Les Bigarrures/Chapitre 20

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Les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords (1572)
chez Loys Du Mesnil (p. 262-282).


DES
AUTRES SORTES
DE VERS FOLA-
STREMENT ET
INGENIEUSEMENT
PRACTIQUEZ

CHAP. XX.


A Cause que tu t’ennuyerois à bon droict, si pour chasque exemple des Vers suyvans, je faisois un chapitre à part, juxta illud, Libro longior est titulus, j’ay ramassé tout ce qui ma semblé de plus digne. Voicy un vers qui m’a eschappé inadvertement, auquel toutes les lettres de l’Alphabet sont contenuës.

Qui flamboyant guidoit Zephire sur ces eaux.

Un Allemant m’advertit en Avignon, qu’il en avoit veu un semblable Latin,

Duc Zephyre exurgens curuum cum flatibus aquor.

J’ay depuis veu cest autre de Scaliger,

Vix Phlegetum Zephyri, quæres modo stabra Micyllo.

Il est aysé d’en faire de semblables : mais je les ay rapportés icy par curiosité, comme ces vers Hexametres Grecs & Latins, esquels sont toutes les parties d’oraison :

Προς δέ μετόν δυσκνονέτι φρoγέ οντ’ έλεαιρόν.

Ad me continuo, licet ab fera verte precantem.

Plutarque en ces questions Platoniques s’estudia par gaillardise d’en faire un de mesme.

Αυτός ιών κλισίην δέ τον σον γέρας όρφον έιδας.

Auquel on peut remarquer de suite un pronom, un participe, un nom, un verbe, une preposition, un article, une conjonction, & un adverbe.

Pindare a composé carmen ασιγμον ce que l’on dit aussi que le Poète Herinoneus a faict, c’est à dire des vers si curieux qu’il n’y a pas une S. Tout ainsi que qui diroit qu’il y a un Verset aux Sept Pseaumes, où il n’y a point de A, sçavoir, Nolite fieri ficut equus & mulus, quibus est intellectus.

Or comme il s’est trouvé de ces Misosigmes, Misoalphes & Misolemdes, &c. aussi s’en sont ils trouvez qui ont abhorré des syllabes, comme celles-là de Con, pource qu’ils estoient, comme je croy, Misogames. Comme cestuy cy d’un qui avoit passé les picques.

Dieu garde la paigne
Je n’ose dire Con,
Car tant que j’auray vie
Je n’aymeray le con :
Je hay Comte & Comtesse,
Et Vicomte par con :
J’hay tous oyseaux de proye,
Pour l’amour du Faulcon ;
Et toutes les citez.
Pour l’amour de Mascon, &c.

Il y a une legende, contenant bien environ 300. vers de mesme façon : mais je me fasche de tant parler de telles matieres.

Le scayant Scaliger a fait un vers, qu’il surnomme Protee, à cause qu’il peut changer d’infinies formes & etre retourné en plusieurs façons, comme l’on dit que Proteus se transformoit diversement, qui est propre à donner aux jeunes enfans, car il sera bien asne de nature qui ne le pourra tourner :

Perfide sperasti divos te fallere proteu.
Perfide te divos sperasti fallere proteu.
Perfide te sperasti divos fallere proteu.
Perfide te proteu sperasti fallere divos.
Perfide sperasti te divos fallere proteu.
Perfide proteu te sperasti fallere divos.
Perfide te proteu sperasti fallere divos.
Perfide divos sperasti te fallere proteu.
Perfide proteu sperasti te fallere divos.
Perfide te sperasti proteu fallere divos.
Perfide divos te sperasti fallere proteu.
Perfide sperasti proteu te fallere divos.

Et ainsi que lesvers commencent par perfide, & se change en ceste sorte, douze fois, il se peut autant immuer & changer de fois, commençant par fallere : autant de fois par divos ; autant de fois par proteu, & par chacun mot de sorte qu’il se change aisément en 72. sortes, & si tu y prens garde, encor se changera-il en d’avantage.

Voicy une Estreine, qu’estant jeupe Escholier je donnay à un mien compagnon, nomme Charles Faye, demeurant au College de Bourgongne, 1564. auquel tu trouveras que le nombre des lettres est exactement conté & supputé :

Xeniolum simplex tibi do, do Xenia bina
Disticha si numerus, aut Epigramma lene.
Quod si litterulas, centum septemque viginti
Sine voluntatem tradimus innumera.

