Les Bigarrures/Chapitre 5

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Les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords (1572)
chez Loys Du Mesnil (p. 63-74).

DES
EQUIVOQUES
LATINS FRANCOIS.

CHAP. V.


E n suivant l’ordre des Equivoques, il ne sera mal à propos, apres ceux du François au François, d’escrire ceux du François au Latin : ausquels il faut autre definition que la precedente. J’adjousteray seulement que les uns se font de sentences ou periodes qui ont un sens parfait au Latin & rendent aussi bon sens en François : les autres sont de mots Latins mis de suite, qui ne font aucun sens en leur langage, mais rendent au François un sens parfait. Des premiers les exemples sont rares. Des seconds ils sont assez familiers, comme tu pourras voir és suivant.

Natura diverso gaudet.

C’est une sentence, qui signifie, Que nature se delecte de varieté : qui fait cest Equivoque biberonique,

Nature a dit verse au godet.

Godet, c’est à dire verse au gobelet,

Tartara culpa tenet,

signifie en François. La faute n’attend que l’Enfer : & rend cet Equivoque veritable,

Tard a ra cul pastè net :

C’est à dire, qu’un pasté aura tard le cul net.

Car plusieurs prononcent ara, au lieu d’aura.

Tu as veu cy-devant aux Rebus de Picardie, Habe mortem præ oculis, avec son interpretation, que je ne repeteray pas icy.

Requiescant in pace.

C’est à dire, qu’ils reposent en paix : Pour y equivoquer, on feint qu’il y a à la porte un homme, nommé Quentin, qui tire une racle (certaine espece de marteau) laquelle de son bruit fait Rré. Celuy qui est à la maison, demande, Qui est ce ? Il dit Quentin, Puis on dit ouvrant la porte, Passez.

Re, qui est-ce ? Quentin, passez.

Iliades curæ qui malla corde serunt ?

C’est à dire, Comme est-ce que les soucis Troyens sement le mal en leur cœur ; Cela fait un Equivoque sur deux Curez plaidans.

Il y a des Curez qui mal accordez seront.

Rothoma gensis, c’est à dire un Normand de la ville de Rouen, qui dit,

Son mangé du Rost, Thomas j’en suis.

Quia mala pisa quina. C’est à dire,

Pour ce que cinq bois sont mauvais en François il donne ceste belle sentence,

Qui a, mal a, pis a, qui n’a.

On dit aussi, que gens riches plaident tousjours.

Qui terra guerra.

Qui terre ha, guerre ha.

En la ville de Rouen un superbe gentilhomme, mercadente Fiorentino, fit peindre en grosses lettres d’or sur la cheminee.


RESPICE FINEM.

Et comme R. & M. estoient plus eminentes, les laissant là, restoit Respice finem : qui estoit à vray dire, l’origine de la noblesse de ce venerable messer.

Ducum est, amorrus cæli aquilæ vitam,
Du con est amoureux celuy à qui le vid tend.

Un certain s’estant retiré devers le grand Roy François, pour estre pourveu d’un estat de Finances : Le Roy auquel on essayoit lors des botines, qu’on surnommoit des brodequins, interrogea plusieurs assistans, comme on les pourroit appeller en Latin ; Entre lesquels ce financier se hazarda de dire, Sire, c’est à mon advis, Brodequineus. Car notez qu’il estoit Bourguignon, & prononçois eus au lieu d’us. Le Roy tout esbaudi du plaisant patois Bourguignon Latinogotisé, exclama se sousriant ; Foy de gentil-homme il dit vray, car ses brodequins sont neufs. Et veu l’admirable subtilité de ce grand Latinisateur, il le déclara tres-digne de l’estat qu’il pretendoit. J’ay veu faire ces folastre questions sur equivoques d’un seul ou deux tons.

Quel verset des Pseaumes ayment mieux les femmes ; C’est Et ipse au De profundis, disoit un bon compagnon en certaine compagnie de femmes. Car Et ipse redimet, c’est à dire, Red y inet, ou roid y met, qui est ce que vous aimez le mieux.

Une de la troupe pour se vanger le fit victus, car il ne pust deviner le verset des sept Pseaumes de mieux habillé, qui est Tunc acceptabis : car elle disoit, Tunc à sept habis. Celle la mesme disoit aussi que, Et perdes omnes, estoit le plus mauvais paticier du monde, pource qu’il y a, perdas omnes inimicos ; Il n’y mit que os.

L’on dit vulgairement aux petits enfans quand il apprennent leurs Pseaumes, qu’ils demeurent long-temps à Laboravi, laboure envy :

Habitavit, c’est à dire une brayette, quasi Habit à vit.

