Les Castes dans l’Inde/Partie 2/Chapitre 3

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Ernest Leroux (p. 177-194).

III


Les quatre castes ne sont pas, je viens de l’indiquer, dans les sources hindoues, simplement coordonnées. Elles se résolvent en deux groupes : l’un est composé des trois plus hautes, l’autre comprend la quatrième seule.

Le premier embrasse les âryas ou, d’un autre nom, les dvijas, les hommes dont la naissance naturelle se double de la renaissance religieuse que confère l’initiation. Exclus de cette sorte de sacrement, les Çûdras n’ont point de part à la science et aux écritures sacrées, auxquelles il sert d’indispensable introduction, point de part directe aux sacrifices, ni à aucune des cérémonies qui sont destinées à sanctifier, dans ses phases diverses, la vie des castes supérieures. Tout au plus sont-ils admis à célébrer certains rites inférieurs ; par là seulement ils restent enveloppés, encore qu’à un degré très humble, dans l’organisation commune. L’initiation est la porte par où l’on entre dans la grande famille aryenne ; comme le dit expressément Manou, tant qu’il n’a point passé par cette seconde naissance, l’Arya lui-même n’est pas supérieur au Çûdra. La division est donc essentielle. Elle est religieuse, non pas simplement sociale. Un mort des trois hautes castes, porté par un çûdra, ne pourrait entrer au ciel[1]. La formule la plus forte pour condamner certaines fautes chez les brâhmanes, c’est de proclamer qu’elles font d’eux des çûdras[2], c’est-à-dire des outcasts. Manou déclare que, pour le çûdra, il n’y a pas de péché grave, pâtaka[3]. Il n’y a pas en effet pour lui de fautes entraînant la déchéance : il n’a point d’accès à ces hauteurs d’où l’on peut tomber.

Une distinction si tranchée ne peut guère, à l’époque où nous transportent ces recherches, manquer de correspondre à une scission nationale. Nous ne saurions discerner si la population comprise sous la dénomination de çûdras était uniquement composée de ces élémens aborigènes que rencontrèrent les Aryens en immigrant du Nord-Ouest dans l’Inde, ou si elle englobait des élémens mélangés. Le point est secondaire. D’Aryas à Çûdras, il y a certainement à l’origine une opposition de race, qu’elle soit plus ou moins absolue. Le métissage inévitable entre vainqueurs et vaincus, entre envahisseurs et autochthones, a pu diminuer la distance et réduire l’antinomie ; il n’en a jamais effacé le souvenir.

Veut-on juger de l’excès d’hostilité et de mépris avec lequel le çûdra était considéré ? Un texte[4] met sur la même ligne le meurtre d’un çûdra et la destruction d’un caméléon, d’un paon, d’une grenouille ; un brahmane novice a le droit de prendre sans plus de façon à un çûdra ce dont il a besoin pour payer les honoraires de son maître[5] ; les châtimens les plus terribles frappent le çûdra qui, même dans les rapports extérieurs, ne garderait pas sa distance vis à vis d’un homme des trois castes aryennes.

L’antithèse entre çûdra et ârya — ârya embrassant les trois hautes castes — est consacrée dans la littérature des Brâhmanas[6]. Une foule d’indices trahissent entre les deux termes, non pas une simple inégalité de rang, mais la lutte autrement profonde de deux traditions religieuses. Les hymnes védiques nous montrent cette lutte en pleine action.

Le mot varna, — littéralement couleur, — passe pour être en sanscrit le nom de la caste. J’aurai, à cet égard, des réserves à marquer. Il est certain du moins qu’il sert régulièrement à désigner les quatre castes théoriques. Cette acception n’est pas connue du Véda. Le mot y est en revanche employé dans deux locutions qui s’opposent : ârya varna et dâsa varna, la « race aryenne » et la « race ennemie[7] ». Elles y ont des synonymes encore plus transparens, tels que la peau noire, les hommes noirs. La littérature plus moderne continue d’opposer parfois la race noire (krishna varna) aux brâhmanes[8]. Cette antithèse est donc le prototype, parfaitement équivalent, de celle qui plus tard s’exprime par ârya et çûdra, ârya varna et çaudra varna[9].

