Les Aventures de Til Ulespiègle/XLIV

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Anonyme
Traduction par Pierre Jannet.
À l’enseigne du pot cassécoll. Scripta Manent, n°44 (p. 113-114).

CHAPITRE XLIV.


Comment Ulespiègle fait à un paysan une soupe à
l’huile de poisson, et pense que c’est
assez bon pour lui.



Ulespiègle avait fait bien des malices à des cordonniers, non seulement en un endroit, mais en plusieurs. Après avoir fait celle qu’on vient de lire, il s’en alla à Staden, où il s’engagea encore chez un cordonnier. Le premier jour, comme il se mettait à la besogne, son maître s’en alla au marché acheter une charge de bois, et promit au paysan de lui donner une soupe par-dessus le marché. Il amena le paysan avec son bois devant sa porte ; sa femme et sa servante étaient sorties, et il n’y avait chez lui qu’Ulespiègle, qui était en train de coudre des souliers. Comme le cordonnier avait besoin de retourner au marché, il dit à Ulespiègle de prendre ce qu’il trouverait et de faire une soupe au paysan, et qu’il y avait de quoi dans le garde-manger. Ulespiègle dit qu’il le ferait, et le paysan déchargea son bois et entra dans la maison. Ulespiègle tailla de la soupe dans une écuelle, et comme il ne trouvait pas de graisse dans le garde-manger, il s’en alla à l’endroit où était l’huile de poisson, et prit de cette huile pour assaisonner la soupe du paysan. Celui-ci se mit à manger. Il s’aperçut bien que cela sentait mauvais ; mais il avait tellement faim qu’il ne laissa pas de manger toute la soupe. Cependant le cordonnier rentra, et demanda au paysan s’il avait trouvé la soupe bonne. Le paysan répondit qu’elle était bonne, mais qu’elle avait un arrière-goût comme de souliers neufs ; puis il s’en alla. Le cordonnier se mit à rire, et demanda à Ulespiègle avec quoi il avait fait cette soupe. Ulespiègle répondit : « Vous m’avez dit que je prenne ce que j’aurais ; comme il n’y avait pas de graisse dans le garde-manger, j’ai pris de l’huile de poisson. – C’est bien, dit le cordonnier ; c’est assez bon pour des paysans. »