Les Bois (Armand Silvestre)
LES BOIS
Dans la vertu tendre et sous la rude écorce,
Des sèves, que de loin tente le firmament,
L’impuissante ferveur pleure éternellement,
Aux cimes des forêts sentant mourir leur force.
Par l’aimant invisible et traître des soleils
Au plus profond des flancs de la terre puisées,
Rajeunissant leur âme aux fraîcheurs des rosées,
Elles montent en chœur sous les levants vermeils.
Jusqu’au sommet du chêne et l’ondoyante crête
Du palmier et le faîte aigu des peupliers,
En suivant des rameaux les contours déliés,
Elles vont ! — Mais au bout le destin les arrête.
La chanson des oiseaux fuyant la paix des nids,
L’insensible rumeur de la brise qui passe,
Tout leur donne la soif sublime de l’espace
Et le dégoût amer des horizons finis.
À rompre leur prison leurs colères sont vaines
Et nul bruit n’en trahit l’effort silencieux.
Sans pouvoir emporter notre désir aux cieux,
Tel notre sang s’épuise au chemin de nos veines.
La mort seule ici-bas affranchit les douleurs.
Accourez, bûcherons à la rude cognée !
Et, creusant dans leurs troncs une large saignée ;
Des chênes et des pins délivrez l’âme en pleurs.
Leurs blessures, s’ouvrant ainsi que des calices,
Verseront leurs parfums dans le vent qui s’enfuit
Et, dans l’ombre du temps, les lèvres de la Nuit
Y boiront lentement d’éternelles délices !