Les Caresses (Richepin)/Floréal

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Les Caresses (Richepin)
Les Caresses (p. 3-69).


I

déclaration



L’amour que je sens, l’amour qui me cuit,
Ce n’est pas l’amour chaste et platonique,
Sorbet à la neige avec un biscuit ;
C’est l’amour de chair, c’est un plat tonique.

Ce n’est pas l’amour des blondins pâlots
Dont le rêve flotte au ciel des estampes.
C’est l’amour qui rit parmi des sanglots
Et frappe à coups drus l’enclume des tempes.


C’est l’amour brûlant comme un feu grégeois.
C’est l’amour féroce et l’amour solide.
Surtout ce n’est pas l’amour des bourgeois.
Amour de bourgeois, jardin d’invalide !

Ce n’est pas non plus l’amour de roman,
Faux, prétentieux, avec une glose
De si, de pourquoi, de mais, de comment.
C’est l’amour tout simple et pas autre chose.

C’est l’amour vivant. C’est l’amour humain.
Je serai sincère et tu seras folle,
Mon cœur sur ton cœur, ma main dans ta main.
Et cela vaut mieux que leur faribole !

C’est l’amour puissant. C’est l’amour vermeil.
Je serai le flot, tu seras la dune.
Tu seras la terre, et moi le soleil.
Et cela vaut mieux que leur clair de lune !

II


Le jour où je vous vis pour la première fois,
Vous aviez un air triste et gai : dans votre voix
Pleuraient des rossignols captifs, sifflaient des merles ;
Votre bouche rieuse, où fleurissaient des perles,
Gardait à ses deux coins d’imperceptibles plis ;
Vos grands yeux bleus semblaient des calices remplis
Par l’orage, et séchant les larmes de la pluie
À la brise d’avril qui chante et les essuie ;
Et des ombres passaient sur votre front vermeil
Comme un papillon noir dans un rais de soleil.

III

rondeau



Votre beau thé, moins rare que vos yeux,
Votre thé vert, fleuri, délicieux,
Qui vaut quasi dix mille francs la livre,
Moins que la fleur de vos yeux il enivre
Et fait rêver qu’on s’en va dans les cieux.

J’ai bu les deux aromes précieux ;
Et jusqu’au jour dans mon lit soucieux
Il m’a sonné des fanfares de cuivre,
Votre beau thé.


Je vous voyais passer parmi les Dieux,
Dans un grand char aux flamboyants essieux ;
Et sous la roue en or, n’osant vous suivre,
J’ai mis mon front, et j’ai cessé de vivre
En bénissant, écrasé mais joyeux,
Votre beauté.

IV

sonnet-madrigal


Bonjour, ô mignonne pantoufle,
Dont l’hôte est encor plus mignon.
Ma bottine a bien du guignon !
Telle, auprès d’un gant, une moufle.

Regarde ! On dirait un maroufle,
Quelque grand et gros Bourguignon,
Près d’une fille d’Avignon
Svelte et légère comme un souffle.


Les poètes sont vaniteux
Et tout doit céder devant eux ;
Pourtant, ô pantoufle inédite,

Moi, je t’envie en t’adorant :
Tu ne peux être plus petite
Que mon amour ne sera grand.

V

sérénade


(Variations sur un motif d’Henri Heine).


Chantez, chantez, ô mes chansons,
Et comme de gais échansons
Versez l’ivresse

À celle que l’amour vainqueur
Dans le royaume de mon cœur
Fit la maîtresse.


Nous prendrons un pan du ciel bleu,
Depuis la ligne du milieu
Jusques aux pôles.
Afin qu’elle drape en riant
Dans un lambeau de l’Orient
Ses deux épaules.

Cette nuit-ci, pendant qu’il dort,
Nous irons au grand soleil d’or
Ravir sa flamme,
Et ses rayons ardents feront
Un diadème pour le front
De notre dame.

Les astres lointains dont l’œil luit
Et qui parsèment de la nuit
La sombre toile,
Les ayant pris au firmament,
Nous taillerons un diamant
Dans chaque étoile ;

Et pour la belle aux yeux d’azur
Cette rivière en astre pur
Que ma main forge,
De son col, comme un serpent blanc
Ira, sur sa peau ruisselant,
Baiser sa gorge.


