Les Bigarrures/Chapitre 15

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Les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords (1572)
chez Loys Du Mesnil (p. 203-211).


DES ACRO-
STICHES

CHAP. XV.


OR puis que j’ay au chapitre des Anagrammes amené en jeu deux Acrostiches, il ne sera mal à propos d’en faire mention. Acrostiches donc, sont vers qui en leurs premieres lettres contiennent quelque nom propre, ou autre mot de chose intelligible. C’est la diffinition que leur donne a peu pres Cœlius Rhodig. lib. 13. cap. 17. lectio. antiq. alleguant que les Sibylles en ont fait de ceste façon, Comme aussi le Poëte Ennius. Quant à ceux d’Ennius je ne sçay où il les a veus : du moins, le curieux Collecteur de ses vers n’en fait aucune mention. Quant à ceux des Sibylles, dont Ciceron mesme fait mention, en son second de Divinatione, je les ay veu tournez par un Sebastien Castellio, & y aux Acrostiches : Iesvs Cristvs Dei Filivs Salvator, prins suivant le Grec :

Ιδρώσει γὰρ χθών, κρίσεως σημεῖον ὅτ ἔσται,
Ηξει δ’οὐρανόθεν βασιλεὺς αἰῶσιν ὁ μέλλων,
Σάρκα παρὼν πᾶσαν κρῖναι καὶ κόσμον ἅπαντα.
Οψονται δὲ θεὸν μέροπες πιστοὶ καὶ ἄπιστοι,
Υψιστον μετὰ τῶν ἁγίων ἐπὶ τέρμα χρόνοιο,
Σαρκοφόρων ψυχὰς δ’ἀνδρῶν ἐπὶ βήματι, κρίνει,

Χέρσος ὅταν ποτε κόσμος ὅλος καὶ ἄκανθα γένηται,
Ρίψωσίν τ’εἴδωλα βροτοὶ καὶ πλοῦτον ἅπαντα,
Εκκαύσῃ δὲ τὸ πῦρ γῆν οὐρανὸν ἠδὲ θάλασσαν,
Ιχνεῦον ῥήξῃ τε πύλας εἱρκτῆς ἀΐδαο.
Σὰρξ τότε πᾶσα νεκρῶν ἐς ἐλευθέριον φάος ἥξει,
Τοὺς ἁγίους ἀνόμους τε τὸ πῦρ αἰῶσιν ἐλέγξει,
Οππόσα τις πράξας ἔλαθεν, τότε πάντα λαλήσει
Στήθεα γὰρ ζοφόεντα θεὸς φωστῆρσιν ἀνοίξει, &c.

Nous avons entre les Latins, les argumens des Comedies de plaute, tous faits de ceste façon. Comme pour exemple je mettray celuy de la premiere, nommé Amphitruo :

A more captus Alcumena Jupiter.
M utavit seleinformam eius coniugis,
P ro patria Amphitruo dum sernit cum hostibus,
H abitis Mercurius ei subservit Sosia :
I saduenienteis seruum & dominum frustra habet,
T urbas uxoriciet Amphitruo : atque invicem,
R aptant pro mœchis, Blepharo capto arbitrer,
U ter fit, non quis Amphitruo decernere,
O mnem rem noscunt, geminos Alimena enittitur.

Sans m’amuser à d’autres exemples, d’autant que la façon en est aujourd’huy triviale, & que tu as entre les Anagrammatismes, & au chapitre precedent, des exemples : je viendray à d’autres especes plus laborieuses & spirituelles, à mon advis : Comme ce Quatrain François, qui contient à la fin & au commencement A N N A : & encor que j’aye souvenance d’en avoir veu un semblable és œuvres de quelque poëte, nay du temps de Marot, toutesfois je n’ay pas bonne souvenance des mots : mais soit que je m’en sois resouvenu, ou que je l’aye raccommodé à ma fantasie, il est ainsi,

A mor du cœur le nom d’Anne imprim A
N om tres-heureux d’une ; que j’ayme bie N
N y de nous deux cest amoureux lie N
A utre que more deffaire ne pourr A

Ce suivant Latin fut donné à un gentil Docteur en Theologie, nommé Maistre pierre Manei, avec un present que luy fit un sien Escholier en ma presence.

P ierides Musa divino nomine Vate ————— M
E xiguum hanc afflate precor, quò numera grat A
T anto ferre possim concedite, nume ———— N
R aptum est de coelis aliud, venerabile certE
O he igitur varis vires augete minut ————— I

J’adiousteray icy ce laborieux & admirable de Rabanus, qui est la seconde figure. Page:Tabourot - Les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords - 1640.djvu/236 Page:Tabourot - Les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords - 1640.djvu/237

Au dessus au premier vers,

O crux excellens toto dominaris Olympo.

Au dessous,

O crux que cogit rupto plebem ire ab Averno.

Puis en la croix acrostichée, qui commence à la 18. lettre, laquelle fait le milieu du vers passant par l’O, qui fait aussi le milieu justement de toutes lettres, il y a,

O crux qua summi es noto dedicata tropao.

En la dixhuictiesme ligne du vers Acrostiche,

O crux qua Xpies caro benedicta triumpho.

Encor y a il une façon plus curieuse & penible. Quand toutes les premieres lettres des mots d’un Distiqué assemblées, font un nom : Comme les deux opposez au devant de Petrus Portius, qui dedie son livre à Ricaldo Abher.