Par quelque évolution qu’en ait pu ensuite passer l’usage, le mot varna a donc été employé d’abord pour distinguer deux populations différentes et ennemies, caractérisées l’une par la blancheur au moins relative, l’autre par la noirceur de sa peau. Si les « varnas aryens » désignent dans la littérature postérieure les trois castes réputées de souche aryenne, l’expression a primitivement été consacrée au singulier : le « varna âryen » a désigné collectivement toute la race claire des envahisseurs.

Il est donc certain que la terminologie du système repose sur un passé différent. Elle enveloppe dans son réseau et façonne à sa convenance des divisions qui, d’origine, correspondent à des notions tout autres, des termes qu’elle a détournés de leur portée première. Retenons l’avertissement.

Quelque idée que l’on se fasse de l’état des choses à l’époque védique, il est incontestable que les hymnes distinguent, dans la population aryenne, trois grandes catégories : les prêtres, les chefs et le peuple ; les prêtres, que, sous des titres variés, nous retrouvons sans cesse occupés aux œuvres du sacrifice et à la composition des chants qui l’accompagnent, — les chefs, que nous suivons dans les combats et dans les assemblées, — le peuple toujours désigné par un pluriel qui le plus souvent nous montre les « clans » qui le composent entourant les chefs à la guerre.

Que, dès lors, les fonctions sacerdotales aient été solidement organisées, protégées contre des intrusions trop faciles, leur complication même nous en est garante ; que, comme partout, le pouvoir royal ou, d’une façon plus générale, la dignité des nobles ait eu une tendance marquée à se fixerpar une hérédité plus ou moins rigoureuse, le fait est universel. Mais il faut assurément une forte prévention, le parti pris de retrouver dans le passé les enseignements du système brâhmanique, pour découvrir, dans cette triple classification, des castes au sens strict du mot, telles que les suppose la doctrine ou l’usage plus moderne. Aucun des caractères qui font la caste n’est expressément mentionné.

Les trois termes sont parfois rapprochés[10] ; ils embrassent visiblement tout l’ensemble du peuple aryen. Un vers[11] assure que « les viças (les clans) s’inclinent spontanément devant le chef (râjan) que précède un brahmane (brahman) », c’est-à-dire, pour parler le langage technique, devant le roi qui a un purohita ou prêtre domestique. Tout en constatant que les prétentions du pouvoir sacerdotal sont déjà établies, il présente la situation sous son vrai jour : le roi et le prêtre, dans la fonction qui leur est propre, mis en regard du peuple entier. Nous sommes en présence de classes plus ou moins fermées et jalouses, non pas de castes. On ne peut cependant méconnaître que cette triple division corresponde exactement aux trois premières castes de la théorie brahmanique. Comment expliquer la chose ?

Des noms que portent les trois castes, brâhmana se trouve seul dans les hymmes (en faisant, comme il convient, abstraction de l’hymne à Purusha dont j’ai parlé plus haut et qui suppose achevé ce système dont nous voulons sonder les origines). Encore y est-il rare. Le primitif brahman est fréquent ; au neutre, c’est le terme consacré pour embrasser l’ensemble des fonctions sacerdotales. Des deux titres qui dans la suite désignent les guerriers, kshatriya, qui, comme épithète exprimant la puissance, accompagne à plusieurs reprises le nom de certains dieux, n’est appliqué à des chefs qu’une ou deux fois, dans des passages suspects d’appartenir à une époque récente, râjanya est inconnu. En revanche, le simple râjan est le titre courant des nobles ; le thème kshatra résume l’idée de la puissance royale. Le nom des vaiçyas est étranger aux hymnes ; le primitif viç est, au pluriel, le nom invariable de ces « clans » qui constituent la masse de la nation. La trinité brahma, kshatra et viç, embrassant toute la population âryenne, ne se rencontre pas seulement dans le Véda. Dans la littérature postérieure des brâhmanas, elle reste consacrée[12]. Elle se répète, avec une insistance qui témoigne d’une origine ancienne et respectée, dans les livres mêmes qui connaissent et emploient à l’occasion les termes définitifs : Brâhmana, Kshatriya, Vaiçya.

