Les Aventuriers (Aimard)/XIX

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F. ROY (p. 152-160).
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XIX

L’EXPÉDITION

Pendant toute la durée de la traversée de l’île de Nièves à Saint-Christophe, Montbars fut en proie à une surexcitation étrange.

L’entretien qu’il avait eu avec le moine avait réveillé dans son cœur une douleur profonde que le temps avait amortie, mais non cicatrisée, et qui, au premier mot échappé pendant cette conversation d’une heure à l’un ou à l’autre des deux interlocuteurs, s’était rouverte saignante et livide, comme au premier jour.

Comment cette femme, qu’il ne voulait pas nommer, dont il ignorait la présence en Amérique, qu’il avait cru fuir enfin, en se cachant au milieu des flibustiers, était-elle parvenue, en aussi peu de temps, non seulement à apprendre sa présence aux îles, mais encore à le retrouver ? Dans quel but s’obstinait-elle à le chercher ? Quel intérêt si grand avait-elle à le voir ?


Une femme s’y trouvait, agenouillée sur la terre nue, la tête cachée dans les mains.

Toutes ces questions, qu’il s’adressait coup sur coup, demeuraient forcément sans réponse, et, par cela même, augmentaient son anxiété.

Un instant, il eut la pensée de s’embusquer au débouquement de Nièves et de Saint-Eustache, les deux îles au centre desquelles se trouve placé Saint-Christophe, d’aborder le navire espagnol, de s’en emparer et d’obtenir, par la torture, les renseignements que le moine avait refusé de lui donner.

Mais il abandonna presque aussitôt ce projet ; il avait donné sa parole d’honneur, et pour rien au monde il n’y aurait failli.

Cependant, la nuit était tombée, la pirogue avançait toujours.

Montbars gouverna sur le lougre à l’ancre à peu de distance de terre.

Lorsque la légère embarcation se trouva sous le couronnement du navire, le flibustier fit signe à son engagé de se tenir sur les avirons, et élevant la voix :

— Ohé ! du lougre ! ohé ! cria-t-il d’une voix forte.

Aussitôt, un homme, dont la noire silhouette se dessina sur le bleu sombre de l’horizon, se pencha au dehors.

— Holà ! cria-t-il.

— Est-ce toi, Vent-en-Panne ? reprit Montbars.

— C’est moi, répondit celui-ci.

— Michel est-il à bord ?

— Oui, amiral.

— Ah ! tu m’as reconnu, mon gars.

— Pardieu ! fit le Breton.

— Vous veillez sur mon prisonnier, n’est-ce pas ?

— Soyez calme, je réponds de lui.

— Mais pas de vexations inutiles.

— C’est bon, amiral, on sera doux.

— O-mo-poua se trouve-t-il à bord en ce moment ?

— Me voici, maître, répondit aussitôt une seconde voix.

— Ah ! ah ! fit avec satisfaction le flibustier ; tant mieux. J’ai besoin de toi ; descends à terre !

— Est-ce pressé, maître ?

— Fort pressé.

— Alors, attendez un instant.

Et avant que le flibustier devinât l’intention du Caraïbe, on entendit le bruit d’un corps tombant dans l’eau, et deux ou trois minutes plus tard, l’Indien appuya les mains sur les plats bords de la pirogue.

— Me voici, dit-il.

Montbars ne put s’empêcher de sourire, en voyant avec quelle promptitude le sauvage obéissait à ses ordres. Il lui tendit la main et l’aida à monter dans l’embarcation.

— Pourquoi tant te presser ? lui dit-il d’un ton de reproche amical.

L’Indien se secoua comme un barbet mouillé.

— Bah ! dit-il, me voici tout rendu.

— Avez-vous vu l’Indien ? demanda Vent-en-Panne.

— Oui. Maintenant, bonsoir ; à demain.

— À demain.

— Nage, dit le flibustier à son engagé.

Celui-ci souqua sur les avirons et la pirogue reprit sa course.

Au bout de dix minutes, elle s’engagea dans l’endroit même où Montbars s’en était emparé pour se rendre à Nièves. Les trois hommes descendirent sur le rivage, poussèrent la pirogue au plein et s’éloignèrent du côté du hatto.

