Les Causes de la révolution/Etat des différentes Provinces

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ETATS DES DIFFERENTES PROVINCES — PARIS — LE ROY A VARENNES — LE NOUVEAU SERMENT — EMIGRATION — MR. NECKER.


Après être resté quelques tems à Nantes, je pris enfin congé de mes amis, de ma mere, avec une secrette conviction que c’était la derniere fois que je les voyais ; j’arrangeai mes affaires, je fis même mon testament, et me munis d’une lettre de crédit considérable : mais l'enthousiasme, est une maladie qui se gagne et lorsque je fus sur terre etrangère, mêlé avec les autres émigrés je pris bientôt la même confiance et n’eus garde d’en faire usage, crainte de déranger ma fortune.

Il s’en fallait beaucoup, que les provinces voisines, eussent le même ésprit de mécontentement, que la Bretagne et le bas Poitou : au contraire à Angers, à la Fleche, on était suivi dans les rues, par des bandes de canailles criant à tue téte, le patriotique ça ira, les aristocrates à la lanterne. Cet air peut paraître gai aux étrangers, et il l'est rééllement, mais s’ils avaient jamais été poursuivis par une foule de populace, chantant cet air favori, et menaçant de la lanterne, peutêtre en seraient ils dégoutés : au Mans, à Nogent, à Chartres, il y avait des chanteurs publics, visiblement payés pour cela, qui attroupaient le peuple, et tournaient en ridicule dans leurs impertinents pots-pourris, tout ce qui avait été réspectable jusqu’à lors.

Je ne saurais peindre, les sentimens qui me dechirèrent, en entrant dans le superbe parc de Versailles : ces lieux n’a guères, pleins de la puissance et de la majésté du trône, n’étaient plus qu’une vaste solitude : une horreur profonde semblait avoir pénétré ces mornes bois, ces mêmes bocages, où mon jeune age avait autrefois trouvé le bonheur. Je voulus visiter le chateau, tous les appartemens étaient ouverts, le silence de la mort y régnait, à peine y avait il deux où trois personnes dans cette vaste enceinte, où j’avais vu des million, s’emprèsser autour du soleil de la royauté. Un Suisse, me montra la porte dans l’appartement de la reine, que les Brigands avaient forcé le 5 Octobre 1789. Ici tomba sous leurs coups, son fidéle défenseur, voici le lit d’où elle se sauva demie nue, à leur rage sanguinaire.

Les habitans de Versailles, sentant trop tard le mal qu’ils s’étaient faits, en aidant les Parisiens à enlever la famille royalle, avaient résolus de réparer à leur frais, les désordres que les Brigands avaient commis : quelques ouvriers étaient occupés à les réparer.

Mais hélas, la roy ne devait plus revoir ces lieux, long-temps le siége de son pouvoir, maintenant flétris. L’ésprit du peuple, était abbattu à Paris, indifférent an joug qu’on lui impofait, prêt à se soumettre au plus fort, jouet des intrigant, qui se le partageaient et l’agitaient à leur plaisir, sans force, sans énergie, sans volonté, et tout aussi vil, lâche et féroce, que l’histoire le représente.

Je fus voir les législateurs sublimes, qui avaient fait tant de bien à la Francs : une cohue effroyable, un tumulte indécent, même pour la halle, des cris furieux, des menaces épouvantables, et même des coups : voila tout ce que je vis. On serait avec juste raison étonné, qu’un pareil assemblage, eut pu produire la révolution : mais les aboyeurs de la salle, n’étaient que les instruments, le petit nombre qui en dirigeait les mouvements, se tenait à l’écart et faisait porter les coups.

Je vis le même jour, leurs prisonniers à la chapelle ; une tristesse profonde paraissait visiblement sur la figure de la plupart des spéctateurs, j’entendis des sanglots, et vis des larmes couler : la Reine, et madame Elizabeth, semblaient vivement affectées: le roy paraissait résigné à souffrir ses maux, et point à les faire finir *.


Quand le roy se promenait dans le jardin des Thuileries, l’entrée en était interdite au public; quelqu’un se présentant alors, un Suisse le repoussa en lui disant, " non, non, le roy il est laché."


