Les Chardons du Baragan/I

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Les Chardons du Baragan
La Revue de Paris35e année, tome III (p. 43-70).
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LES CHARDONS DU BARAGAN


Quand septembre arrive, les vastes plaines incultes de la Valachie danubienne se mettent à vivre, pendant un mois, leur existence millénaire.

Cela commence exactement le jour de Saint-Pantélimon. Ce jour-là, le vent de Russie — que nous appelons « le Mouscal » ou « le Crivatz », — balaie les immenses étendues avec son souffle de glace, mais, comme la terre brûle encore à la manière d’un four, « le Mouscal » s’y brise un peu les dents. N’empêche : la cigogne songeuse, depuis quelques jours, braque son œil rouge vers celui qui la caresse à rebrousse-poil ; et la voilà partie vers d’autres contrées, plus clémentes, car elle n’aime pas le Moscovite.

Le départ de cet oiseau respecté, un peu redouté dans nos campagnes (il peut mettre le feu à la chaumière, si on lui abîme son nid), départ attendu, guetté par le Yalomitséan ou le Braïlois, met fin à l’emprise de l’homme sur la terre de Dieu. Après avoir suivi le vol de la cigogne jusqu’à l’infini, le campagnard enfonce son bonnet sur ses oreilles, tousse légèrement, par habitude, et chassant d’un coup de pied le chien qui se fourre entre ses jambes, il pénètre dans son foyer :

Que les enfants commencent à ramasser des « uscaturi[1] »…

À ces paroles sombres, femme et marmaille toussotent et frémissent, à leur tour, par habitude :

— Partie, la cigogne ?

— Partie…

Alors le Baragan prend le commandement !

Il le fait, d’abord, à la manière passive d’un homme qui se coucherait, face au sol, et ne voudrait plus se lever, ni mourir. C’est un géant !

Étendu, depuis l’éternité, sur toutes les terres que le soleil grille entre la dolente Yalomitsa et le Danube grognon, le Baragan est, durant le printemps et l’été, en guerre sournoise avec l’homme laborieux, qu’il n’aime pas et auquel il refuse tout bien-être, sauf celui de s’y promener et de hurler. C’est pourquoi on crie partout, dans les pays romains, à celui qui se permet trop de liberté en public :

— Hé, là ! Est-ce que tu te crois sur le Baragan ?

Car le Baragan est solitaire. Sur son dos, pas un arbre ! Et d’un puits à un autre on a tout le temps pour crever de soif. Contre la faim, également, ce n’est pas son affaire de vous munir. Mais si vous êtes armé contre ces deux calamités de la bouche et si vous voulez vous trouver seul, avec votre Dieu, allez alors sur le Baragan : c’est la place que le Seigneur a octroyé à la Valachie pour que le Roumain puisse rêver à son aise.

Un oiseau qui vole entre deux chaînes de montagnes, c’est une chose qui fait pitié. Sur le Baragan, le même oiseau emporte dans son vol la terre et ses lointains horizons. Allongé sur le dos, vous sentez l’assiette terrestre qui se soulève, monte vers le zénith. C’est la plus belle des ascensions que le pauvre homme puisse faire.

De là vient que l’habitant du Baragan — que nous appelons Yalomitséan — est une créature plutôt grave. Et quoiqu’il sache rire joyeusement, à l’occasion, il aime davantage à vous écouter avec déférence. C’est que sa vie est dure, et il espère toujours que quelqu’un viendra lui enseigner la manière dont il devrait s’y prendre pour tirer un meilleur parti de son Baragan.

Rêve, pensée, ascension et ventre creux, voilà ce qui donne de la gravité à l’homme né sur le Baragan, cette immensité qui cache l’eau dans le tréfonds de ses entrailles et où rien ne pousse, rien, sauf les chardons.

Il ne s’agit pas de ces chardons qui poussent comme le maïs et qui font une belle fleur rouge, duvetée, que des jeunes filles de chez nous tondent le soir de Saint-Toarder, en chantant :

Coditsélé fétélor
Cât coditsa iepelor !
Que les nattes des fillettes
Deviennent grosses comme la queue des juments !

Les chardons dont il est question ici apparaissent, dès que la neige fond, sous la forme d’une petite boule comme un champignon, une morille. En moins d’une semaine, ils envahissent la terre. C’est tout ce que le Baragan peut supporter sur son dos. Il supporte encore les brebis qui sont gourmandes de ce chardon et le broutent avidement. Mais plus elles le broutent, et plus il se développe, grandit, toujours en boule ; il atteint les dimensions d’une grosse dame-jeanne, quand il arrête sa croissance et quand le bétail lui fiche la paix, car il pique, alors, affreusement. Elle sait se défendre, cette mauvaise graine. Tout comme la canaille humaine : plus elle est inutile, et plus elle sait se défendre.

Mais quelle certitude avons-nous de l’utile et de l’inutile ?

Aussi longtemps, que le Yalomitséan se démène, s’entête à arracher à son sol une poignée de maïs, ou quelques pommes de terre, le Baragan n’est pas intéressant. Il ne faut pas le visiter. C’est une chose bâtarde, comme une belle femme vêtue de loques, comme une mégère parée de diamants. La terre n’a pas été donnée à l’homme seulement pour nourrir son ventre. Il y a des coins qui sont destinés au recueillement.

C’est cela le Baragan.

Il commence à régner dès que l’homme laborieux rentre chez lui, dès que les chardons deviennent méchants et que le vent de Russie se met à souffler. Cela se passe en septembre.

On voit, alors, de loin en loin, un berger qui tourne le dos au Nord et s’attarde à faire paître son troupeau. Immobile, appuyé sur son bâton, le vent le fait bouger, chanceler, comme s’il était de bois.

