Les Braves Gens/11

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Librairie Hachette et Cie (p. 87-95).


CHAPITRE XI

Considération philosophiques sur la chasse au renard. — Une autre victime de Mlle Marguerite. — Une foule de gens prennent leur retraite, M. Aubry entre autres : ce qui en résulte.


En Angleterre, dit-on, la chasse au renard est un exercice à la fois aristocratique, hygiénique, excitant et poétique.

Aristocratique : car il n’y a guère que la gentry qui puisse s’y livrer.

Hygiénique : elle force les gentlemen les plus replets et les plus apoplectiques à prendre de l’exercice, et à arpenter les landes, au moins ce jour-là.

Excitant : car qu’y a-t-il de plus émouvant que de se demander si le renard gardera sa queue ou non ? S’il ne la garde pas, à quel gentleman rapide, hardi et heureux reviendra cette queue si ardemment convoitée. Du rang de simple appendice d’un vulgaire carnassier, la queue du renard forcé à la course passe à celui de trophée et de souvenir de famille. Je ne parle pas des paris engagés.

Poétique : car je ne sais rien de plus poétique que d’être emporté, en veste rouge, sur un cheval pur sang, à travers des paysages bien peignés, qui semblent l’œuvre de quelque aquarelliste. Bois, prés, champs, tout défile avec une rapidité fantastique, sans compter les chutes de cheval, qui ont bien leur côté poétique. À supposer que le gentleman désarçonné ne se rompe pas le cou, c’est déjà un spectacle assez poétique que de voir un pair du Royaume-Uni, en casaque de jockey, étendu sur le dos au fond d’un fossé, et montrant au ciel la semelle de ses bottes !

Dans l’arrondissement de Châtillon-sur-Louette, la chasse au renard était beaucoup plus prosaïque et beaucoup moins hygiénique. Lorsque M. de Ferrier, le receveur particulier, celui dont la belle barbe avait fait l’admiration de Marthe, était las de bals et de soirées, et qu’il éprouvait le besoin de respirer l’air pur de la campagne, il donnait le mot à cinq ou six bons compagnons, et l’on prenait rendez-vous à une ferme qu’il avait à deux lieues de Châtillon. Il n’était pas question le moins du monde de jouir de la beauté du ciel, de la fraîcheur des bois, de l’étendue des horizons, ni même, à proprement parler, de chasser le renard. La chasse était un prétexte ; mais le but véritable était de faire, entre amis, un de ces festins pantagruéliques dont on rougirait à la ville, mais qu’autorise la liberté de la campagne et l’équipement de chasseur. C’est une simple question de lieu et de costume. À la ville, en cravate blanche, vous seriez tout simplement un goinfre ; à la campagne, avec une cravate à la Colin, vous êtes « une belle fourchette ».

Or, M. le receveur était une belle fourchette, et chacun de ses amis était une belle fourchette. Quand on était repu, le second ou le troisième jour, une des fourchettes demandait en bâillant si l’on n’allait pas chasser le renard. Et toutes les autres fourchettes reprenaient sans enthousiasme : « C’est cela, chassons le renard. » On prenait des chiens, quelques terrassiers, et l’on partait sans se presser. Tantôt on enfumait maître renard dans son domicile, et quand il fuyait, on le faisait happer par les chiens. Tantôt on lançait les chiens dans le terrier ; le renard s’acculait dans quelque recoin de son labyrinthe, et l’on attendait longtemps sans voir rien venir. Les uns se couchaient sur l’herbe, pour faire un petit somme, la tête à l’ombre et les pieds au soleil ; les autres allumaient une pipe, en se disant que ce serait autant de pris sur l’ennemi. Deux ou trois seulement, moins endormis que les autres, mettaient l’oreille contre terre. Quand on avait, après mûre discussion, déterminé l’endroit où devait se trouver l’animal, c’était le tour des terrassiers : ils commençaient une tranchée. La besogne allait vite dans le terrain sablonneux des bois de bouleaux. Un dernier coup de pioche mettait à découvert le renard, aussi penaud dans son coin que le fut dans le sien le brigand Cacus, si piteusement déconfit par Hercule.

