Les Bigarrures/Chapitre 19

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Les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords (1572)
chez Loys Du Mesnil (p. 243-261).


DES DESCRIPTIONS
PATHETIQUES.

CHAP. XIX.


FAisant à par moy un discours de la beauté de Vers, quelques subtils & curieux que j’aye cy-devant deduict, je n’en trouve point qui approchent d’une Description, quand elle est bien faicte & à propos. Tu es as sur tout dedans Virgile une infinité des plus belles qu’on sçauroit imaginer : Car il semble en lisant ces vers, que l’on soit en l’acte mesme ; & expressément tu pourras remarquer, que quand il descrit quelque action soudaine, il use tousjours de Dactyles, & de mots recherchez du tout significatifs d’icelle action. Et aussi quand il veut depeindre une action languide, il use de Spondées. Comme le coup que le vieillard Priam donna à Pyrrhus, vous diriez qu’il descrit un bras d’estouppe :

——————Telúmque imbelle fine ictu
Conjecit.

Estant à Paris, j’ay pris plaisir de colliger toutes les Descriptions de ce divin Autheur, & de plusieurs autres : imitant en cela Ringelbergius, le compagnon de Postel, qui a choir plusieurs belles similitudes Poëtiques, desquelles pour exemple je conseilleray de voir seulement au premier livre ceste Description de Tempeste :

——Ac velut agmine facto
Qida data porta ruunt, & terras turbine
perflant,
Incubuere mari, totumque à sedibus imis
Una Eurusque Notùsque ruunt, creberque
procellis,
Africus, & vastos voluunt ad sidera fluctus,
Insequitur clamór qua virü stridor qua rudentü.
Eripiunt subito nubes cœlùmque diemque
Teucrorum ex oculis, ponto nox incubat atra
Intonvere poli, & crebris micatignibus æther.

Pour le plaisir que j’y prens, je mettray ces autres, peschez au premier livre & second :

Cùm subito affurgens fluctu nimbolus Orion
In vada ceca tulit, penitusque procacibus
Austris,
Perque undas superante salo, pèrque inviæ
saxaDispulit.

Voy je te prie per amor de mi, an second la Description des Serpens devorateurs de Laocoon. Et ces deux vers sont-ils pas naïfs, pour exprimer un sac de ville ?

Clarescunt sonitus, armorumque ingruit
horror.

Item : Exoritur clamòrque virum, clangors
que tubarum.

Item ceste populaire sedition.

——Savitque animis ignobile vulgus,

lámque faces & facra volant, furor arma ministrat.

Cette ouverture de porte est-elle pas excellente ?

——Foribus cardo stridebat ahenis.

Voulez vous voir une peur ?

Obstupuit, retróque pedem cum voce repreßit.

Et ailleurs :

Obstupuit Steteruntque come, & vox faucibus hæsit.

La ruine d’une maison,

——Ea lapsarepente, ruinam
Cum sonitu trahit.

Et ce feu,

Ilicet ignis edax summa ad fastigia vento
Voluitur, exuperant flamma, furit astus in auras
In 4. Aeneidos :
Stat sonipes a c fræna ferox spumantia mundi.

Je ne puis toutesfois m’abstenir, que je ne mette icy la mort de ce grand Pompee, divinement descrit par Lucian :

——Ut vidit comitus enses,
Involuit vultus, atque indignatus apertum
Fortunæ præbere caput, tunc lumina preßit,
Continuitque animam, ne quas effudere voces
Posset & æternam fletu corrumpere formam.
Et paulò poft,
Séque probat moriens.

Voy aussi au quatriemne livre de l’Aeneide la mort de Didon.

Va voir le surplus, si tu veux, ou attens l’impression entiere d’un livre, au lieu de ce chapitre.