Autour de lui, tout ce que le regard peut embrasser à la ronde, ce ne sont que chardons, l’innombrable peuple des chardons. Fournis, touffus, on dirait des moutons dont la laine serait d’acier. Tout est épines et semence. Semence à éparpiller sur la terre et à faire pousser des chardons, rien que des chardons.

Comme le berger, ils chancellent aussi ; c’est dans leur masse compacte que le Moscovite souffle avec le plus d’acharnement, pendant que le Baragan écoute et que le ciel de plomb écrase la terre, pendant que les oiseaux s’envolent, désemparés.

Ainsi, une semaine durant… Ça souffle… Les chardons résistent, ployant en tous les sens, avec leur ballon fixé à une courte tige, pas plus épaisse que le petit doigt. Ils résistent encore un peu. Mais le berger ne résiste plus ! Il abandonne à Dieu l’ingratitude de Dieu, et rentre.

Nous disons, alors : Tsipénie ! (Plus âme qui vive !) C’est le Baragan.

Et, Seigneur, que c’est beau.

Avec tout l’élan dont son cheval est capable de galoper, « le Crivatz » se déchaîne dans l’empire du chardon, bouleverse le ciel et la terre, mêle les nuages à la poussière, anéantit les oiseaux, et les voilà partis, les chardons ! Partis pour semer leur mauvaise graine.

La petite tige casse net, fauchée à la racine. Les boules épineuses se mettent à rouler, par mille et mille. C’est le grand départ des chardons, « qui viennent Dieu sait d’où et vont Dieu sait où », disent les vieux en regardant par la fenêtre.

Ils ne partent pas tous à la fois. Il y en a qui, au premier souffle furieux, déguerpissent, vraie avalanche de moutons gris. D’autres s’entêtent à tenir bon, mais les premiers les accrochent, dans leur cavalcade intempestive, et les entraînent. Ils s’emmêlent et font une boule de neige irrégulière qui roule cahin-caha jusqu’à ce que « le Crivatz » la pulvérise d’un souffle furibond, les soulève, tous, en l’air, leur fasse danser une ronde endiablée et les pousse de nouveau en avant.

C’est alors qu’il faut voir le Baragan. On dirait qu’il se bossèle et s’aplatit à volonté, joyeux de tout ce monde qui roule furieusement sur son dos, pendant que « le Crivatz » trompète sa rage. Par moments, lors d’une trêve, il se tient coi pour sentir le passage de trois ou quatre chardons qui galopent comme de bons camarades, se heurtent gentiment, s’entre-dépassent pour plaisanter, mais vite se rangent et vont coude à coude.

Vers la fin de la crise, il y a les chardons solitaires. Ce sont les plus aimés, parce que très attendus. Soit que leur tige n’ait pas été suffisamment sèche pour casser dès le début, soit qu’ils aient eu la malchance de s’engouffrer momentanément dans quelque ravin, soit enfin parce que des galopins leur ont couru après et les ont arrêtés dans leur route, — ils sont en retard, les pauvres. Et on les voit qui défilent, isolés, roulant comme de petits bonshommes pressés. Le ciel et tout le Baragan les regardent : ce sont les solitaires, les plus aimés.

Puis toute vie s’arrête, brusquement… Les vastes étendues sont nettoyées comme les dalles d’une cour princière.

Alors le Baragan endosse sa fourrure blanche et se met à dormir pendant six mois.

Et les chardons ?

Ils continuent leur histoire…

C’est une histoire presque inouïe, car elle tient de notre terre roumaine. — Mais il faut que je commence par le début…

Quoique baltaretz[2] de Laténi, sur la Borcéa, — cette fille du Danube qui ose se mesurer avec son père, — je ne suis pas yalomitséan de bachtina[3]. Mes parents, tous deux Olténiens, pauvres comme Job, sont partis dans le monde, alors que j’entrais dans ma seconde année. Et que faut-il que je vous dise de plus ? Après mille pérégrinations à travers vingt départements, ils jetèrent leurs besaces et moi, haut comme une botte, dans ce hameau qui se mire dans la Borcéa.

Cela pourrait paraître curieux, mais c’est ainsi. Mes parente n’étaient pas des gens à se laisser mener aux travaux pénibles, comme le bétail à l’abattoir, surtout mon père, une espèce d’ahuri qui s’oubliait à jouer de la flûte au point de tomber évanoui de faim. Et à Laténi nous avions au moins le poisson, là, à portée de la main. Il sautait tout seul dans la marmite, pour ainsi dire. Jugez-en !

Printemps et automne, la Borcéa couvrait de ses flots jaunâtres des centaines d’hectares en friche ; et dans cette nappe d’eau infinie, le brochet, la petite carpe, le carassin commun, pullulaient tant que les chats eux-mêmes allaient s’en empiffrer aux abords des mares. C’était, alors, la pêche au cazan[4]. Vraie manne céleste. Hommes, femmes et enfants, nus jusqu’aux cuisses, la musette autour du cou, s’éparpillaient en tirailleurs, avançant le plus lentement possible dans la campagne submergée, chacun muni de son vieux cazan complètement dénoncé. L’eau ne dépassait jamais les genoux. En pataugeant, le poisson heurtait nos jambes, mais c’était du fretin, et nous ne voulions que du gros. Celui-là, on savait qu’il aimait mordiller la base des plantes, dont la tête émergeait de l’eau. C’est sur ces herbes que nous avions les regards fixés, en nous tenant bien immobiles. Et dès qu’on les voyait bouger, plaf ! le cazan dessus. On entendait le poisson se débattre entre les parois du récipient. Alors, on n’avait qu’à le prendre avec la main et à le jeter dans sa musette. Il fallait être bien maladroit pour manquer le coup.