Le palais royal, ce centre impur de corruption, n’était pas à beaucoup près si agité, qu’avant la révolution : cependant on y voyait encore, quelques énerguménes prêchant dans les caffés ; la défiance la plus outrée, paraissait sur les virages, on s’évitait, on craignait de se communiquer sa pensées. Quelques éxécuteurs des volontés nationales, ayant trouvé que la lanterne n’était pas allez éxpéditive, avaient un grand clou dans la poche et au lieu de perdre le temps à conduire à la lanterne : lorsqu’ils tenaient leur victimes, ils plaçaient leur clou dans la premiere muraille, et les pendaient sur le champ ! au surplus, je ne puis assurer, que c’était là la vérité, car j’ai eu le bonheur de ne pas me trouver sur le chemin de gens, qui pussent m’en assurer par éxpérience.

Les spéctacles ne représentaient alors, que des pièces faites pour enflammer l’ésprit du peuple et le faire haïr et mépriser, tout ce qui avait éxisté avant cette époque. C’était un couvent de religieuses, bavardant et piaillant à qui mieux, des cardinaux, des moines, des magistrats, tous dans leur habit et disant souvent des choses assez hors de sens.

La bastille était démolie et cette vaste enceinte, qui aurait pu servir à des objets fort utilles, avait été detruite de fond en comble, pour satisfaire la fureur destructive du jour.

De Paris autrefois, les légers habitans,
Au plaisir, à l’amour, conacraient tout leur tems :
Etre aimable et gallant, c’était la seule affaire,
On se moquait par fois, de messieurs les savans,
Et l’on connaissait tout dès-lors qu’on savait plaire.

Mais hélas aujourdhui quels cruels changements,

Disputer, Lanterner, l’attirail de la guerre,
Porter sabre et fusils, sont les amusemens

De Paris.


Qui ne fait, d’Illion l’histoire sanguinaire ;
Pour venger un affront le Gréc après dix ans
De ses vastes débris, enfin joncha la terre.
Louis est dans vos fers ..... tremblez lâches Brigands
Les Français outragés, ainsi pouraient bien faire

De Paris.


Après lui avoit fait ce petit compliment d’adieu, je quittai la grande ville ; les Français eurent bientôt à déplorer des crimes et des malheurs encore plus grands que tout ce qui était arrivé.

Les villes de la Brie et de la Champagne que je traversai, jouissaient de la plus grande tranquillité, tout paraissait dans le même état qu’avant la révolution ; dans la Bourgogne, le peuple avait montré sa turbulence dans bien des endroits ; Disjon était entierement révolutionaire, on avait détruit las noms du prince de Condé, partout où on les avait trouvé : quelques propriétaires, avaient été obligés de fuir, l’ordre cependant était encore réspécté. Chalons-sur-Saone, était parfaitement tranquille, mais de là à Lyons, on appercevait un ésprit de contention qui n’éxistait nulle autre part qu’en Bretagne.

Sur le bateau public, il y avait une douzaine de prêtres, qui chercherent bientôt à se rapprocher ; un d’eux, questionné sur le nouveau serment, par un qui l’avait prêté, répondit que c’était une hérésie effroyable et un crime capital que de consentir à le prêter ; une dispute s’éleva, à la fin de laquelle, les jureurs qui étaient les plus forts, se disposaient à jetter à l’eau trois où quatre non jureurs ; ce fut avec beaucoup de peine, qu’on parvint à les en empêcher.

Lyons se ressentait peu, de la derniere découverte du plan projetté des princes à la fin de l’année précédente : les magistrats, étaient des gens sages et modérés, qui ne pensaient qu’à maintenir la paix entre tous les partis.

Heureux, si au lieu d’avoir fait un reproche aux gens sages, pour s’être mis à la tête des nouvelles administrations, les royalistes les eussent au contraire encouragés par toute la France et y eussent eux mêmes pris du places : mais on aurait alors regardé comme infame, tout gentilhomme qui se serait permis d’en prendre, et l’homme qui est capable de braver un préjugé aussi violent, ne mérite-t-il pas, d’en éprouver la rigueur.

