Les Causes de la révolution/La Révolution

La bibliothèque libre.


LA REVOLUTION ― LE ROY EST FORCÉ DE PRENDRE LA COCARDE NATIONALE — DISSOLUTION DE LA MONARCHIE.


L’ésprit tumultueux de la capitale, avait obligé le roy, de rassembler des troupes dans les environs, afin d’en contenir les habitans, ou de réprimer leur folies ; il eut bien mieux valu, n’en point faire venir du tout, puisque l’on ne voulait pas en faire usage, et qu’il semble qu’on ne les ait assemblé près de Paris, qu’afin de fournir aux factieux, une occasion favorable de les corrompre.

Le palais royal, était devenu le rendez vous général, d’une foule de misérables, que son Altesse Egalité, avait attiré de toutes les parties du monde ; on voyait là, des orateurs montés sur des chaises, des bancs, des tables, haranguants la canaille, et la disposant à tous les mouvements, que ceux qui les employaient pouvaient désirer.

Les bulletins de l’assemblée de Versailles, servaient à animer leur fureur, lorsque le sujét leur manquait. C’était là, que les nouveaux législateurs, énvoyaient leur déliberations où plutôt, c’était par l’ésprit de la multitude qui entourait leur brailleurs, qu’ils traçaient les décrets, qui devaient faire, disaient ils, l’honneur de la France.

Les filles et les poissardes, étaient mises en jeu, elles étaient les Amazones des modernes législateurs, dirigeaient les conseils, commandaient les expéditions, et par la suite, on les chargea du soin de couper les têtes et de promener en triomphe, les membres sanglants et déchirés.

Une police sévere, avait contenu jusqu’alors, ce rebut de toutes les nations, qui ne sachant que devenir, se rendait à Paris, et dont la subsistance dépendait entierement du hazard ; mais comme on l’a pu voir, cette police n’était plus la même et comme ceux qui étaient dans la ville, n’avaient plus rien à craindre, un nombre immense de vagabonds s’y rendit de toutes parts.

Les gardes Françaises, étaient depuis si longtemps dans la capitale, et leur intimité avec les habitans était devenue si etroite, qu’ils en avaient adoptés toutes les opinions politiques ; l’argent et les menées du Duc d’Orleans avaient fcus les gagner entierement à son parti, quoiqu’il se put, que le grand nombre ne s’en doutat pas, et se laissa séduire par ces belles maximes, que c’était un crime éffroyable, de tirer sur leur freres ; dispositions qu’ils avaient déja montrés dans différentes occasions, entre-autres, lors de la sédition de Réveillon.

Ils semblaient disposés, non seulement à ne point s’opposer, à ce que la populace commit des actes de violence, mais même à la soutenir et à en faire plus qu’elle même ; pour empêcher, que leur bonne volonté ne se refroidit, les factieux leur fournissaient abondament, du vin, de l’argent, des femmes, et leur conduite devint si ouvertement séditieuse, qu’ils quittaient par centaine les casernes, où leurs officiers, avaient jugés à propos de les confiner et se rendaient au palais royal, où la multitude les recevait avec les plus grands transports de joye.

Pour ces actes d’insubordination, onze des plus mutins furent mis à l’abbaye ; les orateurs, lurent une lettre dans le jardin du palais royal, qui exhortait le peuple, à opérer la délivrance de ces braves gens, qui souffraient pour avoir pris sa cause. Le peuple courut à la prison, forçat les portes, et délivra les prisonniers, qui furent fort bien traites et comblés de présents. Le lendemain, une députation des Parisiens, se présenta à la barre de l’assemblée nationalle, demandant comme un droit, que les prisonniers qu’ils avaient délivrés, fussent entierement acquittés : l’assemblée, pria sa majéfté d’exercer sa clémence envers eux, le roy leur accorda leur grace et ainsi détruisit, tout ce qui pouvait réster de discipline, parmi le militaire, et de vigueur dans le gouvernement civil.