Le receveur alors retroussait ses manches et empoignait une sorte de trident ; puis, prenant son temps, il embrochait le croqueur de poules. D’un effort vigoureux il le tirait des entrailles de la terre, comme l’amateur de bigorneaux extrait, avec une épingle, ce mollusque coriace de sa coquille. On réveillait les endormis, les fumeurs allumaient une autre pipe, et l’on retournait à la ferme, en prenant par le plus long, afin de gagner chemin faisant un peu d’appétit.

Plusieurs fois, dans ces derniers temps, le trident avait vacillé entre les mains du receveur ; mais il aimait mieux accuser les renards d’être devenus plus lourds que d’avouer que son poignet était devenu moins ferme. Un jour cependant il lui fallut faire un tel effort que son poignet enfla et fut tout endolori. Le médecin parla d’un accès de goutte. Quant au valet de chambre de Monsieur, il eut la consigne de parler d’une névralgie quand on lui demandait des nouvelles de son maître. À la fin, les « névralgies » furent si fréquentes, que le receveur s’avoua à lui-même qu’il vieillissait : il y avait quelques fils d’argent dans sa belle barbe.

Il songeait qu’il avait désormais besoin de quelqu’un pour le soigner, et demanda la main de Marguerite. Mais Marguerite n’aurait voulu pour rien au monde épouser un oisif ; d’ailleurs elle était déjà promise à M. Nay.

Le receveur se fit recommander par son médecin je ne sais quelles eaux, très-efficaces pour les « névralgies ».

En tant que jeune homme, on peut dire que M. le receveur particulier venait de prendre sa retraite.

Du reste, il ne fut pas seul à la prendre cette année-là. Il semblait que quelque messager invisible eût passé avec une trompette au-dessus de Châtillon, en sonnant la retraite, et que tous ceux qui l’avaient entendu fussent pressés de se rendre à son appel.

Le président du tribunal était devenu si sourd qu’il n’entendait même plus la voix tonnante de maître Lepéligas. Il rentra dans la vie privée et se donna tout entier à la réforme judiciaire.

Le vieux juge moqueur n’attendit pas d’être sourd pour se retirer. Il alla habiter un petit bien qu’il avait à quelque distance de Châtillon ; il continua en paix son travail sur l’éducation, et se mit à traduire Horace. (Pourquoi presque tous les anciens magistrats se mettent-ils à traduire Horace ?)

M. Sombrette aussi prit sa retraite. C’était le frère aîné de Mademoiselle, professeur au collège ; c’était un petit homme sec, très-bon et très-instruit, avec un pantalon nankin légendaire, et un chapeau original, que les élèves comparaient avec assez de justesse à une « île escarpée et sans bords ».

Celui-là n’eut pas plus tôt pris sa retraite qu’il s’en repentit ; il était devenu, au maniement journalier des élèves, si foncièrement professeur, qu’il fut malheureux au bout de quelques mois de n’avoir plus personne à régenter. De l’ennui qu’il éprouvait, et du désir légitime d’en sortir, naquit l’idée et bientôt la résolution d’ouvrir un petit externat pour les enfants que leurs parents ne voulaient pas envoyer trop tôt au collège. Mademoiselle, qui n’était plus jeune et qui se fatiguait à courir le cachet, entra en plein dans les idées de son frère. Ils s’associèrent sous la raison sociale M. et Mlle Sombrette — Éducation de famille.

Il y avait rue du Heaume une petite maison vacante que le frère et la sœur louèrent. Avant de se lancer dans cette grande entreprise, les deux associés avaient tâté le terrain. Mademoiselle avait fait sa petite tournée dans les familles où elle avait eu des élèves ; de son côté, le chapeau escarpé et le pantalon nankin avaient fait leur apparition sur presque autant de points de la ville que Thorillon le jour où il annonçait la naissance de Jean.

