Les Aventures de Til Ulespiègle/LV

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Anonyme
Traduction par Pierre Jannet.
À l’enseigne du pot cassécoll. Scripta Manent, n°44 (p. 136-137).

CHAPITRE LV.


Comment, à Leipzig, Ulespiègle vendit aux fourreurs
un chat vivant, cousu dans une peau de lièvre,
pour un lièvre en vie.



Ulespiègle avait bientôt fait d’inventer une bonne malice, comme il le prouva à Leipzig. C’était le mardi gras, jour où les fourreurs se réunissent pour un banquet ; ils auraient bien voulu avoir du gibier. Ulespiègle apprit cela, et pensa en lui-même : « Le fourreur de Berlin ne m’a pas payé mon travail ; ces fourreurs-ci me le payeront. » Il s’en alla à son auberge ; il y avait là un beau chat bien gras qu’il prit sous son manteau, puis il demanda au cuisinier une peau de lièvre, disant qu’il voulait jouer avec cela un bon tour. Le cuisinier lui donna la peau de lièvre, dans laquelle il cousit le chat ; puis il prit des habits de paysan, s’en alla devant l’hôtel-de-ville, et tint son gibier caché sous sa casaque jusqu’à ce qu’il vît venir un des fourreurs. Ulespiègle lui demanda s’il voulait acheter un bon lièvre, et lui fit voir celui qu’il avait sous sa casaque. Ils tombèrent d’accord à quatre gros pour le lièvre, et six deniers pour le vieux sac dans lequel il était. Le fourreur l’emporta chez le chef de leur corporation, où ils étaient tous réunis en bonne humeur et à grand bruit, et leur dit comment il avait acheté le plus beau lièvre vivant qu’il eût vu depuis un an. Ils se mirent tous à le tâter. Comme ils voulaient le manger pour leur mardi gras, ils résolurent de le lâcher tout vivant dans un jardin clos, et se procurèrent des chiens, car ils voulaient se donner le passe-temps de la chasse au lièvre. Quand ils furent réunis, ils lâchèrent le lièvre, et les chiens après lui. Comme le lièvre ne pouvait guère courir, il grimpa sur un arbre, et se mit à faire maouaou ! Il aurait bien voulu s’en aller. Quand les fourreurs virent cela, ils se mirent à crier : « Hé ! vous autres bons camarades, qui vous êtes moqués de nous avec le chat, venez, venez ! tuez-le ! » Pendant ce temps Ulespiègle avait changé d’habits, en sorte qu’il ne pouvait être reconnu.