Le général Luckner, venait d’arriver à Grenoble, avec un sécrétaire du duc d’Orleans, un Mr. Ferrier, général de nouvelle fabrique : Luckner était commandant en apparence, mais réellement sous les ordres du serviteur d’Egalité. D’àprès cette alliance, un peut bien enfer, qu’elles furent les démarches, du pauvre vieux général ; il fut à la municipalité et voulut recevoir d’elle ses pouvoirs ; il fut enfuite faire des visites à tous les membres séparément[1] : Il fut aussi visiter, les différens officiers de la milice nationale, avec son fidéle commandant en second, il distribua de l’argent aux soldats, et les fit chanter avec la populace sous ses fenêtres, le fameux air ça ira : en un mot, les honnêtes gensi étaient alarmés avec juste raison, craignant quelque tumulte ; mais heureusement les prévenances mêmes, que le général faisait au peuple les en garantit, par leurs excès. Comme la populace et les soldats, n’étaient point accoutumés, à tant de coups de chapeaux, ni de politesse ; le premier jour cela leur fit le plus grand plaisir, le second cela leur fut presqu’indifférent, et les suivans attirèrent leur mépris, sur le vieux général et sa séquélle.


Un d'eux était cordonnier et croyant que le général Luckner, avait laissé son nom chez lui, parce qu’il voulait lui donner sa pratique, il fut la trouver le lendemain, pour lui prendre mesure de Soulier.


Passant de là, par les montagnes du Briançonnais, je me trouvai au milieu de gens, qui savaient à peine que la révolution fut arrivé ; je cosai entre-autres, avec le curé d’un village éloigné, qui me dit tout simplement, on m’a fait passer un serment auquel je n’entends rien ; on m’a ordonné d’y mettre mon nom, où de quitter ma cure ; toutes ces disputes politiques, ne m’inquiéttent guères, j’ai signé bien vîte, sans savoir ce que c’était. On m’interrogeait sur les événemens arrivés deux ans avant, on s’étonnait, de les trouver vrais .... heureux peuple, que leur montagnes avaient garantis de la rage révolutionaire ; quand la France redeviendra calme, ce fera dans ce pays qu’on pourra retrouver les anciens Français, comme en Écosse c’est aussi parmi les montagnards, que l’on retrouve les anciens habitans.

Ceux de ces montagnes, aussi industrieux que les Écossais, mais plus favorisés par le climat et le sol, ont conservé de nos jours les anciens usages ; ils boulangent un pain d’orge, qui leur dure un, où deux ans et ils ne pensent à en faire d’autre, que lorsqu’il est fini ; il est fort noir, tres dur, comme on peut le penser, mais n’est pas tres mauvais : il semble qu’on y ait mêlé du miel, tant il est doux.

Pendant l’hiver qui est tres rigoureux, ils font la veillée dans l’étable à vache, dont la chaleur est douce et agréable, quand on est accoutumé à l’odeur : j’ai même vu des gens aisés, quitter leur maisons et se faire préparer un appartement sur le même niveau que l’étable et séparé seulement, par une barre et un canevas. Ils détournent le cours des torrents, et leur font faire le circuit de leur montagnes, de sorte que pendant l'été, ils arrosent leur bleds et leur prairies qui sont sur le penchant.

Le neige est à peine fondue chez eux, qu’ils recoivent du Piémont, den légumes et des fruits, et quand la saison, en est passée dans le Piémont, les leurs commencent à mûrir, et ils les leur porte.

Je retrouvai le régiment, pacifié par leurs habitudes avec les bonnes gens qui les entouraient, quoiqu’à Briançon on connut la révolution, cependant on y jouissait de la plus grande paix, ils avaient élu leur municipalité, et elle était composée comme elle l’aurait été dans un autre tems ; cependant il y avait bien, quelques énerguménes, mais contraire aux autres villes, où les habitans corrompaient les soldats, ici c’était les soldats, qui corrompaient la habitans. Ceux qui étaient zélés partisans de la révolution cependant, se contentaient de porter l’uniforme et la cocarde nationalle, et laissaient les autres faire comme ils voulaient.

Ils jouissaient avant la révolution, des plus grands priviléges et d’exemptions considérables : ils étaient êxempts de tirer à la milice, jouissaient du port d’armes et du droit de chasse dans leurs montagnes, le gouvernement n’avait pas de plus sùrs défenseurs contre leurs voisins les Piémontais, qu’ils détestaient cordialement, et qu’ils accusaient de vice, dont les autres ne les tenaient pas quitte.

Il est singulier que les habitans, des deux côtés de la même montagne, ayent presque dans tout pays une aversion singuliere les uns pour les autres, quoique soumis au même gouvernement. Qu’on demande aux paysans, d’un côté du mont Cenis, ce que font ceux de l’autre, aux Auvergnats ce qu’ils pensent dee Languedociens, aux Français des Espagnols, aux Italiens des Suisses où Tiroliens, et dans la Grande Bretagne si l'on croyent ceux qui font d’un côté des Cheviots, on craindrait, de voyager chez les autres.

