Les Bigarrures/Chapitre 12

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Les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords (1572)
chez Loys Du Mesnil (p. 173-191).


DES LETTRES
NUMERALES, ET
VERS NUMERAUX.

CHAP. XII.


OR viendray-je maintenant aux lettres Numerales, desquelles les Grecs, Latins, & François ont de beaux vers & gentil, les interpretations. Et afin que l’on entende plus aisément la façon, je seray contrainct de mettre que les Hebrieux, Chaldees & Grecs, au lieu de chiffres, & nombre d’Arithmetique, avoient coustume de faire servis leurs lettres, à la façon qui s’ensuit, que j’ay icy mis au long, pour plus grande intelligence : avec ce qu’à leur exemple les Latins ont voulu imiter.

α1.a1.
ϐ2.b2.
γ3.c3.
δ4.d4.
ε5.e5.
ϛ6.f6.
ζ7.g7.
η8.h8.
θ9.i9.
ι10.j10.
κ20.k20.
λ30.l30.
μ40.m40.
ν50.n50.
ξ60.o60.
ο70.p70.
π80.q80.
ϟ90.r90.
ρ100.s100.
σ200.t200.
τ300.u300.
υ400.v400.
φ500.w500.
χ600.
ψ700.
ω800.


D’ailleurs encores ils ont prins ces cinq marques particulieres :

I.un.

Π.cinq parce que la premiere c’est, la lettre de πέντε, qui signifie cinq.

Δ. vaut dix, premiere lettre du mot δέκα.

X. mille, du mot χίλια.

H. vaut cent, de Η κατόν.

M. dix mille, du mot μύριοι.

Les Latins & François modernes ont aussi choisi les lettres numerales : encore que je n’ignore point que tous les sçavans sont en ceste opinion, que ce sont depravations des anciens nombres, comme je deduiray au 2. liv. chap. des Nombres, fort amplement,

I, un, parce qu’il n’y a qu’un trait,

V, cinq, antique, quia quinta vocalium.

X, dix, pource que ce sont deux V, de l’un desquels l’angle est sur un autre renversé.

L, cinquante, moitié d’un C, que les anciens peignoient ainsi c.

C, cent, pource que cent commence par ceste lettre.

M, mille, car M, est la premiere lettre.

Quelques autres y ont adjousté D. pour cinq cents, mais il n’est pas reçeu de plusieurs.

De ces premieres lettres numerales, les anciens Grecs colligeoient lequel des deux combattans devoit vaincre : & estimoient que celuy qui avoit en son nom plus haut nombre, devoir estre victorieux, Ce que tesmoigne appertement ce vers de Maurus Terentianus, & dit que par cela, on cogneut que Hector devoit tuer Patrocle, & Achilles tuër Hector :

Et nomina tradunt ita literis peracta,
Hæc ut numeris pluribus illa sint minoris,
Quandoque subibunt dubiæ per cula pugna
Major numerus qua steterit, fauere palmam,
Præsagia lethi minima patere summa.
Sic Patroclem olim Hectorea manu perisse,
Sic Hectora tradunt cecidisse mox Achilli.

Si tu peux prendre la peine de supputer les lettres Grecques desdits noms, tu trouveras que Ἀχιλεύς a en son nom selon ce que dessus escrit, 1501. au lieu que Hector n’a que 1225. & Patroclus, 861. Depuis encor Achilles fut tué par Paris Alexandre, pource que le nombre des lettres de Paris surmonte celles d’Achilles.

À l’imitation dequoy il me souvient d’avoir veu un Italien, qui faisoit estrat de ne sçay quels nombres Pythagoriques de lettres Chiffrees à sa façon : par lesquelles il devinoit un borgne, boiteux, bossu, de quel costé c’estoit au lieu que les anciens le prenoient par syllabes des noms, prenans le nombre pair pour le senestre costé, & le nombre impair pour le dextre : Comme on lit qu’Achilles fut blessé au pied dextre, Vulcan boiteux du pied gauche, Philippes de Macedoine & Hanibal, borgnes des yeux dextres, & ce dont parle Pline : Encor qu’Agrippa, apres luy, ait voulu dire qu’il falloit choisir les voyeles, selon la valeur des nombres Latins. Et s’aidoit cét abuseur de cét Alphabet tant seulement, aussi hazardeux & fabuleux, que le livre des dez.