Nos modernes Poëtes François se sont heureusement aydez de ces belles Descriptions : mais ce ne seroit jamais fait, de les rapporter toutes icy. Je n’en veux donc mettre que ce peu de suyvantes, tires du premier & second de la Franciade de Ronsard,

Qu’un grand vautour poursuivoit à outrance
Plus fort que luy d’ongles & puissance,
Qui çà, qui là, par le ciel batoit,
Tournoit, viroit, suyvoit & tourmentoit.

Autre part,

L’eau sous la pouppe aboyant fait un bruit.

Diriez vous pas proprement que vous entendez une eau pressee d’un gros navire ?

Et encore ceste cy d’une nef qu’on remuë sur terre,

Les grands vaisseaux coulassant en avant
Sur le rouleau qui craquetant se vire
D’un dos lissé du fray de la navre :
Ces artisans ayant le fer au poing,
L’ail sur le bois, & en l’esprit le soing,
Tous à l’ennuy formilloient sur l’arene,
Icy l’un fait le fons d’une cárene,
L’autre le prou, l’autre la poupe joint,
D’un art subtil l’ais à l’ais-bien à point
L’autre tirant le chanvre à toute force,
Plis dessus plis, entorse sur entorse,
Menant la main ores haut, ores bas,
Tord le cordage, & l’autre pend au mas.

Item.

Tel esguillon leur versa dedans l’ame
Une fureur, une ardeur, une flame
De liberté de vaincre & de s’armer,
Et d’emporter Ilion par la mer.

Au second livre ceste cy d’une tempeste, est tres-belle,

Tandis les vents avoient gaigné la mer,
Flot dessus flot la faisoient escumer,
La renversant du fond jusques au feste,

Une importune outrageuse tempeste
Sifflant, grondant, bruyant, & s’eslevant, &c.

Et toit apres au milieu,

Entre les feux, le tonnerre & la pluye,
La nuict, la gresle, une ardente furie
D’orage emporte &c.

Encor au mesme lieu, faisant la comparaison à un Pin renversé.

Le fait verser, fracassant & courbant
Tous les buissons qu’il rencontre en tombant.

Et autres que je laisse à recercher pour qu’un desireux de bien escrire.

Ces autres sont de Jacques Pelletier, mon tres-intime amy, la inemoire duquel m’est fort agreable. En ses quatre Saisons il descrit ainsi des batteurs de bled, qu’il semble qu’on les yoye en mesme action,

Consequemment vont le bled battre
Avecques mesures & compas,
Coup apres coup, & quatre à quatre,
Sans se devancer d’un seul pas &c.

En sa Suyte de Poësie inseree à la fin de son docte art Poëtique, il depeint ainsi le chant de l’Aloüette,

Elle guinde d’un Zepyre
Sublime en l’air vire & revire ;
Et y declique un joly cry,
Qui rit, guerit, & tire l’ire
Des espris mieux que je n’escry :

Le docte du Bertas au cinquiesme jour de sa premiere Semaine l’a ainsi descrit,

La gentille Aloüette avec son tire-lire
Tire-lire à liré, & tire-lirant tire

Vers la voute du ciel, puis son vol vers ce lieu
Vire, & de sire dire adieu Dieu, adieu Dieu.

Voicy un vers de quelque despité.

La rude & forte guerre
D’un foudroyant tonnerre
Rudement fracassa
Ce que l’horreur horrible
D’un barbare terrible
Jamais ne pourpensa.

Ces deux suyvans sont attribuez au bon Poète Ennius,

At tuba terribile sonitu taratantarà dixit.

Et cest autre amené par Ciceron, en une Epistre Ad Terentiam,

Africa terribili tremit horridæ terra tumultu

Venons aux folastres, Merlinus Coceaius in Zanitonella, parle ainsi à la Zoanina introduisant Garilla amoureux :

Dum cano plenis sophians ganaßis
Liliblirum, male stapobusos,
Ac priùs nasum sine me mocare
Iámque conmenta :
Debeo grossum facere ansutilum,
Sum refredatus, faciam sutilum.
Quod tuam vecchiam sonniabo vaccam
Nomine Moram.
O me biblirum Zoanina blirum,
Hunc veni lirum mea bili lirum,

Seq. quid. & c. Voylà pas gentillement exprimer le son de la chalemie ?