Chantez, chantez ! Il faut qu’elle ait
Chez nous son royaume au complet,
La souveraine,
Couronne et trône reluisants,
Une cour et des courtisans,
Puisqu’elle est reine.

Oui, je vous veux, ô mon amour,
Composer une étrange cour
De poésie.
Vous aurez pour char un griffon,
Pour gens mes vers, et pour bouffon
Ma fantaisie.

Prêts à vous servir à genoux,
Voyez sourire autour de nous
Les rimes belles,
Les grands vers sculptés d’un trait net,
Le doux rondeau, le fier sonnet,
Rhythmes rebelles.

Je les ai domptés à loisir,
Pour que vous pussiez les choisir
En toutes choses.
Heureux, si vous daignez parfois
Ouvrir, pour leur donner des lois,
Vos lèvres roses.


Ils seront plus obéissants
Que des chiens et plus caressants
Que des nourrices ;
Ils chanteront quand vous voudrez,
En chants frivoles ou sacrés,
Tous vos caprices.

Leur bouche est douce et ne ment pas,
Et de célébrer vos appas
Est coutumière.
Ils diront que votre beauté
A l’éclat des grands jours d’été
Pleins de lumière.

Ils diront que vos deux seins nus
Ont le pur contour des Vénus
De l’Ionie,
Que votre cœur et votre corps
Ont entre eux les puissants accords
D’une harmonie.

Ils diront que vos yeux divins
Grisent mieux que les meilleurs vins
L’âme ravie.
Ils diront que vos blonds cheveux
Sont la longue corde où je veux
Pendre ma vie.


Ils diront enfin, tout peureux,
Ce que vous diriez bien pour eux :
Que je vous aime.
Vous le savez, tous tant qu’ils sont,
C’est là leur meilleure chanson,
Toujours la même.

Amour ! amour ! Ils en ont faim,
Et vont vous ennuyer enfin
De rimes folles,
Racleurs de luth dont le concert
Va marmottant sur le même air
Mêmes paroles.

Alors, doucement sommeillez !
Ils vous serviront d’oreillers,
Belle indolente.
Dans un fabuleux opéra
Leur rhythme vous endormira
D’une voix lente.

Chantez, chantez, ô mes chansons,
Chantez, et que vos plus doux sons
Versent les rêves !
Chantez ces chants lointains et frais
Que la brise chante aux forêts
Et l’onde aux grèves.

VI


À quoi bon des serments ?
Ma preuve est en moi-même.
Pour savoir si je mens
Quand je dis que je t’aime.

Fais donc ce que tu dois
Et ce que je mérite !
Ma vie est dans tes doigts
Comme une marguerite ;

Pétales, cœur, et tout,
Effeuille-la toi-même ;
Quand tu seras au bout,
Tu verras si je t’aime.

VII

un cadeau. — sonnet d’envoi



Fière, vous ne voulez jamais rien recevoir
Que des fleurs, et des plus simples, des amarantes,
Des lilas, des œillets, des roses odorantes,
Toutes choses qu’on peut trop aisément avoir.

Je vous offre pourtant, pour remplir mon devoir,
Le cadeau que voici. Ce ne sont pas des rentes,
Mais quelques fins tableaux d’époques différentes
Que vous accrocherez dans votre bleu boudoir.


Je les ai fort soignés pour qu’ils puissent vous plaire.
Le dessin en est pur, la couleur en est claire.
Ce sont de tout petits quadros de chevalet.

Si toutefois vous y trouvez des choses sottes,
Que le dessin soit gauche ou que le ton soit laid,
Vous en pourrez aussi faire des papillotes.

VIII

sonnet grec



C’était un grand sculpteur que le Grec Praxitèle.
La légende pourtant nous raconte qu’un jour,
Voulant faire une coupe et ne rien mettre autour,
Il ne vit point de forme assez pure pour elle.

Mais le soir, fatigué de son travail rebelle,
Comme il baisait un sein façonné par l’amour,
Tout à coup il trouva. Ce bouton ! ce contour
Et la coupe naquit sur ce parfait modèle.