Lors qu’un des méssagers, que l’assemblée avait envoyé à tous les points des frontieres, vint annoncer le départ du roy, l'indécision des soldats, à cette apparence de résolution de sa part, était telle, que je ne fais point de doute, que s’il eut reussi à s’echapper, toutes les troupes auraient été à lui. Au fait disaient quelques uns d’eux, qui même avaient montré des dispositions démocratiques avec tout ce beau langage des droits de l’homme, quelque part que soit le roy, il est toujours notre roy. Nous n’apprîmes son arréstation que le troisieme jour : durant cet intervalle, les soldats étaient souples, obéissants, et se tenaient tranquilles, on n’entendait pas le moindre murmure, plus de ça ira, dans les rues, les royalistes triomphaient réellement. Mais à la nouvelle de son arréstation à Varennes, la scène changea bien fort ; ceux même qui n’étaient pas démocrates se montrerent zélés partisans de l’assemblée ; le nom du roy fut omis par tout, on donna ordre de placer des sentinelles sur tous les chemins et sentiers, qui pouvaient conduire sut frontieres, d’arrêter tous ceux qui se présenteraient et de ne laisser passer aucun effet où bagage, jusqu’à nouvel ordre.

Cette tentative, qui avait été conduit avec tant de secret et pour le succès de laquelle, on avait pris tant de précaution, manqua encore par la volonté du roy, par cette humanité excessive, (et s’il m’est permis de le dire déplacée.) qui ne pouvait l’engager, à exposer la vie d’un seul homme, dans une cause qu’il croyait n’intérésser que lui seul.

Sa majésté avait dit-on, été reconnu à Ste. Menehoult ; que cela ait été la cade du voyage du maitre de poste à Varennes, où qu’il y ait été attiré par ses affaires personnelles, c’est ce qui est tres difficile et de tres peu de conséquence à décider, quoiqu’il s’en soit vanté bien hautement, comme si c’était un acte méritoite et de vertu. Il est sùr toutes fois, que le roy après avoir quitté Ste. Ménehoult, passa à Clermont, et que le Comte de Damas, colonel du régiment de Monsieur dragon lui parla, et lui offrit un détachement de son corps qui était sous les armes * ; le roy, le refusa crainte d’être découvert il arriva ensuite à Varennes, sans mal-encontre et si les chevaux qui devaient fournir le relais suivant, eussent été à l’entrée de la ville au lieu d’être à la sortie, il eut passé sans la moindre difficulté. Ne les trouvant pas où on les attendait, le postillon refusa d’aller plus loin ; les trois gardes du corps qui accompagnaient le roy, déguisés en courier, et lui même étourdi de ce retard funeste, lui offrirent imprudement cent louis pour aller à l’autre relais.


Il arriva alors, à Clermont, un accident qui par sa bizarrerie mérite d’être rapporté ; le régiment de Monsieur Dragon était la nuit sous les armes, le colonel seul étant informé de la raison : après que le roy eut passé, il jugea à propos pour plus de sureté, de le laisser encore quelque tems à cheval, crainte que quelque accident n’arriva.

Une vieille femme, sans malice de sa part, ouvrit sa fenêtre, et jeta quelque chose dans la rue, qui tomba sur la sentinelle de La garde nationalle : celui-ci pensant que la Cassollette, avait été jettée à dessein et pour l’insulter, cria à la garde de toutes ses forces.

La garde pénétrée d’horreur et de rage, pour l’insulte faite à son membre, força la porte de la maison, afin de se saisir de la personne qui l’avait commis : le bruit que cela fit, ammassa beaucoup de monde et chacun étonné de voir le régiment de Monsieur à cheval, et demandait qu’elle était la cause du tumulte. Une éxplication s’en suivit, et quelques personnes ayant prononcé le nom du roy, le Comte de Damas craignit qu’il n’eut été reconnu, et envoya le quartier-maitre de regiment, pour le lui faire savoir et lui faire hâter sa marche.