Il eut peutêtre été difficile au roi, de refuser cette grace, à l'assemblée nationale, vu les circonstances, mais, il semble, que cet acte de violence, eut du ouvrir les yeux à sa majesté, et l’engager à s’éloigner de la capitale.

Le roy, avait donné à Mr. Le Marechal de Proglio, le titre de généralissime, et le commandement du rassemblement de troupes, qu’il avait formé autour de Parisc; leur nombre de trente à quarante mille hommes, vû l'éffervéscence de la capitale, était à peine suffisant, pour le maintien du bon ordre, et préserver la ville du pillage : mais il devait naturéllement exciter l’inquiétude d’une assemblée, qui avait déja refusé de se soumettre aux ordres du roy, et qui pensait à envahir son autorité. En conséquence, elle présenta une longue addresse à sa majésté, dans laquelle elle l’engageait, pour son bonheur et pour sa gloire, de renvoyer ces troupes et cette artillerie dans les garnisons, d’où ses conseillers les avaient fait venir, et plus particulierement ces soldats étrangers, qui étaient payés pour défendre les Français, et non pour leur causer aucune allarme. " Quel besoin," diraient ils, "un monarque adoré par vingt cinq millions de Français, de rammasser à grand frais, de quelques milliers d’étrangers, autour de son trône." Le roy répondit, que les députés connaitraient eux mêmes, la licence honteuse qui prévalait à Paris et à Versailles ; que c’était son devoir, de veiller à la tranquillité publique, de protéger et de donner de la force aux lois, et de conserver à l’assemblée, la liberté dont elle jouissait dans ses déliberations : que tel était son seul motif : que si cependant, la présence nécéssaire des troupes près de Paris, les offusquait ils pouvaient choisir, d’aller établir leur séance à Noyon où à Soissons et qu'alors, lui même irait à compiegne.

Les novateurs connaissaient trop bien,la force que leur donnait le voisinage de Paris, pour accépter cette proposition et en consequence, ils n’insisterent pas, pour le moment,dans leur demande.

Les gens modérés, croyant le roy résolu à faire exécuter la declaration de la séance royalle, pensaient qu’il avait fait venir les troupes pour prêter main forte, au cas que la populace se souleva, à la dissolution des états : leur turbulence était loin de les faire regretter, d’autant qu’on était convaincu, que la cour en convoquerait sur le champ de nouveaux.

Quant aux manoeuvres, aux plans d’attaque, et de déstruction de Paris, ceux mêmes qui en parlaient le plus étaient bien loin d’y croire.

Dans les circonstances présentes, où l’insurrection était prête à eclater de toutes parts : le ministere commit une tres grande faute, de loger les troupes nouvellement arrivées dans les villages voisins, et même dans les Fauxbourgs de Paris ; leur fréquentation perpétuelle avec les habitans, ne devait pas tarder, à leur faire adopter les mêmes sentimens ; aucune éspéce d’aprovisionement, n’avait éte préparé pour les soldats : ils manquaient de munition, d’argent, et même de pain, aussi la désertion devint bientôt générale, et ceux qui pouvaient s’échapper, étaient porté en triomphe au palais royal, où ils étaient régallés, et entendaient les déclamations impudentes, que les orateurs prêchaient à tout venans. On aurait pu éviter tous ces inconvénients, en les campant et les séparant entièrement des habitans.

C’était pour tacher de se concilier la faveur du peuple, dont Necker était le favori, que le roy avait rapellé ce ministre, et l’avait mis à la tête du conseil ; il espérait que paraissant dirigé par les avis d’un homme, dont l’opinion était la même que celle des novateurs, il ferait cesser les plaines ét les murmures contre son autorité ; qu’il appaiserait sans coup férir, l’esprit séditieux, qui dominait la populace. Se voyant déçu dans ses espérances, de rendre la paix au royaume, par le sacrifice de ses opinions, de sa tranquillité, et même des plus grands priviléges de sa couronne, il parut enfin déterminé à employer d’autre mesure.

