Les Aventures de Tom Sawyer/Traduction Hughes, 1884/31

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Traduction par William Little Hughes.
A. Hennuyer (p. 214-225).


XXXI

LA MORT DE JOE L’INDIEN.


La nouvelle se répandit bien vite. Quelques minutes plus tard, une douzaine de canots se dirigeaient vers la grotte. Le petit vapeur, chargé d’un bon nombre de passagers, les suivit bientôt. Tom Sawyer était à bord de l’embarcation qui portait le juge. Lorsqu’on ouvrit la porte de la grotte, un triste spectacle se présenta. Joe l’Indien était étendu sur le sol, mort, le visage tout près de l’endroit où les battants se rejoignaient, comme s’il eût voulu voir jusqu’au dernier moment un faible rayon de jour. Tom se sentit ému, car il savait par expérience combien ce malheureux avait dû souffrir. Il le plaignait ; néanmoins le sentiment de soulagement et de sécurité qu’il éprouva lui révéla quelle épouvante avait pesé sur lui depuis le jour où il avait porté témoignage contre le métis.

Le couteau du mort gisait à côté de lui, la lame brisée. Le bas de la porte avait été déchiqueté. Grâce à un labeur immense, l’infortuné avait même réussi à percer une épaisse barre de bois qui n’était pas revêtue de fer. Labeur inutile ! Le rocher formait en dehors un rebord naturel que le couteau ne pouvait entamer. D’ailleurs, il ne serait jamais parvenu à glisser son corps sous la porte, lors même qu’il eût réussi à enlever la barre du bas. Sans doute il avait seulement haché le bois afin d’occuper sa pensée. En général on voyait dans la cave d’entrée une assez grande quantité de bouts de chandelle laissés par les touristes. Il n’y en avait plus maintenant. Le prisonnier les avait cherchés et les avait mangés. Il avait aussi mis la main sur quelques chauves-souris qu’il avait également dévorées, ne laissant que leurs pattes. L’infortuné était mort de faim. Non loin de la porte, une stalagmite grandissait depuis des siècles, bâtie par la goutte d’eau qui tombait à intervalles égaux d’une stalactite formée au dessus. Le captif avait brisé la pointe de la stalagmite et sur l’écornure il avait creusé une petite cavité destinée à recevoir la précieuse goutte, qui tombait toutes les vingt minutes avec une régularité presque mathématique : une cuillerée en vingt-quatre heures ! Cette goutte tombait à l’époque où les pyramides étaient neuves ; elle tombait quand les Grecs prirent Troie ; quand on posa les fondations de Rome ; quand on crucifia le Christ ; quand Guillaume le Conquérant créa l’empire britannique ; quand Christophe Colomb s’embarqua ; quand le massacre de Lexington était une nouvelle à sensation. Elle tombe toujours. Elle tombera encore quand ces souvenirs historiques se perdront dans la nuit des temps. Tout a-t-il un but et une mission ? Cette goutte est-elle tombée pendant cinq mille ans pour être recueillie par ce misérable captif dont elle a peut-être calmé un instant les souffrances ? Ou bien a-t-elle une autre mission importante à accomplir dans dix siècles d’ici ? Peu importe. Il y a bien des années que le malheureux métis a creusé cette pierre pour recueillir la précieuse goutte ; mais aujourd’hui encore c’est devant la coupe où l’eau tombe avec tant de lenteur que le visiteur s’arrête le plus longtemps lorsqu’on lui montre les merveilles de la grotte de Mac-Dougal. La tasse de Joe l’Indien figure en première ligne sur la liste des curiosités de la caverne.

On ensevelit le métis à l’entrée de la grotte. Une foule de gens vinrent de la ville dans des charrettes ou dans des canots ; il en arriva d’autres de toutes les fermes et de tous les hameaux des environs à sept milles à la ronde. Les badauds amenèrent leurs enfants, apportèrent des provisions et déclarèrent qu’ils s’étaient amusés presque autant que si l’on avait pendu le métis.

