Les Causes de la révolution/La Légion de Mirabeau

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LEGION DE MIRABEAU — RAISONS DE L’EMIGRATION ― COBLENCE— EXPEDITION DE STRASBOURG EN 1791 — FAUSSE NOUVELLE DU DEPART DU ROY — DECLARATION DE GUERRE DE LA FRANCE CONTRE L’EMPEREUR.

je m’embarquai à Basle sur le Rhin, avec une trentaine de recrues de la légion de Mirabeau, quoique on eut soin de tenir autant que possible la côte de l’empire, il fallait cependant, passer souvent à la vue de celle de France ; alors les patriotes, craignant une déscente, cognaient les cloches pour rassembler leur monde, et leurs soldats paraissaient bientôt rangés en bataille ; nous cédions cependant au courant, et n’avions pas l’air de vouloir guerroyer. Mais se rappellent apparement, l’incartade du Vicomte de Mirabeau, qui vint avec une douzaine d’hommes, mettre à contribution un village de leur côté : ils paraissaient déterminés à ne plus le laisser faire impunément *.


Le Vicomte de Mirabeau, était un homme d’un caractère entièrement opposé à celui de son frère le Comte de Mirabeau, à qui j’ai donné le nom de Romulus.

Le Vicomte, était ce que nous appellions, un bon vivant, brave comme son épée, joyeux, jovial et bon compagnon ; il avait des reparties uniques, qui quelques fois même, embarrassaient l’éloquence de son frere, dont il était le plus grand antagoniste dans l’assemblée.

ll était un peu adonné au plaisir de la table, et cette disposition jointe à sa grosse taille, lui avait fait donner le surnom de Mirabeau Tonneau. Le Romulus, qui au contraire était fort sobre, le voyant un jour, un peu gai, lui dit, " mais mon frère comment pouvez vous, vous exposer ainsi ...." mais mon frere " lui dit l’autre, " la nature a fait entre nous, un partage fort inégal, elle vous a donné tous les vices et ne m’a laissé que celui là, ne voulez vous pas encore encore me l’envier."

Dans le commencement des troubles, sa loyauté ne lui permettait pas, d’endurer patiemment, les rêveries philosophiques des déclamateurs: il leur cherchait querelle et se battait souvent; dans une de ces occcasions, après qu’il eut tiré son coup de pistolet, son adversaire tira en l’air ; surquoi devenant furieux, il le menaça sérieusement de l’assommer s’il ne l’ajustait ; l’autre chargea son pistolet, tira et lui enleva une boucle de cheveux et la peau, " à la bonne heure dit le Vicomte, je vois bien que vous me visiez." Son frere le sachant blessé vint le voir et parut le plaindre .... " il y a (lui répondit il, d’une voix faible) quelque chose de consolant dans ma situation, c’en que je suis bien sùr, que je n’aurai jamais la même inquiétude pour vous."

Apres que tout parut décidé contre les royalistes, le Vicomte fut t’établir à Ethéneim dans les états du Cardinal de Rohan, à quelques lieues de Strasbourg où avec l’aide du Marquis de la Ferrroniere, il réussit à former une légion, à laquélle

il donna son nom, l’uniforme était noir, et sur le bouton il y avait honneur aux preux. Il fit plusieurs fois des expéditions de l’autre côté de La riviere, quoique la guerre ne fut pas declarée avec l’Empire. Il vint un jour entre-autres, chez le maire d’une petite ville, se fit préparer à manger chez lui, et le força de le servir à table, avec echarpe tricolore, pour avoir le plaisir de se faire servir par la nation à ce qu’il disait.

Il est mort, très regretté de ses officiers et de ses soldats, après la premiere Campagne ; sa légion porte encore son nom et s’est souvent distingué pendant cette guerre, sous les ordres du Prince de Condé.



J’arrivai bientôt, dans les états du cardinal de Rohan, qui avait donné permission à la légion de Mirabeau, de se former chez lui ; je ne crois pas hors de propos de faire remarquer, que quoiqu’il eut quelque raison de se plaindre de la cour, il a été le premier à défendre sa cause, tandis que d’autres qui avaient reçu de tres grandes faveurs, ont eu l’impudence de dire, que l’ingratitude était une vertu, et l’insurrection le plus saint des devoirs.

La nouvelle légion de Mirabeau, était campée et avait déja une apparence réspectable, qui inquiétait la ville de Strasbourg ; je passai la nuit dans la tente, et sous le hamac de Mr. de la Ferroniere, mon réspéctable ami, qui avait formé cette légion avec des peines infinies, et qui en était colonel en second *.