Malheureusement, le quartier maitre se trompa et prit le chemin de Verdun, au-lieu de celui de Varennes ; le tumulte augmentant, le Comte donna ordre à son régiment de le suivre, mais à l’instigation des Bourgeois, il se révolta ouvertement, et refusa de lui obéir. La dessus il s’en fut au grand galop après la roy, mais par l’obscurité de la nuit, il se trompa comme avait fait le quartier maitre et se rendit à Verdun, où il fut arrête.



Effrayé de la proposition, le postillon s’imaginant qu’il serait pendu s’il allait plus loin, refusa encore plus obstinément de marcher ; je tiens de quelqun, à qui dit quelques tems après, que si au lieu de lui offrir cent louis, on lui eut présenté, un écu de six francs, en le menaçant en cas de refus, de lui briller la cervelle, il n’aurait pas fait la moindre difficulté ; mais éffrayé par la somme qui lui était offerte, il cria à l’aristocrate qui veut s’echaper. Deux sentinelles de la garde nationalle, qui étaient à quelques distance, s’approcherent et pointeront leurs fusils sur la voiture, menaçant de tirer dessus, si l’on bougeait, quoiqu’ils ne fussent pas chargés.

Un grand nombre de gens, s’assembla bientôt, et le maitre de poste de Ste. Menehoult arriva dans ce moment ; voyant le tumulte, il se mêla aux autres et renversa une Charette sur le pont. L’on proposa au roy, d’aller à la municipalité, et de faire viser son passeport, il y consentit.

Les cinquante Hussards, qui devaient protéger le passage, d’un trésor disait-on, pour le payement des troupes des garnisons frontieres, après avoir attendu deux heures plus tard que celle, à laquelle on leur avait dit qu’il devait passer, avaient reçu ordre de se retirer ; le commandant, qui n’était pas dans le secret, imaginant naturellement que le passage était retardé. Averti par le bruit, il se rendit sur la place qui était couverte de monde et apprenant que le roy était la cause de ce tumulte, il s’approcha de sa majésté et lui demanda ses ordres. Le roy répondit qu’il voulait aller à l’hôtel de ville, et défendit de rien faire pour favoriser son passage : l’officier se retira, et sa majésté se rendit à l’hôtel de ville, où étant bientôt reconnue elle fut arrêtée ; en attendant, que le préparatifs nécéssaires pour son retour fussent faits, on sonna le tocsin et on amena des campagnes en nombre prodigieux de paysans armés. Quand ils furent arrivés, les municipaux se présenterent à la porte de la chambre où était le roy, La reine qui savait que le Marquis de Bouillé instruit de ce malheur, ne tarderait pas à arriver avec des forces considérables, les retint quelques tems ; elle leur dit que sa majesté, très fatigué de son voyage et cette derniere scène reposait et qu’elle les conjurait, de ne pas troubler son sommeil.

Les municipaux étaient indécis et probablement se seraient retirés, lorsque le roy s’écria, ah non, non, puisqu'il le faut absoluent, autant vaut à présent que dan une heure : il se présenta lui même aux municipaux, qui le conduisirent à sa voiture, et il partit sur le champ, escorté par un nombre prodigieux de milice nationale, qui s’augmentait à chaque pas.

Le Marquis de Bouillé, ayant appris cette catastrophe, se mit à la tête du régiment de royal Allemand, vint au grand galop, et arriva à peu près, une heure après le départ du roy ; les chevaux étaient tres fatigués et les cavaliers harrassés et tres mécontens d’avoir éssuyé une si grande fatigue sans en connaitre la cause. Voyant que tout était perdu, le Marquis de Bouillé repassa la riviere à la nage, et eut bientôt joint les frontieres.

J’ai entendu un des gardes qui accompagnait le roy, faire ce reçit, au Comte d’Artois à Coblence. Son altesse royale ne fit d’autre observation, qu’eu lui demandant en hesitant " quoi parmi vous, il n’y avait pas un pistolet, un couteau de chasse, si le postillon eut été culbuté, un de vous, l'eut remplacé et eut été plus loin. Le guide répondit que le roy leur avait absolument défendu d’avoir aucune arme quelconque avec eux ; que les seuls dont ils eussent pu user, étaient une paire de pistolets de poche que le roy avait dans sa posséssion, mais qu’il ne voulut pas leur confier.