L’enterrement mit fin à une de ces niaiseries qui sont trop communes en Amérique, c’est-à-dire à une pétition à l’adresse du gouverneur de l’État, demandant la grâce de Joe l’Indien, qui avait été condamné par contumace. La pétition portait de nombreuses signatures, grâce à des meetings où l’on avait prononcé des discours larmoyants contre la peine de mort. Un comité de femmes fortes se disposait même à se rendre en grand deuil auprès du gouverneur pour le supplier de remplir le rôle d’un âne miséricordieux. Il était démontré que Joe l’Indien avait tué cinq citoyens de Saint-Pétersbourg, sans compter ceux qu’il avait assassinés ailleurs. La belle raison ! S’il eût été Satan en personne, il se serait trouvé des idiots pour verser une larme sur la pétition et pour la signer.

Le lendemain des funérailles, Tom emmena Huck loin de toute oreille indiscrète afin de lui confier un secret important. Huck connaissait déjà l’aventure de la grotte ; mais Tom lui dit qu’il y avait une chose que personne n’avait pu lui apprendre.

— Bah ! je sais ce que c’est, répliqua son ami dont le visage s’allongea. Tu es entré au numéro deux et tu n’y as trouvé que du rhum. Non, personne ne me l’a appris ; je l’ai deviné quand on m’a raconté l’affaire. Si tu avais déniché le trésor tu aurais trouvé le moyen de me prévenir.

— Eh bien, tu barbotes, Huck. Ce n’est pas moi qui ai dénoncé le tavernier. Tu oublies que la maison était encore ouverte le samedi où je suis allé au pique-nique et que tu devais veiller ce soir-là.

— Il me semble qu’il y a au moins un an de ça. C’est cette nuit-là que j’ai suivi Joe l’Indien jusque chez la veuve.

— Tu l’as suivi ?

— Oui, mais motus ! Il peut avoir laissé des amis, et je ne tiens pas à ce qu’ils me jouent quelque mauvais tour. Sans moi, il serait au fond du Texas, au lieu d’être enterré.

Alors Huck raconta à Tom ce que le Gallois n’avait révélé à personne.

— Vois-tu, dit-il en terminant, c’est sans doute le tavernier qui a mis la main sur la caisse. Nous pouvons faire notre deuil du trésor.

— Huck, le trésor n’a jamais été dans la taverne.

— Hein ! Tu as retrouvé la piste ?

— Le trésor est dans la grotte.

— Tu ne plaisantes pas ? Tu en es sûr ?

— Sûr et certain. Veux-tu venir avec moi et m’aider à l’emporter ?


Tu as retrouvé la piste ?
— Tu peux le parier, pourvu que nous ne risquions pas de nous perdre.

— Merci, je n’ai pas envie de recommencer cette histoire-là. Ne crains rien.

— Qu’est-ce qui te fait croire que le trésor est dans la grotte ?

— Attends un peu ; lorsque nous y serons, tu verras. Si nous ne le trouvons pas, je consens à te donner mon tambour et tout ce que j’ai au monde.

— Quand irons-nous ? demanda Huck.

— Aujourd’hui, si le cœur t’en dit. Te sens-tu assez fort ?

— Est-ce bien loin dans la cave ? Voilà trois ou quatre jours que je suis sur mes quilles ; mais je ne pourrais pas faire plus d’un mille — du moins, je ne crois pas.

— L’endroit est à cinq milles environ de l’entrée de la grotte par la route que tout le monde suivrait ; mais il y a un chemin beaucoup plus court, que moi seul connais, Huck. Je t’y conduirai dans un canot, et tu n’auras pas à ramer.

— Bon ! Partons, Tom.

— Pas encore, pas encore ! Il nous faudra de quoi manger, un petit sac ou deux, de la ficelle, des chandelles et quelques-unes de ces machines qu’on appelle des allumettes. Je te réponds que j’aurais bien voulu en avoir un petit paquet la dernière fois que j’étais là-bas.