C’était une grande faute d’avoir rappelle Necker : peutêtre n’en était ce pas une moindre, de le renvoyer dans les circonstances présentes. Le roy lui ecrivit de sa main, le onze Juillet, que la situation des affaires publiques, éxigeait qu’il donnas sa démission et sortit du royaume, peu satisfait du reste de ses ministres, il les renvoya tous avec lui, et en choisit dont la loyauté et la fermeté connues, faisaient croire, que làs des tracasseries perpétuelles de l’assemblée, et de l'abus qu’on avait fait de ses bontés, il était enfin résolu de soutenir sa dignité, et à réprimer les factieux. ... La conduite que la cour tint, dans les troubles qui suivirent, ne fait que trop voir, qu’il changea bientôt de sentiment.

Longue la nouvelle de la démission de Necker, arriva à Paris, la consternation fut généralle ; il semblait que cet hipocrite emporta avec lui, le déstin de la France ! on ne parlait que de la ruine totale du royaume ! l’on disait, que les payemens public’, allaient être arrêtés, les états dissous et Paris réduit en cendre par les troupes, qu’on n’avait assemblé que pour ce dessein.

On faisait courir le bruit, que le Duc d’Orleans avait été arrêté, avec plusieurs membres tres populaires de l'assemblée. Pour faire connaitre combien le public était affecté, des députations, partirent des assemblées du palais royal et donnerent ordre de fermer les théatres, comme dans une grande calamité publique.

Les partisans du Duc d’Orleans, ne manqerent pas cette occasion d’augmenter sa popularité, en semblant unir sa cause avec celle du ministre exilé ; la populace s’assembla en foule, dans différents quartiers de la ville, et porta en triomphe, son buste et celui de Mr. Necker couverts d’un crêpe noir .... Il parait inconcevable, de voir tout un grand peuple, s’agiter, se déséspérer, parce qu’un Genevois bien vain, bien suffisant, bien ignorant, avait été renvoyé du ministere.

L’opinion publique, était tellement montée, qu’il était impossible que quelque explosion subite et terrible n’eclata pas tout à coup ; si le Duc d’Orleans, qui alors était l’idole du peuple, eut profité de ce moment de crise, je ne fais point de doute, qu’il eut pu se frayer le chemin du trône ; il parait qu’alors, le courage lui manqua et que ler factieux avec qui il était lié, désésperant de le résoudre à paraitre lui même, furent obligés d’avoir recours à son buste, pour augmenter la fermentation du peuple.

Mirabeau, n’avait pas fait grande cérémonie, de dire à plusieurs de ses co-députés, même d’un parti différent : " je suis autant pour la monarchie que vous, mais qu’importe Louis seize, où Louis dix sept, comme roy, où au moins comme lieutenant général du royaume, car enfin nous ne pouvons pas être gouverné par un bambin. J’ai parlé de ce projet, avec son Altesse le Duc d’Orléans et il a reçu ma proposition avec toute la grace imaginable * "


J’ai joint dans le même discours, ce que Mirabeau dit à Messieurs Duport et Bergasse, et dans un autre moment à Mr. Mounier.


C’était assurément, une grande faveur pour la France, d’avoir son Altesse à la tête du gouvernement, et pour ministre l’honnête homme Mirabeau.

La populace ne s’en tint pas longtemps, à la farce devenue ridicule, par la lacheté du Duc d’Orleans de le porter avec Necker sur les épaules. L’on sonna bientôt le tocsin, dans tous les quartiers de la ville, on cria aux armes ; des partis nombreux, mirent le feu aux nouvelles magnifiques barrieres, que la cour avait bâti l’année précédente.

En conséquence de ce desordre, quelques détachement des régiments de dragons et de cavalerie, cantonnés dans la ville, furent envoyés en patrouille dans les rues il y eut une escarmouche un peu vive, entre une des patrouilles et le peuple dans la place Louis XV. le prince de Lambesc, à la tête d’un détachement de deux cent cavaliers de son régiment de royal Allemand parut dans ce moment ; La populace le reçut à coup de pierre, il la chargea alors et la chassa dans le jardin des Tuileries, où dans le désordre, il y eut quelques gens de bléssés, qui dit-on, n’étaient pour rien dans cette affaire.