Dubois, Marquis, de la Ferroniere, n’avait montré jusqu’à l’age de 36 ans à peu près, aucun indice du grand caractere, qu’il a fait paraître depuis. En 1784 où 1785, il acheta une place, dans la maison militairc du Comte d’Artois, dont le service l’obligea de venir plus souvent à Paris : loin de puiser à la cour, l’ésprit accomodant et admirateur de toutes ses démarches, ainsi que les courtisans ordinaires, il semble au contraire qu’il y acquit une énergie peu commune dans ces lieux. Il prit une part tres active dès le commencement des querelles de la cour et du parlement en faveur de ce dernier.

Ce fut alors que ma connaissance avec lui devint plus intime : Je le voyais tous les jours, et toujours occupé de la malheureuse situation, dans laquelle il

disait dès lors, que la France allait tomber. " Le gouvernement," me disait il, quelques fois, aigrit à présent les ésprits par sa hauteur ; personne ne peut savoir jusqu’ou les choses iront. Voici le moment pour l’homme d’honneur de se montrer et de soutenir les droits de son pays."

Il avait une correspondence tres étendue. avec les gentil-hommes de sa province (la Bretagne) et s’en était acquis l’éstime, par la maniere noble dom il s’était acquitté des affaires dont on l’avait chargé. Il en reçut un témoignage flatteur en 1788 ; il fut un des douze députés que la noblesse de Bretagne, envoya à cette époque porter ses réclamations au roy. J’ai deja dit qu’ils furent tous mis à la Bastille. Son retour dans la province fut une espéce de triomphe, il est difficile d’avoir plus de popularité qu’il n’en avait alors  : on scut bientôt l’en priver aussi bien que le reste de la noblesse par des menées sourdes, dont il est, difficile de ne pas croire Necker et d’Orleans les auteurs.

Le Marquis de La Ferroniere, fut un des plus ardents, dans la lutte terrible que la noblesse de Bretagne eut bientôt à soutenir entre le peuple et le ministere, ayant toujours à coeur la constitution de son pays, et pas plus disposé à se soumettre aux coups d’autorités qui l’enfreignaient, qu’a céder à la rage folle que des traitres avaient sçus inspirer au peuple.

Lorsqu’enfin, de fautes en fautes et de faiblesses en faiblesses, le gouvernement se fut entierement avili et que les novateurs au fait, furent devenue les vrais rois de France ; il fut des premiers à chercher dans son courage, des moyens de rétablir la monarchie ; il offrit ses services aux princes, et fat l’ame des éxpéditions dont j’ai parle à Toulouse, à Lyons et à Strasbourg. En 1791 il aida puissament le Vicomte de Mirabeau, qui venait d’obtenir la permission de lever une légion, fit la premiere compagne sous ses ordres, comme colonel en second et après sa mort, la commanda en chef pendant deux ans.

Au bout de cc tems, il plut à la cour de Vienne, d’humilier son courage : elle força le Prince de Condé, à faire, reconnaitre un jeune homme sans expérience, comme colonel commandant de la légion dr Mirabeau. La Ferroniere ne put souffrir cette injustice, il donna sa démission et ne chercha à s’en venger, qu’en rendant des services plus réels et plus éminents. Il traversa toute la France à pied, déguisé en Marchand Italien, arriva dans la Vendée, se joignit à Charette et après avoir pris toutes les informations qu’il crut nécessaires, vint rendre compte à Monsieur de l’état da choses ; prit sa ordres et retourna su poste d’honneur, résolu à faire tout en son pouvoir pour le succès de l’éxpédition projetée, qui n’était autre que le soulévement unanime, des provinces de Normandie, Bretagne, Anjou, Mayne et Poitou.

Malheureusement, Charette et Stoflet, furent oblige, de se mettre en Campagne avant le tems et quand Mr. de la Ferroniere et quelque autres gentils-hommes débarquerent, sur les côtes de Bretagne, le pays était plein de troupes républicaines ; ils auraient pu se rembarquer s’ils avaient voulu, mais ne déséspérant de rien, ils résolurent de se rendre au poste qui étais marque à chacun d’eux et s’avancerent dans le pays, jusqu’à un petit village, où ils s’arrêterent. Pendant La nuit, les paysans les avertirent que l’armée républicaine avançait ; ils se jetterent dans les champs et se tinrent cachés quelques temps ; mais appercevant 50 soldats qui venaient de leur côté, quoi qu’il ne fussent que quinze, ils résolurent de les attaquer: ils en tuerent plusieurs et mirent le reste en fuite ; le feu attira le gros de l’armée républicaine et ils furent bientôt entourés : la plupart furent pris et fusillés le jour d’après. Quelques autres combattirent jusqu’à la mort, de ce nombre fut la Ferroniere, qui à ce qu’on dit, tua huit où neuf de ses ennemis avant de succomber.