Mon père, cependant, le manquait régulièrement, pour la grande joie des gamins. On le narguait, on se moquait de lui. Cela ne lui faisait rien. Il continuait à se jeter, avec son cazan, sur toutes les herbes, qui bougeaient ou non, autour de lui. Au bout d’une heure de pêche nous rentrions à nos chaumières, les sacs remplis de poissons. Le père n’apportait pas un kitik. Ce que le voyant faire, la bonne manouca lui conseilla de garder la chaumière, de préparer les salaisons, d’apprêter les mets, de laver le linge et de jouer de la flûte.

Cela m’humiliait au point de me faire verser des larmes : un homme ne fait pas la lessive, ni la popote. Mais mon père n’avait rien de mâle : une vraie femme gentille, avec de grosses moustaches noires et des yeux profonds et langoureux, constamment posés sur sa flûte, d’où il tirait, avec ses doigts noueux, de douces mélodies qui retentissaient au loin et faisaient aboyer les chiens par les nuits silencieuses. En échange, lorsqu’il préparait un borche, ou une plakia de poissons, ou quand il lavait le linge, les meilleures ménagères pouvaient venir prendre des leçons. Hélas, on le raillait quand même, parce qu’un homme ne doit pas se livrer à des travaux féminins.

Alors, je me serais battu avec tout le hameau, car le pauvre père ne relevait jamais une injure, supportait tout, stoïquement. Esquissant un léger sourire, il s’en allait vers la Borcéa, avec son bonnet pointu, toujours rejeté sur la nuque, avec sa culotte en loques, toujours mal ficelée, ses opinci traînantes, son long cou et son merveilleux caval, qui ne tardait pas, lui, à le venger tumultueusement de cette vie pitoyable et tristement belle.

Parfois je le suivais… Parfois et en cachette, car il aimait à être seul. Dans la soirée tiède, où le silence se mêlait à l’odeur de la vase, je le devinais assis sur un tronc de saule déraciné. Et après une complainte à perdre le souffle, j’entendais sa voix discrète, juste, qui disait tout bas notre inoubliable chant du pays de l’Olth :

Feuille verte avrameasa,
Ila, ila, la ;
Ils sont partis, les Olténiens, pour faucher ;
Les Olténiennes sont restées à la maison,
Elles ont rempli les cabarets[5].

Oui, les Olténiens partent toujours, — « pour faucher » et pour accomplir mille autres besognes, — laissant les Olténiennes à « remplir les cabarets », ce qui n’est pas absolument vrai ; mais mon père n’a pas procédé ainsi : en partant, il y a amené son Olténienne et leur trésor, moi. C’est pourquoi ma mère l’aimait beaucoup, beaucoup. Elle me le disait quand, à la pêche tous deux, voyant ses affreuses varices, je lui demandais pourquoi elle laissait au père les travaux les plus faciles :

— C’est parce que je l’aime, mon petit… Dieu l’a fait ainsi et me l’a donné pour mari. Ce n’est pas sa faute, à lui, le pauvre homme…

Voilà comment nous vivions à Laténi.

J’étais alors âgé de neuf ans. Avec ma mère, qui ne s’avouait jamais fatiguée, j’allais toujours à la pêche, que ce fût pendant les inondations, — quand la carpe venait frapper à notre porte, — ou pendant les autres mois de l’année, quand il fallait la chercher dans la Borcéa.

Là, il ne s’agissait plus de pêcher au cazan, mais avec le kiptchell, le prostovol, le plassa, ou les vârchtii, parfois même au navod, en compagnie des autres pêcheurs.

Il fallait voir cette femme pêcher, pour savoir ce que c’est qu’une Olténienne qui aime son mari ! Surtout quand elle lançait en rond le prostovol, — les bras nus jusqu’aux épaules, la jupe ramassée tout en haut, la chevelure bien serrée dans la basma[6], les yeux, la bouche, les narines, tendus vers l’infini marécageux, — on eût dit qu’elle allait retirer tout le poisson de la Borcéa.

Alal pour une femelle ! s’écriaient les pêcheurs qui la voyaient faire.

Et quand même nous étions dans le pétrin : donc, ça ne vaut pas la peine de trop s’éreinter dans ce monde ; le travail ne mène à rien.

Pendant que nous pêchions, — car, moi aussi, je pêchais ma part, — le père, à la maison, salait, salait à tour de bras, remplissait des cuves, essorait le poisson mordu à point par le sel et l’arrangeait pour la vente.

Vente… Que le Seigneur vous en garde ! Cinq à dix francs les 100 kilogs de poissons, vendu en gros et sur place aux marchands rapaces. Et encore, on était content de pouvoir s’en débarrasser, car on ne savait plus où le mettre, il nous écrasait, ou pourrissait et empestait le monde, après nous avoir fait patauger dans ses boyaux jusqu’aux chevilles, lors des salaisons. Oui : cinq à dix francs les cent kilos ! On ne peinait que pour l’État, en lui achetant les tonnes de sel. Pour nous, pas même de quoi se payer une harde et de la farine de maïs. Et tout ce poisson qui se gâtait et qu’on devait jeter dans la Borcéa, d’où ma mère le tirait avec tant de vaillance et un si grand espoir d’une meilleure vie !

— Non, vraiment, le dicton populaire avait raison de dire :

Bon pays, mauvaise organisation :
Sacré nom d’un règlement !

C’était cela : un pays riche, mal organisé et mal gouverné ; ma mère le savait comme tout paysan roumain.

Dans ses longues années de vie errante, d’un bout à l’autre de la Valachie, elle avait eu mille et mille fois l’occasion de constater combien misérable était l’existence de ces habitants qui, éloignés de toute rivière et trop pauvres pour pouvoir se payer de la viande, ne vivaient que de mamaliga et de légumes[7], cependant que des millions de kilos de poissons gisaient, s’abîmaient et devenaient inutilisables tout le long de ces centaines de kilomètres que parcourent le Danube, ses bras et ses affluents. Mais comment transporter cette manne céleste, quand les trois quarts du pays manquent de communications, aujourd’hui comme il y a mille ans ?