Un peu avant midi, les deux amis empruntèrent le canot d’un citoyen qui se trouvait absent et poussèrent aussitôt au large. Arrivé à plusieurs milles au-dessous de l’ouverture de la grotte, Tom dit :

— Nous allons descendre. Tu vois que cette partie de la rive ressemble au reste de la colline depuis l’entrée de la cave — pas de maisons, pas de fermes, rien que des buissons. Mais regarde là-haut, la place blanche où il y a eu un éboulement. Eh bien, c’est une de mes marques. Maintenant, continua-t-il lorsqu’ils eurent mis pied à terre, tu pourrais toucher d’ici avec une canne à pêche le trou par lequel nous allons entrer sans avoir besoin de clef. Ouvre l’œil et cherche.

Huck ouvrit l’œil sans rien découvrir. Tom s’engagea dans un buisson, s’avança fièrement et s’arrêta en face de la crevasse par laquelle il s’était échappé.

— Admire-moi ça, Huck, dit-il alors. Voilà un vrai repaire, hein ? J’ai toujours voulu être chef de brigands ; mais je savais qu’un chef de brigands a besoin d’un repaire introuvable. Le difficile, c’était de découvrir une bonne cachette. À présent, nous avons notre repaire, et nous n’en dirons rien à personne, excepté à Joe Harper, à Ben Rogers et à deux ou trois autres, parce qu’il faut une bande. Un chef de voleurs sans bande ne compte pas. La bande de Tom Sawyer, ça sonne bien.

— Oui, Tom ; mais qui volerons-nous ?

— Les gens qui passent ; c’est comme cela que l’on fait dans les livres.

— Et nous les tuerons ?

— Non. Nous les enfermerons dans la caverne jusqu’à ce que leurs amis payent une rançon.

— Une rançon ? Qu’est-ce que c’est ?

— De l’argent. On les oblige à écrire à leurs amis pour demander une certaine somme. Ensuite on les garde pendant trois mois et alors, si l’argent n’est pas déposé au pied d’un arbre, on les tue. Seulement on ne tue jamais les femmes. On prend leurs montres et leurs affaires, mais on les salue et on leur parle poliment. Il n’y a personne d’aussi poli que les voleurs. C’est pour cela que les femmes aiment les brigands, et lorsqu’elles sont restées dans la cave pendant une semaine ou deux, elles ne pleurent plus, et après ça elles ne veulent plus s’en aller. Si on les mettait il la porte, elles reviendraient. On voit ces choses dans toutes les histoires.
Passe-moi les provisions.
Je crois que ça vaut mieux que d’être pirate, parce qu’on est près d’une ville et qu’on peut aller au cirque ou au théâtre… Maintenant, je vais entrer, tu me passeras les provisions et je t’aiderai à me suivre.

Une fois entrés, ils allumèrent leurs chandelles, gagnèrent l’extrémité du tunnel souterrain et fixèrent leur corde. Quelques pas de plus les amenèrent à la source, et Tom sentit un frisson parcourir ses membres. Il montra à Huck le fragment de mèche qui avait charbonné contre le mur et lui raconta comment Becky avait sangloté en voyant la flamme s’éteindre.

Nos explorateurs parlaient à voix basse, car la grotte leur semblait bien sombre. Enfin ils longèrent la galerie au bout de laquelle Tom avait entrevu Joe l’Indien.

— À présent, je vais te montrer quelque chose, dit Tom. Vois-tu une marque tracée avec la fumée d’une chandelle sur ce rocher ?

— Tom, c’est une croix !

— Eh bien, cela prouve que nous sommes au vrai numéro deux. Sous la croix, tu te rappelles, hein ? C’est à deux pieds de ce rocher que j’ai vu arriver Joe l’Indien.

Huck contempla un instant le signe mystique, puis il s’écria d’une voix tremblante :

— Tom, allons-nous-en !

— Nous en aller et abandonner le trésor ?

— Oui. Le fantôme de Joe l’Indien rôde par ici, pour sûr.

— Allons donc, Huck ! S’il rôde quelque part, c’est à l’endroit où il est mort — bien loin de la place où nous sommes.

— Pas du tout. Il doit errer autour de l’argent. Tu connais aussi bien que moi les habitudes des revenants.

Tom commença à craindre que son ami n’eût raison, et il ne se sentit pas rassuré ; mais bientôt ses appréhensions se calmèrent.

— Nous sommes bien bêtes de nous effrayer. Le fantôme de Joe l’Indien ne se montrera jamais près d’un endroit où il y a une croix.

