Les Aventuriers (Aimard)/XVIII

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F. ROY (p. 145-152).
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Fermant brusquement son livre, il se leva et fit quelques pas au-devant des nouveaux venus…

XVIII

NIÈVES

Nièves n’est séparé de Saint-Christophe que par un canal d’une demi-lieue de largeur au plus. Cette charmante petite île, dont la fertilité est remarquable, est, selon toutes probabilités, la conséquence d’une explosion volcanique, assertion prouvée à peu près par un cratère contenant une source d’eau chaude fortement imprégnée de soufre.

Vue de loin, elle offre l’aspect d’un vaste cône ; elle n’est en effet qu’une montagne fort élevée dont la base est arrosée par les flots ; ses flancs, d’abord d’une montée facile, deviennent, à une certaine hauteur, excessivement abrupts, toute végétation cesse et son sommet couvert de neige va se perdre dans les nuages.

Lors de la descente des Espagnols à Saint-Christophe, plusieurs aventuriers avaient cherché un refuge dans cette île ; quelques-uns, séduits par ses sites romantiques, s’y étaient définitivement fixés et y avaient commencé certaines plantations, en petit nombre, il est vrai, et trop éloignées les unes des autres pour que leurs habitants pussent s’aider entre eux en cas d’attaque d’un ennemi du dehors, mais qui cependant prospéraient et promettaient de prendre promptement une certaine importance.

Le flibustier, bien que sa légère embarcation fût poussée par une bonne brise, mit cependant assez de temps pour atteindre l’île, parce qu’il lui fallut embouquer dans le détroit et le traverser dans toute sa longueur avant que d’arriver à l’endroit où il voulait se rendre.

Le soleil commençait déjà à baisser, lorsque enfin la pirogue donna dans une petite anse de sable au fond de laquelle elle ne tarda pas à atterrir.

— Hale le canot au plein, cache les avirons dans les mangles, dit Montbars, et suis-moi.

L’Olonnais obéit avec cette ponctualité et cette intelligente vivacité qu’il mettait en toute chose, et se tournant vers son maître :

— Prendrai-je mon fusil ? dit-il.

— Prends, cela ne peut pas nuire, dit celui-ci ; un aventurier ne doit jamais marcher désarmé.

— C’est bon, je m’en souviendrai.

Ils s’enfoncèrent dans l’intérieur des terres en suivant un sentier à peine tracé, qui de la plage s’élevait en pente douce, tournait autour d’un morne assez élevé et venait aboutir, après avoir traversé un bois d’acajous assez touffu, à une étroite esplanade, au centre de laquelle une tente de coutil avait été tendue non loin d’un rocher.

Un homme, assis devant l’entrée de cette tente, lisait dans un bréviaire. Cet homme portait le costume rigide des franciscains. Il paraissait avoir passé le milieu de la vie. Il était pâle, maigre, avec des traits ascétiques et sévères, la physionomie intelligente, et une grande expression de douceur était répandue sur son visage ; au bruit du pas pesant des aventuriers, il releva vivement la tête, la tourna vers eux et un sourire triste se dessina sur ses lèvres.

Fermant brusquement son livre, il se leva et fit quelques pas au-devant des nouveaux venus.

— Dieu soit avec vous, mes frères, dit-il en espagnol, si vous venez avec des intentions pures, sinon qu’il vous inspire de meilleures pensées.

— Mon père, répondit le flibustier en lui rendant son salut, je suis celui que les aventuriers de Saint-Christophe nomment Montbars, mes intentions sont pures : car en venant ici je ne fais que me rendre au désir que vous avez témoigné de me voir, si vous êtes bien fray Arsenio Mendoza, celui qui m’a fait, il y a quelques heures, parvenir une lettre.

— Je suis en effet celui qui vous a écrit, mon frère ; mon nom est bien fray Arsenio Mendoza.

— Alors, puisqu’il en est ainsi, parlez ; me voici prêt à vous entendre.

— Mon frère, répondit le moine, les choses que j’ai à vous communiquer sont de la plus haute importance, elles ne regardent que vous ; peut-être mieux vaudrait-il que vous fussiez seul à les entendre.

