Les Bigarrures/Chapitre 16

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Les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords (1572)
chez Loys Du Mesnil (p. 212-218).


DE L’ÉCHO

CHAP. XVI.


TU dois entendre qu’Écho, selon les fictions Poëtiques, estoit une Nymphe, amante de Narcissus, l’excellant en beauté : Laquelle nonobstant qu’elle fut desdaignee, si est-ce qu’endurcie en son mal heur, encore elle ayma cét orgueilleux, jusques au dernier souspir : & en fin, à force de crier, elle devint une voix, par la misericorde des Dieux, qui la transformerent en ceste façon : De sorte que sa voix accompagna jusques à la mort, ce miserable qui mourut de l’amour de soy-mesme : La fable est amplement descrite par Ovide, en ses Métamorphoses. Les Philosophes, specialement Aristote en ses Problesmes, tiennent que ce n’est qu’une repercussion d’air, qui se fait à cause de quelque rocher, concavitez, voutes ou grottes champestres, qui retiennent la voix, & la gardent d’eschapper, mais la renvoyent d’où elle vient : & n’estiment pas plusieurs que l’Echo puisse exceder sept syllabes. Tesmoin Lucrece.

Sex extiam ac septem vidi loca reddere voces.

Et mesmes entre les antiques on remarque deux lieux par excellence, où l’Echo estoit heptasyllabique sçavoir le portique Olympien, qui fut à ceste occasion surnommé Hetaphones : & l’autre, les Tours de la ville Cisique, qui reverberent autant de voix. J’en ay remarqué trois, du moins hexasyilabiques : l’un à Tholose, pres les Roquets, l’autre en Vaux, village à quatre lieuës de Langres, & l’autre en Italie, pres le trou de la Sibylle : & encor d’abondant, celuy de Charanton pres paris. J’ay ouy dire à ma commaire Retatinée, que quand on entend ces voix-là, ce sont pour certain des esprits qui font leur penitence en ce monde : il magnifico Senatore di Milano avoit estudié à son eschole, quand il se pensa noyer, comme recite Cardan, (à cause d’un Echo qu’il luy respondit la nuiet, selon la voix, sur son interrogat, Debbo passa chi aupres d’un profond marest : mais par la dexterité de son cheval, il eschappa : & puis se plaignoit le lendemain que les mauvais esprits l’avoient deceu. Toussaincts Patris n’estoit pas si superstitieux : Car faisant un adjournement sur les limites de la Province de Bourgongne, pres de quelque montagne ayant entendu une voix, qui repetoit ce qu’il crioit à haute voix, fit relation en ses exploicts, qu’il n’avoit veu personne, sinon entendu quelques moqueurs qui rejannoient la Justice, c’est à dire, s’en mocquoient, par une repetition malseante & ironique.

Or sans s’espancher plus avant, les Poëtes ont trouvé une gentille façon de poëtiser, sur la repetition des mots, qu’ils ont surnommé Echo. Tu as en Erasme un gentil Dialogue, en cette forme : comme encor autres infinis qui sont imprimez, le mettray donc seulement, pour exemple, ce Latin, non encores véu, qui est un Épitaphe sur la mort d’un sçavant Adcocat de Bourgongne, nommé Guillaume Tabourot :

Vidua & Echo introducuntur.
V. Nunc ego sola meos hic, nullo teste, dolores

Solabor, tristis & ipsa loco.
Hac à parte juvat sylvarum obscurior umbra,
Musco inde placent antra referta situ.
Hinc etiam fontes, è quorum murmure leni
Exiguos lapides ingemuisse puto.
Atque inter tantos si fas gaudere, dolores,
Hunc equidem lætor me reperiße locum :
Nullus adest. E. Est. V. Hic loquirur quis justius æquo ?
Ec. Echo V. Responde tu, rego si Dea ? E. Ea.
V. Qui me agitant fluctus ? E. Luctus. V. Semperne manebit.
Aut dolor assiduè me superabit ? E. Abit,
V. Non abit, at contrà, Cadmai militis instar,
Nascitur, & lætam me fore reris ? Ec. Éris.
V. Abfst vt hoc credas, probibentfata aspera. E. spera.
V. Quid sperem, accepto vulnere quæso refer ?
E. Fer. V. Foro quod possum, verum mors conjugis inter
Præclarios primi sic mea corda monet.
E. Amouet. V. Ab illo facile abstinuisse putabis,
In quo magna Deum munera erant sita. E. Ita.
V. Nature fuadet vis. E. Vis. V. Tum Cætera disce.
E. Dice : V. Omnes dotes opto referre. E. Fere.
V. Si quidquam omittam ? E. Haud mittam, V. Excusatio talis
Sufficit, en dico principio. E. Incipio.
V. Artibus excultus. E. Cultus. V. Fuit atque difertus.
E. Certus. V. Tum leges excoluit. E. Coluit.
V. Quòd si fortunam spevtes fuit omne decorum :
E. Aurum. V. Est quod pluris tu facies. E. Facies.
V. Pulchra quidem facies perfecta ætate virili,
I llum qui cernit numina sperat, E. Erat.
V.Plura sciat fecisse illum hac quisquis legit E. Egit.
V. Iam dolor baud paritur plura tibi. E. I.