Ils traversèrent la ville, ou plutôt le bourg, au milieu de la foule des flibustiers, qui fêtaient par des chants, des cris et des libations leurs dernières heures de liberté.

La route se fit silencieusement. Lorsque les trois hommes atteignirent le hatto, Montbars alluma une chandelle de résine et visita la maison avec le plus grand soin, afin de s’assurer que nul étranger ne s’y trouvait ; puis il vint retrouver ses deux compagnons qui l’attendaient sur l’esplanade.

— Entrez, leur dit-il simplement.

Ils le suivirent.

Montbars s’assit alors sur une chaise, et se tournant vers le Caraïbe :

— J’ai à causer avec toi, O-mo-poua, lui dit-il.

— Bon ! fit joyeusement l’Indien ; c’est que vous avez besoin de moi alors.

— Au cas où cela serait vrai, tu en serais donc content ?

— Oui, j’en serais content.

— Pour quelle raison ?

— Parce que, de même que j’ai trouvé un blanc qui est bon et généreux, je tiens à vous prouver que tous les Caraïbes ne sont pas farouches et indomptables, et qu’ils savent être reconnaissants.

— Je t’avais promis, n’est-ce pas, de te faire retourner dans ton pays ?

— Oui, vous m’aviez fait cette promesse.

— Malheureusement, nommé chef d’une importante expédition, qui probablement sera longue, il m’est impossible, en ce moment, de te conduire à Haïti.

Le front de l’Indien se rembrunit à ces paroles.

— Ne te chagrine pas encore et écoute-moi avec attention, continua le flibustier, qui s’était aperçu du changement survenu dans la physionomie de l’Indien.

— Je vous écoute.

— Ce que moi je ne puis faire, tu peux l’accomplir, toi, si je t’en fournis les moyens.

— Je ne comprends pas bien ce que veut dire le chef pâle ; je ne suis qu’un pauvre Indien aux idées étroites. J’ai besoin qu’on m’explique bien clairement les choses pour les comprendre ; il est vrai que, lorsque j’ai compris, je n’oublie plus.

— Tu es Caraïbe, donc tu sais gouverner une pirogue ?

— Oui, répondit l’Indien avec un sourire d’orgueil.

— Si je te donnais une pirogue, crois-tu que tu atteindrais Haïti ?

— La grande terre est bien loin, dit-il d’une voix triste, le voyage bien long pour un homme seul, si brave qu’il soit !

— D’accord, mais si dans la pirogue je mettais, non seulement des vivres, mais encore des sabres, des haches, des poignards et quatre fusils avec de la poudre et des balles ?

— Le chef pâle ferait cela ! s’écria-t-il un air incrédule. Ainsi armé, qui résisterait à O-mo-poua ?

— Si je faisais plus encore ? reprit l’aventurier avec un sourire.

— Le chef plaisante ; il est très gai. Il se dit : les Indiens sont crédules ; je veux rire aux dépens d’O-mo-poua.

— Je ne plaisante pas, chef ; je suis au contraire très sérieux : les choses que j’ai énumérées, je te les donnerai ; et, afin que tu atteignes en sûreté ton pays, je t’adjoindrai un compagnon, un homme brave, qui sera ton frère, et te défendra comme tu le défendras toi-même.

— Et ce compagnon ?

— Le voilà, fit Montbars, en désignant son engagé calme et immobile auprès de lui.

— Je ne ferai donc pas l’expédition avec toi, Montbars ? dit celui-ci d’une voix triste avec un accent de reproche.

— Rassure-toi, fit Montbars, en lui frappant doucement sur l’épaule, la mission que je te donne est toute de confiance et plus périlleuse encore que l’expédition que j’entreprends. J’avais besoin d’un homme dévoué, d’un autre moi-même, je t’ai choisi.

— Tu as bien fait en ce cas ; je te prouverai que tu ne t’es pas trompé sur mon compte.

— J’en suis convaincu déjà, mon gars. Acceptes-tu ce compagnon, O-mo-poua ? Il t’aidera à passer sans être insulté ou attaqué au milieu des flibustiers que tu rencontreras sur ta route.