— Je ne sais quelles choses si importantes vous pouvez avoir à m’apprendre, mon père ; dans tous les cas, sachez que cet homme est mon engagé et que, comme tel, son devoir est d’être sourd et muet lorsque je le lui ordonne.

— Soit, je parlerai devant lui, puisque vous l’exigez ; mais, je vous le répète, mieux vaudrait que nous fussions seuls.

— Qu’il soit donc fait selon votre désir ; retire-toi hors de portée de la voix, sans cependant que je cesse de te voir, dit-il à son engagé.

Celui-ci s’éloigna d’une centaine de pas dans le sentier et s’appuya sur son fusil.

— Est-ce que vous redoutez quelque trahison de la part d’un pauvre moine comme moi ? dit le franciscain avec un sourire triste ; ce serait me supposer bien gratuitement des intentions fort éloignées de ma pensée.

— Je ne suppose rien, mon père ; seulement j’ai pour habitude, répondit le flibustier d’une voix rude, de toujours me tenir sur mes gardes lorsque, prêtre ou laïque, je me trouve en face d’un homme de votre nation.

— Oui, oui, fit-il d’une voix triste, vous professez une haine implacable contre mon malheureux pays, aussi vous nomme-t-on l’Exterminateur.

— Quels que soient les sentiments que je professe pour vos compatriotes et le nom qu’il leur a plu de me donner, ce n’est pas, je suppose, pour traiter avec moi cette question que vous êtes, au risque de ce qui pouvait vous arriver, venu jusqu’ici et que vous m’avez fait prier de vous y joindre.

— En effet, ce n’est pas pour ce motif, vous avez raison, mon fils, quoique peut-être j’aurais bien des choses à dire à ce sujet.

— Je vous ferai observer, mon père, que l’heure s’avance ; je ne puis disposer que de fort peu de temps, et si vous ne vous hâtez pas de vous expliquer, je serai, à mon grand regret, contraint de me retirer.

— Vous le regretteriez toute votre vie, mon frère, dût-elle être aussi longue que celle d’un patriarche.

— C’est possible, bien que j’en doute fort. Je ne puis recevoir que de mauvaises nouvelles de l’Espagne.

— Peut-être ; dans tous les cas, voici celles dont je suis porteur.

— Je vous écoute.

— Je suis, ainsi que vous le montre mon habit, un moine de l’ordre de San Francisco de Assis.

— Du moins vous en avez la tournure, fit l’aventurier avec un sourire ironique.

— En doutez-vous ?

— Pourquoi non ? seriez-vous le premier Espagnol qui n’aurait pas craint de profaner un saint habit afin d’espionner plus facilement nos démarches !

— Malheureusement ce que vous dites est vrai, cela n’est arrivé que trop souvent ; quant à moi, je suis bien réellement un moine.

— Je vous crois, jusqu’à preuve du contraire ; continuez donc.

— Soit ; je suis directeur de plusieurs dames de qualité de l’île d’Hispaniola ; une entre autres, jeune et belle, arrivée depuis peu de temps aux Îles avec son mari, semble dévorée d’une douleur incurable.

— Ah ! que puis-je faire à cela, mon père, s’il vous plaît ?

— Je ne sais ; seulement voici ce qui s’est passé entre cette dame et moi : cette dame, qui, ainsi que je vous l’ai dit, est jeune et belle, et dont la charité et la bonté sont inépuisable, passe la plus grande partie de ses journées dans son oratoire, agenouillée devant un tableau représentant Notre-Dame de la Merci, la priant avec des larmes et des sanglots. Intéressé malgré moi par cette douleur si vraie et si profonde, j’ai, à plusieurs reprises, usant du droit que me donne mon saint ministère, essayé de pénétrer dans ce cœur ulcéré et d’amener de la part de ma pénitente une confidence qui me permettrait de lui donner quelques consolations.

— Et vous n’avez pas réussi sans doute, n’est-ce pas, mon père ?

— Hélas ! non, je n’ai pas réussi.

— Permettez-moi de vous répéter que, jusqu’à présent, je ne vois dans cette histoire fort triste, mais qui est un peu celle de la plupart des femmes, rien de bien intéressant pour moi.

— Attendez, mon frère, voilà que j’y arrive.

— Voyons alors.