Pour l’exemple du François, je mettray ces vers de du Bellay, un des naïfs Poëtes qu’il est possible de remarquer, entre tous ceux de nostre aage.

Piteuse Écho qui erres en ces bois,
Respons au son de ma piteuse voix :
D’où ay-je peu ce grand mal concevoir,
Qui m’oste ainsi de raison le devoir ? De voir.
Qui est l’autheur de ces mots advenus ?Venus.
Comment en font tous mes sens devenus ?Nuds.
Qu’estois-je avant qu’entrer en ce passage ?Sage.
Et m’aintenant que sens-je en mon courage ?Rage.
Qu’est-ce qu’aymer & s’en plaindre souvens ?Vent.
Que suis-je donc lors que mon cœur en fend ?Enfant.
Qui est la fin de prison si obscure ?Cure.
Sent-elle point la douleur qui me poind ?Point.
Ô que cela me vient bien mal à point !
Me faut-il donc, ô debile entreprise,
Lascher la proye avant que l’avoir prise ?
Si vaut-il mieux avoir cœur moins hautain,
Qu’ainsi languir sous espoir incertain.

Ces deux suivans ne sont indignes d’estre rapportez, encores que je les ay pesché en la fontaine ennemie de l’Olive sacree :

Respons Écho, & bien que tu sois femme
Di Verité : qui fait mordre la femme ?
Qui est la chose au monde plus infame ?
Qui plus engendre à l’homme de diffame ?
Qui plustost l’homme & maison riche affame ?
Qui frippe biens, agraffe corps, griffe ame ?

femme.

Afin que les femmes ne se mettent en cholere ; pour faire ma paix je leur baille ce contrepoison :

Respons Echo, & bien que tu sois femme,
Qui plus accroist o decore la femme !
Qui plus horreur a de ce qu’est infame
Qui plus craint Dieu, & abhorre blasème ?
Qui mieux nourrit ce que faiblesse affame ?
Malheureux donc est celuy qui diffame.

femme.

Les rimes couronnees, qu’on faisoit au temps passé, ne sont autre chose qu’un Echo sans ame, & une rime doublee. Comme celuy-cy de Marot, hormis au second vers :

La blanche Colombelle belle,
Souvent te voy priant criant ;
Mais dessous la cordelle d’elle,
Me jette un œil friant riant,
En me consommant & sommant
À douleur que ma face efface,
Dont suis le reclamant amant,
Qui pour l’outre-passe trespasse.

Ceste espece aussy, qu’ils ont nommé Emperiere, est un double Echo.

En grand remord mort mord,
Ceux qui parfaicts faix faicts
Ont par effort fort fort
Des clers tous frais rez rais.

Pource que la Couronne annexee vient aussi de là, & qu’il n’y a qu’une syllabe adjoustee à l’Écho, je la mettray :

Les Princes sont aux grands cours couronnez,
Roys, Comtes, Ducs par leur droict nom nommez,

Et leurs logis en bus ordre ordonnez,
Et du haucain leur renom renommez.

Je ne puis asseurer qui est le premier autheur d’avoir fait ces vers ingenieux de l’Echo. Car encor, bien que le docte Pasquier en face auteur, en quelque endroit, Joannes Secundus, ce gentil Poëte qui a faict celuy qui se coinmence :

O que Diva cavos colis recessus
Sylvarumque regis domos opacas, &tc.

Si est-ce que j’ay veu de nos vieux François, dont les œuvres sont plustost sorties en lumiere que dudit Secundus, qui en ont fait. Et entr’autres, un assez gentil esprit pour son siecle Nicolaus Barthelemus, qui florisoit environ l’an 1530, & les œuvres de Secundus la premiere fois furent imprimees à Lyon 1539. Entre nos François, le plus ancien que j’ay veu, c’est celuy que j’ay rapporté de Du-Bellay. Le mesme Pasquier, sur le Tableau de ses mains, en a fait un tres-beau, lequel encor qu’il coure aujourd’huy entre les mains de tous bons esprits, si le veux-je bien icy rapporter, pour sa naïsve grace :

Pendant que seul dans ce bois je me plains,
Dy moy, Écho, qui celebre mes mains ?Maints.
Y a il point quelque autre gentille ame
Qui à louer autres mains les enflame ?Ame.
Si moy vivant de mon los je jouy.
Ay ie argument d’en estre resjouy ?Ouy ?
Et si ma main est jusques au Ciel ravie,
Que me Vaudra ce bruit contre l’envie ?Vie.
Ny aura-il nul homme de renom,
Qui en cecy foit jaloux de mon nom ?Non.
Mais si quelqu’un mal apris en veut rire,
Que produiroit dans mes os ce mesdire ?Ire.

Contre ce sot, contre le mal appris ;
Ne rongeray-je en mon cour que despits ?Pis.
O sot honneur d’une main mal bastie,
Quel humeur donc vainement me manie !Manie.
Las ! pour le moins, Écho, si tu peu rien,
Fay que les bons de mes mains parlent bien.bien.
Si tu le fais rien plus je ne demande,
Orfus, adieu, va, je me recommande.Commande.

Il en a faict aussi un gentil & docte Latin, imprimé avec ses Épigrammes.