Martial en ses Epigrammes nous denote une gentille invention des anciens, qui beuvoient autant de verres de vin, qu’il y avoit de lettres au nom de leurs amies.

Nævia sex cyathis, septem Justina bibatur,
Quinque Lycas, Lyde quatuor, Ida tribus,
Omnis ab infuso numeretur amica falerno,
Et quia nulla venit, tu mihi, somne, veni.

Calderin en son Commentaire ne touche ny pres ny loin, la vraye interpretation, quand il vient au mot de Somne ; car il dit que c’est la coutume des Poëtes, d’invoquer le Sommeil, comme ont fait Quide & Papinie.

Mais en cela, il me semble qu’il parle fort froidement : car quelle apparence y auroit-il de demander à dormir entre des Beuveurs ? J’estime donc que le Poëte vueille dire, que pource qu’il n’a point d’amie, il veut boire cinq fois qui est autant de coups, qu’il y a de lettres au mot Somne, qui est un boire mediocre : & si quelqu’un le veut forcer de passer outre, il declare qu’il ayme mieux d’ormir, que boire d’avantage. Mais on m’a dit qu’il y a des Lieutenans sur les rivieres de Saune & Marne qui dient qu’avant que dormir, ils voudroient bien Somne au nominatif, qui a six lettres, sçavoir somnus, pour denoter six bonnes fois.

Il se voit encor au Theatre du monde, composé par cest elegant Boistvau, dit de Launay, un vers François, contenant la complainte des laboureurs. En fin de chacun couplet duquel y a adjousté un mot ou deux du Da pacem. J’en ay veu d’autres sur le Pater & l’Ave Maria ; mais pource que les uns & les autres sont imprimez, je te feray seulement part de cest autre, Da pacem ; qui est une tacite reponse à la susdite complainte faicte, y a quelque temps, par l’Official de Langres.

Il l’intitule ainsi.

LA PREUD’HOMIE DES
LABOUREURS.


AUtresfois on nommoit Laboureurs bonnes gens,
Maintenant ils sont fiers, felons & refractaires,
À plaider, refuser, parjurer diligens,
Quand le Seigneur leur dit pour ses droits necessaires,
DA.
Puis quand ils ont à tort & sans raison
Fait despendre au Seigneur cent escus à plaider,
En luy portant six œuf, ou un mēschant oyson,
Faisant les marmiteux ils viennent demander.
PACEM.
Si le Curé demande un double à la Toussaincts,
En se mocquant de luy, par argument subtil,
Sur l’Edict, d’Orleans feront nouueaux desseins,
Et luy diront tout haut, Comment vous en faut-il
DOMINE ?
Si le pauvre Seigneur pour payer sa rançon
Veut s’ayder de son bois, on luy empeschera,
Criant, Nous y avons nostre usage & paisson,
Qu’il se recouvre ailleurs point il n’y touchera
IN DIEBUS NOSTRIS.
Ils n’ont que trop d’argent pour Juges & Procureurs,
Pour boire & pour joüer : Mais si un marchand croit
Du drap ou de l’argent à ces bons laboureurs,
Il n’ont qu’un plat de bois le marchant pert son droit,
QUIA NON EST.
Accusez hardiment le larron de vos fruits,
Pour en faire rapport le messier soit tout prest
Vous perdrez vostre cause, ils sont si bien instruits
A estre faux tesmoings, qu’on trouvera que c’est

ALIUS,
Ils font pauvre un Seigneur luy refusant ses droits.
Luy refusant son bien, sont ils donc esbays
Quand ils ont l’ennemy sur eux de tous endroits
Sans armes ny chevaux, s’il n’y a au pays
QUI PUGNET.
S’ils cueillent du bon grain en nos terres qu’ils tiennent,
Ils en font de l’argent, ou c’est pour leur amas
Si l’œil, ou si la mouche, ou le cabloc y viennent,
Quand le sergent ira, ce sera tout le cas
PRO NOBIS.
Tels larrons & voleurs la guerre mord & poingt,
Les voleurs sont sur eux par ta permißion,
Ô Seigneur, & voyons qu’il n’y a autre point
Qui recherche de pres ceste punition
NISI TU.
Remets ces laboureurs ô tres-Saincte lumiere,
En la simplicité d’estat obeyssant,
Fais reformer leurs cœurs en leur bonté premiere,
Et ensuivre tes loix, car tu es tout-puissant
DEUS.
Ils verront tout soudain ta fureur refrenée
Außi tost qu’ils viendront à vivre justement,
Et embrassant le fruict que ta loy desiree
Produit, le fruict de paix sera consequemment.
NOSTER

Le mesme Sieur m’a monstré des vers monosyllabiques, qui depuis ont esté imprimez à la fin du Dictionnaire des Rymes, qu’on a exposé en lumiere, imparfaict à mon grand regret : mais j’espere le faire voir entier, avant qu’il soit gueres.