— Bon ! le chef pâle aime réellement O-mo-poua. Que fera l’Indien en arrivant dans son pays ?

— Les frères d’O-mo-poua sont réfugiés, je crois, aux environs de l’Artibonite ?

— Oui, dans les grandes savanes des arbousiers, auxquelles les Français ont donné le nom de Mirebalais.

— Bien ! O-mo-poua ira trouver les siens, il leur dira de quelle façon les flibustiers traitent les Caraïbes ; il leur présentera son compagnon et il attendra.

— J’attendrai ! Le chef pâle viendra donc à Haïti ?

— Probablement, dit Montbars, avec un sourire d’une expression indéfinissable ; et la preuve, c’est que mon engagé demeurera dans ta tribu jusqu’à mon arrivée.

— Bien ! J’attendrai la venue du chef blanc. Mais quand partirai-je ?

— Cette nuit même. Descends au rivage ; va de ma part trouver le propriétaire de la pirogue qui nous a amenés : voici de l’argent (et il lui donna quelques piastres) ; tu lui diras que j’achète cette embarcation toute gréée dans l’état où elle se trouve. Tu te procureras en même temps des vivres, et tu attendras ton compagnon auquel j’ai quelques mots à dire encore, mais qui te rejoindra bientôt.

— Je pars alors : le remerciement est dans mon cœur et non sur mes lèvres. Le jour où tu me demanderas ma vie, je te la donnerai, parce qu’elle est à toi, ainsi que celle de tous ceux qui m’aiment. Adieu.

Et il fit un mouvement pour sortir.

— Où vas-tu ? lui demanda Montbars.

— Je pars ; ne m’y as-tu pas autorisé ?

— Oui ; mais tu oublies quelque chose.

— Quoi donc ?

— Les armes promises. Prends au râtelier un fusil pour toi et quatre autres dont tu disposeras à ton gré, six sabres, six poignards et six haches ; lorsque tu quitteras le port, en passant près du lougre, tu demanderas de ma part deux barils de poudre et deux barils de balles à Michel le Basque ; il te les donnera. Maintenant, va, et bonne chance !

Le Caraïbe, dompté par cette générosité si simple et si pleine de grandeur, s’agenouilla devant l’aventurier et lui saisissant les pieds qu’il posa sur sa tête, il s’écria d’une voix profondément émue :

— Je te rends hommage comme au meilleur des hommes. Moi et les miens, nous serons désormais et toujours tes esclaves dévoués.

Il se releva, chargea sur ses épaules les armes que l’engagé lui remit et quitta le hatto.

Pendant quelques instants, on entendit son pas résonner dans le sentier ; mais ce bruit alla de plus en plus en s’affaiblissant, cessa bientôt et tout retomba dans le silence.

— À nous deux, l’Olonnais ! dit alors Montbars en s’adressant à son engagé.

Celui-ci se rapprocha.

— J’écoute, maître, dit-il.

— Je t’ai vu aujourd’hui pour la première fois, cependant tu m’as plu au premier coup d’œil, continua l’aventurier. J’ai la prétention d’être assez bon physionomiste : ta figure franche et ouverte, tes yeux qui regardent bien en face et l’expression d’audace et d’intelligence répandue sur tes traits m’ont disposé en ta faveur, voilà pourquoi je t’ai acheté ; j’espère ne pas m’être trompé sur ton compte, mais je veux faire sur toi une épreuve : tu sais que j’ai le droit de réduire ton engagement, de te donner même, si je veux, demain la liberté ; songe à cela et agis en conséquence.

— Engagé ou libre, je te serai toujours dévoué, Montbars, répondit l’Olonnais ; ne me parle donc pas de récompense, c’est inutile avec moi ; fais ton épreuve, j’en sortirai, je l’espère, à mon honneur.

— Voilà parler en homme et en franc aventurier ; écoute-moi donc et que pas un mot de ce que tu vas entendre ne sorte de tes lèvres.

— Je serai muet.

