Les Bigarrures/Préface
Ncor que ce soit une façon ordinaire
presque à tous ceux qui exposent quelque
œuvre en lumière, de choisir un certain
personnage, à fin de luy dedier, & soubs
sa faveur, comme ils dient, marcher plus
hardiment en public : Ou d’addresser quelque advertissement
au Lecteur, qu’ils amadoüent d’infinis Épithetes
flatereaux, le priant qu’il reçoive gracieusement
& d’un bon œil, les matières selon qu’elles sont par eux
traictées, avec excuse que s’il y a quelques fautes, elles
sont surue à cause de la grandeur & difficulté de subject
par eux traicté, ou bien par inadvertance : Et qu’il y
en ait d’autres plus tendres de cerveau, qui previennent
avec injures & menaces, ceux qui voudroient reprendre
leurs escrits : Ou tien se bastissent par imagination, de vaines raisons qu’on leur peut, ce leur semble,
objecter ? & puis les ayans rabatues, selon leurs
fantasies, chantent eux mesmes le triomphe de leur victoire, Estimans comme ils se persuadent, que l’authorité des premiers empeschera que on les ose attaquer,
que les lecteurs, ainsi emmillez de leurs flateries, excuseront
leurs fautes, & que, intimidez de leurs grosses
menaces, ils craindront de les offenser. Je n’ay voulu
toutesfois estre imitateur de telles façons de faire, que j’ay de tout temps estimé vaines & ridicules, & croy
que plusieurs, s’ils veulent prendre la peine de les considerer, seront de mon advis Car (pour parler librement) quelle asseurance peut estre de bon recueil, & de
faveur envers la plus part de ceux ausquels tels livres
sont dediez ; veu que, s’ils sont grands Seigneurs, ils
n’auront seulement le loisir d’en voir le tiltre, & ne
daigneront les regarder que par la couverture si elle
est belle & bien dorée ; car la plus part d’iceux prend bien
plus grand plaisir d’oüyr discourir de leurs affaires &
entendre quelque moyen pour rechauffer leur revenu
que de voir tels Discours qu’ils estiment entre-eux
des brigue-faveurs ou attrape-deniers : encore que la faveur ne soit que d’un branslement de testes, & de l’austres poinct, rien du tout. Quand à la protection dont ils se
veulent prevaloir ; je ne sçay sur quoy ils la fondent : que
la plus-part notoirement sont ignares, n’ayans autre
doctrine que leurs richesses. Mais quand bien ils seroient
sçavans, comme il advient quelquefois, que se soucient
ils de se rompre la teste, pour deffendre iceluy qui sans
consideration les en prie. J’ay beaucoup veu de reprehensions sur des livres, mais je n’ay point de souvenance d’avoir veu aucuns, auquels ils fussent dediez qui
s’en soient remués ne souciés. Quand aux flateurs, estiment ils les personnes si gruës, que de se laisser corrompre par leur langage macquereau & sottes excuses ? Rien
moins les bons esprits veulent estre payez en monnoye
de bon aloy, & ne laissent pour tout cel, si l’autheur le
merite, de luy donner un atteinte. Car quelle excuse
merite celuy, qui de certaine science & propos deliberé, commet un acte duquel il peut recevoir honte : Qui
est-ce qui le contraint de jetter en public son erreur,
puis qu’il estoit en la puissance : celant l’imperfection de son labeur, d’oster toute occasion de mocquerie :
Moins sert ceste façon d’user d’injures à l’encontre de
ceux qu’ils presument devoir estre reprehenseurs de
leurs escrits : Car outre ce que cela sent sa cervelle esventee, & trop grande persomption de soy-mesme, pour
se vouloir rendre exempt de reprehension, l’on se mocque de tels injurieurs qu’on laisse trier avec l’Anguille de Melun, avant qu’on les escorche : Et Dieu sçait de
qu’elle sorte on leur lave les teftes, quand on voit leurs
belles raisons si bien rabatuës qu’ils est aisé à voir que
se sont fantosmes, si drolatiques, qu’autres qu’eux mesmes ne voudroient prendre la peine de les objecter &
refondres. D’autres y a encores qui se plaisent par un
long discours, de faire ostentation de leur bien dire, &
monstrer comme ils sçavent Amadigauliser, remplisans
une page entiere de ce qui se pourroit escrire en deux
lignes, qui fait que le Lecteur impatient de telles longueurs, apres avoir baillé trois ou quatre fois ; jetté en
fin par terre le livre, & baille au Diable un si grand babillard d’autheur. Mais j’ay grand peur que cependant