Alors elle eut une idée, qu’elle se mit à réaliser sans nous en faire part : s’astreignant à des économies sournoises, nous gavant de poisson et rien que de poisson, — rarement un peu de polenta, encore plus rarement un bout de pain, — toute une année durant, elle réussit à amasser cent francs, qui lui permirent d’acheter, d’occasion, une rosse avec sa carriole à quatre roues, toutes deux chancelantes, prêtes à s’effondrer.

— Voilà, — dit-elle à mon père, — vous irez, toi et l’enfant, battre les villages, avec cela, et vendre du poisson salé…

— … Avec cela ! — soupira le père, blême ; — traverser le Baragan avec cela !

Il toisa ce cheval étique, cette haraba disloquée :

— … Tu veux m’accompagner, petit ? — me dit-il.

Quelle question ! Non seulement je voulais, mais j’étais ravi ! Voir le Baragan ! Cette obsession de tout enfant, cette « terre sans maître » ! Et surtout, pouvoir, enfin, moi aussi, courir après ses chardons, dont mes camarades me racontaient merveille, courir avec toute la terre qui court, poussée par le vent !

— Pourquoi ne pas essayer ? — fis-je gravement, maîtrisant ma joie ; — qu’avons-nous à perdre ?

— Diable : le cheval, d’abord ; la voiture, ensuite ; et puis, nous-mêmes ! Nous serons engloutis par le Baragan !

Engloutis par le Baragan ! Cela me donna le frisson. Oui, je voulais cela !

Le lendemain à l’aube, nous partions, munis du nécessaire, pitoyable nécessaire. Notre bonne mamouca, éplorée, défaillante, comme si elle nous eût poussés à la mort, nous conduisit à pied jusqu’au seuil du Baragan, bien au-delà de la route nationale qui va de Braïla à Cararashi en se méfiant du désert et en côtoyant la Borcéa. Là, elle nous embrassa avec son visage tout mouillé de larmes, tout sillonné de rides, bien qu’elle n’eût pas encore trente-cinq ans. Elle eut une caresse pour le cheval aussi, qu’elle ne devait plus revoir, et secoua une roue de la carriole pour se convaincre de sa faible résistance. La carriole non plus, elle ne devait plus la revoir.

Dans la matinée laiteuse, grisâtre, nos silhouettes noires s’aplatissaient contre le désert tout proche, alors que des corbeaux croassaient dans un ciel d’été pluvieux. Le bonnet à la main, mon père empoigna les rênes de corde et se signa :

— Dieu soit avec nous !

— Dieu soit avec nous !

Et le Baragan nous engloutit. Mais, plus loin, le père l’affronta, quand même, avec un déchirant trille de son caval et avec ces paroles :

Ils sont partis les Olténiens…

C’est ainsi que nous quittâmes la pauvre mère, que nous ne devions plus jamais revoir.

Du poisson, trois cents kilos, entassé à l’arrière de la voiture ; la balance, pour le peser, suspendue au coviltir ; un sac de farine de maïs, un tchéaoune pour faire bouillir la mamaliga[8], un trépied, une musette pleine d’oignons, deux couvertures, une sacoche pour y mettre l’argent qu’on ramasserait et un bon gourdin pour le défendre à l’occasion, — voilà toute notre fortune.

Nous allions à pied, perdus, comme sur une mer, entre le ciel et la terre. Le cheval nous suivait en toussant.

— Si tu n’avais pas voulu m’accompagner, je ne serais pas parti, non, pour rien au monde…

Ce premier mot que le père m’adressa, soudain, en pleine solitude, je ne l’oublierai qu’avec la mort. Il me poursuit, depuis, et me poursuivra ma vie durant. Le responsable de cette aventure, c’était donc moi, un garçon de quatorze ans. Si je n’avais pas voulu… Mais pouvais-je ?

Sans rien répondre au père, — qui, d’ailleurs, avait dit cela, comme ça, pour dire quelque chose, — je passai derrière la carriole, d’où je voyais, par en dessous, les sabots du cheval qui s’enfonçaient dans la terre sablonneuse, de vieux sabots chevelus, se levant et se posant péniblement, alors que la burette pour le graissage, se balançait, suspendue entre les essieux. Je vis cela un instant et aussitôt je me sentis emporté, car le soleil, surgissant brusquement, jeta sur notre solitude sa gerbe de rayons aveuglants. Les milliers de chardons bourrus s’emplirent de diamants violacés, que j’allais toucher du doigt, ou cueillir avec le bout de la langue, pendant que père et voiture s’éloignaient lentement, tournant le dos au levant. Mulots, putois et belettes se sauvaient épouvantés, presque aussi nombreux que les sauterelles, ce qui me fit regretter de n’avoir pas emmené notre chien. Il se fût régalé de ces bestioles, écœuré qu’il était de ne se nourrir que de poisson, tout comme ses maîtres. Et puis, j’aurais eu, en lui, un bon compagnon, comme le père avait le sien dans sa flûte. Mais la mère conseilla de nous dispenser de cette gueule, qui baverait en nous voyant manger de la mamaliga, d’autant plus que le père avait le sommeil léger et que sur le Baragan désert on n’avait pas à craindre les malfaiteurs.