3. 3. 24. 25. 3. 3. 8. 15. 15. 15. 22.

A. b.  c.  d.   e. f.  g.  h.  i.    k.   l.

23. 15. 8. 13. 22. 22. 9. 5. 5. 8. 3. 3.

m.   n.   o. p.   q.   r.   s. t.   v. x.  y.  z.

Et pour venir à ce qu’il pensoit ayant escrit un nom, & prins lesdits nombres les divisoit per cinq : & s’il restoit pair ou impair, il faisoit jugement, comme dessus.

Il s’en aydoit encores de ceste sorte, pour les mariages, en divisant ses nombres par neuf.

Et pour sçavoir qui mourroit le premier, d’un homme ou d’une femme, il divisoit par 7. ayant ceste table qui guidoit, comme on a en la Geomantie.

Si des deux noms reste 1. & 1. le demandeur vaincra. Page:Tabourot - Les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords - 1640.djvu/207

On a encor usurpé a, e, i, o, u, pour 1. 2. 3. 4. 5. dont tu verras de petites exemples cy apres, apres que j’auray recherché plus haut ce qui est le plus excellent & digne de cognoissance.

Heliodore au 9. livre de son histoire Ethiopique dit, que Νεῖλος, qu’on appelle le Nil, l’un des plus celebres fleuves d’Egypte, ne signifie autre chose que l’an, parce qu’en la collection des lettres ainsi nombrees que dessus, il y a justement 365 autant qu’il y a de jours en l’an.

Ν50.

E5.

I10.

Λ30.

Ο70.

Σ20.

Je tiens l’interpretation de cest excellent enigme des Sibilles, du sçavant d’Aurat, Poëte Royal.

Sunt elemente novem mili ; sum tetrasyllabus autem,
Percipe me, primæ tres-syllaba officiuntur
Ex binis omnes elementis, cætera restant
In reliquis, quorum sunt non vocalia quinque
Totius numeri sunt his hecatontades octo
Et ter tres decades : cum binis : si scieris me,
Non te qua potior sapientia dia latebit :

Dont il a industrieusement colligé ces deux mots :

Θ9.
Ε5.
Ο70.
Ζ200.
Ζ200.
Ω800.
Τ300.
Η8.
Ρ100.

Lesquels nombres reviennent à 1692. qui sont justement les nombres requis esdits vers Sibyliques.

L’Epigrammatiste Grec a ainsi gentillement exprimé les heures de labeur & de repos des anciens :

Εξ ώραιμοχθοίς ικανώταται, άιδεμετ’ αυτάς
Γραμμασι δικτύμβιαι Ζῆθι λέγεσι ϐρστίς :

Que j’ay ainsi traduit,

Ducitur in sextam labor horam, deinde sequentes
Ut vivas Ζῆθι nos elementa monent.

C’est à dire, Que les anciens, qui supputoient le jour artificiel de douze heures esgales, estimoient qu’ayant travaillé les six premieres heures à conter dés le Soleil levé, c’estoit assez : & que le surplus des heures se devoit employer à vivre joyeusement. Ce que le mot Ζῆθι, qui fignifie vis, en François, denotoit tant par sa signification, que parce que les lettres signifient :

Z7.
H8.
Θ9.
I10.

Qui sont heures de repos : Ainsi que Marcial le tesmoigne en son Epigramme, qui commence,

Prima salutantes atque altera continet horas,
Exercet raucos tertia caussidicos :
In quinta varios exercet Roma labores,
Sextaquies lassis, septima finis exit.

Et ce qui s’ensuit, mais n’estant pas à nostre propos, qui en voudra voir dauantage lise la loy 2. §. cuiuscunque ff. de verbor. signific. ubi Alc. & Aul. Gell. lib. 3. cap. 1.