Je ne saurais mieux finir, qu’en ajoutant, que de ces douze gentils-hommes bretons, qui furent mis à la Bastille par ordre de la cour, pour avoir fait des remontrances, contre des mesures qui tendaient égallement à renverser les priviléges de la province et les principes de la monarchie Française. il n’en reste plus que trois ; tous les autres out péri au service du roy.

La tentative dont j’ai parlé dans cette note, est la derniere qui se soit faite, pour donner du secours aux royalistes.



J’aurais bien désiré aller à Strasbourg, où je savais mon frere, mais la crainte de ne pouvoir retourner m’en empêchat.

Je fus jusques au milieu de la riviere sur le pont-levis, qui sépare les deux états et je revins sur mes pas.

Les corps d’émigrés étaient déja formés à Worms ; huit gentils-hommes, montaient la garde chez le prince de Condé, et mangeaient à sa table, et comme toutes les differentes compagnies avaient cet honneur a leur tour, le prince connaissait individuellement tous les gentils-hommes de son armée et leur inspirait cet attachement, et ce respect pour sa personne qui lui fait tant d’honneur. De là je fus à Coblence, où je fus présenté aux princes avec plusieurs de mes camarades, et comme ayant été page de Monsieur, je fus placé dans ses gardes.

C’en à peu près de cette époque, que l’émigration a réellement commencé à être générale ; quelque puisse être

les argumens, dont on fait usage à présent pour reprocher à la noblesse, d’avoir abandonné ce qu’elle avait de plus chèr, pour défendre la cause de la monarchie : Je les regarde comme dépourvus de jugement ; les préjugés quels qu’ils soyent, ne sont pas des raisons : si les princes eussent réussi dans leur entreprise, les mêmes gens les approuveraient sans doute.

Les propriétaires dit-on, auraient du réster chez eux, et se soumettre à ce qu’ils ne pouvaient empêcher : s’ils croyaient être assez forts pour résister efficacement, ils devaient se réunir, se coaliser entre eux dans l’intérieur du royaume et faire usage du crédit qu’ils avaient sur leur vassaux.

Quant au premier de ces deux articles, à moins d’être vieillard impotent, où pere de famille, j'ose dire qu’il était presque impossible, sans s’être déclaré ouvertement, en faveur du nouveau sistême et alors on eut été loin d’être tranquille. Un gentilhomme qui serait resté sur sa terre, eut été exposé à tout moment aux affronts, aux insultes, et n’aurait pu obtenir la protection des loix, ni du gouvernement. Par la division, que les novateurs avaient semé entre tous les ordres de l’état, et particulierement entre les riches et les pauvres, sous les noms d’aristocrates et de démocrates, il ne réstait an propriétaires bien intentionés pour la cause du roy, que ce qu’ils étaient capables de faire par eux-mêmes.

Il eut été aussi ridicule qu’impossible au seigneur, de proposer au paysan de le suivre à la guerre, tandis que par les nouveaux principes, le paysan s’imaginait avoir droit au partage de ses terres, et ne se serait pas armé avec lui, pour les lui conserver.

On pourra demander, avec quelque apparence de raison, comment pour sauver le roy, les émigrés se rendaient à cent cinquante lieues de sa personne.

Cette objection ne serait point frivole, si l’on ne se rappellait que les différentes entreprises près la personne du roy, avaient toutes echouées au moment de l’exécution, par son manque de fermeté et de résolution, et ceux qui les avaient formés, où en étaient les acteurs, avaient été abandonnés et livrés aux outrages et aux affronts de la multitude. Dans des circomstances pareilles, il ne réstait donc à la noblesse d’autres parti, que celui de se réunir autour de l’étendard royal, et c’était à Coblence qu’il était déployé.

Le seul tort semble, d’avoir choisi le point de rassemblement hors du royaume, et de s’être uni avec leu puissances étrangeres pour attaquer la France. Mais ce n’en pas à l’individu isolé à faire la loi, ni à un simple soldat à dire à son général, qu’il aime mieux être là, qu’ici. Si la faute ett à quelqu’un, ce n’est certainement pas aux émigrés qui ont eut beaucoup plus de peine à se rendre à Coblence, que si le rendez vous eut été dans l’intérieur.