Cestuy-cy est joly en François, car il equivoque du son à la voix :

Ceux qui voudront lire liront,
Et qui voudra lire lira.

Le vray son d’un tabour, qui bat Colin tampon à l’effroy, est ainsi bien exprimé par les voix d’une populace, qui faisoit tout estourdiement estonnée, barrer les ruës avec les chaisnes. L’on m’a dit qu’il y en avoit une chanson mise en Musique, mais je ne l’ay pas veuë.

Qu’enttend-on, que ne les tend-on,
Qu’attend-en, que ne les tend-en.

Et ce suyvant est gentil aussi :

Tu as tort, tort tu as.
Vous avez tort, tort avez,
Ils ont tort, tort ils ont,
Ils auront tort, tort ils auront.

On equivoque par là plaisamment sur tortua, tortillon, tortillorum : mot bien fascheux à supporter à une bossuë.

Je te pourrois trouver infinis bons Sonnets dans nos Poëtes François, esquels y a de riches Descriptions : mais, pource qu’ils sont jà imprimez, je t’ayme mieux bailler ces cinq de ma façon, comme une viande nouvelle, Le premier est d’un piaffeur, nommé Robert le Vinaigrier, aliàs Seigneur Rambert.

Ce grand Renegue-dieu, qui d’un pas desdaigneux
Talonne le pavé, indigne comme il pense,
De servir de soustien à la rogue cadence,
Que fait le mouvement de son corps orgueilleux.
Ce puissant Taille bras, qui d’un regard hideux,
D’un sourcil refrongné porte la contenance
De dompter un Caesar, & qui a la vaillance
Sinon dedans le bras, pour le moins peinte aux yeux ?
Ce chapeau de travers, ceste longue moustache,
Qui par les cabarets, jeux de paumes s’attache

Bien armé qu’il estoit l’autre jour print querelle
Contre un jeune garçon, lequel de sa femelle
Le soufleta trois fois, & fit devenir doux.


Ce second est d’un petit mesdisant.


Un petit Marmoz et qu’on diroit que l’Indie
D’entre les Pigmeans, honteuse de l’avoir,
A voulu dechasser pour le vous faire voir
Et servir de Badin en quelque Comedie.
Un sot outrecuidé, qui du tout s’estudie
D’un langage pipeur ses amis decevoir,
Et qui n’ayant en luy ny grace, ńy sçavoir,
Avec un for parler un chacun attedie.
Un sot, un glorieux, un manequin, un draule,
Qui fait autant de pas du pied que de l’espaule ;
Un Vilain, qui cent fois à dementy sa foy.
Peletier, c’est celuy qui plein de toute tache
Tousjours impudemment encontre moy s’attache,
Et fait rire de luy, pensans rire de moy.

Ce suivant est d’un gros lourdaut, qui appelle sa femme ma Cassandre, & se faisoit appeller, mon Ronsard : encor que ce fust un vray pedant pour tout potage, selon que m’a asseuré le discoureur des heures.

Ronsard, je suis marry qu’un gros vilain pedant
S’appelle comme toy, surnomme une badine
Tout ainsi que tu fais ta maistresse divine,
Et veut par ce moyen faire le suffisant.
Car si tu le voyois ; c’est un vray bouc puant,
Renfroingne, noir, hideux, & qui porte la mine
D’un grossier foite-cul de Grammaire Latine,
Qu’on jugeroit jaloux seulement le voyant.

Ceste badine aussi qu’il nomme sa Cassandre,
C’est un large feßier, c’est une couve cendre,
Laide d’un sot maintien, digne d’un tel mary.
Elle dit toutesfois qu’un chacun la caresse,
Et cependant la croit, qui creve ded etresse,
N’a-il pas bien raison d’en faire le marry ?