Jean Ostulfius, renommé Mathematicien entre les Allemans, ayant leu à la fin du 13. chap. de l’Apocal. Ωδέ ή σοφία εστιν ο εχων τον νουν, ψηφισατω τον αριθμον του θηριου, αριθμος γαρ ανθρωπου εστιν και ο αριθμος αυτου Χ Ξ Ζ. C’est à dire, Icy est sapience : Qui a entendement conte le nombre de la beste : car c’est le nombre de l’homme, & son nombre est six cens soixante six : A trouvé sur le nom de Martin Luther, Luder, ou Lauter : car ainsi a il esté surnommé, ce nombre parfaictement accomply.

M30.
А1.
R80.
T100.
I  9.
N40.
L20.
A1.
V200.
T100.
E5.
R80.

Tous lesquels nombres font justement 666. prenant les lettres Latines, à la façon des Grecques.

Un vieil ravaudeur a trouvé ces nombres, sur ces deux mots :

E5.
K20.
K20.
Λ30.
H8.
Σ200.
I10.
A1.
I10.
T300.
A1.
Λ30.
I10.
K20.
A1.

Mais telle formation est vrayement inepte, pour deux raisons peremptoires : L’une parce qu’il est certain, qu’on ne dit pas ιταλικα en Grec, mais ιταλικη : L’autre, pource qu’il est dit le nombre de l’homme, & non pas le nombre d’une province. J’ay ouy asseurer qu’il a esté bien deux ans à rechercher tous les noms des Papes, mais jamais n’a peu rencontrer chose qui vaille.

Les susdits exemples suffiront, pour la premiere façon des lettres Numerales. Et pour le regard de celle dont ont usé les Latins modernes, & vieux François, que l’appelle, depuis environ cent cinquante ans, on en a fait de gentille invention, qui n’ont pas esté negligez par la docte & curieuse posterité : Et pense que si du temps de la purité de la langue Latine ; ces lettres eussent esté receuës pour nombre, sçavoir I. V. C. L. M. selon la valeur, que l’usage leur a depuis attribué, vous ne serions pas sans en voir de gracieuses rencontres, & telles que Baltazar en son Courtisan en rapporte deux : L’une de l’inscription d’Alexandre Pape sixiesme, qui avoit ainsi fait abreger son nom, Alex. Papa VI. pour dire, Alexander Papa sextus : Au lieu dequoy quelqu’un interpreta, selon l’escriture simple, sans adviser au nombre de 6. Alexander Papa vi, parce qu’il avoit esté fait Pape, quasi par force.

Nicolas Pape cinquiesme ayant fait mettre ceste inscrptio N. P. V. pour signifier, Nicolaus Papæ quintus : elles furent interpretees, Nihil Papa valet.

Le Pape Leon, ayant fait poser ces lettres Numerales en une table d’attente, pour signifier l’an de son Pontificat, furent ainsi interpretees.

M. CCCC. LX. Multi Cardinales caci crearunt cacum Leonem decimum. Or diray-je ce mot en passant, je ne sçay comme on l’appelle borgne, veu qu’il voyoit fort n l’air haut eslevez les Esperviers ; Vautours, & Aigles, avec les lunetes, allant à la chasse fort souvent : mais en recompense, il lisoit mettant la lettre aupres du nez, encor n’y pouvoit il voir goutte, comme tesmoigne Lucas Gauricus in schematibus celestibus. Qui m’a fait resouvenir d’un bon Curé, qui ne peut lire és grosses lettres des livres d’Eglise sans lunettes, & neantmoins voit fort bien és plus petits dez qu’on sçauroit choisir, & ne le pourroit-on abuser.

Or retournant à nos moutons, je t’advertiray que de la seconde façon je n’en ay point veu de plus anciens, que les Epitaphes des quatre derniers Ducs de Bourgongne. Premierement de Philippes le Hardy,

aVdaCes Mors CæCa neCat :

Prenez les lettres numerales, vous aurez l’an de sa mort, qui est 1405.

Celuy de Jean sans peur.

toLLe toLLe CrVcifige eVM sI VIs.

Qui est l’an 1419.

Du bon Duc Philippes,

CeCIdIt IbI LVCerna PrInCIpVM.

Qui est l’an 1466.