Cependant, combien notre Oursou me manquait ! J’étais assoiffé de solitude et de longs voyages, mais en bonne compagnie ; pendant des années, témoin impuissant rivé à ma pêche, j’assistais au départ de mes camarades, galopant avec « le Crivatz » et les chardons de nos beaux septembres. Où allaient-ils ? Qu’est-ce qu’il leur arrivait ? Qu’est-ce qu’ils voulaient ? Certains d’entre eux ne rentraient plus au foyer. On disait que tel d’entre eux « s’était perdu. » Tel autre avait poussé jusque chez quelque parent aisé, où il se faisait adopter. Comment ça ? Comment se perdre et comment se faire adopter ? Voilà pourquoi j’ai tout de suite accepté d’accompagner le père. J’étais grand et bien planté sur mes jambes. Je voulais courir moi aussi, avec le vent et les chardons, me perdre ou me faire adopter, mais partir, courir, échapper à cette eau qui me faisait pourrir les jambes, à ce poisson qu’on entassait pour rien.

Maintenant les chardons étaient là, à mes pieds, beaux comme de grands buis, nombreux comme les étoiles, charnus, crevant de sève, mais immobiles. Ils ne bougeaient pas, muets, car nous étions au début d’août. Courrais-je avec eux, dans un mois ? Saurais-je où ils mènent, où ils vont ? Je savais que la plupart finissent par flamber, en craquant, dans quelque soba. Mais les autres ? Ceux qui « font des histoires ? » Quels pays montrent-ils aux yeux des gamins ? Comment arrivent-ils à changer le sort de certains ?

Ah ! combien je désirais m’en entretenir avec quelqu’un qui me racontât des folies, qui me mentît, mais qui m’eût permis de rêver un peu, d’oser ! Et les chardons n’étaient que rêve et audace, invitation à changer ce qu’on a pour ce qu’on pourrait avoir, fût-ce le pire, car il n’y a pire que le croupissement pour ceux qui aiment toute la terre.

Le Baragan, qu’on dirait « sans fin », était à nos yeux d’enfants « toute la terre. » Il était désert, stérile, plein de menaces, on le savait, et cependant, c’est en partant un jour avec les chardons, pour ne plus revenir, que Mateï, le fils du pauvre père Brosteanu, était devenu un des plus grand quincaillers de Bucarest.

J’avoue que je ne rêvais d’aucune grandeur. Je rêvais, tout court. J’étais révolté contre cette poissonnaille malodorante, contre cette torpeur des mares vaseuses et contre mes propres parents, qui, eux, m’avaient bien l’air de vouloir me passer en héritage leur piètre destin. Je n’en connaissais pas de plus triste, sans oublier celui des marchands ambulants de pétrole, dont le pain même sent l’odeur de leur marchandise ; mais ils mangent au moins du pain chaque jour, alors que nous n’en goûtions qu’un dimanche sur quatre. Et dire qu’en débarquant sur la Borcéa, mes parents étaient heureux de constater l’abondance du poisson !

— Ici, il y a au moins le poisson ! s’écriaient-ils à tout bout de champ.

En effet, il y en eut tant, qu’il finit par nous chasser, mon père et moi, et par tuer ensuite ma mère.

Il y avait une semaine que nous n’avions vu un visage humain quand, tombant sur la route de Marculesti, qui coupe le Baragan verticalement, mon père dit :

— Il n’est plus possible d’avancer avec tout ce poisson… Il faut nous débarrasser d’une partie…

— Comment ? le jeter ?

— Non, mais presque… Cette route est très battue : nous tâcherons d’en vendre aux paysans qui vont faire la cueillette du maïs, à dix francs les cinquante kilos, ce serait autant de gagné.

Je pensais aux calculs de ma mère :

— Vous le vendrez entre 40 et 50 centimes le kilo ; et, au retour de ce premier voyage, vous aurez « tiré » le cheval et la carriole, plus un petit bénéfice.

Je pouvais prédire, maintenant, ce que nous allions « tirer » de ce premier et dernier voyage, en regardant les yeux éteints de notre cheval et la face terriblement allongée du père. Quant à la carriole, elle irait avec le reste : encore quelques jours de canicule et elle ne serait plus qu’un amoncellement de bois et de ferraille. Depuis deux jours déjà, ses roues ne tenaient plus qu’à peine ; quant au cheval il tombait tous les cent pas. On le remettait sur ses pattes, en le soulevant par la queue. Mais cette façon de traverser le Baragan plongeait te père dans un mutisme chaque jour plus effrayant pour moi, qui me rappelais ses paroles au matin du départ.

J’aurais bien voulu disparaître, me sauver pour de bon. C’était sinistre, ce silence du père, pareil à celui du Baragan, que seuls interrompaient les cris perçants des orfraies et des vautours au cou dénudé qui avaient leurs nids creusés dans l’infini défilé des mamelons dont la silhouette se profile au loin depuis que le monde existe. L’apparition de ces oiseaux de proie au dessus de nos têtes m’obligea de ne plus quitter le père d’une semelle. Je ne craignais pas les vautours, qui sont poltrons et se contentent de dévorer quelque charogne jetée hors des pâturages, mais je redoutais fort les orfraies, dont on disait qu’elles s’attaquent aux troupeaux de brebis et emportent parfois des agneaux dans leurs serres.

Cette crainte ne me déplaisait pas complètement. Près d’un compagnon joyeux et armé d’un fusil, je me serais même découvert une âme haïdouque, rêvant danger et vaillants exploits. Mais, Dieu, qu’il est triste de se mesurer avec le Baragan, — où tout est vaillance et périls, — aux côtés d’un homme écrasé par la vie !

Le talonnant de près, à travers cet infini peuplé de contes merveilleux, je me demandais souvent qui était ce père que rien n’intéressait en dehors de sa flûte ? Je ne l’avais jamais vu embrasser ma mère, et, pour moi, il n’eut que de très rares caresses, lors de notre arrivée à Laténi. Aussi, j’en savais de lui autant que de notre cheval, encore moins peut-être.

