Les Bigarrures/Chapitre 4

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Les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords (1572)
chez Loys Du Mesnil (p. 44-62).

DES
ESQUIVOQUES
FRANCOIS.

CHAP. IIII.


J ’Ay cy-devant parlé amplement des Equivoques de la peinture à la voix, maintenant je rapporteray l’autre sorte qui se fait de la voix, de longtemps & ingenieusement traictée par nos François, & combien que ce mot d’Equivoque, selon que nous le prenons generalement, se puisse entendre des syllabes de mesme terminaison, selon qu’on faisoit les vers Latins rimez, qu’on appelloit vers Leonins, dont je parleray cy-apres, & que ce sont encor auiourd’huy toutes les Poësies Françoises & Italiennes, qui ont peu de graces, si deux voix unisonantes ne se rencontrent à la fin de deux vers s’entrerimans ce que les Rhetoriciens ont appellé d’un nom propre Omioteleste, c’est à dire finissant de mesme : neantmoins je prens icy ce mot d’Equivoque pour une espece particuliere, sçavoir quand un ou plusieurs noms, se peuvent rapporter à une autre ou divers noms, de mesme son, selon l’aureille, & diverse signification. Dont qui voudroit avoir des exemples, elles sont rares és Grecs & Latins, & vulgaires és anciens Poëtes François, comme Marot, en l’Epistre par luy adressee au grand Roy François, qui commence :

En m’esbatant je fay ronde aux en rime,
Et en rimant bien souvent je m’en rime,
Bref, c’est pitié d’entre vous rimailleurs,
Car vous avez assez de rime ailleurs.

Drusac un Tolosain rimailleur, imitant Marot, en certain livre qu’il a fait contre les femmes, a composé de ces Equivoques jusques au nombre de trois ou quatres cens vers, desquels, qui voudroit prendre la peine, on pourroit (comme Virgile faisoit des ordures de Ennius) ramasser un bon nombre, & les reduire en meilleur François, comme on a fait ceste suivante Elegie :

Belle aux beaux yeux, pour qui des douleurs je comporte.
Plus qu’on ne pourroit pas pour autre qui comporte
Oyez les grands regrets que faire me convient,
Pour le mal qui sur moy par vostre seul con vient,
Je fus bien malheureux, tout haut je le confesse
Quand je touchay sur vous tétin, cuisse, con fesse.
Cher me fut le banquet, la feste, & le convy,
Qui causerent premier pourquoy vostre con vy.
Car j’endure grands maux sans espoir de confort,
Seulement pour avoir aymé vostre con fort.
Il m’eust bien mieux valu à tous maux condescendre
Qu’ainsi folastrement sur vostre con descendre,
Mais vos friands regards, vostre beau contenir
Me donneront desir de votre con tenir
Et de vostre cœur faux au mien simple conjoindre
Pour en apres mon corps pres de vostre con joindre
Et deslors, sans passé contract, ny compromis,
Moyennant cent escus me fut ce con promis.

Le soir allant vers vous je les payay contant,
N’estois-je pas bien fol d’acheter un con tant ?
Que l’argent fus conté, de si pres vous connu,
Quand nud entre deux draps je tins votre con nu.
Et puis je m’efforçay d’emplir vostre conduit,
Mais a trop engloutir vous avez le con duit.
Neantmoins courageux, & en ardeur confit,
Je fis autant d’exploits qu’autre en vostre con fit :
Et heurtay tant de coups, si bien vous les contez
Qu’oncques faire on ne vit assauts en un con tels.
Je pensois estre un Roy, ou un grand Connestable,
Quand mon courtaut eut fait en vostre con estable,
Ce qui plus m’a folie & mon regret conferme,
Je pensois chevaucher un beau jeune con ferme :
Et c’estoit un trou sale, ou nul ne doit entendre ;
Veu que chacun pour rien venoit vers ce con tendre.
C’estoit une charongne infecte & peu congruë ;
Quoy ? ne fus-je pas bien d’acheter tel con gruë ?
Tous les jours avec vous moines se conjoüyssent,
Gens de toutes façons de vostre con joüyssent,
On y va tour à tour, puis Abbé, puis convent,
Certes femme peu vaut qui donne à son con vent,
On me le disoit bien, mais par ma conscience,
Pour un coup l’on pert sens, & par un con science.
Tout homme devient fol, tant soit sage ou content,
Qui met tout son esprit a aymer un con tant,
on devroit assommer un homme, & le confondre :
Qui sa force & vertu va dedans un con fondre.
L’Homme n’est-il pas fol qui pour se consoler,
Cuide à force de coups jamais un con saouler ?
Combien de hauts esprits en voit-on condamnez,
Et combien de grands clecs sont par un con damnez.