Les démocrates ont fait de cette manoeuvre du prince, Lambesc, une attaque terrible, et une trahison infâme : ils lui ont aussi fait tuer de sa main, un vieillard innocent ; comme il n’y eut personne de tué, il est permis de douter de cette histoire ; le prince de Lambesc poursuivit, il est vrai, la populace dans le jardin des Thuilleries, où pour éviter les chevaux, elle se précipita dans les bassins ; le prince alors, pensant à retourner sur ses pas, apperçut que l’on fermait le pont tournant, par où il était entré. Ce fut alors, qu’il prit le galop pour le prévenir, et qu’il y eut quelques gens de bléssés ; voila toute l’histoire.

Au son du tocsin, les élécteurs se rendirent à leur district, et formerent une assembllée générale à l’hotel de Ville, dont la premiere opération fut de former une milice de cinquante mille hommes ; le motif que l’on donna, pour armer cette multitude, était de préserver la ville du pillage ; le véritable, était d’avoir un moyen de défense contre l’armée, au cas qu’on résolut de la faire entrer, pour appaiser le tumulte : c’était en effet, la premiere chose à faire, pour ceux qui voulaient opérer une révolution totale dans le gouvernement, comme aussi pour ceux qui voulaient le maintenir il semblerait qu’il eut été absolument indispensable, de s’y opposer de toute leur force.

Les démocrates faisaient l’honneur à la cour, de penser qu’elle avait formé le plan de les attaquer, et de rendre au roy son autorité légitime ... il se peut que ce fut son intention, mais à la maniere dont les choses anllerent, il ne semble pas, qu’on put lui reprocher rien de pareil.

Dans ce moment critique, où l’on voyait, et l’on connaissait les efforts prodigieux, que les factieux faisaient à Paris, les troupes resterent dans l'inaction la plus compléte, et ne firent pas le moindre mouvement pour tacher d’appaiser le desordre, à l’exception de quelques patrouilles où détachements tres faibles qui parurent le premier jour. Dans ce premier instant de trouble et de confusion, la populace mal armée, aurait fui devant quatre hommes à cheval, si elle eut été persuadée, qu’on ne l’eut pas menagée. La seule force vraiment redoutable des Parisiens, consistait dans les gardes Françaises, dont on avait opéré la déféction après l’histoire de Réveillon.

Depuis les gardes Prétoriennes à Rome, les Janissaires à Constantinople, jusqu’aux gardes Francaises à Paris, tous les corps considérables de troupes sédentaires dans la capitale, ont absorbées les graces du souverain, n’ont presque jamais servies à la défense de l’état, et souvent à sa ruine.

L’assemblée nationale envoya le treize, une députation au roy, pour l’informer des troubles de la capitale, occasionés, disait elle, par les dernieres mesures de la cour, solliciter le renvoy des troupes, et comme si elle n’eut point été informé, de ce qui s’était passé à Paris, elle demanda la formation d’un corps respéctable de milice. Elle offrait, eu même tems, d’envoyer une députation de quelques uns des députés, pour porter à Paris la réponse favorable que l'assemblée éspérait recevoir de sa majesté, et aisi calmer les craintes du peuple et rétablir la tranquillité publique. Le roy repondit, qu’il avait déja comuniqué les raisons du rassemblement des troupes, que lui seul, pouvait juger de leur nécéssité ; qu’il était loin d’avoir aucun doute, sur la pureté de l’intention des membres de l’assemblée dans les circonstances afligeantes, où la capitale se trouvait, mais que leur présence n’y serait d’aucune utilité, pendant qu’elle était nécéssaire pour achever l’affaire importante qui les occupait.