L’opinion en faveur de l’émigration était si générale, qu’il arrivait par bandes des gentils-hommes de toutes les provinces et souvent sans aucun moyen de subsistance ; les gens riches croyaient faire beaucoup, que de se munir du quart de leur revenu ; j’en ai connu, qui avait passé avec assez d’argent, pour les conduire au rendez-vous et pas une obole pour se maintenir après ; en un mot c’était un vertige inéxprimable : ceux qui étaient arrivés les premiers, prenaient une éspéce de ton de supériorite sur les nouveaux venus : on distinguait les émigres de six mois de deux mois et les nouveaux arrivés. Les personnes qu’on soupçonait avoir eu quelques opinions, contraires à celles généralement reçues parmi les émigrés étaient très maltraités, j’en sais même plusieures qui ont été forcées de se retirer, et qui n’ont pas pu avoir l’honneur d’être émigré *.


Le Prince de St. Maurice par éxemple, colonel du régiment dans lequel j’étais, homme faible peutêtre et entiché des idées modernes, mais honnête homme d’ailleurs, doux, modéré et vertueux, fut à Coblence quelques tems après Monsieur, à la maison duquel il était attaché ; quoique cet acte semble être une rétractation formelle, des principes qu’il avait soutenu quelques temps: on ne voulut pas le recevoir et on le traita si mal, qu’il fut obligé de partir et de retourner a Paris où il a depuis été guillotiné.


C’est à regret, que je cite ceci, mais c’est une vérité malheureusement trop incontestable, et qui, je n’en doute pas, a été la cause de bien des maux, en fermant la porte au repentir.

Cette folie au surplus, n’est pas particuliere aux Français émigrés : je l’ai plus d’une fois rencontré chez l’étranger : n’ai-je pas entendu appeller Jacobins, ceux qui n’approuvaient pas aveuglément la conduite du ministere ; certaines personnes aussi, (peutêtre pour avoir l'aie zélées auprès des gens en place), m’ont plusieures fois cherché des querelles d’Allemand, et m’ont fait l’amitié de me déclarer démocrate, parce que je ne me souciais pas de me faire Quiberonner où que je refusais fais de m’enrôller dans leurs volontaires, où comme étranger, je n’avais que faire ! — L’aimable situation, d’être maltraité dans un pays comme démocrate, et d’être confisqué et guillotiné dans l’autre, comme aristocrate !

Je crois plus à propos, de faire Adisson répondre aux billevesées des gens, que de le faire moi même.

We took up arms, not to revenge ourfelves,
But free the common-wealth : when this end fails,
Arms have no farther use : our country’s cause
That drew our swords, now wrests ’em from our hands.
. . . . . . . . . . . .
’Tis time to sheath the sword, and spare mankind.

Les puissances étrangeres semblaient elles mêmes entretenir de tout leur pouvoir, l’enthouriasme qui régnait parmi les émigrés : l’impératrice de Russie, et le roy de Suéde, envoyerent aux princes une ambassade solemnelle, ainsi qu’on l’eut pu faire au roy ; la noblesse fut voir les ambassadeurs conduite par ses chefs et reçut d’eux des compliments flatteurs, la part de leur souverains réspéctifs. L’on crut devoir répondre, et l’on écrivit une lettre dans le style chevaleresque, à l’impératrice de Russie et au roy de Suéde.

Tous les nouveaux arrivés étaient présentés à l’Electeur de Trêves, qui recevait publiquement une, où deux fois la semaine, et traitait tout le monde avec une bonté, que l’on ne doit pu oublier. Les princes recréérent à Coblence tous les corps militaires qui composaient la maison du roy, et qu’une économie politique mal entendue, avait fait réformer. Tous ceux qui avaient été dans ces corps, s’y rendaient en foule, attirés par l’éspoir des nouveaux grades et le plaisir de se revoir encore une fois, sous les noms qui avaient flattés leur jeunesse. Les jeunes gens, s’empressaient d’y avoir des places, les parens faisaient souvent partir leurs enfants du fond des provinces, afin de leur procurer de l’emploi dans ces corps et regardaient comme très sage, de profiter de cette occasion.

Ainsi se trouverent recréé le corps des mousquetaires, des chevaux légers et des gendarmes, qui ne couterent presque rien aux princes, car les gcntils.hommes qui les composaient, refuserent de rien accepter et se monterent leur frais. Mr. de Vergennes, le fils du ministre, prêta à ceux qui pouvaient avoir besoin, de ses propres fonds, pour se fournir de chevaux et d’armes. On donna à tous ceux qui composaient ces corps, le grade d’officier. Ceux qui les commandaient, même dans les grades subalternes étaient lieutenans colonels, colonels, et généraux.

