Les Chansons des trains et des gares/Les champignons

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Édition de la Revue blanche (p. 123-126).


LES CHAMPIGNONS


    Aux champignons les parapluies ont dit,
                                Dirent-ils,
    Bien entendu, les parapluies aiguilles, —
        Aux champignons les parapluies
                                Ont dit :
        — Vraiment, vous êtes trop petits,
        Vous déshonorez la famille !…
Nous qui sommes déjà d’un caractère sombre,
        Combien plus nous nous attristons.
                                Champignons,
        Quand sur vous notre regard tombe :

        Songer qu’on a, de par le monde,
        Qu’on a pour frères, et en quel nombre ! —
(Pour vous renier, la ressemblance est trop profonde,) —
        De lamentables avortons !…

Nous n’exigerions pas que vous suiviez les traces
        Des géants, gloire de notre race :
Parapluies orgueilleusement dressés au coin des places,
        Les jours de foire ou de marché.
Le violoniste a préludé d’un coup d’archet,
Et la foule, à l’entour, mélomane s’amasse.
        Et l’on répète les couplets
        Délicats de notre Delmet,
                (Oh ! ses romances !
        C’est fini, et ça recommence…)

        Les jours de foire ou de marché,
Parapluies orgueilleusement dressés au coin des places.

        Parapluies au bord de la mer,
        Sous lesquels la famille entière,
                L’époux, l’épouse.
Avec le fils aîné, grand de cinq pieds six pouces,

Et le petit dernier qui tête encore son pouce,
                                Tous,
(Quelle chaleur ! À table d’hôte on étouffait !…)
À l’abri du soleil vont prendre le café,
        Et l’alcool, par qui le café
                                Se pousse :
Parapluies sous lesquels on boit, on fume, on cause,
(Parapluies ou parasols, c’est la même chose…)

Mais sans vous élever à ces modes superbes,
Ne pourriez-vous, du moins, être moins ridicules ?
De la pluie qui transperce et du soleil qui brûle,
À peine si vous abriteriez, si minuscules,
        Un scarabée et trois brins d’herbe :
                                (Et puis
        Est-ce qu’une bête à bon Dieu
                                Ne peut
Se passer, soit dit entre nous, de parapluie ?…)

        Il y a d’autres avantages à être grand ;
Quand nous avons avec des gens un différend,
Nous leur crevons un œil ou leur cassons la tête,
    Et allez donc ! à la bonne franquette !…

    Comment donner un coup, un paing, un gnon,
        (On se sert de tel ou tel nom,
        Suivant son éducation),
        Comment donner un paing, un gnon,
        Quand on n’est rien qu’un champignon ?
Votre faible stature ne le saurait permettre ;
        Vous vous vengez d’autre façon :
        Vous avez recours au poison, —
                        C’est traître !…

        Enfin, croyez-vous qu’on soit fier,
Lorsque, dans un refrain polisson, on entend
        Répéter le nom d’un parent
Bizarrement associé au mot : tabatière ;
        — Champignon, tabatière, — :

Et encor, s’il n’y avait rien que : tabatière !…

Les champignons ont répondu : — Quant à cela,
        Point ne nous chaut que l’on nous raille ;
Notre exiguïté est hors de tout débat,
Mais, ont-ils ajouté avec un noble éclat,
        Redressant leur petite taille ;

Nous autres, parapluies, on ne nous ferme pas !