Cette réponse, fut loin de satisfaire les mutins ; Mais étant malheureusement accoutumés, à en recevoir d’aussi vigoureuse et à obtenir leur objet en insistant : elle ne servit, qu’a exciter d’avantage, l’ésprit des forcenés, qui s’appellaient patriotes, et même par sa hauteur, engagea la spéculateurs philosophes, connus sous le nom de modérés, à les joindre dam les resolutions qu’ils prirent à ce sujet. Ils declarerent que Mr. Necker, et les autres ministres qui venaient d’être renvoyés, emportaient leur éstime et leur regrets, qu’alarmé sur les conséquences fatales que la réponse de sa majesté pouraient produire, ils ne cesseraient d’insister sur le renvoi des troupes et l’établissement d’une garde de citoyens ; ils voterait enfin des remèrciemens à Necker, à qui ils envoyerent une copie de leur resolution. Ils rendirent aussi les nouveaux ministres, responsables des malheurs présents, et des conséquences qui pourraient s’en suivre *.


Si ces messieurs eussent eté de bonne foi, il ne leur aurait pas été difficile de tracer les auteurs de ces troubles, mais il était parfaitement convenable de charger les ministres des conséquences.



Dans la matinée du treize, la populace pilla l’école dé St. Lazare, et plusieurs autres maisons, qu’on lui avait indiqué, sous le prétexte qu’on y avait caché du bled ; un manque artificiel de cette denrée de premiere nécéssité avait été pratiquée à Paris, aussi bien que par tout le royaume, afin d’être plus sùr de l’esprit de la multitude ; quelques filous profiterent du tumulte, pour voler différents effets dans les poches, mais comme leur vol n’avait pas le bien de la nation pour objet, le peuple en fut si scandalizé, qu’on les conduisit sur la place de grève, et on les pendit à la lanterne, qui depuis a si souvent et si cruéllement été employé au même usage.

Il était nécéssaire, que les insurgés eussent une marque distinctive ; ils prirent en conséquence, une cocarde verte et blanche ; mais quelqun ayant fait remarquer que le verd était la couleur du comte d’Artois, on la changea en bleu, rouge et blanc, qui étaient celles du Duc d’Orleans. Ainsi l’insurrection se fit, avec les couleurs de cet homme vil, et même après, lui avoir enfin fait justice, les Français les préferent encore, aux lis sans tache .... pour faire connaitre de quelle espéce de liberté, le peuple se préparait à jouir, ceux qui n’avaient prés cette cocarde nationale à leur chapeau, étaient insultés et couverts de boue.

Le 14, la populace fut conduite par la nouvelle milice, au garde meuble de la couronne, place Louis XV, le pilla entierement et s’empara des armes anciennes qui y étaient conservés ; allant ensuite au invalides, elle en força l’entrée et s’empara de près de trente mille fusils, et d’une douzaine de canons. Enhardi par les succès, elle fut ensuite attaquer la bastille, dans laquelle il n’y avait comme à l’ordinaire que quelques vieux invalides, et une trentaine de soldats Suisses : quoique sans presque de munition, et seulement quelque mauvais canons, qui ne servaient que les jours de réjouissance, elle eut pu défier tous les éfforts de la populace ; il aurait suffi, de tenir les portes fermées, et de ne point s’inquiéter de ses efforts impuissans ; au lieu de cela, le gouverneur parlementa, admit les chefs dans l’intérieur et après quelque défense tres peu obstinée, la populace y pénétra avec eux : elle s’empara du gouverneur *, du major, d’une centaine d’invalide, et des Suisses, les conduisit sur la place de grêve, et après les avoir pendu à la lanterne, coupa leur corps en morceau, et promena les membres sanglans dans les rues.


C’est un fait peu connu, et cependant véritable, qu’oiqu’assez singulier. Mr. de Launay, gouverneur de la bastille, était lui même entiché, des idées modernes de philosophie et de fraternité ; cela fut, (plus que tout autre motif) la raison de l’admission de la multitude dans la bastille. ... il a été le premier exemple, de la reconnaissance nationale.