La femme dont la gorge avait un tel dessin
Qu’on moula l’idéal aux rondeurs de son sein,
Cette déesse en chair, comment se nommait-elle ?

Nul ne le sait. Mais grâce au sculpteur, à l’amant,
La coupe a survécu dans sa forme immortelle,
Et sa beauté demeure impérissablement.

IX

sonnet romain


La belle Julia languissament s’étale
Sur les gradins du cirque, assise au premier rang,
Sans voir l’œil inquiet du Samnite mourant
Dont la vie est pendue à son doigt de vestale.

La vierge songe bien à la clameur brutale
De la plèbe, au vaincu qu’un vain espoir reprend !
Elle songe, rêveuse et le cœur soupirant,
Au beau prêtre de la Vénus orientale,


Au Syrien frisé qui sait les chants d’amour,
Et qui, le soir, marie aux sanglots du tambour
Sur un rhythme voilé sa voix chaude et lascive.

Et la vierge, qui sent tressaillir son sein nu,
Se ferait avec joie enterrer toute vive
Pour connaître par lui le mystère inconnu.

X

sonnet moyen-âge


Dans le décor de la tapisserie ancienne
La chatelaine est roide et son corsage est long.
Un grand voile de lin pend jusqu’à son talon
Du bout de son bonnet pointu de magicienne.

Aux accords d’un rebec la belle musicienne
Chante son chevalier, le fier preux au poil blond
Qui combat sans merci le Sarrazin félon.
Elle garde sa foi comme il garde la sienne.


Il reviendra quand il aura bien mérité
De cueillir le lis blanc de sa virginité.
Peut-être il restera dix ans, vingt ans loin d’elle.

Et s’il ne revient pas, s’il périt aux lieux saints,
Elle mourra dans son serment, chaste et fidèle,
Et nul n’aura fondu la neige de ses seins.

XI

sonnet renaissance


D’un pas leste et galant sautant hors du bateau,
Un grand seigneur, en très somptueux équipage
Pose ses doigts gantés sur l’épaule du page
Qui porte dans ses bras l’épée et le manteau.

Le compliment en vers qu’on remettra bientôt
Est barbouillé par un pédant sur une page,
Et les musiciens en chœur font du tapage
Sous la fenêtre ouverte et sombre du château.


De son retrait, la dame entend voix et guitares,
Tandis que son mari, triste, en proie aux catharres,
Fait dans l’herbe du parc tendre maint piége-à-loups.

Mais près du mur, caché dans l’ombre, sur la pierre,
Pour donner un grand coup d’estoc au vieux jaloux,
Le rouge spadassin aiguise sa rapière.

XII

sonnet watteau


Celle-là ne connaît ni jeûnes ni vigiles.
Elle est sur l’herbe, auprès des débris d’un festin.
Son nez moqueur a l’air de narguer le destin.
Elle épluche des fruits avec ses doigts agiles.

Au loin vogue un bateau dont les agrès fragiles
Tendent dans le ciel bleu des voiles de satin.
C’est lui qui va mener au pays clandestin
La troupe d’Arlequins, de Bergers et de Gilles.

 

À quoi songe la belle enfant aux doigts rosés ?
Sur sa bouche rieuse où chantent des baisers
Elle écrase les sœurs de ses lèvres, les fraises ;

Et dans son blanc peignoir fleuri de falbalas,
Elle ressemble au beau nuage plein de braises
Qui monte de Cythère, à l’horizon, là-bas.

XIII

sonnet romantique


Autrefois elle était fière, la belle Ida,
De sa gorge de lune et de son teint de rose.
Ce gongoriste fou, le marquis de Monrose,
Surnommait ses cheveux les jardins d’Armida.

Mais le corbeau du temps de son bec la rida.
N’importe ! Elle sourit à son miroir morose,
Appelant sa pâleur de morte une chlorose,
Et son cœur est plus chaud qu’une olla-podrida.


Ô folle, c’est en vain que tu comptes tes piastres.
Tes yeux sont des lampions et ne sont plus des astres.
Tu n’achèteras pas même un baiser de gueux.

Pourtant si ton désir frénétique se cabre,
S’il te faut à tout prix un cavalier fougueux,
Tu pourras le trouver à la danse macabre.