La gendarmerie fut formée sur le même plan, qu’elle avait été quelques années avant, et les officiers en reprenant leurs emplois, s’obligerent à donner la somme de trente mille livres, (1250 l.) qui servirent à monter les gendarmes ; les princes firent les frais, de monter les gardes du corps du roy et les leur propres ; ils leur donneront même des appointemens assez considérables, que chacun fut obligé de recevoir.

Tous ces corps furent cantonnés dans de petites villes aux environs de Coblence, aussi bien que les compagnies des gentils-hommes de la même province, soit à pied où à cheval, qui s’étaient formés entre eux. On doit sentir que tout ceci, était fait pour echauffer les têtes des présents, et pour engager ceux qui étaient réstés en France, à les venir joindre.

Pendant que les émigrés se formaient ainsi à Coblence, on préparait d'un autre coté un projet, qui s’il eut été mis à éxécution, eut vraiment donné de la consistence, à ce qui jusqu’alors n’en n’avait que l’ombre : je veus parler de l’entreprise sûr Strasbourg. On donna ordre à l’armée de Condé de venir se cantonner dans la forêt noire, partie dans les étau du Margrave de Baden, et du Cardinal de Rohan. Les prétextes dont on se servit, pour lui faire faire cette longue et pénible marche au milieu de l’hiver, étaient le manque de provision, plus grande commodité, et enfin la volonté de l’électeur chez qui elle était cantonnée : mais le véritable motif n’était autre, que de surprendre la ville de Strasbourg, dans laquelle on avait des intelligences nombreuses et beaucoup de gens tres bien disposés.

Le plan semble avoir été assez bien conçu et sa réussite aurait certainement produit un changement total dans notre situation ; les princes n’eussent plus été dépendants des puissances étrangeres, et s’ils s’étaient servis de leurs soldats, ce n’eut plus été que comme auxiliaires, mais non comme leur principal ressource.

Soixcente jeunes gens déterminés, à qui l’on ne confia le secret de l'entreprise, qu’au moment de la mettre à éxécution, devaient s’introduire dans la place, déguisés en paysans et portant des fruits avec eux: en traversant la citadelle pour se rendre à la ville, ils devaient s’y cacher de leur mieux et attendre une beure donnée de la nuit ; sortant tout à coup de leur retraite, une trentaine devait désarmer la garde qui n’était composee que de quinze hommes, les autres se défaire de quelques sentinelles auprès des quels ils auraient été cachés, s’emparer des clefs chez le gouverneur, ouvrir la porte et faire entrer trois où quatre cent hommes, qui devaient se trouver de l’autre coté la riviete. Pendant ce tems, les gens bien intentionnés et les troupes devaient se soulever dans la ville, s’emparer des armes, se joindre à ceux de la citadelle, et par le moyen de quelques boulets, on l’eut vraisemblablement bientôt réduite *.


J’avais écrit une lettre à ce sujet, au Marquis de la Ferroniere, qui était alors à la légion de Mirabeau : comme le style de la reponse que je reçus de lui, peut donner une juste idée, et faire connaitre la perte que la France a fait, dans un homme de son caractere, je crois devoir la transcrire. " Je vous avais écrit de Worms, mon cher pays, et j’espere que ma lettre vous sera parvenue depuis la votre ecrite. Je vous répéterai d’ici, ce que je vous disais de là, parce que l’on m’a dit dans l’un et l’autre endroit que tout était disposé et qu’on n’avait pas besoin de nouveaux leviers : effectivement, je crois que la besogne avance, puisse ceci n’être pas second acte de notre drame burlesque * (Il veut parler de l’expédition de Lyons.).

Je suis plus faché que surpris, de tout ce que vous me mandez : les propagandistes ont réunis leurs derniers efforts, et partout il cherchent à nous désunir, l’inaction dans laquelle on nous tient, leur donne beau jeu.

Nous avons éprouvé ici, une commotion réélle et qui est bien leur ouvrage ; mais à force de patience l’inspecteur en a prévenu les suites. Cependant depuis mon arrivée, le quart d’heure où je vous écris, est le seul encore dont, j’aye pu disposer.

" Entrons, mon cher pays, nous usons notre courage et je vous prédis que si l’on attend au printemps, la noblesse Française pourra écrire de belles

lettres aux têtes couronnées, mais elles en riront, parce qu’il sera bien démontré aux peuples de l'Europe, qu'il ne lui reste plus que l’idiome de la chevalerie ! bon jour mon cher pays croyez à mon amitié : ce sentiment par exemple, ne s’affaiblira pas, parce que vous avez autre chose que l’idiôme. Adieu. Ce 19 Decembre 1791.