J’en suis à l’Hospital attaint & convaincu,
Pour un con mis à bas, & pour un con vaincu.
D’oresnavant vivray par reigle & par compas,
Ny ne feray jamais pour si vilain con pas.
Jeunes gens escoutez, à vous je me complains,
Regardez les dangers desquels sont les cons plains.
Les goutes & boutons sont en moy congelez,
Tous mes membres & sens sont pour un con gelez.
Te vous sers de miroir, plein de compassion,
Gardez vous bien d’avoir pour un con passion.

Je viendray aux exemples, qui t’instruiront avec qu’elle gaillardise & discretion on les peut practiquer. Et pour commencer j’entameray ce mot d’Equivoque, sus equivoquons : Mes dames on a fait vos maris coqux, & qui vos cons, respond le bon compagnon.

Un quidam irrité contre sa femme, la menaçoit de battre à grand coups : à quoy cette femme ne faisoit autre responce sinon, Par le bas mon amy, par le bas. Donc, estant reprinse des voisins, qui luy remonstroient, qu’elle aigrissoit d’avantage son mary, & qu’il ne falloit pas ainsi superbement parler à luy. Elle s’excusa & dit qu’elle ne vouloit pas le faire taire que son intention estoit seulement de luy dire, qu’il la devoit battre par le bas. Dont le mary, qui n’estoit pas des plus courroucez, se print le premier à rire.

Une autre aussi bonne commere (ainsi que j’ay apris de Dame Philopote Pintasson) comme on portoit son mary en terre, Helas ! disoit elle, mon pauvre homme & moy avons si bien vescu en semble, nous avons eu trois enfans, donc les deux petits sont morts, & le plus grand vit. Et repetant ce mot, de grand vit, elle regardoit ce jeune enfant vivant ? au quel puis apres adressant sa parole, elle disoit, Las ! mon enfant, ton pere nous a si teusement dit adieu : Helas ! quel congé, quel congé, c’est pour jamais, mon Dieu, quel grand congé ! Prononceant ; lesquels mots, elle exclamoit derechef, à la façon de nos criardes femmes de France (car c’est à qui bruya le plus haut) & frappoit de ses mains sur son ventre. De sorte que plusieurs, qui cognoissoient l’humeur de la pelerine, affermoient qu’elle avoit sciemment exclamé sur grand vît, & con j’ay, lieu de congé.

Il y avoit un amoureux, qui avoit longuement idolatré une certaine Chiaude : laquelle, à la façon de nos Poëtes François, il avoit baptisé sa Pandore, du nom de celle qui eut tant de beaux presents des Dieux ; Voyant en fin qu’il perdoit son temps, & en avoit mauvais visage, il la souloit appeller, Ma Pandore, qui de sa chemise le dernier pan dore.

Un Advocat fut un jour bien trompé : car au lieu qu’il pensoit avoir un double ducat, pour salaire d’un gros procez qu’il avoit fueilleté, il ne trouva que le double du cas posé, & s’equivoqua sur la lettre de son client, qui luy escrivoit en ceste sorte : Je vous envoye mon sac, avec un double du cas, je vous prie bien voir tout, & me faire un ample advis, &c.

Jean Rifflart eut un jour querelle contre Jean Camardin, & par desdain luy dit, Allez, allez punais, il ne vous appartient pas de vous prendre à moy. Auquel Camardin respondit, Je ne suis point punais, cocu. Dont Rifflart se sentant injurié, le fit appeller en justice, pour avoir reparation : & fit remonstrer l’attrocité de l’injure, qui pourroit causer un divorce, & troubler son mariage, & fit l’injure si-grande avec demande de si enorme reparation honorable, que chacun pensoit que Rifflart seroit chastié aigrement : Quand son Advocat, dextrement & gaillardement fit tourner le tout en risée : car il remonstra que Camardin, indigné de ce que l’on l’avoit appellé punais avoit dit qu’il n’estoit point punais qu’au cul. De sorte que sur telle declaration il fut mis hors de cour & de procez ; sans despens.