— Un jour que cette dame me paraissait être plus triste encore que de coutume et que je redoublais d’efforts auprès d’elle pour la décider à m’ouvrir son cœur, vaincue sans doute par mes sollicitations, elle me dit ces paroles, que je vous répète textuellement : « Mon père, je suis une malheureuse créature, lâche et infâme, une malédiction terrible pèse sur moi ; un homme seul a le droit de connaître le secret que j’essaye en vain d’étouffer dans mon cœur, de cet homme dépend mon salut, il peut me condamner ou m’absoudre, mais quel que soit l’arrêt qu’il prononce, je me courberai sans murmures sous sa volonté, trop heureuse de racheter à ce prix le crime dont je me suis rendue coupable. »

Pendant que le moine prononçait ces paroles, le visage déjà si pâle de l’aventurier était devenu livide, un tremblement convulsif agitait ses membres, et malgré ses efforts pour paraître calme, il fut contraint de s’appuyer contre un des piquets de la tente pour ne pas tomber sur le sol.

— Continuez, fit-il d’une voix rauque ; et cette femme vous nomma-t-elle cet homme ?

— Elle le nomma, mon frère : « Hélas ! me dit-elle, malheureusement l’homme dont dépend ma destinée est l’ennemi le plus implacable de notre nation, c’est un des principaux chefs de ces féroces aventuriers qui ont juré à l’Espagne une guerre sans merci ; jamais je ne le rencontrerai, sinon dans l’horreur d’un combat ou le sac d’une ville incendiée par ses ordres ; en un mot, l’homme dont je vous parle n’est autre que le terrible Montbars l’Exterminateur. »

— Ah ! murmura l’aventurier d’une voix étranglée, en serrant avec force sa main sur sa poitrine, elle a dit cela, cette femme ?

— Oui, mon frère, telles sont les paroles qu’elle a prononcées.

— Et, alors ?

— Alors, mon frère, moi, pauvre moine, je lui ai promis de vous chercher et de vous joindre n’importe où vous seriez, et de vous répéter ses paroles : je n’avais à redouter que la mort en essayant de vous voir, depuis longtemps j’ai offert à Dieu le sacrifice de ma vie.

— Vous avez agi en homme de cœur, moine, et je vous remercie d’avoir eu confiance en moi ; n’avez-vous rien à ajouter ?

— Si, mon frère. Lorsque cette dame me vit bien résolu à braver tous les périls afin de vous venir trouver : « Allez donc, mon père, ajouta-t-elle, c’est Dieu, sans doute, qui a pitié de moi et vous inspire en ce moment ; si vous parvenez jusqu’à Montbars, dites-lui que j’ai à lui confier un secret duquel dépend le bonheur de sa vie, mais qu’il se hâte, s’il veut l’apprendre, car je sens que mes jours sont condamnés et que bientôt je mourrai. » Je lui promis d’accomplir fidèlement sa volonté et je suis venu.

Il y eut quelques instants de silence. Montbars marchait la tête baissée, les bras croisés sur la poitrine, avec agitation, de long en large, s’arrêtant parfois en frappant du pied avec colère, puis reprenant sa marche saccadée en murmurant à demi-voix des mots sans suite.

Soudain, il s’arrêta devant le moine et le regardant bien en face :

— Vous ne m’avez pas tout dit ? reprit-il.

— Pardonnez-moi, mon frère, tout, mot pour mot.

— Cependant il est un détail important que vous avez oublié sans doute, car vous l’avez passé sous silence.

— Je ne comprends pas à quoi vous faites allusion, mon frère, répondit gravement le moine.

— Vous avez oubliez de me révéler le nom et la position de cette femme, mon père.

— C’est vrai, mais ce n’est pas un oubli de ma part : en agissant ainsi je me suis conformé aux ordres que j’ai reçus. Cette dame m’a supplié de ne rien vous dire touchant son nom et sa position ; elle se réserve de vous révéler, à vous-même, l’un et l’autre, j’ai juré de lui garder le secret.

— Ah ! ah ! seigneur moine, s’écria l’aventurier, avec une colère d’autant plus terrible qu’elle était concentrée, vous avez fait ce serment ?

— Oui, mon frère, et je le tiendrai à mes risques et périls, répondit-il avec fermeté.