— C’est juste, dit Huck, convaincu par ce raisonnement.

Le grand rocher se dressait à l’entrée d’une salle peu spacieuse et humide où quatre couloirs aboutissaient. Dans un de ces passages, le plus rapproché de la base du rocher, on découvrit un renfoncement naturel qui contenait plusieurs couvertures, une vieille bretelle et des os rongés ; mais nos chercheurs eurent beau fouiller, le trésor n’était pas là.

— Il a dit sous la croix’, s’écria Tom. Eh bien, il me semble que nous sommes aussi près que possible du but. Pour cacher quelque chose sous le rocher, il aurait fallu le soulever, ce qui n’eût pas été facile !

Ils continuèrent en vain leurs fouilles et s’assirent découragés. Huck paraissait de mauvaise humeur. Tom réfléchissait.

— Il me vient une idée, dit-il enfin. J’ai remarqué des traces de pas et des gouttes de suif par terre d’un côté du rocher ; elles n’y sont pas pour rien : creusons sous la pierre et sous la croix.

Le couteau de Tom fut bientôt à l’œuvre à l’endroit qu’il indiquait. La lame n’était pas arrivée à six pouces de la surface du sol qu’elle frappait sur du bois.

— La boîte ! s’écria Huck, qui se mit à aider son compagnon en enlevant la terre avec ses mains.

Hélas ! ce n’était pas la boîte ; on ne découvrit que des planches ; mais on reconnut qu’elles servaient à dissimuler l’entrée d’une petite galerie souterraine qui conduisait sous le rocher. Tom avança sa chandelle tant qu’il put et déclara qu’il ne voyait que du noir. Après s’être glissé par l’étroite ouverture, il n’eut plus besoin de ramper. Il se redressa et suivit les détours du couloir, d’abord à droite, ensuite à gauche, Huck marchant sur ses talons. Enfin une dernière courbe le mena au bout de la galerie, et il s’arrêta court.

— Bonté divine, Huck, voilà notre trésor !

La fameuse caisse reposait dans une petite caverne bien sèche, à côté d’un barillet vide qui avait contenu de la poudre, de deux fusils, d’une paire de mocassins, d’une ceinture de cuir et de divers autres objets sans valeur.

— Nous le tenons enfin ! s’écria Huck, faisant ruisseler les pièces d’or entre ses doigts.

— Huck, j’ai toujours compté que nous mettrions la main dessus, mais j’ose à peine y croire ! Ne perdons pas notre temps. Laisse-moi voir si je pourrais déménager la caisse.

Il réussit à la soulever, mais il n’aurait pas pu la porter loin.

— C’est la boîte qui pèse le plus, dit-il. Ils avaient l’air de la trouver lourde le jour où ils nous ont fait si peur. J’ai eu bon nez d’apporter des sacs.

Ils mirent l’or dans les sacs, qu’ils portèrent hors du souterrain.

— Maintenant, allons chercher les fusils, dit Huck.

— Non, répliqua Tom. Nous n’en avons pas encore besoin ; ils nous serviront pour effrayer le monde quand nous nous mettrons voleurs. Laissons-les dans cette petite caverne, qui me paraît très commode. C’est là que nous nous livrerons à nos orgies, comme on dit dans les histoires de voleurs.

— Qu’est-ce que c’est que des orgies ?

— Je ne sais pas au juste… une espèce de fête. Ben Rogers nous l’apprendra. Il a lu les aventures de Jack Sheppard. Les voleurs se livrent toujours à des orgies lorsqu’ils viennent de faire un bon coup. Allons, en route ! J’ai faim, mais nous mangerons dans le bachot.