— Dans dix jours au plus je mouillerai au port Margot, à Saint-Domingue ; l’expédition que je commande a pour mission de surprendre l’île de la Tortue et de s’en emparer ; mais il ne faut pas que pendant que nous serons occupés d’un côté à surprendre les Espagnols, ceux-ci puissent nous attaquer par derrière et ruiner nos établissements de la Grande-Terre.

— Je comprends, les Caraïbes d’O-mo-poua sont épars sur la frontière espagnole, il faut en faire des auxiliaires de l’expédition.

— C’est cela même, tu m’as parfaitement compris, voilà quelle est ta mission, seulement il faut agir avec une extrême finesse et beaucoup de prudence, afin de ne pas donner l’éveil aux Gavachos d’un côté et de ne pas exciter les soupçons des Caraïbes de l’autre ; les Indiens sont susceptibles et méfiants, surtout avec les blancs dont ils ont eu tant à se plaindre. Le rôle que tu vas jouer est assez difficile, mais je crois que, grâce à l’influence d’O-mo-poua, tu réussiras ; d’ailleurs, deux jours après mon arrivée au port Margot, je me rendrai dans les savanes de l’Artibonite afin de m’entendre avec toi et de prendre les dispositions que je jugerai nécessaires ; tu vois que j’agis avec toi en toute franchise et plutôt comme avec un frère que comme avec un engagé.

— Je t’en remercie, tu n’auras pas à t’en repentir.

— Je me plais à le croire… Ah ! une dernière recommandation, d’une importance secondaire, il est vrai, mais sérieuse cependant.

— Laquelle ?

— Souvent des Espagnols vont chasser ou se promener dans les savanes de l’Artibonite ; surveille-les, mais sans qu’ils puissent s’en apercevoir ; qu’ils ne soupçonnent rien de ce que nous tramons contre eux, la plus légère imprudence aurait des conséquences excessivement graves pour la réussite de nos projets.

— J’agirai avec prudence, sois tranquille.

— Maintenant, mon gars, je n’ai plus qu’à te souhaiter bon voyage et bonne réussite.

— Me permets-tu de t’adresser à mon tour une question avant que de partir ?

— Parle, je te le permets.

— Pour quelle raison, toi qui as tant d’amis braves et dévoués, au lieu de t’adresser à l’un d’eux, as-tu choisi un engagé obscur et que tu connais à peine, pour lui confier une mission aussi difficile et aussi confidentielle ?

— Tu tiens à le savoir ? répondit en riant l’aventurier.

— Oui, si tu ne trouves pas ce désir indiscret.

— Pas le moins du monde, en deux mots tu vas être satisfait. Je t’ai choisi justement, à part la bonne opinion que j’ai de toi, opinion qui m’est toute personnelle, parce que tu n’es qu’un pauvre engagé, arrivé de France depuis deux jours, que personne ne connaît, que tout le monde ignore que je t’ai acheté ; que, pour cette raison, nul ne songera à se méfier de toi et que par conséquent, tu seras pour moi un agent d’autant plus précieux, puisqu’on ne se doutera pas que tu es mon fondé de pouvoirs et que tu n’agis que d’après mes ordres ; me comprends-tu maintenant, mon gars ?

— Parfaitement, et je te remercie de l’explication que tu m’as donnée. Adieu, avant une heure le Caraïbe et moi nous aurons quitté Saint-Christophe.

— Laisse-toi guider par lui pendant ton voyage ; cet homme est très entendu, bien qu’indien, et il te conduira de façon à vous faire arriver tous deux à bon port.

— Je n’aurai garde d’y manquer ; d’ailleurs la déférence que je lui montrerai le disposera en ma faveur et avancera d’autant la réussite de nos projets.

— Allons, allons, dit en riant l’aventurier, je vois que tu es un garçon d’esprit et j’ai maintenant bon espoir sur l’issue de ta mission.

L’Olonnais s’arma ainsi que le Caraïbe avait fait avant lui, puis il prit congé de son maître et partit.

— Eh ! murmura Montbars dès qu’il fut seul, je crois que mes projets commencent à prendre un corps et que bientôt je pourrai frapper un grand coup.