Voilà en quelle lamentable compagnie j’osai, à douze ans, « partir en haïdouquie », dans ce royaume des chardons, qui sont des histoires…

Il était midi quand nous stoppâmes sur la route de Marculesti. Le cheval, laissé libre, alla, chancelant à droite et à gauche, brouter l’herbe, mais, trop assoiffé, il tomba de tout son long et ne bougea plus. Nous essayâmes de le remettre debout, pour le conduire au puits dont le fourche se distinguait à l’horizon de la route ; il n’y eut pas moyen de le soulever, et nous dûmes aller chercher de l’eau et l’abreuver sur place. Puis nous déjeunâmes, comme d’habitude, à l’ombre de la carriole, d’une bonne mamaliga et de l’éternelle saramoura de poisson aux piments endiablés.

En mangeant, le père scrutait constamment l’horizon où il espérait voir surgir une voiture de paysan. Il en parut une vers la fin du repas, une belle voiture qui venait au grand trot, soulevant un nuage de poussière. Ses moyeux résonnaient comme des cloches. Deux forts télégari, richement harnachés, la traînaient en caracolant.

C’était un tzigane pricosit[9] ; un de ces charrons-forgerons, possesseurs de belles terres fertiles travaillées par des cojans comme nous.

— Ho, ho, ho-o ! — hurla-t-il, en s’arrêtant avec une fanfaronnade de geambasch, roulant des yeux qui voulaient être féroces et ricanant de toutes ses dents blanches comme le lait.

Devant cette crânerie, mon père baissa la tête, humblement.

— Bonjour, les Roumani ! — cria le tzigane. — Qu’est-ce que vous vendez là ? Des pastèques ?

— Non, du poisson indulcit[10].

— Quel poisson ?

— Carpe moyenne.

— Elle n’a pas de vers, ta carpe ?

— Si elle a des vers, nous n’en achèterez pas.

— Ça dépend du prix ! Et pourquoi n’en achèterais-je pas ? Est-ce moi qui la mangerais ! Pouah !

Là-dessus, il descendit, noua les rênes à une roue et vint fouiller dans notre carriole. Il tourna le poisson sur tous les côtés, en fouilla les entrailles, y fourra son nez, mordit même, — puis :

— Tes carpes n’ont pas encore de vers, mais ça ne se gardera plus longtemps. — Quel chargement as-tu ?

— Trois cents kilos.

— À quel prix ?

— Dix francs les cinquante kilos, pour m’en débarrasser.

— Et si je t’enlève la moitié du chargement ? Me la donnerais-tu à meilleur compte ?

— Pas un sou de moins, — fit le père, déçu.

— Que tu es cojan (bête) ! Où espères-tu aller vendre ton poisson, avec cette haraba et cette rosse crevée ?

Et disant cela, il allongea un coup de botte dans le dos du cheval, qui était toujours couché. Devant cette brutalité, le père serra les mâchoires, empoigna le gourdin et s’approcha du tzigane, qui recula vers sa voiture.

— Pourquoi frappes-tu ma bête, sale moricaud ? Est-ce que je t’ai prié, moi, de m’acheter le poisson ? T’ai-je seulement donné le bonjour ? À l’instant je te cogne avec cette massue là « où le pope t’a mis le mir[11]. »

L’autre, blême, se rétracta aussitôt :

— Eh oui ! Tu as raison, mon vieux ; mais, moi aussi, je ne serais plus un tzigane, si j’étais autrement : mauvaise habitude que de toujours faire le malin ! Allons, passe-moi cette mojicia et viens que je « t’honore » d’un verre de tsouïca ! Après quoi, nous pèserons 150 kilogrammes de carpe au prix que tu dis.

Le père songea un moment, puis accepta le verre, même plusieurs. J’en eus ma part aussi. Nous pesâmes, ensuite, quinze fois dix kilos de poisson, bon poids. Les trente francs fourrés dans la sacoche du père, ils burent de nouveau de la tsouïca, en se faisant des adieux assez cordiaux.

Et la carriole allégée de la moitié de sa charge reprit vers les vêpres son chemin invisible à travers le Baragan.

Nous n’allâmes pas bien loin… Une pochta[12]… Toujours en suivant le soleil. Mais nous mîmes plus de deux jours à couvrir cette distance : cheval et voiture n’allaient plus. Puis, l’un et l’autre s’écroulèrent du même coup, comme ça, parce que trop usés.

La voiture perdit trois roues à la fois, qui s’étaient mises en pièces, et écrasa son coviltir, en se renversant. Le cheval mourut vers le coucher du soleil, qui dorait le désert, notre fouillis et nos faces attristées. La pauvre bête rendit son âme sans aucune peine, heureuse, peut-être, d’en finir.

Ôtant sa caciula, le père dit, en la regardant morte : — Dieu m’est témoin que je ne l’ai pas fait souffrir… J’ai couru à trois portées de fusil pour lui chercher de l’eau ; l’herbe ne lui a pas manqué, et de fouet je n’en ai point. Si elle est morte « dans mes mains », que Dieu me pardonne, mais je n’y suis pour rien.

Il se signa et fit une génuflexion, face au levant, d’où il était parti sans espoir.

Nous passâmes la nuit près du cheval mort, en restant longtemps muets, avant de nous endormir, à regarder les étoiles et au son navrant des joyeux cri-cris. Le lendemain, dès l’aube, les corbeaux étaient là, croassant affreusement. Nous nous dépêchâmes de leur abandonner la charogne et le reste. Le père fit bouillir une grosse mamaliga, pour la route, remplit le tcheaoune de poisson et s’arrangea une besace du sac à farine de maïs, presque vide, et de la bota à eau. Je me chargeai des couvertures et du trépied.

Et nous mettant en route, le père dit, comme lors de son départ de Laténi :

— Dieu soit avec nous !