D’autres ont mis,

eCCe obsCVratVs est soL prInCIpVM :

Qui est l’an 1476.

De Charles le terrible,

NoCte RegVM sVCCVbVIt CaroLVs :

L’autheur de la Nanceide luy bastit ainsi cest Hexametre forcé, & avec peu de sens :

CaroLVs hIC IanI qVInta sIs VInCo RematVM,

L’annee de la bataille de Graves, en laquelle les rebelles Gantois furent desfaits par ledit bon Duc Philippes le 24. Juillet 1453. est ainsi exprimé, par ce vieil vers numeral.

PeChIé sans ConscCIenCe et la Mort des GantoIs.

L’année de la bataille de Montlhery, qui fut 1465. le 27. Juillet, selon Commines, entre le Roy Loys XI. & le Duc Charles, est bien remarquée, en ce cry militaire :

À CheVaL à CheVaL gensdarMes à CheVaL.

L’annee que le grand Roy François fut pris devant Pavie, qui fut l’an 1524. est ainsi exprimée, par ces trois versets numeraux, supputant l’annee dés le jour de Janvier, à la façon des Astrologues, & de nos mœurs Françoises, depuis l’an 1563. En ce premier vers le jour est ainsi denoté.

OCCVbVere aqVILa trIa LILIa LVCe MathIa.

Et ces autres deux remarquent l’annee seulement.

AqVILa ConCVLCaVIt LILIVM.

Item, Cestuy-cy est de Henry Corneille. Agrippe :

CeCIDIt Corona nostra Vah qVIa peCCaVIMVs.

Il apporte encor celuy-cy du mesme Empereur, l’an de son couronnement.

tIbI CherVbIn & seraphIn InCessabILI VoCe proCLaMant.

Qui fut l’an 1517.

Sur la prise du grand Roy François, on a aussi trouvé cestuy cy, qui signifie l’an 1523. selon la supputation Françoise de ce temps-là, avant Pasques,

RegIa sVCCVMbVnt pVgnaCIs LILI AgaLLI.

Jodelle en la masquarade que fit la ville de Paris au Roy Henry, apres la prise de Calais, fit ce premier vers numeral, en un Distique :

Magna tibi Capto ConCessit Cora Caleto,
Cinge Comas, fimiles Ianus av annus erunt.

L’on m’a donné cestuy-cy, faict à Strasbourg,

Bartholo MeVs flet qVIa franCIsCVs oCCVbat Atlas.

À l’entree que fit Monsieur le Duc de Mayenne à Dijon, ville Capitale de son Gouvernement de Bourgongne, on mit ce Distique de ma façon, sur un grand portique :

CaroLVs exCIpItVr prInCeps Mente eCCe benIgna.

Præsagit faustum Julius imperium,

Le second vers signifioit le mois de juillet & le premier 1574.

Sur un jeune Escholier Provencal, nommé Patrice, qui se noya, se baignant en la riviere de Garonne, a Tholose, l’an 1568,

ab perIt & CeLerI fLagrant patrICIVs a Mni :

IllVdens Ipse reddIdIt ossa LoCo.

Un peu auparavant j’avoy faict celuy-cy, sur un autre mien compagnon de Carcassonne, nommé Pierre Moret, quand il prit son degré l’an 1567.

Vt faveant Astraa tIbI phœbVsque benIgnVs.

heV stua VIrtVtIs seMIna qVIsque VIdet.

Sur l’histoire de Judith, que j’admiray dés l’an 1570, en ayant ouy reciter quelques vers, je fis trois carmes.

Gestabona IVdIth doCtis Ita VœstIbVs ornas,
Hos Vt qVI reLeget, tete VIdIsse pVsarIt
HanC ConIVranteM In CapVt exItIaLe tIrannI.

Avant que venir aux autres, encor mettray-je ces quatre vers de ma façon : esquels n’y a lettres numerales, sinon pour exprimer 1581. que je fis sur le fils de Monsieur le Vicomte de Tavanes,

Mense sVb AprILI TaVanVs nasCITVr Infans,
QVI proaVos ataVosqVe refert, faLLentIa neC sVnt,
QVI dea fatIdICo præsagIa prætVLItore.
IQVo fata trahunt pVero generose paterna,

La nativité du bon Heobanus Hessus, Poëte Alleman, est ainsi gentillement depeinte.