Ce projet allait être mis à éxécution, rien n’avait encore transpiré : les raisons données pour le changement de cantonnement du prince de Condé, semblaient crues de tout le monde. Les soixcente jeunes gens avaient été instruits de leur affaire, et étaient même déja partis pour la mettre exécution ; les autres dispositions avaient aussi été prises, lors qu’il arriva tout à coup, un courrier de l’empereur, au prince de Condé, avec défense formelle de rien entreprendre de pareil, sous peine d’encourir son tres grand déplaisir.

Ce fut avec peine, que l’on se détermina à obéir, mais enfin il le fallut, et l’on fut obligé d’envoyer quelqu’un, jusques sur le pont, pour arrêter les jeunes gens, et leur dire de retourner sur leur pàs.

Il est possible, que je ne raconte pu tres éxactement tous les détails, mais je puis du moins assurer, que c’est ainsi qu’ils m’ont été rapportés, par différentes personnes qui devaient y jouer un rôle.

L’empereur, dit-on, donna pour raison que la guerre n’étant pas déclarée entre la France et lui, ce serait un acte d’hostilité de sa part. Dans, ce cas, pourquoi n’avoir pas fait cette remarque, avant de faire sortir le prince de Condé de ses cantonnemens : et comment c’eut il été un acte d’hostilité de sa part puisque c’était le cardinal de Rohan, un Français, qui le recevait.

s’est couverte, et pensera à en chercher le reméde dans le régne des loix, protégées par la puissance royale. Je sens bien, que l’intéret de quelques petits despotes subalternes, est de maintenir aura longtemps que possible l’anarchie républicaine, afin de conserver leur richesses et leur pouvoirs ; mais un jour viendra, où l’opinion publique sera si prononcée, que leur intérêt personel sera non seulement de s’y conformer, mais même d’aider à la satisfaire. Alors la paix, l’union et un gouvernement équitable, fermeront les playes cruelles que la guerre, la discorde et l’anarchie ont faites à la France.

Quand le projet de surprendre Strasbourg, eut aisi été manqué : on pensa à renvoyer l’armée du prince de Condé, dans ses anciens cantonnement pour la rapprocher de celle des princes. Il n’est sorte d’affront, qu’elle n’eut à essuyer : dans quelques endroits, certains petits princes refuserent le passage et l’on fut prèsque obligé de le forcer ; dans d’autres il fallut se soumettre et se séparer en petit corps d’une vingtaine, q?itter toute marque d’uniforme et être volé impudement dans les auberges ; enfin après bien du mal et des fatigues, l’armée revint s’établir encore, dans les états de l’élécteur de Mayence, à Bingen, où le prince de Condé prit son quartier général. Cette retraite au fait, était le prélude de celle de Champagne ; elle aurait dit nous ouvrir les yeux, sùur la bonne volonté des puissances qui nous recevaient ; mais l’enthousiasme était tel, que rien dans le monde, eut été capable de produire alors ce bon éffet.

Les capitaines des différentes compagnies des gardes Françaises offrirent de reléver leur corps, avec une somme de 600,000 livres (30,000 l. Sterling), qu’ils s’offrirent à payer. Une telle offre ne pouvait guètes être réfusé, l’on recréa le corps, que l’on appella gendarmerie à pied, l’on donna aux moindres officiers le rang de lieutenant-colonel ; on ésperait avoir en entrant en France, un grand nombre des anciens soldats aux gardes : il est sùr, qu’en attendant, il paraissait assez éxtraordinaire, de voir près de deux lieutenans-colonels, par soldat. Au commencement de la campagne de 1792, ce corps avait plutôt l'air d’être cavalerie, qu’infanterie, par le nombre d’officiers à cheval qui le préccedaient et le suivaient.

Les brigades Irlandaises, furent aussi formées, et comme l’on comptait toujours sur les soldats du dedans, ces corps quoique complets, en officiers, en drapeaux et tambours, ne l’étaient pas en soldats à beaucoup près ; il y avait des régiments où on aurait eu de la peine à en trouver plus de douze où quinze. Les officiers des brigades Irlandaises sortirent de France, cent ans juste, après qu’elles eurent emigrées d’Irlande avec leur roy. Cette circonstance engagea Monsieur, à mettre sur leur drapeau, la devise flatteuse et méritée de semper et ubique fidelis.

Quelques avanturiers Anglais, vinrent aussi offrir de lever des corps et la permit lion qui leur en fut accordé, nous procura le plaisir de voir dans notre armée de petites jacquettes rouges, avec des bonnets de cuir. Le corps le plus nombreux, était celui que l’on appellait magnifiquement la légion de St. Clair, dans laquelle il y avait près de quatre-vingts hommes. Malheureusement il fallait tenir ces soldats, enfèrmés au quartier, pour les empêcher de déserter.