Il n’y eut plus de mère pour lui répondre et il ne joua plus de son caval.

Ce jour-là, vers midi, comme nous nous engagions sur la route de Calarashi, un grand vent du sud-est se mit à souffler.

— Voilà le baltaretz[13] ! — s’écria le père ; — c’est l’avant-coureur du Crivatz : fini l’été ! Et tu pourras, bientôt, galoper après les chardons, si le cœur t’en dit…

Puis, me voyant regarder les chardons avec une espèce de délire, il ajouta :

— D’ailleurs je sais que c’est cela qui t’a poussé dans la gueule du Baragan… Maintenant, le malheur est fait ; nous pourrons même galoper ensemble !

— Nous retournons à Laténi ? — demandai-je.

— Nous allons d’abord à Calarashi ; c’est le chef-lien du département, dont la chanson dit :

Negustor, negustorash,
Haï, la târg la Calarash !
(Négociant, petit négociant,
Allons au marché de Calararashi !)

Le brave père, qui dérida un peu son visage ! Je lui baisai vivement la main, et il me caressa les joues :

— Oublions le mal, petit !… Nous ne sommes ici-bas que pour expier : c’est cela, la vie… Mais le Seigneur en tiendra compte !…

Après deux jours de marche sur une bonne route, enfin, nous arrivâmes à Calarashi, où la Borcéa se brouille avec le Danube et s’en va, razna, pendant 150 kilomètres, jusqu’à Hârsova, où elle rejoint son berceau. Pour la première fois, à Calarashi, j’ai su ce qu’est une ville, avec des chemins pavés, des maisons bâties sur d’autres maisons et beaucoup de monde qui se bouscule comme à la foire. Dans les cours riches il y avait de grands tas de bois de hêtre et de saule, fendu comme les traverses, ce que voyant, mon père acheta une scie et une hache, se construisit une chèvre, et nous voilà criant devant ces cours pleines de bois : Taetori ! Taetori !

Nous fûmes bien reçus partout et travaillâmes à tous les prix, toujours à forfait. Le père demandait des prix doubles, car, disait-il, les riches marchandent eux aussi comme des tziganes, mais on arrivait quand même à s’entendre, à la fin. Et le pauvre père de suer gros, depuis l’aube jusqu’à la nuit. Moi aussi je suais, car je l’aidais de mon mieux. Ainsi nous parvenions à gagner près de dix francs par jour, en moyenne, ce qui était inouï.

— Il le faut bien, mon garçon, — disait le père ; — nous devons rapporter à la maison les cents francs qui gisent maintenant au milieu du Baragan, autrement ta mère mourrait de chagrin.

Aussi je poussais bravement la scie, en mangeant du pain et du fromage. Du pain ! Que j’étais content d’en pouvoir manger ! Vraie brioche, à côté de notre éternel poisson de Laténi.

Le soir, crevés de fatigue, nous nous régalions de bonnes sarmale[14], dans une auberge du marché aux grains, dont l’aubergiste, qui connaissait mes parents, nous permettait de coucher pour rien dans quelque coin de grange. Toutefois le père payait chaque jour un litre de vin, afin de ne pas paraître trop calik[15]. Et ainsi de suite pendant toute une semaine. Encore une, dont le travail nous attendait, et nous aurions pris le chemin de Laténi, pour porter à la mère son argent. Il n’y avait même pas de cojans en voiture pour s’offrir à nous conduire jusqu’à Fétesti et au delà.

Ils nous y ont conduit, pourtant. Nous partîmes avant même d’avoir entamé cette seconde semaine de travail, mais pas pour aller rejoindre la bonne mère, car elle était morte.

Nous ne nous doutions de rien, ce soir-là, à l’auberge, quand Gravila Spânn de Facaéni y apparut, le fouet sur le bras, tout couvert de poussière, et dit à mon père, avec sa gaillardise habituelle :

— Ah, c’est ainsi, Marine ! Et tu te paies des sarmale, et ton Anica…

— Oui, je le sais, — fit le père, en lui serrant la main, — je le sais : Anica nous attend impatiemment. Mais nous avons subi des malheurs, à travers ce sacré Baragan. Assois-toi et dis-nous un peu comment ça va à la maison.

Gravila prit place, à ma droite, regarda drôlement mon père, qui était en face de moi, ôta son bonnet et cracha :

— Apporte-moi une tchinzéaca de tsouïca ! — cria-t-il à l’aubergiste.

Et en levant le premier verre, sans mot dire, il écarta le bras et versa d’abord quelques gouttes sur le plancher[16]. Le voyant faire cela, mon père leva son verre de vin et voulut, à son tour, arroser le sol, mais il resta le regard cloué sur Gravila, comme pour lui demander : à qui penses-tu ? Le paysan ne répondit pas, me jeta un coup d’œil à la dérobée, tordit sa moustache et je le vis faire signe au père, en remuant ses sourcils.

Je compris et fondis en larmes. Alors, soulagé, Gravila raconta brièvement, pendant que je pleurais dans mes mains :

— Oui, elle s’est éteinte, la pauvre femme… Une piqûre au doigt, avec une arête, en éventrant du poisson… Rien du tout, eût-on dit, une sgaïba… Mais cela s’est envenimé en moins de huit jours. Alors elle vint me trouver à Facaéni… Comme je devais partir le lendemain avec un chargement pour Calarashi, ma femme la fit coucher chez nous ; et dès le petit jour nous prenions la route. Elle a crié tout le long du chemin, sans fermer l’œil une seule nuit. Avant-hier soir nous arrivions ici, droit à la porte de l’hôpital. Pendant la nuit elle y rendit son âme. Hier on l’a « charcutée » et enterrée. L’homme ajouta, après une pause :

— Anica vous a fait ses pardons et vous a pardonné.