Ces termes, il est visible, je pense, qu’ils sont une dérivation de la formule ancienne, une dérivation technique et savante. Le régime auquel ils sont associés n’est pas le simple prolongement spontané, organique, de la situation que reflète le Véda ; comme les mots dans lesquels il s’incarne, il représente un système réfléchi, adapté à des conditions ou entièrement nouvelles ou au moins très différentes de celles d’où découlait la triple division primitive.

C’est retourner la relation vraie que d’interpréter les témoignages védiques par la théorie brâhmanique d’un âge plus récent.

Au-dessous des tribus aryennes et affrontés comme des adversaires constans, les hymnes ne connaissent que le dâsa varna, la population ennemie, qu’ils appellent aussi Dasyus. Les Çûdras leur sont inconnus. Le nom des Dasyus a au contraire été repris par la littérature et affecté aux couches les plus basses de la population, à celles qui, n’ayant aucune place régulière dans les cadre brâhmaniques, sont quelquefois, et jusqu’à l’heure actuelle, désignés comme outcasts. Ou il n’existait à l’époque védique aucune couche de population correspondant aux Çûdras, à la fois exclue de la communauté aryenne et rattachée à elle par certains liens assez lâches pour assurer sa dépendance sans compromission fâcheuse ; ou, si elle existait, les poètes dont les chants nous sont parvenus n’ont pris aucun souci de lui assigner une place à part, en dehors de la masse des Dasyus. Preuve nouvelle que le système est tout autre chose que le développement normal de la situation védique.

Que les Viças du Véda n’aient point circonscrit une caste, qu’elles englobent tout ce qui, dans la population aryenne, n’était pas distingué par des fonctions sacerdotales ou par un rang aristocratique, que, par conséquent, la théorie brâhmanique ait, en créant le dérivé vaiçya, fait du primitif une application en partie arbitraire, historiquement fausse, nous en avons un indice qu’il ne faut point oublier. Le nom d’arya, quoiqu’il ne paraisse pas usité ainsi dans les hymnes, est incontestablement synonyme d’ârya. Il est parfois employé ainsi par la littérature sacerdotale ; mais il y est surtout appliqué spécialement aux vaiçyas[13]. On se souvenait donc fort bien que les vaiçyas formaient en réalité toute la classe des hommes libres, le gros de la nation. Entre ce vague groupement et la caste véritable, nécessairement plus restreinte, adonnée à une profession définie, reliée par une commune descendance, enfermée dans des règles particulières, gouvernée par des coutumes propres, il y a un abîme.

J’ai admis jusqu’ici, comme on fait d’ordinaire, que varna, dans la théorie brâhmanique, est le terme qui correspond précisément à la notion de caste. La concession n’était que provisoire. Elle veut être limitée.

Employé d’abord pour marquer une opposition de couleur entre deux populations rivales, fractionné ensuite, si j’ose ainsi dire, pour être étendu non plus à ces deux varnas primitifs, mais à des catégories plus nombreuses, il n’a pas perdu toute trace de ses origines. Il ne désigne pas la caste en général et dans le sens rigoureux, mais seulement « les quatre castes ». Il s’applique uniquement à ce que, quelque part, un livre épique, le Harivamça, appelle les « quatre castes légales ». Pour désigner les autres, ces castes secondaires ou mélangées qui correspondent, non à des divisions théoriques, mais aux vraies castes, telles que nous les voyons vivre et agir, les Livres de lois ont un autre terme, jâti. Il fait précisément pendant par le sens au mot « caste », puisqu’il veut dire « naissance, race ». C’est, je crois, dans cette acception, non dans celle de « famille », qu’il le faut entendre partout où l’emploient Manou, Yâjnavalkya, et les autres. Cette distinction entre les deux termes, on a eu le tort de n’en point tenir un compte suffisant. Elle perpétue jusqu’à une époque assez basse le souvenir des deux élémens qui sont combinés dans la théorie brâhmanique.

La conclusion s’impose.

Dépositaire d’un passé lointain, le Véda reflète une division de classes dont la comparaison de l’Iran, d’autres indices encore, attestent l’antiquité très haute. La littérature plus moderne se trouvait, elle, tout à la fois contemporaine, dès ses origines, d’un régime de castes, et prisonnière de la tradition védique, tenue d’en accepter sans réserve tout l’héritage. Souvenirs du passé et réalités du présent se fondirent dans un système hybride ; le régime vivant des castes s’encadra dans de vieilles divisions de races et de classes qui furent démarquées à cet effet. Ces incohérences n’étaient pas pour effrayer une spéculation scolastique dédaigneuse plus qu’aucune autre des faits et de l’histoire. Son œuvre était d’ailleurs facilitée par ce qui, jusque dans l’émiettement des castes, survivait certainement de l’esprit de classe.