L’on dira habitaculum, habit à cul long, à mesme raison.

Un quidam servant ses hostes d’une perdrix, pour contrefaire Limosin Rebeletique, & le spirituellement liberal, leur disoit, Messieurs, omnia tencare. Quand la perdrix fut mangee : on luy fit responce, On y a tant tasté, qu’il n’y a rien demeuré.

En une consultation, des jeunes Advocats se debattant sur l’interpretation d’un Chapitre, Clerici aux Decretales, qui estoit fort aisé, un vieil Advocat spectateur leur dit, Messieurs, il n’est ja besoin du chapitre Clerici, car il fait bien clair icy, & en apres leur resolut bien aysément leur different.

Aux lettres de la Chancelerie de France, ils ont encores retenu pour le jourd’huy, la façon de mettre en Latin Contentor, pour dire, je suis content. Surquoy equivoqua plaisamment un certain, à qui l’on l’avoit bien fait acheter : car apres que les lettres furent presentees en jugement ; & que l’on vint à lire ce mot. Ouy depardieu, ouy, il peut bien mettre or content : car j’en ay payé cent escus, estimant que Contentor, fust à dire ; Or content.

Maurice Seve ; voyant un livre qu’on luy avoit apporté pour en dire son advis, dans lequel estoit traicté des droicts du Roy, & estoit intitulé Solium regis : Il dit feignant qu’il n’avoit pas bien regardé la premiere lettre. Vrayement vous avez bien mis, Folium regis : car en ces fueillets vous traictez des droicts du Roy : toutefois il me semble que la lettre F, n’est pas assez bien formee. Or notez qu’il equivoquoit par là plaisamment en Latin & François par moitié, pour signifier Folium regis : c’est à dire petit fol du Roy.

Je feroy grand tort au pere de la faculté Dijonnoise, feu Messire Richard Sicardet, natif de Talant, & Curé de S. Apollomei, si je ne mettois icy quelque preuve de son sçavoir. Comme il vit qu’en une honneste maison, où il frequentoit ordinairement, l’on faisoit dire à des jeunes enfans un mot en Latin, avant que se mettre a table, duquel ils prenoient l’interpretation dans un Dictionnaire, a raison dequoy on luy faisoit honte tous les jours : Il se va persuader, que pour petit prix il deviendroit sçavant en peu de temps, & voulut avoir un de ces livres, qu’il acheta : Et de fortune à la premiere & fortuite ouverture de son livre, le premier mot fut Vulgus gi, go, Soudain sans regarder plus avant, il se va persuader, que Vulgus signifioit un gigot, autrement le quartier de derriere du mouton. Et d’abordee, lors qu’il vit ces enfans, leur demanda, Dites moy en Latin un gigo : les escholiers ayant respondu, coxa veruecina, ou femur. Il exclama, avecques une grande joye, victus barban, c’est vulgus, Et de fait ayant apporté son livre, on luy donna gain de cause & fut dit que c’estoit un tres bon mot Latin. Il souloit porter en sa devise equivoquante, ce Latin & François, sur son nom, avecques l’adjonction de deux noms,

Richard Sicardet.
Ainsi riche ard,
Sic Ardet Dives

Mais cela ne provenoit pas de son entendoire, ains luy fut trouvée par un docte Chanoine Langrois, qui prenoit singulier plaisir en ses heures de recreation, de s’esbattre sur telles inventions spirituelles.

Il n’est pas mauvais d’un autre, qui ayant appellé coqu, un qui l’estoit vrayement, & dont la preuve eust esté fort facile. Neantmoins parce que nos mœurs ne permettent d’injurier personne, encores que l’injure soit vraye, en estant appellé en justice, il dit qu’il l’avoit simplement appellé Coquus en Latin, qui signifie en François un cuisinier ; à cause que le demandeur en reparation avoit fait n’agueres une fort bonne sauce sur une perdrix.

Je ne veux oublier la devise d’un bon compagnon, nommé Cornuel, qui est, Cornua consringam : & en François, Corps nud à confrigant.

Je sçay bien que l’on pourra dire, qu’il y a autres dix milles exemples semblables, & plus gracieux, que ceux que le propose. Je l’accorde : mais aussi je me contente que l’on cognoisse que je reduy seulement forme d’art, & quasi par lieux communs, infinis contes, qui par faute d’estre bien adabtez, perdroient leur grace, & s’escouleroient hors de la memoire.