que je parle des autres, je ne tombe moy-mesme en faute, & qu’on ne die que je vueille faire le Roy des Reprenards : sans adviser à ce livre, si suject à reprehension,
qu’il n’y aura pas jusques aux petits grimelins, qui ne
se mellent d’en faire un affige au College que en un
mot, je fais declaration que je mets ce livre hors de ma
maison, & l’expose en public, selon la loy de ceux qui
vont en masque : sçavoir pour recevoir patiamment tous
brocards, injures, & risees, sans repliquer, ny me faite
cognoistre. Tasseurant de ma part que je ne trouveray
point estrange, si quelqu’un daigne prendre la peine de
taxer & reprendre mes escrits : Veu que c’est, & doit
estre, un hazard commun à tous ceux qui mettent leurs œuvres en lumiere. Car sans autre infinies fautes, qui se
trouveront par adventure à reprendre, je ne fay point de
doute que la plus part des matieres contenuës en divers
Chapitres, ne soient agreables aux uns, & desagreables
aux autres. Mais je conseille à chacun de choisir seulement ce qui luy viendra à gré, & laisser le surplus, se persuadant, que je luy dedie seulement cela : Que s’il le formalisent pour le surplus, & alleguent que c’est autant
de temps perdu, que de le lire : sans me fonder plus avant
en raison, & pour les contenter, je veux bien qu’ils croyent que je suis de mesme opinion. Aussi n’y ay je employé autres heures, que celles que plusieurs de mon aage
ordinairement employent à la paume, cartes, & dez, sans
entendre de ceux qui y employent le jour & la nuit. Et
en un mot, ce livre n’est autre chose qu’une superfluité
de mon esprit que j’ay autresfois permis s’esgayer en ces
folattres Discours. Si tu me crois, tu feras de mesme, &
n’employeras à la lecture d’iceluy, que les heures à demy perduës & faite de meilleure occupation. La parade du tiltre n’est pas telle, que tu ne puisses aisément
descouvrir par iceluy, le merite du suject. Il est baptisé
par ce nom de Bigarrures, qui donne assez à
cognoistre, que ce sont diverses matieres, & sans grande curiosité ramassée. Je l’ay mieux aymé surnommer
ainsi, que de pescher un autre nom plus superbe, entre
les Grecs & Latins, Comme font plusieurs, qui veulent
acquerir reputation d’estre bien sages en Grecs & Latins & grands sots en François : pour aller comme coquins,
emprunter des bribes estrangeres & ne sçavoir de quoy
trouver à vivre en leur pays. Aussi advient-il souvent,
que quand on void ces superbes titres, façonnez de
mots enflez du tout inusitez, excogites, & qui feroient
peur aux petits enfans, l'on demande ordinairement, Ou sont les livres de ces tiltres ? Je ne me suis non plus affecté à rechercher curieusement les authoritez de beaucoup d’autheurs & moins de ces abstrus & loups garoux ; comme font les Docteurs d’Espagne, d’Italie, &
du Comté de Bourgongne, qui negligent le beau texte
des Pandectes, pour alleguer en une page vingt ou trente des plus enfumez Docteurs de leurs estudes. Encor
que pour ce regard, je ne seray gueres aggreable à nos
mordernes, qui pour le moindre axiome qui se presente, debagoulent dix ou douze authoritez, & les jurisconsultes, pour une vulgaire reigle de Droict, sept ou
huict Loix, comme chiens courant, tesmoin l’epistre
que j’enteray cy-apres d’un estudiant à son Pere : Car
je me contente d’une bonne & solide raison, je la troque, & ne me soucie point par qui elle soit alleguee : À cette occasion, je n’ay point fait quelquefois de difficulté d’alleguer une bonne commere, si elle a parlé bien
à propos, comme Mere Pinetté Tente Choppine, Dame Jacquette, Caquillon, la Sage femme qui racoultre
le pucelage & autres : À l’exempie du divin Socrates, peres des Philosophes, qui disoit n’avoir point de honte
d’estre enseigné par une vieille. Or il suffira pour cette
heure. Car je voy bien que tu t’ennuyes d’un si long
Prologue, aussi fay je bien moy, de plus avant contester.
Adieu donc, si tu le merites, & te contente de ce salut : Car c’est la vraye priere que tu pourrois faire pour
toy-mesme, comme dit le Philosophe Appollonius dans
Philostrate.
Quiconque void icy le Seigneur des Accords,
Encor qu’il ne soit pas nayfuement pourtraict,
Qu’il juge seulement à voir le simple traict,
Qu’il est entier & rond, dedans comme dehors.