XIV

sonnet moderne


Elle mit son plus beau chapeau, son chapeau bleu,
Et la robe que nul encor n’a dégrafée,
Puis elle releva la boucle ébouriffée
Que sa voilette avait fait redescendre un peu.

Elle se dit : « C’est mal, très-mal ! Et comme il pleut !
Je serai faite, vrai, comme une vieille fée ! »
Puis, avant de sortir, pour prendre une bouffée
D’air chaud, elle allongea ses mains devant le feu.


Et sous son en-tout-cas la voilà qui trottine
Dans la pluie. On ne voit d’elle que sa bottine
Et sa croupe qui fait un pouf au waterproof.

Elle arrive. « Mon Dieu ! que c’est haut le cinquième ! »
La clef est sur la porte, elle entre, elle fait : Ouf !
Et lui mouille le nez en lui disant : « Je t’aime. »

XV


Ne sois pas jalouse, va !
Dans le monde où je me vautre,
Celle que mon cœur rêva
C’est toi, ce n’est pas une autre.

Les autres femmes, vois-tu,
Les superbes, les jolies,
Qu’elles aient de la vertu,
Qu’elles fassent des folies,


Qu’elles soient ceci, cela,
N’importe ! Grisettes douces,
Princesses à tralala,
Brunes, blondes, jaunes, rousses,

Près de toi, l’astre vermeil,
Elles sont laides et ternes.
Peut-on voir en plein soleil
Le lumignon des lanternes ?

Au milieu de ce troupeau,
Catins ou dames honnêtes,
Tu brilles comme un drapeau
Au milieu des baïonnettes.

XVI

au jardin de mon cœur


Quand vos yeux amoureux ne me sont point moroses,
Mon cœur est un jardin plein d’œillets et de roses.

Tout est joyeux, les fleurs, les couleurs, les odeurs,
Les abeilles vibrant, les papillons rôdeurs.

Les moineaux, les pinsons, les linots, les mésanges,
Tous les oiseaux grisés chantent comme des anges.

Le jet d’eau, qui gazouille aussi doux que du miel,
Semble un iris ayant pour fleur un arc-en-ciel.


Quand votre Majesté, madame, est satisfaite,
Au jardin de mon cœur tout le monde est en fête.

Mais quand vos yeux se font cruels et mécontents,
Adieu les fleurs et les oiseaux ! Adieu printemps !

Les roses, les œillets, se fanent sur leur tige.
Aucune abeille, aucun papillon n’y voltige.

Mésanges et moineaux et linots et pinsons
S’en vont loin de chez moi pour chanter leurs chansons.

Ôtant son arc-en-ciel ainsi qu’on ôte un masque,
Le jet d’eau rauque et lourd sanglote dans sa vasque.

Tant que je n’ai pas vu vos regards adoucis,
Mon cœur est un jardin tout planté de soucis.


XVII

étoiles filantes


Il pleut, il pleut, bergère,
Tout là-haut, tout là-bas.
La pluie est si légère
Que l’on ne l’entend pas.

Il pleut ! Cela traverse
Tout le ciel et s’enfuit,
Il pleut ! C’est une averse
D’étoiles dans la nuit.


Il pleut ! il pleut ! Peut-être
Au firmament qui dort
Un soleil vient de naître
Comme un papillon d’or.

II pleut ! Ces étincelles
Pour nous font flamboyer
La poudre de ses ailes
Qu’il vient de déployer.

Il pleut, il pleut, mon ange !
Courons là-bas ! Je veux
De cette poudre étrange
Poudrer tes blonds cheveux.

XVIII

un miracle


Pour embaumer ses toilettes,
Je lui cueillais
Des roses, des violettes
Et des œillets.

Sur sa figure rosée,
Je fis ce jeu
De secouer la rosée
Pour rire un peu.

Se cambrant à la renverse,
Le cher trésor
Ferma vite sous l’averse
Ses longs cils d’or.

Elle enflait ses belles joues
Et suffoquait,
Et soufflait avec des moues
Sur le bouquet.

Et soudain les fleurs follettes,
Filles du sol,
Œillets, roses, violettes,
Prirent leur vol,

Et partirent vers les nues
En tourbillons.
Les fleurs étaient devenues
Des papillons.