Un étranger, un polonais, à qui certainement la bastille ne devait donner aucune inquiétude, trouva dit on, dans la poche du gouverneur, une lettre du prévôt des marchands, Mr. de Flesselles, qui l’engageait à tenir au mieux qu’il pourrait, et que dans quelques heures, on irait à son secours ; il fit demander Mr. de Flesselles, au conseil de l’hotel de ville, et lorsqu’il fut sur les dégrès, le papier, en lui montrant il lui brula la cervelle d’un coup de pistolet. Flesselles, fut ensuite pendu à la même fatale lanterne et son corps déchiré.

Les gardes Françaises étaient dans leur quartier, lorsque l’attaque commença, c’était l’heure de leur repas, et quelques officiers étaient présens : un des soldats, s’ecria tout à coup, camarades prenez garde, ne mangez pas de cette soupe, car nos officiers l’ont empoisoné. Un des officiers alors indigné, se présenta et prenant une cuiller, la gouta devant eux : quelques uns alors semblerent rassurés, mais le même, qui avait parlé le premier, s’ecria, qu’est ce que cela fait, nos freres sont à la bastille, allons les joindre nous en aurons là, de bien meilleures ; ils s’y rendirent, et aiderent le peuple dans son entreprise *.


Je tiens ce trait, d’un officier qui était présent, quand il est arrivé, et qui ensuite fut lui même, entrainé à l’hotél de ville, où il aurait vraisemblablement été mis à la lanterne, si un grenadier qui lui avait quelque obligation, ne l’eut tiré de presse, en lui donnant son bonnet, avec la nouvelle cocarde, qui lui servit de sauf-garde.


Quel fut l’étonnement de quelques une et le chagrin d’un plus grand nombre encore, de ne trouver dans cette redoutable bastille, que sept prisonniers, dont quatre y étaient, en attendant que leur procès leur fut fait, pour avoir forgé des billets de banque, deux étaient fous, et le dernier gentilhomme, avait éte renfermé sur la demande de son pere pour ses folies, et était bien loin de regarder sa prison, comme point méritée.

Je n’ai jamais été, plus grand amateur de la bastille et des lettres de cachet, que le plus éffréné démagogue ; il n’y avait pas un homme de sens en France, qui ne les détestat cordialement ; cependant, la situation dans laquelle on a trouvé la bastille lors de la révolution, prouve évidemment, que ce n’était qu’un épouvantail, et qu’on n’en faisait gueres usage, que comme d’une prison ordinaire, où comme d'un arsenal, ainsi qu’on le fait de la tour de Londres. Je suis loin de nier, qu’on ait souvent abusé des lettres de cachet : mais assurément on ne peut le reprocher, au roy sous lequel la révolution est arrivée, et il est même probable, que s’il en eut fait usage, elle ne serait pas arrivée.

Si en apprenant les désastres du douze et du treise, la cour se fut enfin montrée avec rigueur, et que le roy se fut mis à la tête de son armée, il est probable qu’il fut parvenu à appairer le tumulte, ou au moins aurait eu un parti considérable en sa faveur, qui aurait bientôt anéanti l’autre. Tel était l’avis, du Comte d’Artois, du Prince de Condé, et du Maréchal de Broglio.

Ils avaient mime persuadé au roy, de se rendre à Compiegne, et d’y faire marcher l’armée sur le champ ; le Maréchal de Broglio était tellement convaincu, que ce départ aurait lieu, qu’en se retirant le soir, il avait donné ordre, qu’on l’éveilla et que ses chevaux fussent prêts à quatre heures du matin.

Pendant la nuit, le Duc de Liancourt, se jettant ans genoux du roy, le fit se rétracter en employant tous les argumens ridicules de la philosophie moderne. Le roy sensible et bon, ne croyant pan la cause de la monarchie interessée dans la dispute, n’eut pas de peine à se laisser persuader : toujours rempli du principe d’humanité, qui lui avait fait dire plus d’une fois, qu’il ne consentirait jamais, qu’un seul homme perdit la vie, pour soutenir une cause, qu’il regardait comme personelle.