MONOSYLLABES.


Mon Cœur, mon heur, tout mon grand bien,
À qui je suis tien plus que miens
Pres quoy je ne voy sous les cieux
Rien de plus beau, cher à mes yeux,
Mon cœur que seul fais que je suis,
Qui fais qu’en un grand heur je vis,
Mon cœur qui Dieu pour mon bien fit,
Mais de qui le nom ne se dit
Fors que tu es mon cœur, mon heur.
Et je suis le soin de ton cœur.
Le cœur au soin, se tient si fort
Qu’il n’en est mis hors que par mort :
Et moy si bien je suis à toy,
Que ne peux voir la mort sans moy :
Sans toy, mon cœur, rien je ne peux,
Sans moy, ton soin, rien tu ne veux.
À toy, mon cœur, je suis ton sein,
Si bien fait un & tant bien joinct.
Que pas il n’est en ces grands Dieux
Que de cest un en soit fait deux.
Et bien que par mort, qui pert tout,
Soient nos beaux jours mis à leur bout,
Pour sa fin voir tu ne peut point
C’est un qui de long-temps nous joint :
Car tant que voyent le jour tes yeux
Je ne meurs point, car je ne peux :
Et si tu meurs, tu es sans moy,
Qui ne suis vif fors que par toy :
Ce qu’est en moy est du tout tien,
Si ce n’est toy, je ne suis rien,

Vien donc, mon cœur, cœur je te tiens
Plus cher que non pas tous les biens,
Que tous les biens qui sont cy bas
Dont prés de toy je ne fay cas,
Vien donc vers moy & vers moy prens
Le fruit, le miel de nos beaux ans,
Puis que le temps nous rit si bien,
Ne le preds point, mais prens le bien,
Qui nous est nay, ne t’en fuis, mais
En ce grand lieu tiens nous & fais
Qu’un si beau per onc sous les cieux
Ne se fit voir que de nous deux.

Les Latins n’ont point fait de ces fortes de vers, mais en recompense ; ils en ont fait tous finissans par Monosyllabes, qui ont bonne grace. Tu en as dedans ce gentil Poëte Bourdelois en sa Technopegnie Monosyllabique, comme de membris, Dijs, cibis historiis : avec ses interrogations, & autres. De tous lesquels j’ay seulement choisi cest exemple,

Indicat in pueris septenia prima novus dens,
Pubentes annos robustior anticipat vox,
Invicta & ventis & solidus est hominum frons,
Et durum nervi cum viscere consociantes,
Palpitat irrequies vegetum teres atque cadens cor.

Et ce qui s’ensuit, que tu pourras amplement voir dans l’autheur.

En cest Hymne de saint Jean, au premier couplet, toutes les Notes de Musique font comprises, tant au commencement de vers, que hemistiche :

UT queant laxisREsonare fibris
MiragestorumFAmuli tuorum,
SO Lue polluriLAbys reatum, cum

Les anciens ont appellé Anadiplosis, quand la fin d’un vers se repete au cominencement de l’autre : Les François les ont surnommez Rymes enchainées. Comme,

Pour dire vray au temps qui court,
Cours est un perilleux passage,
Passage n’est qui va en Cour,
Cour est son bien & advantage :
Avant aage y faut le courage,
Rage est la paix, pleurs ses soulas,
Las ! c’est un tres piteux mesnage,
Nage autre part pour tes esbats.