XIX

la noce féerique


La noce sera belle et riche galamment.
Sur la route, où l’or fin nous servira d’arène,
Aux chevaux pomponnés je lâcherai la rêne,
Et notre dais d’azur sera le firmament.

Je serai cuirassé de velours, moi, l’amant.
Vous serez en dentelle et satin, vous, la reine.
Nous aurons pour parents notre vieille marraine
Qui nous donne le grand soleil, son diamant.


Et tous les amoureux viendront à la soirée
Où chantera la Nuit dans sa robe moirée.
Tous viendront, les oiseaux, les fleurs, les papillons.

Ils seront deux à deux et salueront par paire
En me disant : « Seigneur, nous nous émerveillons
De voir qu’un homme ait pris l’idéal pour beau-père. »

XX


Si tu veux, m’amour, ce soir
Nous nous en irons derrière
La maison, pour nous asseoir
Où commence la clairière.

Là, je veux, l’oreille au vent,
Te bien faire entendre comme
Les grands arbres en rêvant
Parlent tout haut dans leur somme.


Ainsi qu’un vague soupir,
Tu sentiras une à une
Leurs musiques s’assoupir
Sous les baisers de la lune.

Nous ne parlerons de rien ;
Nous ferons un grand silence
Jusqu’à temps qu’ils dorment bien
Dans la nuit qui les balance.

Alors, folle, entre mes bras
Tu riras de ne rien dire,
Et tu les éveilleras
Avec cet éclat de rire.

XXI

la chanson des chansons


J’ai vu les prés, les bois, les étangs, les buissons,
Et les petits oiseaux m’ont appris leurs chansons.

Je sais, faisant rouler dans ma gorge une perle,
Flûter comme un bouvreuil et siffler comme un merle.

Je connais le refrain des cailles dans le foin,
Et des perdreaux perdus qui s’appellent au loin.

Je peux dire d’un trait la cantilène douce
Que file la mésange en dansant sur la mousse.


J’ai retenu la gamme aux bonds capricieux,
Trilles de l’alouette en fusant vers les cieux.

Je répète la brusque et stridente ariette
Du pinson, du linot et de la mauviette.

J’imite jusqu’aux cris éclatant tout à coup
Du geai, du loriot, du pivert, du coucou.

J’ai gardé sûrement au cœur de ma mémoire
La romance de la fauvette à tête noire.

Enfin j’ai su noter la merveille des voix.
Le grand air tout entier du rossignol des bois.

Comment donc se fait-il quêta voix me paraisse,
Ô mignonne, plus belle et plus enchanteresse ?

Pourquoi tous ces concerts me semblent-ils moins doux
Que ta parole quand je suis à tes genoux ?

Ô maîtresse, ta voix gaie, amoureuse et tendre,
Ces chanteurs aimeraient eux-mêmes à l’entendre.

Viens voir les prés, les bois, les étangs, les buissons.
Je veux que les oiseaux apprennent tes chansons.

XXII

le soleil riche


Pour te laver du sommeil
Qui sur tes yeux pèse encore,
Viens voir lever le soleil
Dans son alcôve d’aurore.

Regarde le paresseux,
Comme il bâille ! Il a l’air ivre.
On voit qu’il n’est pas de ceux
Qui vont travailler pour vivre.


Lentement il cligne un œil.
Il veut redormir peut-être.
Mais la Nuit, la veuve en deuil,
Crie en ouvrant la fenêtre :

« Allons, allons, fainéant,
Il faut sortir de la plume.
Déjà là-bas l’Océan,
Votre grand miroir, s’allume. »

Alors, se frottant les yeux,
Débarbouillé de rosée,
Le dormeur aux beaux cheveux
Met le nez à la croisée.

Et l’on voit, dans l’air léger,
D’un nuage qui rougeoie
Un vol de flocons neiger
Comme des papiers de soie.

L’un est blanc, l’autre est vermeil.
Tous sont roulés en pelotes.
C’est Monseigneur le Soleil
Qui défait ses papillotes.

XXIII

le soleil pauvre


Vois-tu le soleil d’hiver,
Comme il est blanc, le pauvre homme !
Comme il a l’air triste, et comme
De haillons il est couvert !