Ces exemples suyvans sont de la seconde espece, sçavoir de bons mots Latins, qui s’entresuyvent, sans esgard ny de substance, ny mesme de Grammaire., & rendent quelque bon sens François par leur Equivoque. Les plus excellens se font avec telle quantité bien observee aux vers, que cela rend à ceux qui entendent la langue Latine, un son agreable aux aureilles. Le plus ancien & premier que j’aye remarqué, c’est un Epitaphe de Charles le Terrible, dernier Duc de Bourgongne, escrit au Cimetiere des morts à Nancy, duquel j’estime que les autres ont pris l’invention. L’on tient qu’il fut composé par les Secretaires du Duc mesme, qui c’estoit rendu au service du traistre Comte Campaboche Italien, qui fut seul cause de la ruine de ceste grande maison, dont ce poltron ingrat avoit receu tant de faveurs.

Res amor de tendis videas ita principis aulas
Oruit adversæ vincula noua gregis.
Qui fuit ille vada belli duc gentis ob umbras
Fervet es orma volant fulmina scire vales.
O folium venti contraria per desagitas,
Fortibus & mortes nulla sepulchra premis.
Quatuor argento nudos & cornua terres,
Si mortem ferias Platea dura iacis.
Flandria divertens, nam si victoria surgens,
Lasos terra jaces qui mala tanta perit.
Andrea perduces confors auferre nefandus,
Duc finem fit adhuc, gloria plusque decus.

L’interpretation est.

Reths a Moractendis, vuidé as, il t’a pri cy pis au lacs.
Où rus-il ta versé, vaincu là non à gré, gis
Que fouit il evada belle li Duc gentil au bon bras,
Fer vest & sarma voulant fulmina sire & valets,
O sol lion vent t’y contraria, par deçà giste as,
Fort y beus & mortes, nul a sepulcre, a pré mis.
Qu’as tu or, argent, tout nud d’os, & corps nud à terre es,
Si mort enfer y a plat es a dur aage occis.
Flandre y divers temps, Nancy victoire y a sur gens,
Les os terre a jajecs, qui mal attend, a peril.
André a perdu ses consors, au fer René fendus :
Duc fin en fit à Duc, gloire y a plus que d’escus.

Il fit encore l’epitaphe du cheval,

En pré mortel icy est, sellé, bridé, mort & coy, gist,
Fuyant eust en dos, coup y a long aspre au cul.
En premor eliciet celebri de morte coegis

Fiant utendos copia longua procul.

On y adjousta cette periode depuis,

Ne tunc beatum, caro fit lutumtue.
Il est tombé à temps, aussi l’euft on tué.

Ces suyvans ne seront, à mon advis, trouvez mauvais, encor qu’ils soient un peu sales.

Mors tum acu fæni, qui grande barbara latum.
Mor pion à cul fait nid, qui grande barbe a rase la tend.
Vela meum Cupres, sens sebremment merit omnes,
Voylà mon cul pres, sensi s’il fait bran mets y tonnez.

Durant les guerres civiles on a fait ces suisvans.

Errant sumptameos folii sunt vela secundi,
O mors tanta venus omnia malo viæ.
Errans sont à Meaux, fols ils sont voylà ce qu’on dit,
O maux tant advenus, on y a mal obvié.
Parco quingentis quasi prima corona secundæ.
Messis mille suis sunt fera lege pari.
Par coquins gentils quasi pris ma couronne à ce Condé,
Mais six mille Suisses ont fort allegé Paris.
Somnia atra pedes buc nos mala visegementes,
Pende stylla diu qui fuit arma levè.
S’on y attrape des Huguenots mal advisez je m’en tais :
Pendez cestuy-là Dieu qui fuit armes a levé.

Encor que la quantité du vers ne soit pas bien observee au distique suyvant, si le mettray-je, pour sa naysve grace :

Si eum ftipe tu es, subitque tu aras à valle,
Læsus deformis tu neferásque pete,
Si constipé tu es, subit que tu auras avalé
Les œufs de fourmis tu ne feras que peter.

A misera blasos ædes perit, ô mala visæ
Quartam plus en aves plus & amasse volet.
Ab miserables sots & desprits, ô mal aduisez.
Car tant plus en avez plus & amassez voulez.

Apres ces vers suivra cest hemistiche,

Qui vi a barbara finit.

La syllabe, au, du mot aura, se prononce souvent, comme qui diroit ara : ainsi que j’ay dit cy-dessus.