Ce suivant m’a esté donné par un vergalant de Valence, qui l’avoir fait sur une sienne tante : par ce qu’elle se vouloit remarier à un Capitaine, n’agueres hostelier, auquel elle avoit ja faict une donation, en faveur d’entre lassi-jambon, au desadvantage de ses heritiers ab intestat.

Une vieille guenón desja demy pourrie.
Qui n’a plus que trois dents : au reste, les deux yeux
Comme une ruche à miel, cirez & chassieux,
Qui tousjours de son nez distile une roupie.
Un visage ridë la face cramoisie,
Un front demy pelé, la teste sans cheveux
Elle se marche encor, & d’un port orgueilleux
Ose bien sottement faire encor la jolie.
Mais las ! qui n’en riroit ? il y a bien plus fort,
Depuis un peu de temps que son mary est mort,
Elle a haussé d’estat pour se monstrer plus belle.
Pour le regard de qui ? d’un gros vilain porcher,
Tellement que l’on dit, quand on la void marcher.
Vilaine dessous drap, par dessus Damoiselle.

Cét autre est sur un petit Pimpreneau :

Mais d’où vient cét orgueil : on ne void par la ville
Un plus rogue vilain, qui contreface mieux
Depuis un peu de temps, le brave & glorieux,
Que ce petit camard, mary de la camille.
Il vit superbement encor mieux il s’habille

Bonne trouppe de gens, dont il se tient heureux,
Va chez luy pour joüer toutes sortes de jeux,
Et n’agueres pourtant n’avoit ny croix ny pille.
Ha ! j’entens bien le per, ces jeux sont les rapeaux,
Par lesquels il attire à son moulin les eaux
De plusieurs gens ausquels sa femme il abandonne
Ayant donc tel moyen, n’a-il pas bien raison
De marcher comme un Roy, qui porte en sa maison.
Cent cornes sur son chef luy servans de couronne ?

La suyvante Description est d’un gros Raminagrobis, qui avoit promis à la partie de le faire absoudre. Car il devoit tant cracher de Loix, qu’il feroit perdre haleine à son adversaire, mais il devint du contraire : Car il plaida si confusement que rien plus, dequoy sa partie, qui estoit un jeune Escholier prisonnier, fit ce Huictain :

Ce rote loix, ce crache-paragraphe,
Vesse-verset, authentique souflant,
Pete-canon, Decretalimouchant,
Extravagant d’un droict qui tout agraphe :
N’a peu si bien avec sa grand’ piaffe
Rotter, cracher, vesser, soufler, peter :
Extravaguer, Decretalimoucher
Que par sa voix on m’ait d’onné le taf.

T. litera apud Græcos, nota est absolutionis.

Nos Poëtes François, nommément du Magny, se sont plus aux diminutifs d’une fort bonne grace. Car ils font de petitelettes descriptionnettes, qui sont fort agreablettes aux aureillettes delicatelettes, principalement des mignardelettes : Comme,

Ma nymphe folastrelette
Ma folastre nymphelette.

Hierlas ! qu’il est quiliguedy.

Je mettray cest exemple encor non veu, du jeu des Ventes :

Je vous vens une goutette,
Une goute clairelette,
Une claire goutelette,
Qui vient à une fontenette.
Mignarde fontenelette,
Fontaine mignardelette,
Pour estancher c’est ardeur
Qui brusle aux amans le cœur.

Pour finir ce chapitre, j’adjousteray ceste Antithese de la belle & laide amie, extraicte des Poësies d’un certain personnage, qui n’escrit que pour son plaisir : Qui est cause qu’il use de dialecte de la Province particuliere, quand il le trouve bien significatif, & à son gré, & ne veut escrire à autres, qu’à ses Tarentins & bons amis : j’espere toutesfois tant faire, que d’arracher de luy quelque chose, comme n’ayant rien faict que fort ingenieux. J’ay expressément mis l’Antithese sur la loüange l’un apres l’autre, à fin que l’on vist les deux tous de suitte qui voudroit.