Un aventurier, proposa d’aller lever des légions en Illyrie et la légion d’Illyrie fut formée sur le champ en officiers, comme les autres corps : car notre armée était vraiment singuliere, en ce qu’il y avait des officiers pour plus de cent mille hommes, mais à peine y avait il assez de soldats, pour cinquante officiers.

Il ne m’appartient pas d’entrer dans des détails minutieux sur l’établissement et l’intérieur de la maison des princes ; je me contenterai de remarquer, qu’ils recevaient fort bien les gentils-hommes qui venaient d’échapper à la fureur et à la tirannie des nouveaux Licurgues et qu’après s’être informés de quelle maniere, ils étaient parvenus à sortir de France, ils donnaient des fecours, à ceux qui pouvaient en avoir besoin.

On leur a reproché un trop grand luxe : je ne prétends pas dire, qu’il n’y en eut point à leur cour, mais il s’en fallait beaucoup qu’il fut tel qu’on a voulu le représenter : la plus grande partie même, consistait à l’entretien de différents corps de gentils-hommes, qui auraient pu être tres utilles par leur services.

Il est impossible d’imaginer que dans une telle foule, que celle des Français à Coblence, venant de toutes les provinces, peu accoutumés à aucune discipline, il n’y eut quelques têtes un peu vives et bien des étourdis. Cependant le spectacle de la noblesse de France, abandonnant ses biens, ses parents, pour se rendre à ce que sa conscience lui faisait regarder comme un devoir, et se soumettant à toutes les fatigues et les peines de l’état de soldat, offre à l’être pensant un spectacle rééllement intérressant.

Les peuples voisins, n’avaient pas la moindre idée de l'éxistence de ce point d’honneur, qui agissait si fortement sur les têtes Françaises ; " Le nouveau gouvernement de France, m’ont dit plusieurs fois, des officiers Allemands, vous conservait il vos gages, votre rang ; " " oui sans doute," " pourquoi donc avez vous quitté, " " l'honneur ― la cause du roy ― notre devoir." .... ils n’entendaient rien à tout cela et revenaient toujours à dire qu’ils ne concevaient pas, pourquoi nous étions sortis de France puisqu'on nous conservait nos gages et notre grade.

L’événement le plus extraordinaire qui arriva pendant cet hiver, où nous nous attendions tous les jours à recevoir des ordres de marcher, sans les voir jamais arriver, fut la nouvelle fausse du départ du roy, et de son arrivée à Bruxelles. Il est difficile de se faire une idée, de la joye excéssie qui s’empara alors de toutes les têtes, les princes en firent part à la noblesse, et céderent eux mêmes, aux transports d’allegrésse, qui animaient tout le monde.

Quelques gentils-hommes, déclarèrent, qu’on ne pouvait apprendre une aussi bonne nouvelle sans boire à la santé et an bonheur du roy ; les princes consentirent à faire venir quelques bouteilles de vin. La loyauté et la joye universelle furent poussées jusqu’à l’enthousiasme, or s’embrassoit, on se félicitait ; jamais je crois, une telle scêne de la vivacité Française ne s’était fait voir. Les habitans eux mêmes, quoique tres froids, s’y laisserent entrainer et firent autant de folie que si c’eut été leurs affaires propres.

Ce jour et celui, où dans les plaines de la Champagne nous nous attendions à une bataille, sont les deux seuls où l’émigration de la noblesse Française, a paru dans le jour qui l’avait engagée à sortir du royaume !.... mais hélas, la joye fut courte. On fit savoir aux gentils-hommes, de se tenir tranquilles et de se retirer ; qu’aussitôt que le roy serait arrivé à Coblence, on tirerait douze coups de canons de la forteresse, afin d’en instruire tout le monde ; il n’est pas nécéssaire de dire, qu’un grand nombre les attendirent en vain toute la nuit.

Il parait que cette fausse nouvelle, n’avait été répandu parmi les émigrés, qu’afin de savoir si le roy n’avait pas en effet le projet de s’echapper, et avoir un prétexte d’augmenter sa garde, pour l’en empêcher.

Ce plan, fut conduit avec assez de ruse ; les princes reçurent avis, que sa majésté se disposait à les joindre et quelques jours après, la nouvelle positive de son arrivée à Bruxelles. Le premier moment de joye, ne permit pas d’attendre à la confirmation, pour publier la nouvelle et l'enthousiasme qui s'en suivit, était l’effet de l'ardeur des Français, quand il était question de leur roy.