Rem Janamœna Caret Affectu Læta Decorem.
Omnimodo Aspirat Bollula Habe Ergo Rata.

L’autre est ainsi,

Pluta Latent Animo Cœlata Et Non Temaranda,
Judicis Ullius, Scillicet hoc volui.

Ces jours passez, entre les Epitaphes d’un Conseiller de Dijon, nominé Maclou Popon, un sien collegue m’a fait voit cestuy-cy de sa façon.

Mens Altura, Capax Legum, Orando Valuisset,
Præclare Omeigenis Popolis Obtendere Nubem.

Ausone se mocque plaisamment ; par ceste forte de vers d’un vilain pedant poderaste,

Lais Eros & Ithis Chiron & Eros Iris alter,
Nomina suscribas prima limenta adime :
Ut faciasverbum quod tu facis Eune magister,
Diceremme latium non deces opprobrum.

C’est à dire, Les premieres lettres de chasque mot du premier vers, font en Grec λειχει (c’est à dire) il lesche. Ce que je n’interpreteray pas plus amplement, à cause de l’extreme saleté : Quelque curieux d’en sçavoir d’avantage, pourra consulter l’Italien Ange Politian, ou quelque autre de sa nation.

Je trouve certainement ceste invention industrieuse, & beaucoup plus que ces vers de Trasymache le Sophiste, tant recommandé par les Grecs : lequel, pour exprimer son nom, avoit usé de ceste façon,

Τοὔνομαθῆτα, ῥῶ, ἄλφα σὰν, ὖ, μῦ ἄλφα χεῖοὖσάν.
Πατρίς, χαλκηδων ἡ δὲ τέχνη σοφίη.

Patria Chalcedon, ars mihi sed Sophia.

Il veut dire, Assemblez ces lettres, c’est Thrasymachos. Il me fait souvenir de la vulgaire chanson Tholosane :

Ioane, Ioane presta mé ton cé o ane

Per bouta mon v i té.

Si l’on a fait des vers Acrostiches, aussi a t’on bien fait des livres selon qu’encor nous voyons aujourd’huy l’histoire Ecclesiastique de Nicephore, les Concordances de contrarieté de Bartole, par Antonius Nizellus ou la premiere lettre de chasque chapitre, qu’on a marqué de rouge és anciennes impressions de Venise, porte expressement, Antonius Nizellus Juris vtriusque doctoris Placentini, &c. L’autheur du livre, appellé le Songe de Polyphile, en a fait de mesme, & se lit aux premieres lettres moresques de chacun chapitre, Frater Franciscus Colomna Poliam per amavit. Je trouve, de ma part, ceste invention gentille, afin d’empescher que quelque Corneille Æsopique ne s’attribuë la louange de tels livres : sous ombre qu’ils estimeroient iceux estre anonymes, & sans expression de l’autheur : Et si Heliodore, autheur de l’histoire Æthiopique, eust sçeu ce secret, il eust aysément conservés es livres & son Evesché, ensemblement : qu’on dit luy avoir esté osté, pource qu’il n’avoit pas voulu desadvouër son livre.

De ces Acrostiches a pris source une ingenieuse forte de jeu, & propre à resveiller les esprits, que j’ay souvent veu practiquer entre les Damoiselles. On demande en premier lieu à chacun de la compagnie le nom de son amie, ou de son amy. Et puis, s’il est fidele amant ou amante, on l’exhorte de faire une louange sur chasque lettre qui est au nom d’iceux. Comme sur

MMignarde
АAmiable
RRiante
I Ioyeuse
EEntiere.


PPrudent
I Iuste
EÉloquent
RReligieux
RRare
EEstimé.

Quand chacun a poursuivy de mesme, selon l’ordre, & que l’on a esté bien empeché, pour diversifier à trouver des autres louanges : L’autheur du jeu vient proposer que le donzel ou la donzelle que l’on a choisy, desdaigne cestuy qui les a nommé & loüé : Et dit que pour revanche il faut trouver un vitupere, sur le mesme nom. Comme sur

MMauvaise
AAudatieuse

RRioteuse
I Insolente
EEsventée
PPoltron
I Injurieux
EEstourdy
RRude
RRoigneux
EEstrange.

Quand chacun s’est efforcé du mieux qu’il a peu à vituperer : car notez que les injures croissent plus volontiers à la bouche que les loüanges : celuy qui a proposé le jeu, les accuse tous de legereté, & dit qu’il ne croira jamais que s’amie soit autre que sage : & quand elle auroit fait ce dont on l’accuse, si la veut-il tousjours fidellement cherir, reverer, honorer, aymer, &c. Hierlas ! le fidele amant.

Encor ay-je veu de ces Acrostiches une ingenieuse façon de Chiffres : Car ne prenant d’une ligne ou deux, que les premieres lettres des mots, vous pouvez aysément entendre & lire ce que l’on vous commande. Exemple pour signifier ces mots,

Vous aurez bien tost secours, patientés :

Il faut escrire.

Volontiers on vous serviroit avec un repos & seriez bien, il est notoire tousjours on tiendra, si en cholere ordinairement un regret sentez par amertume tout ira, & n’estimez tristement estre servy.

Volontiers signifie V : On, O : Vous, V : Serviroit, S : & ainsi consequemment.

Celuy-cy n’est pas si spirituel ; aussi la seule Figure donnera assez l’intelligence de ce qu’il signifie A. I. R.