À Moulins en Champagnes y avoir un Apoticaire, nomné Desbordes, qui, pour avoir estudié avec quelques Barbiers, retenoit un peu de leur humeur glorieuse, & à ceste occasion luy prit affection de choisir quelques belles armoiries, pour mettre sur la porte de sa boutique : Dont conferant avec ses voisins, l’un luy dit. Il vous faut faire un feu, qui signifiera le feu des brandons, autrement des bordes, avec le mot, Il n’est beau feu que des bordes : l’autre, il n’est joye que des bordes. En fin se rencontra un orfevre bon compagnon, qui luy dit, Je serois d’advis, que comme vous estes monsieur l’Apothicaire, vous prinssiez trois pillules d’or en champ de gueules : & pour devise vous mettrez en grosses lettres d’or, Par pillules le cul desborde. Dont mon homme, tout scandalisé & irrité, ne parla ont puis d’armoiries ny de devises.

C’est un proverbe commun, Qu’on ferme bouteilles à bouchons, & flaccons à vis, id est, flacs cons à vits.

Les lavandieres ont un proverbe ordinaire, Si vous lavez, ne me le prestez pas : si vous ne lavez pas, preste-le moy. Qui s’entend d’une Palette ou batoir, propre à laver les draps.

Un gaillard d’Escolier, retournant de Tholose fut si curieux que de rapporter en son pays une mesure des robes & sayes, dont les Mondinets s’accoustrent fort proprement en ce pays là : Et mandant un cousturier, luy dit qu’il vouloit ainsi, & ainsi avoir ses habits à la Tholosane. Ce que retint si bien ce cousturier, qu’estant mandé d’ailleurs il disoit Monsieur, il faut que je vous habille à la tour aux asnes (pensant dire à la Tholosane) comme un tel, qui a rapporté une brave façon. De sorte que depuis on l’appella, Le tailleur de la tour aux asnes.

Maistre Pierre Presat, estant aux champs en commission, fit gageure contre Vasot Clerc au Greffe du Bailliage de Dijon, que son cheval n’estoit point ferré de vent. Le Clerc ayant mis pied bas, & congneu à veuë d’œil que son cheval avoit deux fers és pieds de devant, pour maintenir le contraire, consigna un escu, à la charge que l’on croiroit le premier passant. Et sur ceste asseurance arresta le premier qui se trouva sur le chemin, & l’enquit si lon cheval n’estoit pas ferré par tout : il respondit que ouy. Lors Presat demanda de quoy il estoit ferré, surquoy le passant ayant respondu qu’il estoit ferré de fers, Presat maintint qu’il avoit gaigné & qu’on ne sçauroit ferrer un cheval de vent. Et par ce moyen gaigna la gagnere.

Un Escolier s’estoit obligé à son compagnon de vingt livres tours noirs, au lieu de vingts livres tournois, qu’il avoit receu. Son creancier voyant le terme expiré, & qu’il ne pouvoit estre payé, fit assigner l’obligé, pour se voir condamner à la recognoissance & au payement. Lequel, apres l’avoir recogneuë, dit qu’il n’estoit tenu au payement, car il s’estoït obligé à chose imposible & allegua la Loy Impossibilium ff de regu iur.

Je fus un jour en masque avec grand Narinard, lequel, pour se bien desguiser, avoit mis une grande juppe de veloux, appellée vulgairement une Sotane. Si tost que nous fusmes tous entrez en une bonne maison, chacun qui se cognoissoit bien, commença à dire, Monsieur le grand sot asne, vous plaist-il pas vous demasquer nous cognoissons bien desja le reste de vostre troupe. En fin il se demasque, & dit, Or sus vous les cognoissiez tous hors mis moy. Par ma foy, repliqua une Damoiselle fine à dorer, pardonnez-moy chacun vous a bien cogneu & nommé.

Comme deux Tholosains furent bien empeschez à disputer en Thelogie, où ils n’entendoient gueres, l’un dit, Point point, je sçay bien qu’en dit l’Anastase, Lors un tiers rencontra plaisamment & leur dit, Que l’asne à ceste aze ? c’est à dire asne.

