Les Aventures de Til Ulespiègle/LV
CHAPITRE LV.
un chat vivant, cousu dans une peau de lièvre,
pour un lièvre en vie.
lespiègle avait bientôt fait d’inventer une
bonne malice, comme il le prouva à Leipzig.
C’était le mardi gras, jour où les fourreurs
se réunissent pour un banquet ; ils auraient bien
voulu avoir du gibier. Ulespiègle apprit cela, et
pensa en lui-même : « Le fourreur de Berlin ne m’a
pas payé mon travail ; ces fourreurs-ci me le payeront. »
Il s’en alla à son auberge ; il y avait là un
beau chat bien gras qu’il prit sous son manteau,
puis il demanda au cuisinier une peau de lièvre,
disant qu’il voulait jouer avec cela un bon tour. Le
cuisinier lui donna la peau de lièvre, dans laquelle il
cousit le chat ; puis il prit des habits de paysan, s’en
alla devant l’hôtel-de-ville, et tint son gibier caché
sous sa casaque jusqu’à ce qu’il vît venir un des fourreurs.
Ulespiègle lui demanda s’il voulait acheter
un bon lièvre, et lui fit voir celui qu’il avait sous sa
casaque. Ils tombèrent d’accord à quatre gros pour le lièvre, et six deniers pour le vieux sac dans lequel
il était. Le fourreur l’emporta chez le chef de leur
corporation, où ils étaient tous réunis en bonne humeur
et à grand bruit, et leur dit comment il avait
acheté le plus beau lièvre vivant qu’il eût vu depuis
un an. Ils se mirent tous à le tâter. Comme ils voulaient
le manger pour leur mardi gras, ils résolurent
de le lâcher tout vivant dans un jardin clos, et se
procurèrent des chiens, car ils voulaient se donner
le passe-temps de la chasse au lièvre. Quand ils furent
réunis, ils lâchèrent le lièvre, et les chiens après lui.
Comme le lièvre ne pouvait guère courir, il grimpa
sur un arbre, et se mit à faire maouaou ! Il aurait
bien voulu s’en aller. Quand les fourreurs virent cela,
ils se mirent à crier : « Hé ! vous autres bons camarades,
qui vous êtes moqués de nous avec le chat,
venez, venez ! tuez-le ! » Pendant ce temps Ulespiègle
avait changé d’habits, en sorte qu’il ne pouvait
être reconnu.