Quoique les novateurs, ne pensassent pas qu’il fut encore tems, de se défaire du nom de roy, cependant ils se montrerent bien disposés à ne le pas garder longtemps. Trois semaines après que sa majésté fut retourné à Paris, ils proposerent aux officiers de l’armée, un serment où son nom était tout à fait omis. je me le rappelle et je crois devoir le donner. " je jure d’employer, les armes qui ont été remises en mes mains peur la défense de la patrie, au maintien de la constitution, et de n’obéir qu’aux ordres, qui me seront donnés en conséquence des décrets de l'assemblée nationalle." On donna huit jours aux officiers pour prendre leur parti, de l’accepter où de se retirer, ce qui vù la circomstances présentes, était à peu près la même chose qu’être lanterné, où mis en pieces par les soldats, où le peuple.

Quelques officiers, par de tres bons motifs, d’après la lettre de certains membres royalistes de l’assemblée nationale, qui engageaient à prêter le serment, pour empêcher les factieux d’avoir à disposer de leurs places, se détèrminèrent à le prêter. Pour moi, n’entendait pu trop, cc petit dilemma politique et ne pouvant contenir qu’il put y avoir de raison dans le monde, pour m’engager à faire un serment, contraire à celui que j’avais prêté au roy ; un soir je fis mon pacquet et chargeai un homme de le porter en Piémont, par des sentiers de traverse dans les montagnes. Le sot se fit prendre, (par maladresse où êxprès, je ne saurais dire lequel), on le rapporta à la ville : grand bruit parmi les municipaux : craignant qu’il n’y eut quelques conspirations épouvantables cachées parmi mes chemises, on déposa le tout à l’hotel de ville, on me fit demander les clefs, on visita, on retourna, et on trouva à propos de tenir mes affaires sous bonne et sure garde *.



Je quittai la France absolument avec une chemise dans ma poche ; lorsque je fus de l’autre côté des montagnes, j’écrivis par un éxprès, à un de mes amis, pour tacher d’avoir quelque chose de mes éffets. Voici ce qu’il me répondit par un homme qui porta la lettre entre les Semelles de ses Souliers.

" 13 Juillet 1794, nous avons reçu une lettre de Messrs. d’Enghien, et Steiner, qui annoncent, que toute l’armée, forcée par la nécéssité, prêtait le serment à l’unanimité : tu es le seul du régiment, qui s’y refuse. Nous ne pretons le serment que demain à onze heures. Tu pourrais encore revenir pour ce moment, .... tu ferais plaisir à tout le monde, c’en ce que je suis chargé de te marquer, je te laisse juger, la part que j’y prendrait.

Je te ferai passer tes porte-manteaux, si toutes fois on les rend .... si tu voulais n’être pas si entêté et revenir, cela vaudrait bien mieux, tu nous ferais grand plaisir à tous.

Le 14 à une heure, Nous venons de jurer .... tous nos messieurs ont été tres affligés de ton départ, tu es l’unique qui .... &c:.

La plupart de mes camarades ont quitté la France dix où douze jours après.


Le serment devant être prêté le lendemain : sous le prétexte d’une promenade, je me rendis par les Montagnes à la frontiere, où j’arrivai après bien des contre-tems ; la neige particulierement, qui tomba on abondance (quoiqu’au 15 Juillet) pensa me faire retourner sur mes pas, crainte d’être perdu, mais le soleil paraissant tout à coup, je revis mon chemin : j’apperçus bien vite la borne aux armes de France et de Savoie, je m’assis dessus prendant un grand quart d’heure, refléchissant et rêvant au malheur de mon pays et à le conséquence de cette démarche, et je me jettai du côté de Piémont.

J’arrivai bientôt à Turin, les princes en étaient partis depuis longtemps, et avaient établis leur quartiers, le comte d’Artois à Coblence, et le prince de Condé à Worms. Ils recevaient les officiers et les gentils-hommes qui émigraient en foule, depuis l'arréstation du roy à Varennes et le nouveau serment. Après quelques terres de repos, et avoir réparé la perte nationale de mes effets, je me mis en route pour les aller joindre.

Je m’arrêttai à Aix en Savoie, et fus voir au Bourget le corps des chevaliers de la couronne qui s’y formait ; on se rappelle, qu’il était en partie compofé, des personnes qui s’étaient sauvées, après que l’expédition de Lyons eut été manquée, l'année précédente.