Chanson.

1

Qui les rares faveurs de beauté & de grace ;

Dont nature a orné vostre Angelique face,
Ensorcelé d’Amour, penseroit estimer,
Sembleroit espuiser les ondes de la mer.

2
Qui a veu du soleil l’excellente lumiere,

Il n’a pas encor veu des clartez la premiere,
S’il n’a veu la splendeur & clarté de vos yeux,

Qui sont astres jumeaux plus luysans que les cieux.
3
Vos leures, ma mignonne, & leur peau delicate

Surpassant le coral, la rose, & l’escarlate,
L’huitre vous imitez en baisant de bon cœur
D’un baiser moite & glout de divine liqueur.

4
D’œillet, roses, & fleurs est votre bouche plaine,

Aromats & senteurs respire votre haleine,
Vos soupirs dont Zephirs si soüefvement espars,
Qu’ils font germer en l’air violettes de Mars.

5
Aux perles d’Orient vos dents ostent la gloire,

Vostre col, vostre sein, sont plus blancs que l’yvoire,
Et semble proprement que l’Amour soit assis
Sur les fraizes poussant dessous vostre lassis.

6
Vostre jouë est polie & blanche comme marbre,

Teinte un peu de fleuret de Jacque ou de cinabre,
Vostre beau nez traitis sert de flesche à droit fil
À l’Ebene de l’Arcque fait vostre sourcil.

7
Vos doigts sont les fuseaux, dont vous filez la trame,
Antithese.

1

Qui le nombre infini de laideur & disgrace

Dont nature a soüille vostre odieuse face
Animé d’un desdain tascheroit despriser
Les gouttes de la mer sembleroit espuiser.

2
Quand le soleil esclaire, & monstre sa lumiere,

Alors vous paroissez des laides la premiere,
Vous ne devriez jamais ouvrir vos vilains yeux,
Pleins de fureur, tous ronds, bordez & chassieux,

3
Vos levres sont de fiel, & pleines de crevasses,

Et quand voulez baiser, font les mesmes grimaces
Sauf toutesfois l’honneur de la Chrestienté,
Que le cul d’un cheval quand il a fienté.

4
D’un vieil saumon pourry avez la bouche pleine,

Comme charongne on sent puante vostre haleine,
Et quand vous souspirez, ce sont des rots espais,
Qui de leur grave odeur rendent lair tout punais.

5
Le rasteau de vos dents est crasseux & jaunastre,

Vostre sein est terny comme une charcuastre,
sur vos tetins flestris les chicherons tous noirs
Representent les bouts de deux vieux entonnoirs.

6
Sous les os de vos yeux vostre jouau se serre

Pasle, maigre, saly, deffait, & plain de terre :
Vostre gros nez bitord biaise à contre fil
L’anse d’un chauderon que fait vostre sourcil.

7
Je compare vos doigts à des compositoires,

De la toile d’Amour où se loge mon ame :
Les palmes de vos mains sont les sacrez autels,
Où les Vestales font chastes feux immortels.

8.
Vos coiffes & resveils, ce sont rets de panteines,

Où mon cœur enlacé endure mille peines,
Vous portez les lassets dedans vos blonds cheveux
Où je suis prisonnier, & sortir je n’en veux.

9.
Les pas que vous tracez au son des Epinetes,

Semblent les monuments des astres & planetes :
Diane fretillant y avez surmonté,
Cytheree en maintien, Junon en majesté.

10.
La trouppe des neuf sœurs, qui les accords manie,

Adresse vostre voix d’une telle harmonie
Que mon Luth est muet quand vous avez chanté,
Et moy plein de souspirs je me pasme enchanté.

