Les Bigarrures/Avant-Propos
E fus fort estonné quand je vy
la première impression de ce livre, duquel je pensois que la mémoire
fut esteinte, Mais le relisant,
quasi comme chose nouvelle,
que je n’avoy veu y avoit quatorze ans,
je cogneu incontinent & mon genie, & mon
style du temps que je l’avois basty pour me
chatoüiller moy-mesme, à fin de me faire rire
le premier, & puis apres les autres, tellement
que je n’avois observé autre ordre, sinon d’entasser
pelle-mesle les exemples, selon qu’ils
me venoient en fantasie. N’estoit ce livre que
pieces rapportees, sans aucune curiosité, & fait
seulement par petits papiers, à diverses fois
adjoustez, desquels je recogneu toutesfois
qu’une grand partie avoit esté perduë. Tellement
que comme chacun est amateur de son
ouvrage, je me delibereray lors d’envoyer le
surplus des adjonctions, qui estoient cruës
depuis ce temps-là avec celles que l’on avoit obmises. Mais le mal-heur a voulu que l’Imprimeur,
auquel je l’avois envoyé par ces
petits paperats, ne les a pas tous receu : ou,
comme je croy, les mit entre les mains de quelqu’un, que j’eusse bien voulu ne m’estre pas si familier
en cest endroit, lequel les a retranché,
& au lieu d’icelles, y a subrogé des Adjonctions
de son style, si peu correspondantes au mieux,
& esloignees de ma conception, qu’il est aisé à
voir, à quiconque aura tant soit peu de jugement,
que cela n’est du mesme autheur. Je me veux
pour preuve que ces deux exemples. Au chap.
des Entends-trois fol. 71. a de l’impression
de l’an 1582. j’avoy faict un conte d’une Damoiselle
de Lyon bossuë, qui est tombée malade
d’une grande fiévre, laquelle estonna tous
les voisins, sous ombre qu’un bon compagnon
alla dire qu’elle avoit la fiévre avec une bosse
tres-apparente. Et puis, comme je mets sur la
fin, qu’enfin on trouva que ceste bosse n’estoit
point contagieuse (voulant entendre de la
bosse qu’elle porte sur l’espaule) l’Adjoustent
a mis (ains advenuë par accident & fortune
de coulis spermatique.) en quoy l’on peut voir
qu’il a voulu estre ingénieux mal à propos. Item
fueiller 58.
a.
l’Adjoustent fait un conte d’un
Conseiller & d’un mulet : lequel est au fueillet
59. a selon le stile de l’autheur. C’est huissier de Sale du Roy, qui eft au fueillet 28. l’Adjonction faicte au fueillet 34.
a.
qui commence,
Quoy qu’aucuns tiennent. Ce Prevost des Mareschaux
rapporté.
fol.
36.
b.
& ce Gaillard,
fol. 37. le Cordelier Chartrain, au fueillet 75.
b. Et autres infinis montrent assez la diversité
de mon stile au sien, & toutesfois je ne nieray
pas qu’ils ne soient, peut-estre, au goust de
quelques uns, aussi bons que les miens. Tellement,
que pour ceste raison & comme aussi
j’ay sçeu que c’est quelque docte personnage,
qui n’a point fait de malice en ces Adjonctions,
je ne les ay pas voulu oster ny m’estomaquer à
l’encontre de luy : je me contente de le prier
& tous autres, à l’advenir d’estre plus religieux
à traiter les escrits d’autruy. Car encor que ce
mot de Bigarrures, soit une excuse suffisante,
pour y faire entrejecter quelque chose,
il a mal pris ma conception : Car je voulois
que les adjonctions fussent à la fin de
chasque chapitre, avec ce mot Adjonctions,
d’autant que les Bigarrures ressemblent aux
tapis Turquois, qui le font à points contez, &
avec un ordre, sans ordre : mais non pas si rapetassé, que ce soit une robbe de cinq cens pièces.
Il est bon que l’autheur soit tousjours semblable
à soy, & ne me plais point qu’on me
donne les choses d’autruy pour les miennes, comme aussi je ne veux pas qu’aucun s’empare
de ce qui est à moy. Occasion de quoy j’ay releu
ce folastre livre de bout, à autre, ce que jamais
auparavant je n’avois faict, à fin de le remettre
en lumiere, selon ma vraye conception. Et pour
ce que depuis ce temps là quelques petites curiositez me sont venuës en mémoire & autres
m’ont esté amiablement envoyées par un des
plus doctes de nostre France, sur le mesme subiet, je les ay adjoustées
par forme d’Adjoction
de l’Autheur, à fin que l’on voye mesme à prefent,
si je suis dissemblable à celuy que j’estois
alors, & qu’à mon exemple, ceux qui voudront
faire des Adjonctions, les mettent, en ceste
façon. J’eusse volontiers retranché mes Fescennines
libertez de ceste aage-là, mais puis
que la pierre est jettée, il n’y a plus de remède :
je m’excuseray par ce Distique, que j’ay donné
à un docte & severe Senateur, de nostre Parlement
de Dijon avec le livre.
Et à la vérité, c’est chose vraye, que je ne me suis jamais pleu d’estre veu ingenieux, pour estre lascif, mais j’ay esté lascif seulement, pour estre ingénieux, Quant est des autres traits que l’on m’a voulu donner sur ce subject, je n’ay pas entrepris, ny ne veux respondre, de peur que quelque sot se glorifie que je me sois amusé de l’attaquer. Au surplus, j’ay voulu estre plus courtois envers mon faiseur d’Ajonctions, qu’il n’a esté envers moy : car j’ay separé se Adjonctions que j’ay trouvees passables, & les ay mises à la fin des miennes : Comme pourra faire l’Imprimeur avec toute liberté, celles qu’il recoura. Toutesfois s’il a moyen de me les envoyer je prendray bien la peine en m’esbatant de les revoir, pour les renvoyer proprement chacun à leur rendez-vous, & à fin que rien ne soie entremeslé parmy mon texte, Reçoy cependant de bonne part, ce premier livre, selon qu’à prefent il vient naïfuement de l’autheur, & me sçaches gré si par mon moyen tu te descharges quelquesfois des fascheries. À Dieu. De Veronney ce quinziéme de Septembre 1584.