L’on m’a dit, qu’un Gentil homme d’apparence trouva une fois un Cordelier, qu’il menaçoit de faire pendre, & voulant le spirituellement gausseur, luy disoit : Cordelier, de cordes lié, vous aurez le corps deslié, afin d’avoir un beau colier, dont vous aurez le col lié. Mais le Cordelier qui n’avoit affaire qu’à un trepelu, le voyant estre seul, le desmonta gaillardement, & puis montant sur son aridelle, luy dit Monsieur l’Esccuyer qui n’aviez pas le cul hier avec les dents, & n’aviez pas l’escu hier, ny un blanc pour vous faire pendre : je vous vay maintenant apprendre, comme je suis habile a prendre. Et endare.

Un pauvre garçon qui demandoit la passade : interrogué d’où il estoit, respondit, de Normandie Vrayement, dit l’autre, vous avez raison, Qui n’a n’argent, n’or mendie.

Le Dieu des Medecins s’appelle Esculape, non pas de l’equivoque de ce cul happe, mais d’escu happe, pour ce que les Medecins pinsant volontiers.

Un soldat oyant discourir son Capitaine, frais retourné du College de Montagu, où il avoit esté page sous nostre maistre Bouquin, l’espace de 3. ans lequel disoit en grand appareil, il y a en Lacedemonie ; entrerompant a parole, luy dis, Par Dieu c’est moy aussi qui suis lassé de moines : car il y a un meschant Prieur qui me fait mille maux, &c.

Un Evesque de Melum, voulant dire sa Messe en Pontificat, envoya advertir un sien Suffragant de le venir trouver, pour faire office de Diacre, lequel comme vieil & caduc qu’il estoit on le trouva pres du feu, avec un grand verre sur la table, & un petit morceau de pain. Et fit responce, je vous prie m’excuser envers Monsieur, si je l’ay tant fait attendre, car je n’ay encor achevé matine. Ce qu’estant rapporté à l’Evesque, qui se faschoit de si long sejour, renvoya encores pour le haster, luy dire, que pour ce jour là il le dispensoit d’achever la Messe. Mais ce bon Suffragant prenant son verre plein, dit qu’il auroit plustost fait de parachever promptement. Et ayant vuidé son verre, qu’il appelloit sa tine, dit, Or sus, me voylà exempt de la dispense de Monsieur l’Evesque, je le vay trouver pour dire Messe, puis, que matine est achevee.

Il ne sera mal à propos d’en reciter un d’un vergaland de vigneron de Dijon, qui disoit, Pair le codey quai forraubrelai lou solo, pource qu’en yuar el tau luthard : C’est à dire, qu’il faudroit brusler le Soleil, pource qu’é hyuer il estoit luit tard : equivoquant sur Luther. La spiritualité de l’equivoque n’excede pas dix lieuës les limites du bon cru le mont Talentin.

Il y eut au Compté de Bourgongne un assez riche Citadin qui se fit anoblir par l’Empereur : & le Secretaire qui avoit, peut estre, esté mal payé de ses despesches, luy donna par mesme moyen pour ses armes, un coq sans membre, qui estoit de sable en champ d’argent. Et enquis de la raison, dit que c’estoit un coq imparfait, pour dire un coquin parfait.

Un gros Abbé forgeron fut un jour repris de son Evesque, à cause de son avarice, & qu’a l’appetit de ses forges il ruinoit tous les bois d’une Province, dont le pauvre peuple exclamoit. À quoy il fit responce, que ses predecesseurs avoient gaigné en vin, mais qu’il gaigneroit en fer ce qu’il pourroit. Alors l’Evesque luy dit, Et vous gaignerez enfer aussi.

Un Juge Royal disoit un jour en une remonstrance à ceux de son Siege, addressant son propos aux Advocats dit qu’on les appelloit ainsi ; Parce, dit-il que vous devez diligemment penser à vos cas. O l’excellente Etymologie !

Zonare recita ce que Constantin fils d’Heraclius, estant prest à combatre, songea qu’il s’acheminoit θεσσαλονίκον, c’est à dire en Tessalonie, ville celebre de Macedoine. À quoy un qui l’assistoit, repetant ce mot de syllabe, à syllabe, vint à dire, θές ἄλλων κοι, qui est à dire, Laisse à un autre la victoire. Et advint que combattant contre le conseil inopinément equivoqué, il perdit la bataille.