11.
La Cour de tous les Dieux envers vous gracieuse,

Desirant vous former de toutes parts heureuse,
Fit choix de vostre esprit entre les beaux esprits,
De vos perfections multipliant le pris.

12.
Heureux, sept fois heureux, qui par une esperance

De vostre noble cœur cherchera l’alliance,
Qu’on passe en Arabie & és Indes encor,
On ne verra jamais un si riche thresor.

13.
Toutesfois escoutez, combien que soyez telle,

Sy vous estes par trop à vos amans rebelle,
Les Dieux vous ont predit, par un certain destin,
Pour amant & mary quelque sot & badin.

Je compare vos doigts à des compositoires
Les palmes de vos mains semblent des décrotoires,
Les mesmes bras croisez ne ressemblent pas mal
Au gros peigne qui pend à la queue d’un cheval.

8.
La coiffe que portez sur vostre teste sotte

Ressemble d’un mouton une sale pansotte,
Les crins qui sont dessus imitent proprement
Le poil qui pend au cul d’une vieille jument.

9.
Les pas que vous tappez quand dancez en la ruë

Font bruit comme les pieds d’une vache qui ruë,
Et quand sautez devant tout un peuple assemblé,
Retombez lourdement comme un gros sac de blé.

10.
Vostre voix rugissant est la voix d’une anesse,

Comme la rouë d’un char ou n’y a point de gresse,
Moy ne pouvant souffrir discords si violens,
J’en romps quasi mon Luth, & en grince les dents.

11.
Pour forger vostre esprit, des infernaux la troupe

Dedans vostre cerveau mit un fardeau d’estoupe,
Außi vous jargonnez tout ainsi qu’un oyson,
Et en vos sots propos n’y a point de raison.

12.
Malheureux qui surpris, ou par inadvertance

Sera contrainct de voir la forte contenance,
En la sou des pourceaux ny es retraicts encor
On ne sçauroit trouver rien qui soit de si ord.

13.
Toutesfois escoutez, encor que soyez laide,

Si douce vous donnez aux requerant de l’aide,

Alors qu’on vous forma le Diffin a predit
Qu’aure par ce moyen quelque peu de credit.

ADJONCTION
de l’Autheur.

Le docte & laborieux du Bartas à fait en sa seconde Semaine infinies belles & nayves Descriptions : mais sur tout, celles du Cheval qu’il s’est estudié à descrire parfaitement pour sa beauté.


CAin de ceste peur, comme on dit, transporté,
Donne le premier frein au Cheval indonté :
Afin qu’allant aux champs, d’une poudreuse fuyte,
Sur les jambes d’autruy son Lamech il evite.
Car entre cent chevaux brusquement furieux,
Dont les fortes beautez il mesure des yeux,
Il en prend un pour soy, dont la corne est lisée,
Retirant sur le noir, haute, ronde, & creusee :
Ses pasturons sont courts, ny trop droits, ny lunez
Ses bras secs & nerveux, ses genoux descharnez
il a jame de Cerf, ouverte la poitrine,
Large croupe, grand corps flanc unis, double eschine :
Col mollement voûte, comme un arc mi-tondu,
Sur qui flotte un long poil crespement espandu :
Queuë qui touche à terre, & ferme, l’ongue espesse,
Enfonce son gros tronc dans une grasse fesse :
Aureille qui pointuë, a si peu de repos,
Que son pied grate champ : front qui n’a rien que l’os :
Yeux gros, pronts, relevez : bouche grande escumeuse,
Nazeau qui ronfle, ouvert, une chaleur fumeuse :
Poil chastin : astre au front : aux jambes deux balzans
Romaine espee au col ; de l’aage de sept ans.