Aujourd’hui encore, l’orgueil de classe pénètre tous les brâhmanes ; il domine toutes les inégalités, toutes les différences qui les séparent au vrai en une multitude de castes. À plus forte raison devait-il en être de même en un temps où, la diffusion du peuple aryen étant moindre, le mélange des races moins avancé, le fractionnement était encore plus restreint. Même chez l’aristocratie guerrière, et quel qu’ait été son morcellement en clans, tribus ou castes, l’amour-propre de classe, les intérêts de classe ne pouvaient manquer de garder un empire puissant et de maintenir une certaine unité. À coup sûr, ce sentiment, cette unité relative étaient pour une classe sacerdotale, ambitieuse et déjà savante, particulièrement indispensables à la fois et aisées à sauvegarder. Il n’y a entre classes et castes point d’incompatibilité absolue ; les deux régimes se peuvent combiner et compléter. L’erreur consiste à en confondre les origines.

Seule l’autorité de la théorie brâhmanique a pu répandre sur cette distinction profonde une fâcheuse illusion. Elle a donné crédit à une interversion complète des rôles. C’est sous son insidieuse influence que l’on s’est obstiné à chercher l’origine des petits groupes bien vivans, dans des catégories qui n’en sont plus que l’exposant collectif, dont la valeur est en quelque sorte devenue nominale, qui ont été superposées à un régime auquel elles sont primitivement étrangères, moins par un développement organique que par une construction savante.

On a beaucoup discuté, et sans serrer les termes d’assez près, la question de savoir si les castes existaient à l’époque védique. D’un commun accord, on a considéré que l’hymne à Purusha était trop récent pour faire foi à cet égard. Les observations qui précèdent ne tranchent pas le problème. Il en résulte au moins que, partisans ou adversaires de l’existence védique des castes, doivent décidément modifier leur base d’opérations.

Que le mot varna ne signifie point caste dans les hymnes, il importe peu, s’il est vrai que ce mot n’ait jamais eu rigoureusement ce sens, ou du moins qu’il ne l’ait reçu qu’en vertu d’une extension tardive. Que l’on discerne dans la population une triple division, que l’on soit même fondé à en induire l’existence dans un passé encore plus reculé, il n’y a rien à conclure de là, s’il est vrai qu’il s’agisse de classes, non de castes. La hiérarchie des classes se retrouve dans des milieux trop divers pour être par elle-même significative. La caste, organisme de sa nature circonscrit et séparatiste, a nécessairement d’autres racines.

Le vrai problème consiste à déterminer si, au-dessous de ces grandes catégories de prêtres, de guerriers nobles, d’hommes libres, et inscrits, si j’ose ainsi parler, dans ces cercles étendus, il y a trace dans les hymnes de groupes héréditaires, agglutinés par l’un quelconque, — consanguinité, profession, religion, résidence, — des facteurs que nous savons contribuer à la constitution des castes, des organismes enfin identiques ou simplement analogues à la caste. Voilà ce qu’il faut chercher ; autre chose est de savoir si la recherche sera fructueuse.

Personne n’a fouillé le Véda avec plus de compétence que M. Ludwig, ni plus de penchant à y dénoncer la caste. Il ne s’est laissé arrêter par aucune des conclusions négatives, même les plus autorisées. Il n’a, en somme, rien découvert. Des classes, oui ; des castes, non. Que la complication même des rites et des chants ait, dès l’époque védique, solidement cimenté le sacerdoce, que les fonctions en aient été souvent, habituellement même, héréditaires, personne n’en peut douter. Qu’il se soit formé une classe de chefs riches, puissans par les armes, et que cette noblesse, ait dans l’Inde comme ailleurs, reposé essentiellement sur la naissance, M. Ludwig n’a rien démontré de plus. Il n’a retrouvé aucune des limitations positives que suppose la caste, ni prouvé que ces Maghavans qu’il assimile aux Kshatriyas appartinssent à un groupe fermé.