Sa majésté se détermina à laisser les choses prendre leur cours et à ne chercher à faire rentrer les factieux dans le devoir, que par son extrême bonté, et en leur accordant toutes leurs demandes.

Les princes furent sur le champ informés, de cette nouvelle détermination : Mais le 15 au matin, le Maréchal fut fort surpris d’apprendre, que le roy avait entierement changé de résolution, et qu’aulieu de se rendre à l’armée, il était déterminé à aller à l’assemblée nationale, où il se rendit effectivement sans gardes, accompagné des princes ses freres, et prononça le discours suivant.

" Messieurs, ― je vous ai appellé pour vous consulter sur des matiers de la plus grande conséquence à l’état ; aucunes ne peuvent être si importantes que les désordrea éffrayans qui régnent dans la capitale : aucuns, ne m’aifféctent si profondément.

" Le chef de la nation, vient avec confiance, au milieu de ses représentans, pour leur montrer son afféction et les inviter à adopter dcs moyens, pour la réstauration de l’ordre et de la tranquillité.

" Je fais qu’ont fait courir avec industrie, des insinuations injustes, je fais qu’on a osé publier, que vos personnes n’étaient point en sureté .... est il donc nécéssaire pour moi, de désavouer ces bruits criminels ; j’espere qu’ils font suffisament contredits par mon caractere, qui vous est si bien connu.

« Moi donc, qui ne suis qu’un avec la nation, je m’unis avec vous, et désire que vous m’assistiez, à adopter des mesures, pour la sureté de l’état. J’attends cela de l’assemblée nationalle : le zèle des representans de mon peuple réunis pour le bien public, m’en assure : me confiant sur l’amour et la fidélité de mes sujets, j’ai donné ordre aux troupes de se retirer des environs de Paris et de Versailles. ― Je vous authorise, je vous invite même, à faire connaître mes intentions dans la capitale. »

Ce discours fut reçu, avec les plus grandes acclamations de joye, et quand le roy se leva pour se retirer, les députés firent un cercle autour de lui, et le conduisirent au chateau.

De ce moment, le roy avait en effet abdiqué la couronne avec bien peu d’éspoir de la jamais recouvrer. L’assemblée ne tarda pu à le lui prouver, car dès le lendemain, elle pria humblement sa majésté, de renvoyer ses ministres, et de rappeler Necker et ceux qui l’étaient avant. Les nouveaux ministres cependant, n’avaient pas attendu les souhaits de l’assemblée, pour se retirer ; le roy consentit de bonne grace, à rappeller Necker, et pour faire connaitre à l’assemblée la sincérité de sa conduite, il lui envoya la lettre qu’il écrivait au Genevois.

Dans la nuit du seize, la désolation la plus grande, régnait dans le chateau de Versailles ; il ne réstait pas un ministre, tous les princes et leur suite étaient partis, à l’excéption de Monsieur, qui n’a quitté le roy son frere, que lorsques sa majésté, essaya vainement, de s’échapper et fut arrêté à Varenne.

On a remarqué dans cette occasion, comme dans plusieures autres, que ceux parmi les courtisans, qui avaient reçu le plus de faveur de la cour, furent les premiers à l’abandonner et à se montrer contre le roy.

La municipalité de Paris, éxigea que sa majesté se rendit dans la capitale, disant, que c’était la seule maniere, d’appaiser les troubles et de dissiper les jalousies et les soupçons des habitant. Le roy se soumit le 17, à cette mesure humiliante, presque convaincu qu’il allait à une mort certaine. Il fut éscorté dans sa marche jusqu’a Sévres, par la milice de Versailles, et fut acceuilli dans cet endroit, par près de deux cent mille hommes armés .... c’etait un captif, c’était Louis vaincu et prisonier, ce n’était plus leur roi, qu’ils recevaient.