Pour l’exemple des Latins tu en as dans Ausone de fort belles & heureuses façons, comme entre les Monosyllabes :

Res hominum fragilis alit, & regit & premit fors,
Fors dubia æternumque labans quam blanda fovet spes,
Spes nullo finita ævo, cui terminas est mors,
Mors avida inferna mergii calligine quam nox,
Nox obitura vicem remeaverit aurea cùm lux,
Lux dono concessa Deum, cui prævius est sol,
Solcui nec furto Veneris lotet armipotens Mars,
Mars nullo de patre satus quem Tressa colit gens,
Gens infræna virum quibus in scelus omne ruit fas,
Fas hominum mactare sacris ferus iste loci mos.
Mos ferus audacis populi quem nulla tenet lex,
Lex naturali quem condidit imperio jus,
Jus genitumpietate hominum, jus certa Dei mens,
Mens quæ cælesti sensu rigat emeritum cor.
Cor vegetum, mundi instar habens, animæ vigor ac vis,
Vis tamen hæc nulla est, verum est jocus & nihil res

Je n’ay point veu de vers François monosyllabes à la fin si ce n’est qu’on en pourroit faire infinis, & fort aysément : veu qu’au cinquiesme livre, attribué à l’inimitable Rabelais, il y a bien des proses de Fredon, qui ne respondoit que par monosyllabes. De ces responses j’ay mis en vers ce peu qui s’enfuyt, pour exemple,

Frere voudriez-vous bien,
Sans vous forcer de rien,
Ny estre destourné
De vostre long disné,
Respondre à mes propos ?
Ouy. Quel est l’Abbé ? gros.
Et où demeure-il ? loing
Le victes-vous onc ? point.
Où est le Prieur ? près.
Quels sont ces moines ? rés.
Où est le Prieur ? prés.
Quels sont ces moines ? rés.
Estudiez-vous ? rien.
Comment vous portez ? bien.
Qu’avez-vous souvent ? faim.
Et que mangez-vous ? pain.
Quel est nostre pain ? bis.
Quels sont vos habits ? gris.
Qu’aymez-vous hyuer ? feu.
Quand priez-vous Dieu ? peu.
Qu’avez vous souvent ? bœuf.
Et les vendredis ? œufs.
Combien en avez ? dix.
Qu’avez-vous encor ? ris.
Et avoy rien encor ? poix.
Et en Caresme ? noix.

Comme mangez-vous ? cois
Combien estes-vous ? trois
combien de garses ? cinq.
Combien en faudroit ? vingt.
Quels sont vos valets ? sots.
Qu’aymez-vous le mieux ? pots.
Que faut-il dedans ? vin.
Et laissez-vous rien ? brin.
Quels les voulez-vous ? clairs
Qu’aimez-vous avec ? chairs.
Du Veau ou mouton ? bon.
Que faictes-vous peu ? don.
Quels sont vos habits ? ords.
De quel drap sont-il ? forts.
Maintenant je suis las
De ces interrogats,
Vous avez respondu
Si bien & sagement,
Que n’avez pas perdu
Un peti tcoup de dent.

Il y a d’autres vers que l’on nomme Couronnez : En voicy un de Clement Marot.

Dieu des Amans d’amour me garde,
Me gardant donne moy bon-heur,
Et me bien-heurant prens ta darde,
En la prenant navre son ceur,
En le navrant me tiendra seur,
En seurté suivray l’accointance,
En l’accointant ton serviteur,
En servant aura jouyssance.

Il y a d’autres vers, qu’on appelle Croissans, desquels le premier mot est de monosyllabe ; le second dissyllabe, & ainsi consequemment, comme cestuy d’Homere :

Ω μάκαρ ατρείδκ μοιρκγένες όλζόδαιμον.

Ce vers Latin est de Virgile.

Ex quibus insignis pulcherrima Deiopetá.

Et ces autres suivants, vulgaires entre les Allemans :

Si cupis ornari virtutibus Heliodore.

Et ce suyvant.

Dux tarmas proprius coniungerat auxiliares.

Ausone de ceste façon, ou autre incertain autheur, a composé ces vers suivans, que Scaliger appelle Raporticos,

Spes Deus æternæ stationis conciliator
Si castis precibus veniales invigilamus,
His pater oratis placabilis adstipulare.

Et ces petits François.

La grandeur Latine
Se perdit soy-mesme,
Et France ruine
Son bon-heur extreme.

En voicy d’autres qui sont Decroissans, c’est à dire, qui d’un quadrisyllabe & trissyllabe reviennent à un monosyllabe, comme en Latin,

Vectigalibus armamenta referre jubet Rex.

Et en François.

Mignonne plusieurs fois
Tres-heureux l’autre mois, &c,

Car il est trivial, & y en a cinquante semblables en mes Jeunesses joyeuses. Mais ce suivant verset Decroissant est admirable, combien qu’il soit vulgaire :

À son imitation j’ay composé ce Distique, en faveur d’un Imprimeur & Libraire en Bourgongne, nommé des Planches, gaillard & Jovial :

Multibellivoro Desplanstypobibliopolæ
Presentargento vendifatisfaciat.