Alexandre le Grand ayant long-temps assailly la ville de Tyre, mais en vain, estant prest a lever le siege, infiniement fasché, s’endormit : & songea en dormant qu’il voyoit un Satyre, lequel trepignant à l’entour de luy, il attrappa, À son resveil il fit le discours de ce songe en presence de plusieurs, ou se trouverent aucuns sages, qui luy interpreterent que ΣΑΤΥΡΟΣ, en deux mots signifioit, Tienne est Tyre, de sorte qu’il s’opiniastra de l’emporter le lendemain : ce qu’il fit heureusement, ainsi que Plutarque en sa vie le rapporte.

Tu verras és Amphibologies, des fortuites felicitez, ou adversitez survenuë pour mesmes rencontres.

Or descendons un peu sur les femmes : j’ay veu une certaine joüant aux Tarots, laquelle comme ce vint à son tour d’avoir la main, escarta le Roy de Baston. Et voyant qu’il tardoit trop à venir, asseuree ; selon la disposition du jeu, & nombre des triomphes, qu’il ne luy pouvoit eschapper, dit à l’un de ceux qui joüoient avec elle, Monsieur il faut que j’aye yostre Roy de baston. À quoy celuy qui l’avoit fit response, Vrayement il est a vostre commandement, quand il vous plaira, mon roide baston. N’estoit-ce pas presenter son service à propos ?

Passechat de la Franche-Comté Bourguignote, n’appelloit jamais un sien compagnon, nommé Perrot, si non faisant un Pet & un Rot ; tant il avoit la bouche & le cul à commandement.

Une bonne vieille avoit au fond de sa coupe fait peindre les armoiries de son pere & de sa mere : tellement qu’en commemoration d’eux elle buvoit tousjours aux tres-passez : & aux traits passez, car elle en avoit bien veu & beu d’autres.

Un juge prononçant sa sentence de ceste sorte : Nous avons ordonné, & ordonnons, fut surpris d’une cholique venteuse, & lascha un gros pet, Alors un bon garçon present dit, Nostre juge dit vray, il a bien donné de l’or, mais peut estre en a il pris la meilleure part en ses chausses.

Un vieil regratte boisseur de petits enfans, disoit un jour en plein Palais à un Advocat, Cela n’est que broüillerie : lequel fit response, Broüillerie, commence par B. & Tromperie par T. au lieu de par te, c’est à dire par toy.

Voylà ce que j’ay à rapporter des Equivoques de la parole que je ne veux pas poursuyvre davantage : pour ce qu’auiourd’huy infinis calomniateurs, sans adviser à la gentillesse des rencontres, se pouroient schandaliser, si j’en mettois icy une multitude qu’on a fait sur quelques braves & sçavans personnages, comme ces vers.

Se monstre loing du Rhin fidellement,
Ce monstre loing dur infidellement.

Je viendray maintenant aux mots couppez, & commenceray sur l’interpretation d’un Proverbe vulgaire, pourquoy l’on dit, Moustarde de Dijon. Car à la verité la moustarde ny est meilleure, ny plus frequente quailleurs : encor que certains larrons d’hostelieries, pour abuser le monde, & confirmer mieux ce Proverbe, vendent bien chair de petits barils & pains de moustarde propres à mettre dans la gibbeciere, plus pour la sensualité des curieux, que pour appetit qui y puisse estre : car pour la conglutiner, il y faut entremesler de la terre grasse, & autres choses moins nettes. L’origine donc de ce dire n’a pas pris sa source de là, ains a commencé sous le Roy Charles sixiesme, en l’an 1381, lors que luy, avec Philippes le Hardy son oncle, furent au secours de Loys Comte de Flandres, beau-pere dudit Duc. Où les Dijonnois, qui de tout temps ont esté tres fideles & tres affectionnez envers leurs Princes, se monstrent si zelez que de leur mouvement ils envoyerent mille hommes conduits par un vieil Chevalier, jusques en Flandres. Ce que recognoissant ce valureux Duc, leur donna plusieurs privileges, comme de pouvoir tenir terre en fief, & autres : Et notamment voulut qu’à jamais la ville portast les deux premiers chefs de ses armes, selon qu’auiourd’huy encores elle les portes : sçavoir my-parti sus gueules, premier quartier d’azur semé de fleurs de lys d’or la bourdure componee d’argent & de gueules, second quartier d’azur, à trois bandes d’or, bordé de gueules luy donna en son cry, autrement la devise, qu’il fit peindre en son enseigne, qui estoit.