Ces haillons sont faits de brume
Que met en loques l’autan.
Le vieux soleil grelottant
Dans le ciel brouillé s’enrhume.


Pendant qu’ici nous plaçons
Nos pieds sur la cheminée,
Sa face parcheminée
A pour barbe des glaçons.

Nous grillons notre pantoufle
Contre le chenet ardent.
Lui, là-haut, nous regardant,
Sur ses doigts roidis s’essouffle.

Le gel lui gerce la peau.
Son nez coule comme un cierge.
On dirait un vieux concierge.
Tiens ! il tire son chapeau.

Ô m’amour, quelle ruine !
Lui qu’on vit incendiant
Tout le ciel, ce mendiant
Tend la main dans la bruine.

Roulant des yeux en dessous,
Il quémande, pitoyable.
Jadis il nous fut bon diable.
Il faut lui donner deux sous.

À ce roi chassé du trône,
Pour le réchauffer un peu,
Envoie aussi fort qu’on peut
Ton baiser comme une aumône.

XXIV


Tu me demandes, rieuse
Curieuse,
Combien de jours il y a,
Combien de jours que je t’aime ?
Prends-toi même
La branche d’acacia,

Prends et casse cette branche
Toute blanche
De fleurs moins blanches que toi,
Compte les fleurs et les feuilles
Que tu cueilles
Une par une, et dis-moi


Combien les fleurs et les feuilles
Que tu cueilles
Sont sur tout l’acacia ;
Alors, depuis que je t’aime
Dis toi-même
Combien de jours il y a.

XXV


C’est le matin. À la fenêtre grande ouverte
Tu viens respirer l’air de la ramure verte,
Et tes yeux sont encore imprégnés de sommeil.
Aussi, pour les garder des baisers du soleil,
As-tu mis sur ta tête un grand chapeau de paille.
Quel chapeau merveilleux, étrange ! Une broussaille
De rubans clairs, de fleurs folles s’ébouriffant,
Un nimbe de féerie à ton minois d’enfant.
Pour goûter la fraîcheur du jour tu te recueilles.
Tous les petits oiseaux dans leurs maisons de feuilles

 
Redoublent de chansons et de cris éclatants
À voir s’épanouir en toi tout le printemps.
Moi j’admire, dans la fenêtre grande ouverte,
Le bouquet chaud que mêle à la ramure verte
Ton chapeau d’arc-en-ciel, jardin des sept couleurs,
Tout fleuri de rubans, tout rubanné de fleurs.

XXVI


Eh ! oui, c’est toi la plus forte !
Entre tes mains je serai
La plume ou la feuille morte
Que le vent roule à son gré.

Avec un simple sourire,
Même un tradéridéra,
Tu me feras faire et dire
Tout ainsi qu’il te plaira.


Je conviens que ta magie
Fait de moi ce que tu veux.
Tu mates mon énergie
Sous le fouet de tes cheveux.

Tu peux avec une amorce
M’irriter ou m’apaiser.
Tu peux engluer ma force
Dans le miel de ton baiser.

Un mot de ta lèvre rose,
Voilà ma bible et ma foi.
Je suis ton bien et ta chose.
Mais aussi, je sais pourquoi !

Et quand je courbe la tête,
Je me dis, tout en rampant :
« Patience ! le poète
Est un charmeur de serpent. »

XXVII

la voix des choses


Connais-tu la chanson des fils du télégraphe ?


Avec neuf clés, ainsi qu’une lyre, il s’agrafe
Dans les blancs clochetons des sonores godets
Qui sous la porcelaine ainsi que sous un dais
Couvent la gamme errante aux fibres de la corde.
Cet étrange instrument, c’est le vent qui l’accorde ;
C’est le bruit du midi, de l’aube et du couchant,
Qui lui donne son vague, et bizarre, et doux chant.

L’homme, en dressant le bois des poteaux par la plaine,
Ne s’est pas souvenu que la nature est pleine
De soupirs, de sanglots, de notes, de frissons,
Et que toute la terre est un nid de chansons.
Où son travail posait l’appareil de physique,
La nature a su mettre un peu de sa musique.