Ce vers suivant est un vers entremeslé & anagrammatisé,

Alpipencabas tot habet minas quod habet gras :

C’est à dire,

Pica tot habet pennas albas quos habet nigras.

Je viendray maintenant aux Excorilinguilatinisez, comme en l’epistre mise à la fin du V. de Pantagruel. Mais tu auras ce suivant Epitaphe de ma façon, pour exemple, d’un Locumtenant Roüargois, qui se delectoit mesme en jugement, de parler de cette façon.

Dessous ce tumulte est jacent
Un impigre Locuntement.
Il n’avoit cabale ny mule,
Il spermatizoit la Vetule,
Il estoit brave & pharestré,
Et quand il estoit cathedré
Il rendoit le droict juste & vero
Et au divito & au paupere.
Il avoit la sermone insulse
Et diligent la bonne mulse.
Or apres avoir vicié,
Il est alle trepudié,
Pris d’un immaturé trepas
Avec les Inferes là bas.
Toy viateur qui cy transige,
Puis qu’il n’a linqué de son tige
Progenie tel qu’il estoit,

Prie le Domine qui tout voit
Que sa fatue ame il refonde
Et qu’il resonde encor au monde,
Afin qu’il ait propice otie
De nous docer la stultitie,
De laquelle il superoit tous
Les magnes & les parues fous,

Vale & ora.

Il y a longtemps que j’ay veu ces vieux vers d’un Grammarien, qui faisoit l’amour grammaticulement à une Grammarienne, qui luy respond de mesme, qui ne

feront icy rapportez mal à propos :
L’Amant.


DAme de beauté positive
Sans degré de comparatif,
Monstrez qu’estes superlative
Par doux semblant indicatif,
Je vous requiers que sois actif,
Et que vueillez estre paßive,
Prestez-moy vostre conjonctif
Pour avoir force genitive
Dame de forme perfective,
Par un plaisir inchoatif,
Soyez de volonté dative,
A moy vostre amant optatif,
Qui par un souspir vocatif
Demande la contemplative,
Et conjonctif sans exitif
Pour avoir force genitive.
Belle figure relative
D’antecedant nominatif,
Vous estes assez substantive
Pour recevoir un adjectif,
Lequel soit determinatif
De vostre espece primitive,
Je me rendray derivatif
Pour avoir force genitive.
Belle si desir affectif
Avez d’estre suppositive,
Je seray votre oppositif
Pour avoir force genitive.

Response de la Dame.


LA façon desiderative
D’un doux parler affirmatif
Me fait estre meditative
De proposer un negatif.
Car je doute l’accusatif
Qui est de force transitive,
Je me tiens donc au primitif
Sans point estre derivative.
Car si j’estois frequentative
Je perdrois mon nominatif,
Et prendrois en l’appellative
Qualité de nom putatif,
Parquoy je veux l’indicatif,
Pour demeurer meditative,
Je me tiens donc au primitif,
Sans point estre derivative.
La conjonctive expletive
Vient apres le copulatif,
Et suivant sa preparative
Fait user du distributif.
Quand il y a nom collectif
Force s’ensuit diminutive,
Je me tiens donc au primitif,
Sans point estre derivative.
De ce fol amour turbatif
Ne suis nullement optative,
Pource me tiens au primitif
Sans point estre derivative.

Passant outre, nous viendrons aux Centons, qui sont vers pelle-mesle amassez, avec curiosité, d’un certain excellent Poëte. Comme entre les Grecs de ce divin Poëte Homere, des vers duquel Eudoxia, Poëtrice Chrestienne, a colligé un beau poème, nouvellement mis en lumiere par Henry Estienne, & entre les Latins, Virgile. Qui sont entassez de sorte, que combien qu’ils soient colligez de cent un, si viennent ils à propos. Ausone, la curiosité duquel (quoy que dient plusieurs) est laborieuse & admirable, a fait ainsi un Centon nuptial, qui commence,

Accipite hæc animis, latásque advertite mentes
Ambo animis, ambo insignes præstantibus armis.

Æn. 5.

Ambo florentes, genus inseparabile bello.

Aen. 4.

Túque prior, nam te majoribus ire per altum.

