans laquelle on aurait pu mettre facilement un muid de blé. Quand Ulespiègle vint la voir, il dit : « Maître, voilà une assez belle bourse ; mais ce n’est pas ce que je voudrais. Je ne veux pas de celle-ci ; elle est encore trop petite ; si vous voulez m’en faire une dont je ne puisse trouver le fond, et dans laquelle je pourrai prendre un denier et en laisser deux, de façon à ce que je ne manque jamais d’argent, je l’achèterai et la payerai volontiers. Quant aux bourses que vous m’avez faites, ce sont des bourses comme toutes les autres, et je n’en ai pas besoin. Si vous trouvez à les placer, saisissez l’occasion. » Là-dessus il partit, et lui laissa les deux florins ; mais le marchand avait bien gâté pour dix florins de cuir.