Les Aventures de Til Ulespiègle/LVI

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Anonyme
Traduction par Pierre Jannet.
À l’enseigne du pot cassécoll. Scripta Manent, n°44 (p. 137-139).

CHAPITRE LVI.


Comment, à Brunswick, sur la chaussée, Ulespiègle fit
bouillir du cuir chez un tanneur, avec des
chaises et des bancs.



En quittant Leipzig, Ulespiègle s’en alla à Brunswick, chez un tanneur qui préparait le cuir pour les cordonniers. C’était en hiver, et il se dit : « Il faut s’arranger de façon à pouvoir passer l’hiver chez ce tanneur. » Il s’engagea chez lui comme garçon. Il y était depuis huit jours, lorsque le tanneur fut invité chez quelqu’un ; il fallait qu’Ulespiègle tannât du cuir dans la journée. Le tanneur lui dit : « Tu prépareras plein le bassin de cuir. – Bien, dit Ulespiègle ; mais quel bois prendrai-je pour cela ? – Qu’as-tu besoin de me faire cette question ? dit le tanneur. S’il n’y avait plus de bois au bûcher, j’aurais bien assez de chaises et de bancs pour que tu puisses préparer le cuir. » Ulespiègle dit que c’était bien. Le tanneur partit. Ulespiègle mit un chaudron sur le feu, et mit le cuir dedans, une peau après l’autre, et fit bouillir le cuir tellement, qu’en le prenant avec les doigts il s’en allait en lambeaux. Pour faire bouillir le cuir, il mit en pièces les chaises et les bancs qui se trouvaient dans la maison, et les mit sous le chaudron, et fit bouillir le cuir encore davantage. Quand cela fut fait, il retira le cuir du chaudron et le mit en un tas ; puis il sortit de la maison, quitta la ville et s’en alla. Le tanneur n’appréhendait rien. Il but tout le long du jour, et le soir il se coucha bien repu. Le matin il lui prit envie de voir comment son garçon avait arrangé le cuir. Il se leva et s’en alla dans la tannerie ; il trouva le cuir ainsi bouilli, et ne vit ni chaises ni bancs dans la maison. Il en fut tout chagrin ; il entra dans la chambre de sa femme et lui dit : « Femme, cela va mal ! Je suis sûr que notre nouveau garçon était Ulespiègle, car il a l’habitude de faire les choses comme on lui dit. Il est parti, et il a mis nos chaises et nos bancs au feu, et a fait bouillir ainsi le cuir jusqu’à le mettre en bouillie. » La femme se mit à pleurer et dit : « Courez vite après lui ; rattrapez-le et ramenez-le ! – Non, dit le tanneur, je n’ai pas envie de le ravoir : qu’il reste où il est jusqu’à ce que je l’envoie chercher ! »