Caperat VtgLaVCI nato apparere CabaLLVs.
AEDItVs est Vates Heßi Dosorat tVVs.

Où les DD. sont chacun pris pour cinq cens, & font l’an 1488.

Sur sa mort advenuë l’an 1540. a esté faict cestuy mieux façonné :

LVCe MInVs qVInta oCtobrIs sVa fata peregIt,
Phæbo Hessus gratVs CastaLIoque Choro.

Utenhoue Gancois s’en est voulu mesler, mais malgré Minerve, à mon jugement : Car pour venir à son point, il a brieve que en q ; à fin d’oster u lettre numerale, ce qui n’est pas admissible. Comme en cestuy de Magdelaine de Nassau, Comtesse de Namur, qui mourut l’an mil v.c.lxvii.

HIC VbI MagdaLena IaCet NassoVIa, Candor.
Cana fides, & honos, IntegrItasq ; IaCent.

Son François est encor si rude, que je fay conscience de le mettre, sinon à fin de proposer un exemple, pour cuiter :

Le CerCVeIl où MagdeLene repose,
Integrite IoInt la foy tIent en Close.

Il est escrit aux Annales de France, qu’ainsi que l’on portoit baptiser Charles 8. Roy de France, entrant à l’Église, les Prestres chantoient ce verset.

InstILICIDIIseIVs LætabitVr, & benediCes Corona, auquel est contenu l’an de sa nativité 1468. Ce qui fut pris pour un tres-bon augure, parce que la fin dudit verset fait ainsi, Et campi tui replebuntur ubertate.

À Paris en l’hostel assis entre la chambre des Comptes, & le Palais sur le chemin par lequel on va en l’Ille du dit Palais, est escrit en lettres d’or numerales, les autres d’azur,

aV temps dV roI CharLes LebVIt,
CestVI hosteL sI fVt ConstrVIt.

Dont on peut colliger 1485.

Les Flamens vexez & tourmentez sous la dure & cruelle Tyrannie du Duc d’Albe, qui les contraignoit de payer la dixiesme partie de leur biens, luy firent ce verset : les lettres duquel, estans decimees le depeignoient au vif.

Est ne hic aLuarus dux tAmpius aut iAmprudens,

Car ostant tousjours la dixiesme lettre restoit :

Est ne hic avarus dux impius aut imprudens,

Pour monstrer comme nos anciens ont usurpé lesdites cinq voyelles, je feray contraint tirer cest exemple du chapitre des jeux ingenieux, amplement discourus au second livre, qui ne fera aussi bien que trop gros & ample, sans cela Prenez en un damier trente dames, & les disposez selon les cinq voyeles contenuës en ces vers,

Populeam virgam mater regina tenebat :

De sorte que les blanches soient situees les premieres, & les rouges apres : en ceste sorte :

Puis l’on dit que cela signifie les Chrestiens designez par les blanches, & les Juifs par les rouges : lesquels estans en mesme basteau, survient un tempeste : tellement que le Pilote dit, qu’il faut descharger le navire, & jetter le neufiesme d’ordre, en la mer. On commence à compter à celuy qui porte la croix, & prend l’on tousjours le neufiesme, de sorte qu’en fin il ne demeure que les seuls Chrestiens : Ce que ledict vers met en memoire soudainement.

Pour ne prendre que la troisiesme ; quatriesme, &c. on les dispose en ceste façon, mais il n’y a point de vers : Quelqu’un par adventure en recherchera, ou trouvera de luy-mesme.

Pour lever la troisiesme,

ee, aaa, eee, aaa, ece, aa, e, a, ee, a.

Pour lever la quatriesme,

aaa, e, a, ee, i, e, aaaa, ee, i, e, a.

Pour lever la cinquiesme,

eee, aaaaa, ee, aaaa, e, i, o, a.

Pour lever la sixiesme,

aa, e, ii, e, a, ee, a, e, o, i, aa.