L’aventurier éclata d’un rire nerveux.

— Vous ignorez sans doute, dit-il d’une voix sifflante, que nous possédons, nous autres ladrones, ainsi que nous appellent vos compatriotes, de merveilleux secrets pour délier les langues les plus rebelles, et que vous êtes en mon pouvoir !

— Je suis entre les mains de Dieu, mon frère : essayez, je ne suis qu’un pauvre homme sans défense, incapable de vous résister ; torturez-moi donc, si tel est votre bon plaisir, mais sachez : que je mourrai sans trahir mon serment.

Montbars fixa un regard étincelant sur le moine, si calme devant lui, puis au bout d’un instant, se frappant le front avec colère :

— Je suis foui s’écria-t-il, que m’importe ce nom, ne le sais-je pas déjà ? Écoutez, mon père, pardonnez-moi ce que je vous ai dit, la colère m’aveuglait : libre vous êtes venu dans cette île, libre vous en sortirez ; à mon tour, je vous le jure, et pas plus que vous je n’ai coutume de fausser les serments que je fais, quels qu’ils soient.

— Je le sais, mon frère, je n’ai pas à vous pardonner, je vois que la douleur vous a égaré et je vous plains, car Dieu m’a choisi pour vous imposer, j’en ai le pressentiment, une grande infortune.

— Oui, vous dites vrai ; cette femme, je ne la cherchais pas, j’essayais de l’oublier, c’est elle qui, de son plein gré, se remet sur ma route ; c’est bien, Dieu jugera entre elle et moi ; elle exige que j’aille la trouver, eh bien ! soit, j’irai ! mais qu’elle n’accuse qu’elle seule des conséquences terribles de notre entrevue. Cependant je consens à lui laisser encore une voie de salut : lorsque vous serez retourné près d’elle, engagez-la à ne pas tenter davantage de me voir. Vous voyez que j’ai encore pour elle au fond du cœur un reste de pitié malgré tout ce qu’elle m’a fait souffrir ; mais si malgré vos prières elle persiste à se rencontrer avec moi, alors que sa volonté soit faite : je me rendrai au rendez-vous qu’elle m’assignera.

— Ce rendez-vous, mon frère, je suis, dès aujourd’hui, chargé de vous l’indiquer.

— Ah ! fit le flibustier avec méfiance, elle n’a rien oublié ; et ce rendez-vous, quel est-il ?

— Cette dame, vous le comprenez, ne peut, quand même elle en aurait le désir, sortir de l’île.

— En effet, c’est donc à Hispaniola même que nous nous rencontrerons ?

— Oui, mon frère.

— Et quel lieu a-t-elle choisi ?

— La grande savane qui sépare le Mirebalais de San-Juan-de-Goava.

— Ah ! le lieu est parfaitement choisi pour une embuscade, dit en ricanant le flibustier ; car si je connais bien cet endroit, il se trouve sur le territoire espagnol.

— Il en forme l’extrême limite, mon frère ; cependant je puis essayer de faire choisir un autre endroit à cette dame, si vous craignez pour votre sûreté dans celui-là.

Montbars haussa les épaules avec un rire de mépris.

— Craindre, moi ! fit-il, allons donc, moine, vous êtes fou ! que m’importent les Espagnols ! fussent-ils cinq cents embusqués pour me surprendre, je saurai m’en débarrasser ; il est donc convenu que si cette dame persiste dans son intention d’avoir avec moi une explication, je me rendrai dans la savane qui s’étend entre le Mirebalais et San-Juan-de-Goava, au confluent de la grande rivière de l’Artibonite.

— Je ferai ce que vous désirez, mon frère ; mais si cette dame exige, malgré mes remontrances et mes prières que le rendez-vous ait lieu, comment vous en avertirai-je ?

— Puisqu’il vous a été possible de vous rendre ici, à plus forte raison parviendrez-vous, sans attirer les soupçons, à pénétrer dans la partie française de Saint-Domingue.

— J’essayerai du moins, mon frère, s’il le faut absolument.

— Vous allumerez un grand feu sur la côte aux environs du port Margot, je saurai ce que cela signifiera.

