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La Mer (Armand Silvestre, 2)

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Les Ailes d’or : poésies nouvelles, 1878-1880Bibliothèque-Charpentier (p. 65-67).
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LA MER

Par l’invisible fouet des autans flagellée,
Et, pleine de sanglots dans l’air silencieux,
Sous l’immobilité magnifique des cieux,
Je traîne une douleur toujours renouvelée.

Des constellations le regard fraternel
Dans le miroir tremblant de mes ondes s’effare,
Et le tranquille feu qui rayonne du phare
Se rompt, en faisceaux d’or, sur mon flanc éternel.


D’un bras lassé je bats sans relâche la grève
Et, des rideaux pourprés qui ferment l’horizon,
À mon sommeil, en vain je fais une prison,
Sans m’endormir jamais au repos de mon rêve.

L’écume, en lis d’argent s’effeuille sous ma main,
Sans fleurir d’autres bords que la rive connue ;
Et, sans changer un jour de place sous la nue.
D’un innombrable pas je heurte mon chemin.

Je sens mon sein gonflé de floraisons superbes,
Mais dont l’essor s’arrête à mon sol tourmenté
Que ne rafraîchit pas, sous les soleils d’été,
Le souffle des parfums ou la fraîcheur des herbes.

Comme un poids inutile ou comme un vain ferment,
Je porte en moi la vie impuissante et profonde :
Car les destins m’ont faite et stérile et féconde,
Immobile et pourtant toujours en mouvement.


Le sillon que je creuse au même instant s’efface
Et, les vents emportant les germes envolés,
Ni la splendeur des fruits, ni la gloire des blés
Jamais sous le ciel bleu, ne couronnent ma face !