Les Bigarrures/Préface

La bibliothèque libre.
Les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords (1572)
chez Loys Du Mesnil (p. Préface).
PRÉFACE DU SEIGNEUR,
des Accords.


ENcor que ce soit une façon ordinaire presque à tous ceux qui exposent quelque œuvre en lumière, de choisir un certain personnage, à fin de luy dedier, & soubs sa faveur, comme ils dient, marcher plus hardiment en public : Ou d’addresser quelque advertissement au Lecteur, qu’ils amadoüent d’infinis Épithetes flatereaux, le priant qu’il reçoive gracieusement & d’un bon œil, les matières selon qu’elles sont par eux traictées, avec excuse que s’il y a quelques fautes, elles sont surue à cause de la grandeur & difficulté de subject par eux traicté, ou bien par inadvertance : Et qu’il y en ait d’autres plus tendres de cerveau, qui previennent avec injures & menaces, ceux qui voudroient reprendre leurs escrits : Ou tien se bastissent par imagination, de vaines raisons qu’on leur peut, ce leur semble, objecter ? & puis les ayans rabatues, selon leurs fantasies, chantent eux mesmes le triomphe de leur victoire, Estimans comme ils se persuadent, que l’authorité des premiers empeschera que on les ose attaquer, que les lecteurs, ainsi emmillez de leurs flateries, excuseront leurs fautes, & que, intimidez de leurs grosses menaces, ils craindront de les offenser. Je n’ay voulu toutesfois estre imitateur de telles façons de faire, que j’ay de tout temps estimé vaines & ridicules, & croy que plusieurs, s’ils veulent prendre la peine de les considerer, seront de mon advis Car (pour parler librement) quelle asseurance peut estre de bon recueil, & de faveur envers la plus part de ceux ausquels tels livres sont dediez ; veu que, s’ils sont grands Seigneurs, ils n’auront seulement le loisir d’en voir le tiltre, & ne daigneront les regarder que par la couverture si elle est belle & bien dorée ; car la plus part d’iceux prend bien plus grand plaisir d’oüyr discourir de leurs affaires & entendre quelque moyen pour rechauffer leur revenu que de voir tels Discours qu’ils estiment entre-eux des brigue-faveurs ou attrape-deniers : encore que la faveur ne soit que d’un branslement de testes, & de l’austres poinct, rien du tout. Quand à la protection dont ils se veulent prevaloir ; je ne sçay sur quoy ils la fondent : que la plus-part notoirement sont ignares, n’ayans autre doctrine que leurs richesses. Mais quand bien ils seroient sçavans, comme il advient quelquefois, que se soucient ils de se rompre la teste, pour deffendre iceluy qui sans consideration les en prie. J’ay beaucoup veu de reprehensions sur des livres, mais je n’ay point de souvenance d’avoir veu aucuns, auquels ils fussent dediez qui s’en soient remués ne souciés. Quand aux flateurs, estiment ils les personnes si gruës, que de se laisser corrompre par leur langage macquereau & sottes excuses ? Rien moins les bons esprits veulent estre payez en monnoye de bon aloy, & ne laissent pour tout cel, si l’autheur le merite, de luy donner un atteinte. Car quelle excuse merite celuy, qui de certaine science & propos deliberé, commet un acte duquel il peut recevoir honte : Qui est-ce qui le contraint de jetter en public son erreur, puis qu’il estoit en la puissance : celant l’imperfection de son labeur, d’oster toute occasion de mocquerie : Moins sert ceste façon d’user d’injures à l’encontre de ceux qu’ils presument devoir estre reprehenseurs de leurs escrits : Car outre ce que cela sent sa cervelle esventee, & trop grande persomption de soy-mesme, pour se vouloir rendre exempt de reprehension, l’on se mocque de tels injurieurs qu’on laisse trier avec l’Anguille de Melun, avant qu’on les escorche : Et Dieu sçait de qu’elle sorte on leur lave les teftes, quand on voit leurs belles raisons si bien rabatuës qu’ils est aisé à voir que se sont fantosmes, si drolatiques, qu’autres qu’eux mesmes ne voudroient prendre la peine de les objecter & refondres. D’autres y a encores qui se plaisent par un long discours, de faire ostentation de leur bien dire, & monstrer comme ils sçavent Amadigauliser, remplisans une page entiere de ce qui se pourroit escrire en deux lignes, qui fait que le Lecteur impatient de telles longueurs, apres avoir baillé trois ou quatre fois ; jetté en fin par terre le livre, & baille au