Aen. 6.

Auspicijs manifesta fides, & c.

Aen. 2.

Proba Falconia, excellente Poëtrice Chrestienne, a basty de ceste façon, des seuls vers de Virgile un Opuscule, qui comprend le vieil & nouveau Testament, que je desirois estre de nouveau imprimé pour sa beauté, n’en ayant point veu sinon de l’impression d’un vieil penard de Paris, qui n’a jamais rien imprimé qui ne soit incorrect, s’il estoit en vie, je luy ferois faire son procez. Le vers de ceste saincte femme commence :

Iam dudum temerasse duces, &c.

De nostre temps Capilupus Mantuanus a composé de ceste forte la Vie monachale & son Gallus, aussi heureusement qu’il se pourroit dire, & pense que pour ce regard il soit immitable. Les forts Vergilianes, dont faict mention Lampridius, Gregorius Turonensis, & Rabelais, sont aussi tirez au hazard du mesme autheur. Mais pour ce qu’au chapitre des Divinations liv. 2. J’en parleray amplement, je diray encor des Pasquils, qu’ils sont souvent tirez des vers dudit Virgile : & aujourd’huy les plus frequentes se tirent de la saincte Escriture, tantost comme de la Passion, des sept Pseaumes, & autres, desquels aussi tu auras au second livre un Chapitre à part : Car les beaux exemples que j’ay, le meritent bien. Pour conclusion, je finiray ces exemples de vers, sur la gentille invention de Theodoric Poëte Grec, qui a fait le premier & fabriqué des vers si ingenieusement, que par la figure ils representent un Arc, une Aile, & autres figures, comme aussi il me souvient d’avoir leu l’Oent : Estant Escholier à Paris 1574. j’ay fait la Coupe Poëtique, la Marmite, & autres : Mais pour ceste heure, tu te contenteras du Tombeau du feu sieur Tabourot, Advocat Dijonnois, cloquent & sçavant personnage, que son fils mien compagnon aux Universitez, bastit ainsi l’année qu’il publia la version Latine du Fourmy de Ronsard, & du Papillon de Belleau.

Je ne sçay comme j’avois oublié la Sextine, que ce grand Pontus de Tyard, & seigneur de Billy, a le premier d’Italien habillé à la Francoise : qui est une Poësie pauvre de ryme, & riche d’invention : Car il faut rymer six fois sur un mesme mot, outre la conclusion de quatre vers. Voicy l’exemple, tiré de ses œuvres Poëtiques :

Lorsque Phœbus sue le long du jour,
Je me travaille en tourmens & ennuis,
Et sous Phœbe les languissantes nuits
Ne me sont rien qu’un penible sejour,
Ainsi tousjours pour l’amour de la belle
Je vay mourant en douleur eternelle.
Bien dois-je, helas ! de memoire eternelle
Me souvenir, & de l’heure, & du jour
Que je fus pris aux beaux yeux de la belle,
Car oncques puis je n’ay reçeu qu’ennuis,
Qui m’ont privé du plaisir & sejour
Des plaisans jours, ou reposantes nuicts.
Heureux amans, vous souhaittez les nuits
Avoir duree obscure & eternelle,
Pour prolonger vostre amoureux sejour,
Et à moy seul si rien plaist, plaist le jour,
Pour esperer apres mes longs ennuis,
Nourrir mes yeux aux beautez de la belle.
Mais rencontrant les soleils de la belle,
Tout esblouy, aux tenebreuses nuits
De mes travaux je r’entre, & aux ennuis
De ma pensee en son cours eternelle,
Laquelle fait tout moment, nuict & jour,
Dans les discours de mon esprit sejour,
Las ! je ne puis treuver lieu de sejour,
Tant j’ay de maux pour tes cruautez, belle,
Car si je brusle & ars le long du jour,
Je me dissous en pleurs toutes les nuicts,
Te voyant vivre en rigueur eternelle
Pour me tuer en eternels ennuis.
Inconsolable, ô ame, en tes ennuis
Qui veux sortir de ce mortel sejour

Pour t’envoler en la vie eternelle,
Peux tu languir pour un autre plus belle,
Espere encor, espere, car ces nuits
S’esclairciront de quelques beaux plaisirs,
Mais haste toy, ô jour, que mes ennuis
Prendront sejour aux faveurs de la belle,
Change l’obscur de mes dolentes nuits
En la clarté d’une joye eternelle.