Mais quelle fut la douleur lorsque le lendemain, Monsieur déclara, qu’on avait abusé de sa bonne foi et du désir qu’il avait de voir le Roy son frere, au milieu de la noblesse.

Bientôt nous apprimes l’assassinat du roy de Suéde, en qui l’on avait avec juste raison, l’éspérance la mieux fondée. Sa majésté devait commander en personne, un corps de douze mille Suédois, et entrer avec les princes en France pour rétablir le roy sur son trône. Il n’avait cèssé de donner aux émigrés, des marques distinguées de sa faveur ; son succésseur, mineur et dailleurs après un attentat pareil, avait besoin de toutes ses forces chez lui, ainsi toutes nos éspérances de ce côté furent entièrement détruites.

Quelque, tems après, Leopold tomba aussi un sacrifice à la fureur des novateurs, on assure qu’il fut empoisonné ; son succésseur parut être pour nous, dans les mêmes dispositions que son pere ; nous nous préparions tous les jours par des éxercices fréquens à entrer en France, et à culbuter la nouvelle constitution. Il y avait toutes-fois, quelque chose d’humiliant, même dans la maniere dont nous faisions ces éxèrcices, car nous étions obligés d’aller au loin, hors des états de Trèves, et sans uniforme.

Déjà l’hiver était passé et nous n’avions pas eu la moindre apparence de mouvement, soit d’une part où de l’autre. L’empereur semblait nous tenir comme un épouvantail, mais il ne parait pas, que l’on voulut faire aucun usage de nous. S’il est possible de se permettre de telles idées, nous pouvions nous dire en seconde ligne du traité de Pilnits.

Fatigué de n’avoir rien à faire à Coblence, je fus bien aise de m’instruire, de l’état des différens cantonnemens des émigrés, et de la situation des petites cours voisines ; Newied était l’établissement le plus extraordinaire ; le pere du prince régnant avait bàtie sa petite ville comme l’ancienne Rome, en accordant un asyle dans ses états à tous les mauvais sujets des pays voisins : on y comptait sept eglises de religions différentes, et le prince avait sa place dans chaque. C’est là, qu’étaient les chevau-légers et les mousquetaires, parmi lelquels le prince avait fait recevoir son fils. Son armée consistait de 60 soldats décrépits, qui suffisaient pour la police de la ville et la garde d’honneur. Il menait une vie retirée, avec des filles peu digne de son trône, et laissait la princesse régnante et les princesses ses filles, assez seules et assez ennuyées.

L’élécteur de Cologne, recevait à Bonn avec beaucoup de magnificence, un chevalier Teutonique ; je me fis bien vite présenter à son altesse, et fus invité à la réception, et au bal le soir. La cérémonie est vraiment imposante ; l’électeur représenta parfaitement bien, et j’aurais eu de la peine reconnaitre le bon humain, que j’avais pris la veille au bal, peur un curé de campagne. Au souper, il allait lui même de table en table, s’informer de ses hôtes s’ils avaient tout ce qu’il leur fallait, et je fus plusieures fois étonné, de voir son altesse dérriere ma chaise, et faisant signe de ne se pas déranger.

Ou jouait à Aix-la-chapelle et l’on s’y baignait ; le prince évêque de Liege, entendait vêspres avec tout le phlegme imaginable et les galleries de peinture à Dusseldorf, étaient ouvertes à qui voulait donner un petit écu au concierge. Une telle tranquillité contrastait entièrement, avec le mouvement de Coblence, et encore bien davantage avec les cruautés que la guerre, a depuis fait commetre dans ces pays.

Dans les petites villes, entre Coblence et Francfort, il y avait différents cantonnemens de gentils-hommes et d’officiers, qui s’étaient réunis en compagnie. Les gens à Francfort, étaient comme à l’ordinaire tres occupés de leurs affaires, fort peu de la politique. Ce fut cependant là, que j’appris la déclaration de guerre contre l’Empereur : plein de joye et d’éspérance, je retournai sur le champ sur mes pas et je rejoignis bien vite mon corps à Coblence, toujours craignant d’arriver trop tard, ainsi que depuis deux ans. Je passai à Bingen, et je fus visiter dans les environs, les différens corps de l’armée du prince de Condé : il avait inspiré à tous les gentils-hommes qui s’étaient attachés à lui, le plus profond respect pour sa personne, et avait beaucoup affaibli l’ésprit d’insubordination, que l’on devait naturellement s’attendre à trouver dans de pareils corps. On observait à Bingen la même régle qu’a Worms, et que l'on observe encore à son armée en Allemagne, huit gentilshommes montaient la garde chez lui et étaient invités à sa table.