Jean était justement en âge de commencer le latin, et Mme Defert, pour bien des raisons, s’effrayait un peu de l’envoyer si jeune au collège : aussi, quand le frère et la sœur lui firent part de leur projet, et lui demandèrent sa recommandation, elle dit qu’elle leur serait fort obligée de vouloir bien se charger de Jean.

« J’ai un poids de moins sur la poitrine, dit Mademoiselle en sortant ; car maintenant nous sommes sûrs de réussir. » En effet, bien des papas et des mamans se décidèrent sur cette seule raison que Mme Defert mettait son fils chez M. Sombrette. On fit à la maison les réparations et appropriations nécessaires, et bientôt le « collège Sombrette », comme l’appelait par dédain le principal du vrai collège, ouvrit ses portes, ou pour mieux dire sa porte à une jeunesse choisie.

M. Aubry prit aussi sa retraite ; voici pourquoi et comment. Son dernier accès de goutte durait encore et ne paraissait pas près de finir. Il semblait que le mal ayant décidément trouvé un gîte à son goût ne songeât plus à déloger. Le seul changement que l’on pût remarquer, c’est que la goutte, persuadée sans doute qu’elle était désormais légitime propriétaire de sa personne, se déplaçait à son loisir pour visiter son nouveau domaine. Elle allait de l’orteil au genou, du genou au poignet, et sautait brusquement du poignet au pied. M. Aubry y perdait son latin, et Mme Aubry commençait à se décourager.

« Que nous sommes bêtes ! dit-elle un jour, comme si elle venait d’être éclairée par une inspiration subite.

— Oh ! s’écria M. Aubry scandalisé ; parle pour moi qui ne suis vraiment qu’une bête. Mais toi, ma chère !

— Que nous sommes bêtes ! reprit la bonne ménagère, en appuyant avec autorité sur le pronom nous. Ce qu’il te faudrait, ce serait un changement d’air. Allons-nous-en vivre à notre petite campagne de Labridun. Cela te fera le plus grand bien. Tu bêcheras le jardin ; tu planteras, tu tailleras ; nous aurons des poules, des canards. Nous mangerons nos laitues, nos œufs frais. Ce sera délicieux.

— Oui, mais…

— Mais quoi ?

— Qu’est-ce que deviendront les élèves, quand la salle sera fermée ?

— La salle ne sera pas fermée. Camille donnera des leçons pour son compte. Il ne peut rien faire autre chose, le pauvre garçon, et cela soulagera sa famille, qui ne roule pas sur l’or. Et nous devrions prendre notre retraite quand ce ne serait que pour cela. Il y a assez longtemps que nous en parlons, Dieu merci ; et nous n’avons pas d’enfants à pourvoir, nous autres. Voici encore quelque chose à quoi j’ai pensé et que je voulais te dire. Ce garçon-là va tirer au sort l’an prochain. S’il devait continuer de rester à charge à sa famille, ce serait une bénédiction de le laisser aller se faire nourrir et habiller au régiment. Mais, comme tu le dis, il ne faut pas que la salle soit fermée : et d’un autre côté, voilà une occasion unique d’établir Camille définitivement. Qu’est-ce que nous faisons ?

— Oui, qu’est-ce que nous faisons ?

— Nous installons les Loret ici ; ils sont à la fin de leur bail, et comme on veut les augmenter, ils cherchent ailleurs, je le sais. Mais les loyers ont tellement monté depuis quelques années, qu’ils ne trouveront rien de convenable pour ce qu’ils peuvent offrir. Nous ne sommes pas des Arabes, nous autres, et nous pouvons bien leur laisser la maison au prix qu’ils payent là-bas. »

M. Aubry ne soufflait mot ; il écoutait avec attention, les yeux fixés sur sa femme, et se contentait de remuer de temps en temps la tête, en signe d’approbation. Ici cependant il se permit d’interrompre.

« Je crois que j’ai suivi ton raisonnement d’un bout à l’autre, et je trouve que tu as raison comme toujours ; mais je ne comprends pas bien comment tout cela empêchera ce pauvre diable de partir s’il a un mauvais numéro. J’avoue que je m’enferre un peu… »

Mme Aubry sourit et leva l’index comme un orateur qui fait appel à l’attention de son auditoire.