— Je vous obéirai, mon frère ; mais quand devrai-je allumer ce feu ?

— Combien de temps vous proposez-vous de demeurer encore ici ?

— Je compte partir aussitôt après notre entrevue.

— Ce soir même, alors ?

— Oui, mon frère.

— Ah ! ah ! il y a donc un navire espagnol aux environs ?

— Probablement, mon frère, mais si vous le découvrez et que vous vous en empariez, comment parviendrai-je à gagner Hispaniola ?

— C’est juste, cette considération sauve les Gavachos ; mais, croyez-moi, en réfléchissant bien, je crois devoir vous donner un conseil.

— Quel qu’il soit, mon frère, venant de vous, je le recevrai avec plaisir.

— Eh bien ! suivez votre pensée, partez tout de suite ; demain il ne ferait pas bon pour vous dans ces parages ; je ne répondrais pas de votre sûreté ni de celle de votre navire, vous me comprenez ?

— Parfaitement, mon frère, et pour le signal ?

— Pour le signal, allumez-le à compter d’aujourd’hui en quinze jours, je m’arrangerai de façon à arriver vers cette époque à Saint-Domingue.

— C’est bien, mon frère.

— Et maintenant, moine, adieu ou plutôt au revoir, car il est probable que bientôt nous nous rencontrerons.

— C’est probable, en effet, mon frère ; au revoir donc et que le Seigneur miséricordieux soit avec vous !

— Ainsi soit-il, dit le flibustier avec un sourire ironique.

Il fit un dernier salut de la main au moine, jeta son fusil sur l’épaule et s’éloigna, mais au bout de quelques instants il s’arrêta et revint vivement sur ses pas.

Le franciscain était demeuré immobile à la même place.

— Un dernier mot, mon père, dit-il.

— Parlez, mon frère, je vous écoute, répondit-il doucement.

— Croyez-moi, usez de tout votre pouvoir sur cette dame pour la décider à renoncer à ce rendez-vous, dont les conséquences peuvent être terribles.

— Je tenterai l’impossible pour y réussir, mon frère, répondit le moine ; je prierai Dieu de me permettre de persuader ma pénitente.

— Oui, reprit Montbars d’une voix sombre, mieux vaudrait pour elle et pour moi, peut-être, que nous ne nous revissions jamais.

Et, tournant brusquement le dos au moine, il s’engagea à grands pas dans le sentier, où il ne tarda pas à disparaître.

Lorsque fray Arsenio se fut assuré que, cette fois, l’aventurier était bien parti, il souleva doucement le rideau de la tente et entra dans l’intérieur.

Une femme s’y trouvait agenouillée sur la terre nue, la tête cachée dans les mains et priant avec des sanglots étouffés.

— Ai-je ponctuellement accompli vos ordres, ma fille ? dit le moine.

Cette femme se redressa, et tournant vers lui son beau visage pâle et inondé de larmes :

— Oui, mon père, murmura-t-elle d’une voix basse et tremblante, soyez béni pour ne pas m’avoir abandonnée dans ma détresse.

— Cet homme est-il bien celui que vous désirez entretenir ?

— C’est lui, oui, mon père.

— Et vous persistez à vouloir vous rencontrer avec lui ?

Elle hésita un instant, un frémissement général agita tout son corps et d’une voix à peine articulée :

— Il le faut, mon père, murmura-t-elle.

— Vous réfléchirez d’ici là, je l’espère, reprit-il.

— Non, non, dit-elle en hochant tristement la tête ; cet homme dût-il me plonger son poignard dans le cœur, je dois avoir avec lui une explication suprême.

— Que votre volonté soit faite, dit-il.

En ce moment, un léger bruit se fit entendre au dehors.

Le moine sortit, mais il rentra presque aussitôt.

— Préparez-vous, madame, dit-il, voici les hommes de notre équipage qui nous viennent chercher ; souvenez-vous du dernier conseil que m’a donné ce ladron, partons le plus tôt possible.

Sans répondre, cette femme se leva, s’enveloppa avec soin dans sa mantille et sortit.

Une heure plus tard, elle quittait l’ile de Nièves, accompagnée par fray Arsenio Mendoza.

Depuis longtemps déjà, Montbars avait atteint Saint-Christophe.