L y a environ huict ans que ce livre intitulé
Bigarrures, que l’on envoyoit à Paris
pour imprimer, tomba entre mes mains : duquel
je fis faire à la haste une coppie assez mal escrite, encore plus mal orthographiee, presageant
a peu pres ce qui est advenu depuis d’iceluy. Car il fut
aussi tost retiré par l’autheur, sous une bonne excuse, qu’il
y vouloit changer, adjouster & diminuer, encor que ce fust,
comme j’ay certainement cogneu pour en frustrer le public, &
en jouyr seul en sa maison. Car depuis il n’en a jamais escrit,
sinon par deffaictes & longueurs affectees, jusques dernierement,
qu’il declara au Libraire tout ouvertement, que l’aage,
le temps, & sa profession luy avoient faic changer d’humeur
& la volonté, & qu’il luy seroit mal-seant d’advoüer ce
qu’il avoit fait en ses premiers ans, & verdeurs de folastre
jeunesse, ayant à grand peine accomply dix-huict ans, &
qu’apres qu’il avoit donné preuve de sa suffisance en quelque
brave & docte subjet, il adviseroit de ne point estouffer ses
petits enfans naturels & illégitimes conceus hors mariage : car
ainsi nommoit-il ses trois premiers livres. De sorte que j’ay
cogneu apertement, que c’estoit une excuse recherchee, pour
nous entretenir, ce qui ma occasionné de mettre en lumiere, ce que j’en avois de copie, avec les libres Adjonctions de mots,
tant sales & lubriques que vous pourriez dire, pourveu qu’ils
soyent ingénieux : car encor que l’autheur ayt voulu avoir esgard
aux chastes aureilles, & sciemment obmestre plusieurs
propos, si est-ce que luy ayant ouy dire à luy mesme, que c’estoit
ipsum evitare Priapum & qu’il avoit, infinis beaux
trait, qui perdoient leur grâce sans ceste liberté : j’ay en fin
mieux aymé suivre sa conception, que son conseil. Il me pardonnera
si je sonde si avant ce qu’il a dans le cœur, & prendray
pour ma defence envers luy, ces vers de Catulle :
Caftum esse decet pium Poëtam
Ipsum, versiculos nihil necesse est,
Qui tum denique habent salem & leporem,
Si sunt molliculi & parum pudici.
Et oseray bien dire, que tant s’en faut que cela offence personne (hors-mis quelques hypocrites) qui au contraire cela serviroit a la jeunesse l’advertissement de ne se pas tant amuser
à ces recherches curieuses, puis qu’elle les verra icy toutes
aprestées & en telle quantité, que l’abondance leur engendrera
un desgoust, qui les occasionnera de mettre le nez au bons
livres, & lire chose dont ils pourront retirer du fruict : Car
je suis ferme en ceste opinion, que la multitude & facilicté
grande des livres que nous avons aujourd’huy, abastardissent
les esprits de rechercher & lire curieusement les bons livres
mesmes quand ils s’estiment asseurez d’avoir des Recueils, qui
leur enseignent où gist le lievre, & où sont les viandes toutes
mascheés prestes à avaler, quand ils en ont affaire. Quant à la
lasciveté, je ne puis penser quelle les puisse tant offenser, que
les Priapees de Virgile, Epigrammes de Catulle, de Martial,
Amours d’Ovide, Comedies de Terence, Petronius Arbiter :
& bref tout ce qui est de plus beau & rare en l’Antiquité,
qu’on leur propose, comme choses serieuses & à inviter, devant
les yeux ; au lieu que les lascivetez ici rapportées, representent folastrement ce qui y est comme une chose legere & de peu
d’effect. Du surplus il n’y a rien plus curieux, gentil, & ingenieux en ce livre. Et ne se devroit pas, à mon advis, l’autheur
cacher, sous ombre qu'il estime le subject, si leger, car
les plus grands personnages se sont bien amusez à traicter des
frivoles & legeres matieres : Comme Homere la guerre des
Rais & des Grenoüilles.
Hesiode la Malue & l’Aphodile.
Virgile les Mouches, le Moucheron, & les Priapes, encor qu’aucuns en facent un autre autheur.
Ovide la Puce & le Noyer.
Lucian la Mousche.
Phavorin les Fieures quartes.
Synesius la Chevauté.
Erasme la folie.
Pikmerus l’injustice.
Gardan les loüanges de Neron.
L’autheur des Macaroniques son œuvre Italien.
Lacin, sous le nom de Merline Coccayo.
L’inimitable Rabelais son Gargantua & Pantagruel.
Je pourray mettre en general toutes les Amours de nos Poëtes François, mais je me reffraindray de dire que ce grand Ronsard s’est bien amusé aux louanges de la Fourmy, de la Grenoüille, & du Frelon :
En Belleau sur la cerise, la Tortuë, & autres, voire un peu avant son decez, il fit ce gentil Macaronique De Pigliamine Reistrorum. D’avantage il ny a que deux jours que plusieurs sçauants Advocats ont recherché, les Puces de mes Damoiselles de Roches, sur lesquelles pour m’estre si bien rencontré je me reposeray, & donneray audience au Seigneur des Accords.