Les Chansons des trains et des gares/Le petit malpropre

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Édition de la Revue blanche (p. 87-90).


LE PETIT MALPROPRE


    Jacques eût été un délicieux bambin
S’il n’avait professé pour l’eau et pour les bains
        Cette répulsion native ;
        S’il avait été mon petit,
        Ah ! mes enfants, je vous le dis,
        Quelle sérieuse lessive !
        Mais son père, à la vérité,
        Avait d’autres chiens à fouetter
    (Il s’occupait de crédit et d’escompte
Pour le compte d’une maison de banque de Hong-Kong) ;
            Et sa pauvre petite maman,

                    Si pâle, si blonde,
            Avait dû demeurer depuis l’accouchement,
                Il y aurait bientôt sept ans,
            Tristement étendue sur une chaise-longue : —

C’est ainsi que les mauvaises habitudes, bien souvent,
Ne sont la faute ni des parents, ni des enfants,
            Mais simplement des circonstances
            La regrettable conséquence. —

            Il n’en est pas moins vrai que Jacques
Arriva, tout barbouillé, les mains dégoûtantes,
            Chez ses excellents oncle et tante,
            Passer les vacances de Pâques :
            Il lui restait sur la figure
            Tant, oh ! mais tant de confiture.
            Cela semblait une gageure !…

                        Et l’encre !…
            Si par la peau la science entre,
            Il devait être bien savant ;
            (D’ailleurs, c’était loin d’être un cancre,

            C’est une justice à lui rendre) ;
Mais, dame, il en avait par derrière, par devant,
                        De l’encre, —
            Il s’en fourrait jusques au ventre !

            Comme bien vous pensez, son oncle
            Et sa tante en prirent grand honte :
            L’oncle, un vieillard propret, rasé,
            Toujours soigneusement brossé,
            Qui, du velours de sa calotte,
            À son pantalon de cheviotte,
            Non plus sur ses pantoufles, ni
            Sur ses souliers de veau verni,
                        N’y
            Aurait toléré une crotte ;
Et coquette la tante sous son bonnet à coques,
            Ridée mais rose comme pomme d’api :

            Quelle tristesse et quel dépit,
            Recevoir un neveu pareil,
            Un petit neveu dont l’oreille
            Ignorait depuis si longtemps

L’usage des savons qui, même avant Rostand,
            Firent la gloire de Marseille !…

            Sévère, c’était pour son bien,
L’oncle, donc, l’accueillit par cette mercuriale :
— Quand les petits garçons ont les oreilles sales
            Ne sais-tu pas ce qui advient ?
Apprcnds-le donc, puisque tu restes sans réponse,
            Et prends-en ta part mon garçon :
            Dans l’oreille des polissons,
            Des arbres poussent, des buissons,
            Et des épines, et des ronces !
Et alors tu verras si c’est agréable :
            Des bêtes viennent, effroyables,
            Avec des griffes et des crocs,
            Et qui, dans les fourrés, se cachent… —

— Oh ! il n’y a rien là, répond Jacques à ces mots
            Qui me fasse peur ou me fâche ;
            Car il faudra bien qu’aussitôt
            Toutes ces vilaines bêtes me lâchent :

            Je sonnerai : « Taïaut ! taïaut ! »
            Avec ma trompe d’Eustache. —