Une heure plus tard, ils étaient installés dans le canot. Leur appétit satisfait, ils se mirent à fumer, car ils ne voulaient regagner la ville que lorsque le jour commencerait à baisser. Enfin Tom prit les rames et longea la côte, causant gaiement avec Huck. Il faisait déjà presque nuit lorsqu’ils débarquèrent. Dès qu’il eut mis pied à terre, Tom dit à son compagnon :

— Je suis descendu ici, parce que c’est le chemin le plus court pour arriver à Cardiff-House. Nous allons cacher le trésor dans le bûcher de la veuve. Nous reviendrons demain matin ; nous compterons et nous partagerons, puis nous chercherons un bon endroit pour l’enterrer dans la forêt. Attends-moi et surveille le canot, tandis que je cours emprunter la charrette de Ben Taylor. Il ne faut pas que l’on devine tout de suite que nous rapportons un trésor. Je serai de retour en un clin d’œil.

Il s’éloigna et reparut bientôt avec la charrette, à laquelle il s’attela après y avoir placé les deux sacs qu’il recouvrit de quelques vieux chiffons restés au fond de la voiture. Ils n’avaient pas beaucoup de chemin à faire pour gagner la demeure de Mme  Douglas ; mais Cardiff-House dominait une colline qu’il fallait gravir, de sorte que notre héros dut s’arrêter plus d’une fois afin de se reposer. Enfin on arriva au bûcher, espèce de hangar qui se trouvait près de l’habitation.

— Ouf ! dit Tom après avoir poussé la charrette derrière un tas de fagots, nous la laisserons là jusqu’à demain matin. Je suis trop fatigué pour la ramener ce soir. D’ailleurs, il y a des lumières à toutes les croisées de la maison. Mme  Douglas donne à souper, et le bruit des roues pourrait attirer l’attention des domestiques.

Au moment où les deux gamins sortaient du hangar, ils furent arrêtés par le Gallois, qui se dirigeait vers la maison.

— Qui va là ? demanda le fermier.

— Huck et Tom Sawyer.

— Voilà qui est heureux. Il y a deux heures que je vous cherche. Venez avec moi, garçons. On vous attend chez la veuve.

Tom, intrigué, voulut savoir pourquoi on les attendait.

— Vous le saurez quand nous serons chez la veuve Douglas, répondit le vieillard, qui saisit les deux enfants par le collet.

— Monsieur Jones, je n’ai rien fait, dit Huck non sans une certaine appréhension, car il était habitué à se voir injustement accusé d’une foule de méfaits.

Le Gallois se mit à rire.

— Je n’en répondrai pas, Huck, je n’en répondrai pas, dit-il. Est-ce que la veuve et toi n’êtes pas bons amis ?

— Elle a été joliment bonne pour moi, en tout cas. Elle m’a soigné quand j’avais la fièvre.

— Eh bien, pourquoi aurais-tu peur ?

Huck cherchait encore une réponse à cette question quand il se vit poussé, en compagnie de Tom, dans le salon de Mme  Douglas.

Le salon était brillamment éclairé, et tous les gens bien posés de la ville s’y trouvaient réunis : les Thatcher, les Harper, les Rogers, tante Polly, Sid, Marie, le pasteur, le rédacteur du journal de la localité, et bien d’autres. La veuve accueillit les nouveaux venus aussi cordialement que l’on peut accueillir des personnages d’une mise aussi peu soignée. Les deux visiteurs involontaires avaient les vêtements couverts de boue et de suif. Tante Polly rougit d’humiliation, fronça les sourcils et lança à Tom des regards courroucés.


Je vous amène ces messieurs.

— J’avais promis de vous amener ces messieurs, madame Douglas, dit le Gallois ; mais Tom n’était pas encore rentré, et Huck demeurait introuvable. Par bonheur, je les ai rencontrés juste devant votre porte et je les ai obligés à m’accompagner.

— Et vous avez bien fait, répliqua la veuve. Venez avec moi, mes enfants.

Elle les emmena dans une chambre à coucher et leur dit en riant :

— Je devinais bien que Huck ne serait guère présentable, Tom ; mais tu es dans le même cas. Heureusement, le cas paraît avoir été prévu. Débarbouillez-vous et habillez-vous. Il y a là deux habillements complets — chemises, bas, tout ce qu’il faut. Cela appartient à Huck — non, pas de remerciements. M. Jones en a acheté la moitié. Vous êtes à peu près de la même taille, et ces vêtements vous iront à l’un et à l’autre. Habillez-vous et descendez dès que vous serez prêts ; on ne soupera pas sans vous.