« Comment, mon pauvre bonhomme, comprendrais-tu très-bien ce que je ne t’ai pas encore dit ?

— C’est donc cela ! dit le goutteux avec un mélange de confusion et de contentement.

— Il faut qu’il s’achète un homme.

— C’est clair. (Hochement de tête pensif.)

— Mais il n’a pas d’argent.

— Pas le sou. (Hochement de tête mélancolique.)

— Oui, mais nous en avons, nous ; ou du moins si nous n’en avons pas, nous pouvons facilement emprunter la somme nécessaire. Nous offrons, Dieu merci ! assez de garanties. (Ici Mme Aubry promena un regard de satisfaction sur le salon triangulaire.) On peut prendre hypothèque sur cette maison ou sur notre petit bien de Labridun. Nous rachetons Camille. Il a un bon état dans les mains, et une clientèle toute trouvée.

— Et une fameuse clientèle ! dit le maître d’armes avec un légitime orgueil.

— Et une fameuse clientèle, comme tu le dis si bien. Il gagne de l’argent et nous rembourse au fur et à mesure. Maintenant, si cela ne te va pas, tu n’as qu’à le dire. Mais alors, explique-moi comment nous pouvons le tirer de là autrement : car il y a une chose certaine, c’est qu’il faut le tirer de là. »

M. Aubry eut l’air de réfléchir. Les mots d’emprunt et d’hypothèque sonnaient mal à son oreille, sans qu’il pût dire pourquoi. Dans sa perplexité, il tira sa montre de sa poche, regarda l’heure, et parut complètement rassuré.

« C’est la seule chose à faire, dit-il, et le plus tôt sera le mieux.

— Nous avons le temps ; commence par te guérir ; d’ailleurs cela ne peut pas se faire avant le printemps prochain. Mais d’ici là que de bonnes soirées nous passerons à faire nos petits projets ! »

Le capitaine Jean survint ; on lui conta toute l’affaire. Jamais, selon lui, projet n’avait été plus raisonnable.

« Ça va bien ! dit-il. Quelle chose délicieuse ! Et il se frottait les mains. Vous aurez là-bas un tas de bêtes que vous ne pouvez pas avoir ici. »

Et l’on énuméra toutes les bêtes que l’on aurait.

« Moi, dit l’oncle Jean, je suis comme ma nièce, j’aime beaucoup les animaux ; ça met de la vie autour de vous. Naturellement, je n’ai jamais pu en avoir, car, à moins de les mettre dans ma valise… Je n’ai jamais eu à moi qu’un méchant singe que j’avais attrapé là-bas ! »

M. Aubry fut pris d’un violent accès de fou rire ; sa femme fut obligée, pour l’empêcher de s’étouffer, de lui administrer de bonnes tapes dans le dos.

Le singe du capitaine avait été légendaire au régiment, parce qu’il lui avait mangé une demi-douzaine de chemises, et parfilé les galons de son uniforme. Le capitaine lui avait immédiatement rendu la liberté et n’avait pas poussé plus loin cet unique essai de domestication.

« Vous devriez, dit-il, avoir des abeilles. »

On n’y avait pas songé, mais on y songerait.

« Eh bien alors, vous pouvez dire que vous serez dans le paradis terrestre, et je vous réponds que vous me verrez là-bas plus souvent que vous ne voudrez.

— Oh ! vous, j’étais bien sûr que vous ne nous négligeriez pas ; mais les autres !

— Quels autres ?

— Les lézards !

— Les lézards ont de bonnes pattes et peuvent bien trotter jusque-là. Quant à ceux qui trouveront que c’est trop loin pour aller serrer la main d’un brave homme, ils ne valent pas la peine qu’on les regrette. Du moins, voilà mon avis à moi.

— Dis donc, ma vieille, tu vas me rouler jusqu’à la salle d’armes, pour que le capitaine puisse fumer sa pipe. Puisque tu ne veux pas que je fume, cela me ragaillardira de voir fumer. »

Le capitaine offrit ses services pour rouler le fauteuil.