Diable un si grand babillard d’autheur. Mais j’ay grand peur que cependant que je parle des autres, je ne tombe moy-mesme en faute, & qu’on ne die que je vueille faire le Roy des Reprenards : sans adviser à ce livre, si suject à reprehension, qu’il n’y aura pas jusques aux petits grimelins, qui ne se mellent d’en faire un affige au College que en un mot, je fais declaration que je mets ce livre hors de ma maison, & l’expose en public, selon la loy de ceux qui vont en masque : sçavoir pour recevoir patiamment tous brocards, injures, & risees, sans repliquer, ny me faite cognoistre. Tasseurant de ma part que je ne trouveray point estrange, si quelqu’un daigne prendre la peine de taxer & reprendre mes escrits : Veu que c’est, & doit estre, un hazard commun à tous ceux qui mettent leurs œuvres en lumiere. Car sans autre infinies fautes, qui se trouveront par adventure à reprendre, je ne fay point de doute que la plus part des matieres contenuës en divers Chapitres, ne soient agreables aux uns, & desagreables aux autres. Mais je conseille à chacun de choisir seulement ce qui luy viendra à gré, & laisser le surplus, se persuadant, que je luy dedie seulement cela : Que s’il le formalisent pour le surplus, & alleguent que c’est autant de temps perdu, que de le lire : sans me fonder plus avant en raison, & pour les contenter, je veux bien qu’ils croyent que je suis de mesme opinion. Aussi n’y ay je employé autres heures, que celles que plusieurs de mon aage ordinairement employent à la paume, cartes, & dez, sans entendre de ceux qui y employent le jour & la nuit. Et en un mot, ce livre n’est autre chose qu’une superfluité de mon esprit que j’ay autresfois permis s’esgayer en ces folattres Discours. Si tu me crois, tu feras de mesme, & n’employeras à la lecture d’iceluy, que les heures à demy perduës & faite de meilleure occupation. La parade du tiltre n’est pas telle, que tu ne puisses aisément descouvrir par iceluy, le merite du suject. Il est baptisé par ce nom de Bigarrures, qui donne assez à cognoistre, que ce sont diverses matieres, & sans grande curiosité ramassée. Je l’ay mieux aymé surnommer ainsi, que de pescher un autre nom plus superbe, entre les Grecs & Latins, Comme font plusieurs, qui veulent acquerir reputation d’estre bien sages en Grecs & Latins & grands sots en François : pour aller comme coquins, emprunter des bribes estrangeres & ne sçavoir de quoy trouver à vivre en leur pays. Aussi advient-il souvent, que quand on void ces superbes titres, façonnez de mots enflez du tout inusitez, excogites, & qui feroient peur aux petits enfans, l'on demande ordinairement, Ou sont les livres de ces tiltres ? Je ne me suis non plus affecté à rechercher curieusement les authoritez de beaucoup d’autheurs & moins de ces abstrus & loups garoux ; comme font les Docteurs d’Espagne, d’Italie, & du Comté de Bourgongne, qui negligent le beau texte des Pandectes, pour alleguer en une page vingt ou trente des plus enfumez Docteurs de leurs estudes. Encor que pour ce regard, je ne seray gueres aggreable à nos mordernes, qui pour le moindre axiome qui se presente, debagoulent dix ou douze authoritez, & les jurisconsultes, pour une vulgaire reigle de Droict, sept ou huict Loix, comme chiens courant, tesmoin l’epistre que j’enteray cy-apres d’un estudiant à son Pere : Car je me contente d’une bonne & solide raison, je la troque, & ne me soucie point par qui elle soit alleguee : À cette occasion, je n’ay point fait quelquefois de difficulté d’alleguer une bonne commere, si elle a parlé bien à propos, comme Mere Pinetté Tente Choppine, Dame Jacquette, Caquillon, la Sage femme qui racoultre le pucelage & autres : À l’exempie du divin Socrates, peres des Philosophes, qui disoit n’avoir point de honte d’estre enseigné par une vieille. Or il suffira pour cette heure. Car je voy bien que tu t’ennuyes d’un si long Prologue, aussi fay je bien moy, de plus avant contester. Adieu donc, si tu le merites, & te contente de ce salut : Car c’est la vraye priere que tu pourrois faire pour toy-mesme, comme dit le Philosophe Appollonius dans Philostrate.

À tous Accords.


Quiconque void icy le Seigneur des Accords,
Encor qu’il ne soit pas nayfuement pourtraict,
Qu’il juge seulement à voir le simple traict,
Qu’il est entier & rond, dedans comme dehors.