Mout me tarde,

Mais comme ceste divise estoit en rouleau, de la façon qu’encore aujourd’huy elle est eslevée en pierre à la porte de l’Eglise des Chartreux de Dijon, qui tire au petit cloistre, du costé de Midy en ceste sorte.

Plusieurs qui la voyent, mesmes les François ne prenans garde au mot de me, ou dissimulant le voir, par envie, allerent dire qu’il y avoit, moustarde, que c’estoit la troupe des moustardiers de Dijon.

En ladite ville on revere aussi aux Cordeliers en une Chappelle, Saint Friant, au lieu de Saint Onufrient, pour ce qu’il escrit en ceste sorte.

Un quidam, nommé Jean de nom, & qui l’estoit peut estre aussi de surnom, comme son Epitaphe le porte.

Artibus uxoris sinandus qui fuit hic Iam
Du dum factus avis summa per astra volat.

Fit peindre sur la cheminee, ceste belle devise, Pour parvenir j’endure. Mais le peintre soit d’ignorance, ou d’industrie, l’avoit ainsi ortographié, & accommodé sur la cheminée.

Un autre avoit fait peindre ce verset du Psalme, In memoria æterna erit justus : mais pour ce que l’un des coins de sa cheminée estoit à l’obscur on le lisoit ainsi.

De sorte qu’on lisoit, In memoria æterna erit : C’est à dire en François, en moy sera perpetuelle folie. Au lieu que ce verset, selon son sens signifie, La memoire du juste vivra, eternellement.

Un François estant à Rome, rencontra aussi gaillardement sur la devise du Pape Clement septiesme, qui portoit pour le corps d’icelle un Soleil : les rayons duquel penetrans au travers d’une boule de Chrystal, brusloient un arbre opposé : & pour l’esprit y avoit. L’interpretant ainsi, Quand dort ille sus, c’est à dire, Quand dort celuy-là qui est une truye.

Tu te contenteras de ces exemples : parquoy je finiray sur l’epistre suivant laquelle fut faite par un personnage fort scrupuleux, & qui craignant d’offencer sa conscience, pour le fils de son amy qui se mariot, il escrivit aussi à la verité les complections du suppliant, au pere de la fille, qui l’avoit prié de s’en enchercher au vray.

Monsieur, celuy personnage, duquel m’avez escrit pour le mariage de vostre fille, il est jeune : mais estimé : & un des honneste, & de façon aussi civile qu’il est possible, il est mettable, il parle bien & à propos, tellement qu’on en faict cas, il a le cœur aux cieux, il est patient, fort hardy en different homme pour pacifier, affable à un chacun, à ses voisins modeste, & sur tout il desire apprendre : bref ? il est un des prisez & des honorez de son aage : Celuy qui dira le contraire, sera mal informé. Je vous prie de croire comme d’un grand experimenteur en telles affaires.

S’ensuit l’interpretation equivoquante : Monsieur, ce luy pert son aage, duquel m’avez escrit pour le mariage de vostre fille, Il est jeune mesestimé, & un deshonneste, & de façon aussi incivile qu’il est possible : il ayme table, il pert le bien, est aspre aux pots, tellement qu’on n’en fait cas, il a le cœur otieux, il est passoient, fors tardif, en different homme pour pas s’y fier, affable à un chacun, à ses voix immodeste, qu’il desire sur tout à prendre : bref, il est un desprisé & deshonoré de son aage. Celuy qui vous dira le contraire, sera malin formé : je vous prie le croire, comme d’un grand esprit menteur en telles affaires.




ADJONCTION
de l’Autheur.

Quelque Megrelin voyant une grande fille, belle & puissante, luy disoit. O qu’elle Lansquenette. À quoy la fille, joyeuse & deliberee dit promptement : Il me faudroit autre lance que n’estes. Ce qui ne tomba pas en paille : mais fut bien relevé par mon bon voisin, le Sieur de Domoy en partie.

C’est autre est de son cru, qu’en faveur de son bon vin de Pousot, j’ay icy apposé. Il me vint dire equivoquez sur Cabuche. Et pour ce que j’arrestoy trop à songer, il me va dire promptement : Je vous chaufferay autant à fagot qu’à busche.