Au fond, M. Ludwig reconnaît lui-même qu’il ne peut discerner que deux classes distinctes, l’une de prêtres, l’autre de nobles, placées au-dessus de la masse du peuple aryen, des Viças. S’il estime que ces indices suffisent pour affirmer l’existence du régime des castes, c’est qu’il prend son point de départ dans le système brâhmanique. Il considère, au moins tacitement, ce système comme l’expression exacte des faits ; par conséquent toute trace qui, dans le passé, accuse avec lui une certaine concordance, démontrerait que, du temps où elle remonte, il existait dans son ensemble. C’est à mon sens, une pétition de principe.

M. Zimmer[14] était certainement autorisé à en prendre avantage en faveur de la thèse opposée. Autre chose est de décider si, inversement, il est certain qu’il n’ait point existé de castes dès l’époque où furent composés les hymnes les plus anciens. Si l’on songe combien, malgré son importance souveraine dans la vie pratique et sociale, le mécanisme des castes (je ne parle pas de la domination des brahmanes ou des nobles, comme classes) tient au fond peu de place dans toute la littérature postérieure, on avouera que le seul silence des textes a ici peu de poids. Si, comme je l’estime, la caste prend son origine dans une évolution normale de la plus ancienne constitution de la famille, évolution organique, mais spéciale à l’Inde, déterminée par les conditions ethniques et économiques, géographiques et psychologiques qui lui sont propres, le mouvement a dû se produire trop lentement, il repose sur des élémens trop primitifs, trop instinctifs de la vie, pour qu’une littérature comme celle des hymnes, déjà ambitieuse et déjà savante, promette sur ces élémens, sur leur développement, beaucoup de témoignages utiles.

Le système qui se manifeste dans la tradition hindoue n’existait pas encore au temps des hymnes anciens, ou du moins n’était pas reconnu par leurs auteurs ; cela est certain, puisque les termes principaux de la théorie ont été dérivés de thèmes qui ne sont encore familiers aux hymnes que dans leur état primitif, puisque la teneur générale de la théorie a été influencée, au point d’en être faussée, par le désir de se rapprocher de la tradition des hymnes. Mais ce système brahmanique a de tout temps couvert une situation de fait très différente. L’absence du système ne suffit donc pas à démontrer que la situation de fait dont il s’inspire n’ait pris naissance que plus tard. L’épanouissement complet en parait, à vrai dire, peu compatible avec l’état historique et économique qui se dégage du Véda ; encore pourrait-il avoir existé dès lors, quoique dans une phase antérieure, et s’acheminant vers sa constitution définitive.

Je crains fort que les textes ne fournissent jamais une réponse péremptoire. Le doute est d’autant plus permis que la vraie position des hymnes dans l’antiquité hindoue est encore plus imparfaitement déterminée, que nous discernons encore plus vaguement à quel moment précis de l’évolution historique ils correspondent. Ils reflètent une époque ancienne, mais non sans y mêler une foule de traits purement hindous ; la civilisation qui les suit leur accorde les respects les plus hyperboliques, mais tout en se déroulant sur un terrain religieux et dogmatique, géographique et social, profondément différent. Qui prétendrait déterminer dès aujourd’hui dans quelle relation exacte il faut décidément concevoir ces deux phases ?


  1. Mânava Dh. Ç., V, 104.
  2. Baudhâyana Dh. S., II, 3, 6, 32.
  3. X, 126.
  4. Apastamba Dh. S., I, 25, 13.
  5. lbid., I, 7, 20, 21.
  6. Ind. Stud., X, p. 4 suiv.
  7. Zimmer, Altind. Leben, p. 113-4.
  8. Apast. Dh. S., I, 28, 11.
  9. Çalap. Brâhm., XIV, 4, 2, 26, cité Ind. Stud., X, p. 10. Arya varna et dâsa varna se retrouvent dans le Çânkhâyana brâhmana, cité Ind. Stud., X, p. 4 note.
  10. RV. VIII, 35, 16-18.
  11. RV. IV, 49, 8.
  12. Cf. Ind. Stud., X. p. 18-9, 27.
  13. Ind. Stud., X. p. 5, 7, 16.
  14. Altind. Leben, p. 185.