Applique ton oreille, enfant, contre le bois.
Et ton cœur entendra la voix, la grande voix,
Murmurer comme un flot sans fin, lointaine et douce.
Écoute ! C’est le grain qui poind, la fleur qui pousse ;
Tous les germes obscurs qui vont sourdre du sol
Et tous ceux que la brise emporte dans son vol ;
Tout ce qui veut jaillir près de tout ce qui tombe,
Car la terre est berceau comme la terre est tombe ;
C’est la chose qui naît et la chose qui meurt ;
C’est la mystérieuse et confuse clameur
De vie universelle éparse par l’espace.


Et tout cela tient dans ces fils où le vent passe !


Ô maîtresse, emplis bien de ce chant tout ton cœur.
Il dit qu’il faut aimer, et que l’amour vainqueur,
Dans les ruines, dans les morts, dans les désastres,
Anime les brins d’herbe aussi bien que les astres,

Et toujours plus vivace, en efforts plus ardents,
Palpite, et vibre, et souffle, et s’allume dedans
Les coins les plus perdus de l’immense matière.
Il dit qu’à moi tu dois te donner toute entière.


Viens, je ferai chanter mes baisers sur ton corps,
Et, tel qu’un violon dominant les accords,
Le cri de notre amour, comme un fou qui s’esclaffe,
Couvrira la chanson des fils du télégraphe.

XXVIII

dans les fleurs


Mignonne, allons-nous-en dans un pays de songe,
Joli, capricieux, absurde, comme vous,
Azuré d’impossible et fleuri de mensonge,
Où les arbres, les eaux et le ciel seront fous.

Regardez ! Le soleil sort de chez sa maîtresse
En galant négligé du matin, pâli, las,
Tandis qu’à l’horizon traînant sa noire tresse
Elle lui jette au nez des bouquets de lilas.


Lilas de l’aube, blancs lilas semés de perles !
Mettez à votre front ce nimbe gracieux.
La diane déjà chante au gosier des merles.
Les feuilles au réveil s’ouvrent comme des yeux.

Le ruisseau qui gazouille a pour vous des cascades
De diamant ou bien des miroirs de cristal.
Les cailloux du sentier roulent des noix muscades,
Et l’écorce du bois est en bois de santal.

Le vent luxurieux sur vos lèvres dérobe
L’arôme des baisers et le vol des chansons,
Et le désir troublant qui dort sous votre robe
Fait courir un frisson d’amour dans les buissons.

Et sous vos pieds, vos mains, vos regards, votre haleine,
Tout va fleurir dans la forêt d’enchantement.
De fleurs aux mille noms pour que l’herbe soit pleine,
Ô fée, il vous suffit de m’aimer un moment.

L’héliotrope sombre embaumant la vanille,
L’aspérule aux relents de musc, le romarin,
La marjolaine en blanc qu’on nomme la gentille,
La sauge qui dans l’air met un souffle marin,

L’encens du basilic, la myrrhe des glycines,
L’œillet qui sent le poivre et l’anis plein de miel,
La gueule ouverte rouge et or des capucines,
Le bleu myosotis, gouttelette de ciel,


La mauve, le muguet, les lis, les violettes,
Le chèvrefeuille avec ses coraux blancs-rosés,
La lavande, l’iris, le thym, ces cassolettes,
Tous les pois de senteur, ces papillons posés,

La jacinthe, l’arum, l’ache, les amarantes,
Les clochetons ambrés des pâles liserons,
Les roses, firmament d’aurores odorantes,
Tout va s’épanouir quand nous nous baiserons.

Au printemps de nos cœurs tout se mêle et s’enivre.
Étreintes de parfums, de formes, de couleurs !
Notre baiser d’aveu, comme un clairon de cuivre,
Sonne la charge en rut aux batailles des fleurs.

Mignonne, nous voici noyés dans cette foule.
Tu n’y peux échapper, c’est en vain que tu cours.
Les fleurs aiment encor sous ton pied qui les foule.
Sous nos corps enlacés les fleurs aiment toujours.

Leur sang coule embaume du cœur de leurs calices,
Bu par les vents, pareils à des chiens maraudeurs,
Qui traînent dans l’air chaud saturé de délices
Des lambeaux de couleurs, de formes et d’odeurs.