Une marchande de drap sur la fin de sa confession, disoit à son Confesseur, qu’elle avoit encor un peché à dire : & interroguee quel estoit ce peché, elle dit qu’elle avoit mal aulné. Lors le Prestre entendant qu’elle avoit mal au nez, luy dit qu’il n’y avoit de faute en cela : tellement que n’estimant pas pecher de mal aulner ; elle y continuë encor à present.

Adjonction d’autruy
Jusques à la fin du Chapitre.

Je ne me veux arrester aux Etymologies connesques d’un Huissier de salle du Roy, qui rencontre dextrement, à ce que l’on m’a dit : Lequel, comme on parloit des matieres grasses, se saschoit un jour en compagnies d’hommes joyeux, de ce que les Medecins & Advocats usoient de certains termes, que par le corbieu, disoit-il, les bonnes femmes n’entendent pas. Le cer-de moy-Dieu, quand joye parler, disoit-il, de Diafleme, de Sypogronde, de Valtebrede Thoulas, je pense que ce sont des mots de la Grimoire. Mais quoy, poursuivoit-il, je suis tout estonné de ces alterez Advocats, qui parlent de ce qui est subjet à collation, de sitepolation, de maistres moines, & autres barboüillemens : là où ils n’entendent rien, ny moy, ny mon cheval, ny eux aussi. Et puis ils me parlent en leur jargon de compromis, de controuvé, de consommé. Bien, par le cor bien je sçay bien que c’est ; Car compromis, qu’est-ce autre chose qu’une fille qui est fiancée ? Controuvé, c’est de ces putains qui suivent le hazard, & qui se presentent en un chemin Consommé, c’est une bonne galoise, ou galeuse, qui est sommée de venir à certaine heure, comme cela nous est coustumier à la Cour. Hactenus ille.

J’ay sçeu d’un sien amy, qu’il vid n’agueres un certain Prevost des Mareschaux, aussi hardy de la langue ; comme des doigts, qui c’estoit constitué demandeur en reglement contre un quidam Bailly, assez cogneu pour sa loquence ; Lequel remonstrant au Parquet de Messieurs les Gens du Roy, disoit le Bailly, qu’il commenceroit par trois cas, où il attaquoit la personne dudit Prevost. Et apres, s’estant si fort expatié brouillisiquement, qu’il ne sçavoit plus où il estoit, son adverse partie va ainsi interrompre disant ; Messieurs, ce bon homme icy ne vous fait que rompre la teste. Et comme il a commencé par trois KKK, car nottez qu’il vouloit equivoquer sur cas, pour K, je commenceray par trois LLL. Car je maintiens qu’il est Langard, qu’il est Lourdaut, qu’il est Larron, &c. Donc Messieurs se prindrent si bien à rire, que cela donna cœur à ce Prevost des Mareschaux de continuer & obtenir ses fins & conclusions. Ainsi Audaces fortuna juvat. Voyez sur cela la Loy. Carere debet omni vitio, §. nescio quo, tit nescio ubi.

À propos le grand Roy François, curieux de tout scavoir & entendre, oüit un jour dire qu’il y avoit un certain Secretaire en sa Chancellerie qui se nommoit Gaillard lequel estoit fort gaillard pour dire le mot ; de maniere qu’il estoit bien receu en toutes compagnies joyeuses. Le Roy donc le voulut voir : & comme il se presenta audit Seigneur qui estoit assis sur un long banc pres d’une cheminée à raison qu’il faisoit lors froid, le Roy luy demande en tels termes : Qui es-tu ? Sire, respondit-il, on ma fait commandement de me presenter devant vostre Majefté. Comme t’appelle tu ! (dit le Roy ?) Sire, dit-il, je me nomme Gaillard. Ho, ho, je suis joyeux de te cognoistre, replique le Roy : car tu fais parler de toy, pour estre gaillard en tout & par tout, mesme à l’endroit des Dames. Mais viençà, dy moy, qu’elle difference mets tu, ou quelle distance y a-il entre gaillard ? & paillard ? L’autre voyant qu’il estoit prins, s’il ne respondoit, sans autrement songer, Sire, il y a seulement distance de la largeur du banc & de la table que je voy & le lieu où je suis presentement. Foy de Gentil-homme j’en ay tout du long de l’aine, dit le Roy. Et vous laisse à penser si ce fut sans rire.