Pour éviter de passer sur terre de France, à Versoix, je m’embarquai à Genève sur le lac, et fus descendre à Copet : je fus sur le champ visiter le parc et le jardin de Mr. Necker, et la premiers statue que j’apperçus fut celle du temps, tu seras notre vengeur dis je, et j’écrivis Necker sur sa faux ! ... en attendant le bon et vertueux philosophe, déséspérant de pouvoir établir sur la France le gouvernement de Genève, s’était enfin retiré du monde et regardait de loin et fort à son aise, les maux dont sa folie l’avait accablé.

On assure que Mr. Necker s’en occupé dans sa retraite, à écrire l’histoire de ses sottises, c’est à dire de la révolution de France ; elle a dit-on été publiée dernièrement à Paris : je ne l’ai pas lu et j’en suis tres faché, car cela doit être quelque chose de curieux. Ou dit, qu’il donne pour excuse de sa conduite, que son intention était d’établir en France, le gouvernement de l’Angleterre. C’en bien là, en vérité, l’excuse la plus impertinente que l’on puisse donner, quoiqu’elle paraisse séduisante à bien des gens den la Grande Bretagne surtout. Mais de bonne foi, supposons que quelque Charlatan Catholique, de la république de Cologne (par exemple), put parvenir par ses intrigues, à la tête du ministere de la Grande Bretagne, qu’il profita de sa popularité, pour renverser la forme de gouvernement, afin d’en établir un autre, suivant ses idées chimériques. Supposons encore, qu’il ne fut pas capable de diriger les mouvemens qu’il aurait témérairement éxcité ; qu’un désordre effroyable s’en suivit ! que la tête du roy, à qui il aurait persuadé d’embrasser ses idées, tomba sur l’echaffaud ! que le plus grand nombre des propriétaires, du clergé et de la noblesse fussent massacrés où bannis ! que le pays fut dévasté et que des millions d’hommes eussent péris !… ne serait-ce pas, une grande consolation, pour ces nobles qui feraient obligés de manger, comme dit Shakespeare *, the bitter bread of banishment : pour les parents de ceux, qui auraient été massacrés et pour l'état sanglant et déchiré, d’entendre la personne qui aurait été la cause de tous ces maux, leur dire après six ans de malheur.


Le pain amèr de l’éxil


Nobles, pretres et peuples de l’Angleterre, je suis il et vrai la cause de vos maux, mais consolez vous (je n’en souffre point,) mon intention était fort bonne ; quoique vous fussiez heureux avec votre ancien gouvernement, et votre ancienne religion, il était notoire qu’ils ne vallaient rien et mon intention charitable, était d’établis sur vous, le gouvernement admirable et la religion de vos voisins, les Français, les Hollandais où les Danois ; .... le peuple malheureux, me se trouverait il pas bien consolé, par ces douces paroles.

C’est là, le véritable état de la question, car quoique j'admire infiniment la constitution de la Grande Bretagne, je suis loin de la souhaiter à aucun autre pays ; tous les gouvernemens du monde, doivent étre établis d’après les préjugés, les manieres aussi bien que la situation locale des peuples.

J’ai souvent pensé que si la France, par quelque bizarrerie, prenait la religion Anglicane, l’Angleterre deviendrait peutêtre Catholique et que si les Français s’avisaient d’avoir un parlement tel que le sien, elle changerait certainement quelque chose dans son gouvernement pour ne pas trop lui ressembler. L’éxistence des nations, dépend de ces differences politiques et religieuses, aussi bien que des préjugés qui viennent à leur suite. Lors qu’une nation a le même langage, la même religion, le même gouvernement, et les mêmes manierez qu’une autre, ne doit il pas être indifférent aux individus qui les composent, de vivre sous l’un où sous l’autre, et dans ce cas qu’elle résistance ferait on au conquérant qui se présenterait.

Le plus grand malheur qui put arriver à l’Europe, serait de former une seule vaste monarchie, et le moyen de le prévenir, c’est d’avoir des manieres, des religions, des langages, des préjugés, et des gouvernemens différens .... Pauvre Mr. Necker, pourquoi ne pas dire tout d’un coup, que c’était à Genève, et non à Londres que vous pensiez, lorsque vous avez voulu faire le petit Mahomet chez nous ; quant à moi, je le trouverais tout aussi raisonable et même beaucoup plus, car au fait vous connaissez au moins cette bonne ville.

Voici une dissertation un peu longue, j’espere qu’on l’éxcusera et je reviens à mon récit.


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  1. Un d'eux était cordonnier et croyant que le général Luckner, avait