Elles meurent d’aimer. Elles meurent, qu’importe ?
Mort d’amour, ô le plus savoureux des trépas !
Et leur dernier soupir est un souffle qui porte
L’âpre besoin d’aimer à ceux qui n’aiment pas.


Ô mignonne, mourons comme ces fleurs qui s’aiment.
Donnons tout notre sang de désirs parfumé,
Et que les vents, grisés par nos baisers qu’ils sèment,
Aillent dire partout que nous avons aimé.

Qu’ils le disent au bois, au champ, à la ravine,
Le disent à la nuit et le disent au jour,
Qu’ils disent par sanglots notre extase divine
Au monde fatigué qui ne sait plus l’amour !

Qu’ils le disent au ciel, à la nature entière,
Qu’ils racontent que nous nous sommes épousés
Et que l’éternité de toute la matière
A fleuri ce jour-là dans un de nos baisers !

XXIX

l'ensorcelé


À quoi bon la clef des champs ?
C’est en vain que je la guette.
Une fée aux yeux méchants
M’a touché de sa baguette

Comme esclave je lui plus.
Moi, j’eus soif de la connaître.
Or je ne m’appartiens plus,
Car elle a changé mon être.


J’allais, fier, libre et hardi,
Ô femme, moi que tu mènes.
J’écoutais ce que l’art dit
À nous, ses catéchumènes.

J’espérais vivre au milieu
Des noms de gloire qu’on nomme.
Poète, on est demi-dieu.
Or je ne suis plus qu’un homme.

Mon esprit clair se voila
Dans les plis de ton corsage.
Je vis, je t’aime, voilà !
Suis-je fou ? Suis-je encor sage ?

Je ne sais, et je ne veux
Point le savoir. Qu’on me laisse !
Au bout d’un de ses cheveux,
Comme un chien je vais en laisse.

Je marche dans la forêt
Où l’amour tend ses lianes,
Où sa voix comme un foret
Perce l’air de ses dianes,

Où le long des verts sentiers
Ses menottes enfantines
Sèment sur les églantiers
Mon sang rouge en églantines.


Et je vais, je suis sa voix,
Je suis sa main. Que m’importe,
Du moment que je la vois,
Où son caprice m’emporte !

Je me moque bien des cieux
Et des vierges Amériques
Où s’enfonçaient les essieux
De mes grands chars chimériques.

Je me moque des rayons
Que nous, pauvres sans pelures,
Poètes, nous essayons
De mettre à nos chevelures.

Je me moque que le vent
De me voir décoiffé rie.
Plus haut que lui m’enlevant
Je vis en pleine féerie.

Il me semble que je suis
Dans l’île de la Tempète.
La sorcière que je suis
A changé mon âme en bête,

XXX


Crois-tu que mon cœur amer
Pleure ses vieilles étoiles
Et l’haleine de la mer
Dont ma nef gonflait ses toiles,

Et qu’en voyant mes agrès
Replier leurs ailes lentes,
Je songe avec des regrets
Aux grandes vagues hurlantes ?


Non, je ne regrette point
Un seul de mes anciens rêves.
Je ne montre pas le poing
Au port dormant dans les grèves.
 
Dût sa vase m’engloutir,
J’y reste, près de la berge.
Je veux bien mourir martyr,
Mais je ne mourrai pas vierge.

XXXI

le bateau rose


Je m’embarquerai, si tu le veux,
Comme un gai marin quittant la grève,
Sur les flots dorés de tes cheveux,
Vers un paradis fleuri de rêve.

Ta jupe flottante au vent du soir
Gonflera ses plis comme des voiles,
Et quand sur la mer il fera noir,
Tes grands yeux seront mes deux étoiles.


Ton rire éclatant de vermillon
Fera le fanal de la grand’hune.
J’aurai ton ruban pour pavillon
Et ta blanche peau pour clair de lune.

Nos vivres sont faits et nos boissons
Pour durer autant que le voyage.
Ce sont des baisers et des chansons
Dont nous griserons tout l’équipage.

Nous aborderons je ne sais où,
Là-bas, tout là-bas, sur une grève
Du beau pays bleu, sous un ciel fou,
Dans le paradis fleuri de rêve.