Pour lever la septiesme,

ai, a, i, e, ii, e, a, e, o, e, aa.

pour la huictiesme,

a, ce, aa, a, e, aa, i, ee, a, e.

La neufiesme,

Populeam virgam mater regina tenebat.

o, u, e, a, i, a, a, e, e, a.

La dixiesme,

e, a, i, u, ee, o, aa, i, e, e, l.

pour l’onziesme.

aa, o, a, e, aa, ee, oo, ee, a, &c. in infinitum.

La Roche, autrement nommé Villefranche, en sa grande Arithmetique, à voulu mettre le jeu des trois choses diverses : mais il s’est equivoqué en tout & par tout, & n’en sçauroit on venir à bout, selon sa traditive : que j’ay ainsi racommodé fort aysément par ces trois lettres numerales, a, e, i, dont on fait six mots :

Allez i,nul restant,
Le Mardy.1. un restant.
Car Michel2. restant,
fin vallet4. restant,
en riant5. restant.
i sera.6. restant.
3. jamais ne reste.

La pratique est telle : Prenez vingt-quatre gectons ou petites pierres, puis à trois qui seront en la compagnie, que je nommeray Jean, Pierre, & Fiacre pour plus facile intelligence, donnez, de ces gectons un a Jean, deux à Pierre, & quatre à Fiacre : & vous ressouvenez sur tout à qui aurez donné vos pierres, laissant les 17. gectons qui resteront, sur la table devant eux. Cela fait, posez trois gaiges sur la table comme une bague, un gand, & une clef : desquels chacun des trois en prendra tel que bon luy semblera. Quand le choix sera faict, celuy qui veut deviner, dira : Quiconque à la bague qu’il prenne une fois autant de gectons qu’il en a : Lors si Pierre à la bague, il en prendra deux des 17. qui sont restez, Puis on dira, Qui a le gand qu’il en prenne deux fois autant : Lors si Jean a le gand, il enprendra deux car il n’en avoit qu’un. En apres il dira : Quiconque à la clef, en prenne trois fois autant qu’il en a. Lors Fiacre en prendra douze, parce qu’il en avoit quatre. Faut en apres demander : Combien reste il de gectons. On respondra qu’un. Surquoy celuy qui voudra deviner, se ressouvenant de l’ordre qu’il aura nommé les gages : c’est le principal & la clef du jeu, retournant à ces mors susdits, dira aysément qui aura ledit gage par ce

Le Mardy.


qui est denoté quand il en reste un : Car la premiere syllabe denote celuy qui a un geston : & la voyele comprise en icelle, denote le gage quia choisi celuy qui a ledit gecton : A, signifiant le gage qu’on a nommé le premier : E, le gage qu’on a nommé le second : & 1. celuy qu’on a nommé le troisiesme : Et aussi la seconde syllabe signifie celuy qui a deux gectons : & la troisiesme syllabe, celuy qui en a quatre. De sorte que s’il reste six gectons, vous prendrez i sera : Qui signifiera que l’homme qui a un gecton a celuy des trois gages qu’avez nommé le troisiesme d’ordre celuy qui a deux gectons, a le gage nommé en ordre second : & celuy qui a 4. gectons, à le gage premierement nommé. Aucuns l’ont voulu faire en nommant seulement au troisiesme, trois gectons, comme la Roche : mais il y a faute apparente. Car cinq gectons peuvent rester aussi bien sur e, a, i, que sur a, i, & quand il en reste 17. sur i, a, e, & e, i, a, il y a aussi Equivoque & faute apparente : de sorte qu’on ne peut bien deviner, sinon sur 4. 6. & 8. restans, comme l’exemple suyvans le monstre quatre gectons :

restantSamedy bon

cinq a disner rencontre doublement

sixFiacre bon
septenivra rencontre doublement.
huictGuillemard bon.

Nous finirons nostre Chapitre des lettres Numerales : reservant le surplus aux Nombres : N’ayant icy entremeslé ces jeux, sinon pour monstrer que les lettres prises pour nombre, aydent souvent à la memoire : & que sans icelles, difficilement pourroit-on se resouvenir de ces petites inventions gentilles.