Le patelin Bailli, qui toute sa vie avait prêché contre le luxe et les vanités de ce monde, s’était cependant, fait élire maire de Paris par la populace. Il complimenta le roy de cette maniere, en lui présentant les cléfs de la ville. « Ces clefs sont les mêmes, qui furent présentées à Henry quatre ! combien le sort de votre majésté, est plus heureux que le sien, il avait conquis son peuple, aujourdhui c’est le peuple, qui a conquis son roy."

On doit convenir qu’il faut être passablement, impudent, cruel, où sot, pour faire un tel compliment au roi, dans la situation où il était alors *.


Le pauvre philosophe Bailli, a été guillotiné par Robespierre.


je ne m’arrêterai pas, à faire le détail de toutes les insultes, que l’on fit essuyer au roy et à sa famille, dans cette journée cruelle. Un coup de fusil venu de loin, vint frapper contre les roues de sa voiture : quand il monta les dégrès de l’hotel de ville, on le fit passer sous un berceau de sabres et de piques : il ne manquait plus enfin, pour achever la dégradation du monarque, que de le forcer à prendre le signe de la révolte. Bailly en conséquence, lui présenta la cocarde tricolore ! ― Le roy la prit, et la mit à son chapeau. ― Ici au fait, l’histoire de la monarchie cesse, et fait place au régne turbulent des factions cruelles, qui se sont succedées si rapidement, dans le gouvernement de la France. — La fureur avec laquelle, elles se font servies de leur pouvoir, n’est hélas que trop connue, et leur histoire n’offrirait rien de plus intérréssant aux yeux du sage, que celle des tigres et des lions dans les déserts d’Afrique.

Depuis ce moment fatal, quelque soit le nom qu’aient pris les factieux, une cruelle anarchie a toujours dechirée ma malheureuse patrie : la cause qui a produit la révolution, a aussi été celle, qui la fait continuer et qui a rendu inutiles, les éfforts que les partizans de la monarchie, et les sujets fidéles, ont si souvent et si infructueusement fait, de rendre à la France son roy et son bonheur.

J’ose encore éspérer, que la raison éclairera les Français et que tôt où tard, on les verra honteux, pleurer en larmes de sang, les éxcès où la rage révolutionaire les à conduit. Oui, quelque soit le gouvernement, qui rende enfin l’ordre la France, la postérité aura peine à croire, que des affronts sans nombre et une mort odieuse, ont été la récompense, que les Français ont donné à leur roy, pour avoir voulu les rendre heureux.

Tous les gouvernemens de l’Europe ébranlés : une guerre meurtriere et destructive: le clergé, la noblesse, et les propriétaires de France, bannis où massacrée : des provinces entieres dévanées, leurs habitant égorgés,leurs villes, villages et bois, brulés par ordre des tyrans ; des milliers de Français envoyés à la mort, sans autre raison, qu’afin que les usurpateurs pussent envahir leur biens : trois millions d’hommes detruits : une nation douce, aimable, heureuse, changeant tout à coup son caractere, et (sous le regne de ce monstre farouche, Robespierre) montrant à l’Europe étonnée, un repaire horrible de cannibale .... Tels ont été, les fruits amèrs de cette humanité éxcéssive, qui ne pouvait jamais faire consentir le roy, à répandre le sang, dans une cause, où il croyait que sa sureté personelle, était seule concernée.

Puisse son Exemple funeste apprendre aux princes, que dans ics commotions civiles, la sureté de leur peuple, dépend de leur propre considération. Qu’un roy s'expose à la guerre, qu’il tombe sur le champ de bataille, son successeur aura autant de force que lui, pour faire respécter les loix : si même il vient à périr dans une sédition, il est à croire que sa mort, s’il a scu la braver, l’appaisera entierement ; mais si par foiblesse, où par une humanité deplacée, il se laisse entrainer de concéssions en concéssions, il se dégrade, devient le jouet des factions, qui s’en déferont lorsqu’elles le jugeront à propos, et sa mort entrainera un bouleversement universel.