Or si l’on s’est delecté sur ceste invention en vers, aussi à l’on bien fait en prose, comme le tres-ingenieux & sçavant personnage, Jean Toruobat, lequel apres ses plus serieuses occupations ne desdaigne point de s’esbattre en ses spirituelles inventions : qui escriuoit à feu Monsieur Belleau, excellent Poëte François, l’invitant à disner, pendant le sejour d’un quatre ou cing mois, qu’il fut contraint faire, estant malade, en ceste belle & forte ville, size sous l’elevation du Poleleg.

1.

M.3. ayant de longitude deg. 26.

M.1. selon la suppuration de Ptolomee,

4.

Sciens bestia quia bellum, si me scire iam & decet avis, cerà tolle casá digne. Quanto vini statera, & finet bonam cera per se dum excellent, iam Martin pati ciacumsonent ratum fera proli sue.

Ceans best’y a, qui a bec long (nota que s’estoit une becasse) si meßire Jean est de cest advis, sera le cas à disner. Quand au vin il se tastera, & s’il n’est bon en fera perse d’un excellent, Jean Martin paticier consonant rasion (espece de tarte) fera pour l’issuë.

E 4

J’ay ouy dire aussi le suyvant, il y a plus de deux quarterons de mois.

Sæcula quæ tuas fidelisque fuisset,
Ce cul la que tu as fy de luy que feu y soit.

L’on dit vulgairement ly, au lieu de luy,

La Dame de Misert sçavoit ces trois beaux mots de Latin, dont elle faisoit grand parade, parce que la mastiere le valoit.

Imputarum. Conculcavit. Cuiuscunque.

On en peut aussi faire des entrelardez, moitié François & Latin, comme.

Sero montes,
Mane fontes.
Sero mantes, sero i.soir,
Mane fontes. Manne.i.de manir.

C’est à dire, le soir montagnes, & le matin fontaines.

Quelques autres pedants de village font des lanternieres questions comme, Qui tua Penelopé, ce fut Hanc.

Unde versus, Hanc tua Penelope.

Mais cela est si fade, à mon advis, que j’ayme mieux me taire que d’allequer : encor qu’un bon vieil Curé ait pris la peine d’en ramasser trois ou quatre cayers qu’il m’a communiqué, s’il les fait imprimer & que les voyez vous en direz vostre ratelée.

J’adjousteray encor ces autres Equivoques que j’appelle doubles : pour ce qu’outre les Equivoques du Latin au François, encor il y a Equivoques du Latin au François. L’invention consiste à trouver des mots Latins, soit en vers, ou en prose lesquels prononcez de suite, equivoquent à d’autres mots Français, desquels encores la substance ne vaut rien, si l’on n’equivoque encor sur d’autres mots François. L’exemple t’instruira mieux que ma deffinition,

Musca tonus naves, sed cantus funera vota.

Ces mots interpretez de suitte sans article s’interpretent ainsi.

Mouche ton nez meschant morts veux. Lesquels mots François equivoque sur, Mousche ton nez meschant morveux.

Ponere lapidem janua magna vidit,
Maistre Pierre porte grand vit.

Et sa voisine est stultus mensa. Stultus c’est à dire fou, & mensa table. D’interpretation il n’en est jà besoing. J’ay veu en un vieil livre d’Église, ce distique,

Sed secratores submersi tessera damna
De sero mare hic liber aut viridis :
Mais sieurs noyez dez dain
De fermer ce livre ouvert.

C’est à dire.

Meßieurs n’ayez desdain de fermer ce livre ouvert.

Il y a long-temps que j’ay ouy publier ces suyvans :

Nam nec habetfexuum regnat cum cardice fædo.
Car ne ha vallet regne avecgon ord.
Castigame regit cunnus fraudis sibi iunctos.

Et autres que je laisse sciemment ; tant afin de n’offencer personne, que pource que je n’en fais mie grand cas.

ADJONCTION
de l’Autheur.

Un certain voyant qu’on l’injuroit, & n’osant appertement respondre à bon escient, disoit seulement : He, monsieur ne passez pas outre, Reconde loquelas tu as menti, qui est à dire, Cache tes paroles en ta pensee : & fait un equivoque François. Tu as menty.

Et les Parisiens pour dire en Latin un vieux pot, l’appellent potentiam, tout en un mot, quasi pot ancian, ou ancien.

ADJONCTION
d’autruy.

Un certain bon compagnon, voyant une bonne Drollesse, qui couroit galamment l’esguillette, & à laquelle cinq ou six autres ses semblables non gueres meilleurs que luy, avoient eu affaire, aussi bien que luy, disoit d’elle.

Albat habet æstatem bene fortis stulte necator.

Pour explication, ne faut qu’interpreter les mots tout de suitte.