Cain d’un bras flateur ce beau Jenet caresse,
Luy saute, sur le dos d’une gaillarde adresse :
Se tient coy, juste & ferme, ayant le nez tourné
Vers le toupet du front. Le Cheval forceně
De se voir fait esclave, & flechir sous la charge,
Se cabre, saüte, ruë, & ne trouve assez large
La campagne d’Henoc : bref rend ce Pelotron
Semblable au jouvenceau, qui, sans art & patron
Tente l’ire du flot : le flot la nef emporte,
Et la nef le nocher qui chancelle en la sorte
Qu’une vieille Thyade : il a glacé le sein,
Et, panthois, se repent d’un tant hardy deßein.
L’Escuyer repourprant un peu sa face blesme,
R’asseure accortement & sa beste, & soy-meme
La meine ores au pas, du pas au trot, du trot
Au galop furieux : il luy donne tantôt
Un longue carriere : il rit de son audace,
Et s’estonne qu’assis tant de chemin il face.
Son pas est libre & grand, son trot semble egaler
Le Tigre en la campagne, & l’Arondelle en l’er :
Et son brave galop ne semble pas moins viste
Que le dard Biscain, ou le trait Moscovite.
Mais le fumeux canon de son gosier bruyant
Si roide ne vomit le boulet foudroyant,
Qui va d’un rang entier esclaircir un armee,
Ou perçer le rempart d’une ville sommee,
Que ce fougeux Cheval sentant lascher son frein
Et piquer ses deux flancs, par viste de la main,
Desbande tous ses nerfs, à soy-mesme il eschape,
Le cham plat, abat, destrappe, agrappe, attrappe,
Le vent qui va devant, couvert de tourbillons
Escroule sous les pieds les bluctans seillons,
Fait decroistre la plaine : & ne pouvant pluus estre

Suivy de l’œil, se perd dedans la nuë champestres
Adoncques le Piqueurs qui, ja docte ne veut
De son brave cheval tirer tout ce qu’il peut,
Arreste sa fureur d’une docte baguette.
Luy enseigne au parer une triple courbette,
Le louë d’un accent artistement humain,
Luy passe sur le col sa flateresse main,
Le tient juste & coy, luy fait reprendre haleine,
Et par la mesme piste à lent pas le rameine.
Mais l’eschauffé destrier s’embride fierement,
Fait sauter les cailloux, d’un clair hannisement
Demande le combat : pennade, ronfle, brave :
Blanchit tout le chemin de la fumante bave :
Use son frein luysant, superbement joyeux,
Touche des pieds au ventre, allume ses deux yeux  :
Ne va que de coste, se quarre, se tourmente,
Herisse de son col la perruque tremblante :
Et tant de spectateurs qui sont aux deux costez,
L’un sur l’autre tombans, font largue à ses fiertez
Lors Cain l’amadouë, & cousu dans la selle
Recherche, ambitieux, quelque façon nouvelle
Pour se faire admirer. Or il le meine en rond,
Tantost à reculons, tantost de bond en bond :
La fait balser, nager luy monstre la jambette,
Le gaye capriole, & la juste courbette.
Il semble que tous deux n’ont qu’un corps & qu’un sens.
Tout se fait avec ordre, avec grace, avec temps :
L’un se fait adorer pour son rare artifice,
Et l’autre acquiert, bien-né, par un long exercice
Leger’té sur l’arrest, au pas agilité,
Gaillardise au galop, au maniement surté,
Appuy doux a la bouche, au saut forces nouvelles,
Asseurance à la teste, à la course des ailes.

Et comme un jour le Seigneur de Villers la Fay, Gentil-homme d’honneur, estoit en mon logis, & en entendit faire lecture fort attentivement, il dit à la fin : Voilà un trop brave cheval, & trop bien dressé en si peu de temps. Car outre ce que l’on faudroit bien d’en trouver un semblable en toute l’Italie, encores faudroit-il deux bons Escuyers qui l’eussent gouverné trois ans, pour luy apprendre ce que faisoit faire Cain à celuy-là en une heure.