« Non ! non ! dit le goutteux, ne prenez pas cette peine. D’ailleurs voyez-vous, il n’y a qu’elle au monde qui sache me manœuvrer sans me faire crier. Car je deviens très-douillet sur mes vieux jours. »

Quand on fut dans la salle d’armes, le capitaine alluma sa pipe, et fit tant de fumée qu’il y en avait bien pour deux. Le maître d’armes le regardait avec une profonde béatitude, et ouvrait les narines toutes grandes pour aspirer l’odeur du tabac, comme un gourmet aspire le parfum des truffes.

On causa, on tricota, on fuma, on fit des projets, et s’il y avait au monde trois amis bien sincères et bien dévoués, c’étaient ces trois amis-là.

Mais les âmes les plus simples ont aussi leurs replis ; on ne dit pas tout, même aux amis les plus intimes ; ni M. Aubry ni sa femme ne soufflèrent mot ni de l’emprunt ni de l’hypothèque. C’est par son ami Loret que le capitaine, plus tard, apprit l’histoire. Il n’eut rien de plus pressé que de la raconter à sa nièce, en choisissant juste le moment où Jean était auprès d’elle.

Quant à Jean, après avoir pris pendant quelque temps un vif intérêt aux cravates de satin, aux bottines vernies, aux poneys, aux réunions dansantes, et au joli caquet des petits garçons frisés et des petites filles pomponnées, il commençait à se dégoûter un peu de ces intéressants personnages et de leurs élégantes distractions. Il avait si grand’peur d’être un égoïste, qu’il veillait sur lui-même avec autant de soin que le maître le plus sévère. Et puis, quand il s’oubliait un peu, Marthe était là ; selon leurs conventions, elle levait l’index d’un petit air de menace, Jean rougissait, et rentrait en lui-même. Il commençait à aimer la solitude plus que les réunions brillantes ; il aimait à se retirer dans les petits coins pour y lire à son aise, et se plaisait de plus en plus à la conversation de ses sœurs et de sa mère, et aux récits de l’oncle Jean.

Bref, comme le faisait remarquer avec raison l’élégant Michel de Trétan, l’ami Defert devenait un peu rococo. Non pas que sa tenue fût mauvaise ou négligée (il n’aurait plus manqué que cela), mais il n’avait pas le sens de la vraie élégance. Il s’intéressait plus que le bon goût ne le permet à une foule de petites gens, il croyait à une foule de choses passées de mode. Il disait papa et maman, et non pas mon père et ma mère ; il croyait à l’oncle Jean (un bon type), à Mademoiselle (un bon châle), à M. Sombrette (un bon chapeau) ! Il avait des préjugés ridicules, par exemple celui d’obéir sans discuter. Quand sa mère avait dit non ! il ne savait pas la câliner avec toutes sortes de petits mots familiers pour lui faire dire oui ! Quand son père lui refusait quelque chose, il ne savait pas se mettre avec lui sur le pied d’un camarade qui discute avec son camarade, et lui prouve avec esprit qu’il n’a pas le sens commun et qu’il est arriéré. Parlez-moi d’Ardant, au contraire. Quel petit air résolu et quelle délicieuse effronterie, quand il dit à son papa : « Le père que j’ai ne veut donc pas être sage et raisonnable ! Je serai donc obligé de le renier ? » Quel père serait assez de l’autre monde pour résister à des manières aussi charmantes ? Surtout le pauvre Jean ne savait pas mettre en contradiction papa avec maman, et obtenir de l’un ce que l’autre avait refusé. Il ne lisait pas le journal pour voir les comptes rendus des courses ; mais il lisait Robinson, il lisait Don Quichotte, et toutes sortes de vieilleries et de contes de fées, et il avait l’air de croire que tout cela était arrivé : bon garçon, du reste ; mais, jeune ! mais, crédule ! Ainsi parlait la jeune France, par la bouche de Michel de Trétan.