Le lendemain, au lever du soleil, une agitation inusitée régnait dans le bourg, cependant jamais bien tranquille, de la Basse-Terre.

Les flibustiers, armés jusqu’aux dents, prenaient congé de leurs amis et se préparaient à se rendre à bord des navires sur lesquels ils s’étaient enrôlés la veille.

La rade était sillonnée dans tous les sens par une quantité prodigieuse de pirogues qui allaient et venaient, transportant des hommes et des vivres pour les navires en partance.

M. le chevalier de Fontenay, entouré d’un nombreux état-major de flibustiers renommés, et ayant auprès de lui Montbars, David, Drack et Michel le Basque, se tenait à l’extrémité du môle en bois servant de débarcadère et de là assistait au départ des aventuriers.

Ces hommes au teint hâlé, aux traits énergiques et féroces, aux membres vigoureux, à peine vêtus d’un simple caleçon de toile et la tête couverte d’un vieux fond de chapeau ou de casquette, mais armés de longs fusils fabriqués à Dieppe expressément pour eux, ayant un lourd coutelas affilé pendu à la ceinture et portant leur provision de poudre et de balles, avaient un aspect étrange et singulièrement redoutable, rendu plus saisissant encore par l’expression d’insouciance et d’indomptable audace répandue sur leurs visages.

On comprenait, en les voyant, la terreur qu’ils devaient inspirer aux Espagnols et les incroyables faits d’armes qu’ils accomplissaient presque en se jouant, ne comptant leur vie pour rien et ne voyant jamais que le but, c’est-à-dire le pillage.

Au fur et à mesure qu’ils défilaient devant le gouverneur et les officiers élus pour les commander, ils les saluaient respectueusement parce qu’ainsi l’exigeait la discipline, mais ce salut n’avait rien de bas ni de servile, c’était celui d’hommes ayant entière conscience de leur valeur et sachant que, matelots aujourd’hui, ils seraient, s’ils le voulaient, capitaines demain.

Vers midi, tous les équipages étaient au complet, il ne restait à terre que l’amiral et les trois capitaines.

— Messieurs, dit Montbars à ses officiers, aussitôt que nous serons hors des passes, liberté de manœuvre, chacun marchera à sa guise ; nous avons fort peu de vivres à bord, les îles espagnoles que nous rencontrerons sur notre route nous en fourniront, ne craignez pas de piller les corales des Gavachos, ce sera toujours autant de pris sur l’ennemi. Ainsi il est bien convenu que nous nous rendrons chacun de notre côté au rendez-vous général ; la prudence nous oblige à ne pas laisser soupçonner nos forces à l’ennemi ; notre point de repère est l’île de la Grande-Caye du nord ; le premier arrivé attendra les deux autres ; là je vous donnerai mes dernières instructions sur le but de l’expédition dont vous connaissez déjà une partie.

— Ainsi, dit M. de Fontenay, vous vous obstinez à garder votre secret ?

— Si vous l’exigez absolument, monsieur le gouverneur, répondit Montbars, je vous…

— Non, non, interrompit-il en riant, gardez-le, je n’en ai que faire ; d’ailleurs, je l’ai déjà à peu près deviné.

— Ah ! fit Montbars d’un air incrédule.

— Pardieu ! je me trompe fort ou vous voulez tenter quelque chose sur Saint-Domingue.

L’aventurier ne répondit que par un fin sourire et prit congé du gouverneur qui se frottait joyeusement les mains, persuadé qu’il avait en effet deviné ce secret qu’on affectait de lui cacher.

Une heure plus tard les trois légers bâtiments levèrent leurs ancres, déployèrent leurs voiles et s’éloignèrent après avoir fait un salut d’adieu à la terre, salut qui leur fut immédiatement rendu coup pour coup par la batterie de la pointe.

Ils ne tardèrent pas à se confondre au loin dans les brumes blanchâtres de l’horizon et à disparaître tout à fait.

— Eh ! fit M. de Fontenay à ses officiers en reprenant le chemin de la maison du gouvernement, vous verrez que je ne me suis pas trompé et que c’est bien à Saint-Domingue qu’en veut ce démon de Montbars ! Hum ! je plains les Espagnols.