— Pardonnée soit-elle, devant le Seigneur ! — dit le père, en éparpillant quelques gouttes de vin.

— Nous la suivrons tous, un jour, — dit Gravila.

Et il glissa près de l’assiette du père un gros mouchoir en pelote, que je reconnus, la basma rouge dont mère s’enveloppait la tête pendant la pêche :

— Ses sous, — fit-il, — une douzaine de francs, je crois, qu’elle m’a dit.

Les yeux hagards sur la table, le père murmura :

— Maudit Baragan… Et ce poisson maudit… Seigneur, que c’est dur d’aller jusqu’au bout de ce calvaire de vie !…

— Que la glaise lui soit légère[17], — dit Gravila, trinquant avec le père.

Puis :

— Quels malheurs disais-tu avoir subis sur le Baragan ?

— Le cheval mort, la charrette émiettée, et le poisson perdu…

— … Rien que ça !… Bon Dieu de bon Dieu !… Et maintenant ?

— Nous scions du bois, depuis une semaine… Et je croyais qu’il nous était permis, à nous aussi, de manger des sarmale, car nous trimons dur.

Le surlendemain de ce soir de grand chagrin, nous partîmes avec Gravila qui, lui, retournait à son foyer, tandis que nous… où allions-nous ? De Laténi, en tout cas, ni le père ni moi n’en voulions plus. Nous ne nous l’étions pas avoué, mais nous le lisions sur le visage l’un de l’autre. Et cependant, nous montâmes, sur son invitation, dans la voiture de notre voisin de commune, tellement nous étions las de toute volonté. Nous le fîmes, je crois, par peur de nous retrouver seuls.

Ce furent trois jours et trois nuits de voyage muet, avec de longues haltes où l’on n’entendait que les éternuements des chevaux, — trois jours de bonne route, en côtoyant la Borcéa et le Baragan qui m’appelait, me voulait, me promettait tout ce que je ne pouvais pas trouver entre ce père et Gravila dont le silence me donnait le vertige. Ils étaient devant, moi, derrière, et je regardais leurs dos courbés. De temps en temps, un charretier nous croisait :

— Bonjour, à vous, — disait-il.

— Nous vous remercions, — répondaient les deux taciturnes.

C’était tout, grincement des essieux, bruit monotone des roues, ciel et terre sans commencement ni fin ni espoir. Une longue route glissait en arrière, une autre, tout aussi longue, nous attendait en avant, tout aussi ennuyeuse, écharpe morte qui mène l’homme par le bout du nez.

Et voici que, le troisième jour de marche, vers le soir, nous apercevons, au loin, un gros chien qui reste assis sur ses pattes de derrière, les oreilles braquées, et regarde avec espoir, au milieu de la route. Je suis certain que c’est mon Oursou, je saute de la voiture et cours à lui, tandis qu’il court à moi, nous nous heurtons l’un contre l’autre et roulons dans la poussière, où il me mordille, me couvre de bave et pisse sur mes pieds nus, puis me lâche et va sauter sur le dos du père qui le serre ensuite contre sa poitrine.

Nous sommes là, à une demi-lieue de la maison. Alors le père dit à Gravila :

— Frère, vois-tu : le chien ne veut plus de cette chaumière ! Prends tout ce qui s’y trouve, nous n’y allons plus… Nous allons « dans le monde » : moi, ce garçon et ce chien. Que ce soit à toi, Gravila, cette gospodaria qui n’a plus de femme !

Debout dans sa charrette, Gravila songe un instant, mâchonnant un bout de sa moustache :

— Tu as raison, Marine, — fait-il. — L’homme qui n’a ni terre ni femme, n’est bon à rien. Va donc « dans le monde. » Et voici trente francs pour le bois que je tirerai de ta demeure.

Puis, me montrant avec son fouet, il ajouta :

— Celui-là me paraît un agité… Gare à lui, au temps des chardons… Il est capable de te plaquer ! Marie-le dès qu’il aura ses dix-huit ans, donne-lui une femme avec un peu de terre et bricole autour de leur foyer.

— Je n’en ferai rien ! — s’écria le père. — À Dieu le commandement…

Gravila haussa les épaules et repartit.

Nous restâmes au milieu de la route déserte, avec notre baluchon et Oursou qui nous demandait du regard ce que nous allions faire.

Longtemps, raide comme un poteau, le père contempla éperdu l’horizon de Laténi où, pendant huit années, il avait éventré du poisson et espéré. Alors, pour la première fois, je me souvins de ses paroles, jetées comme un blasphème en plein Baragan : « Si tu n’avais pas voulu m’accompagner, je ne serais pas parti, non pour rien au monde… »

Une église lointaine, sonnait les vêpres, quand nous nous mîmes en route, allant vers le nord, vers la Yalomitsa, vers d’autres contrées. L’océan de chardons remuait ses vagues aux crêtes embrasées par le crépuscule ; les mamelons, avec leurs sommets chauves et arrondis, veillaient sur le désert. Dans le ciel limpide, grues et cigognes tournaient en rond leur danse d’adieu qui précède de peu le départ. J’avais mal à la nuque à force de les regarder, et le cœur gros de me savoir, moi, rivé à la terre.

Oursou me devançait en happant des insectes. Le père, bien en avant de nous, jouait ce soir-là, comme jamais, de son caval longtemps oublié :

Ils sont partis les Olténiens…

Des deux côtés de la Yalomitsa, les terres sont fertiles, les fermes nombreuses. Ici le Baragan ne mord qu’avec des dents brisées.

Nous errâmes pendant trois jours entre Hagiéni et Platonesti, à la recherche d’une place d’argat[18], mais on nous rebuta partout. À la fin, exténués, nous échouâmes un soir devant la porte d’une méchante ferme, un conac délabré qui voulut bien nous accueillir. C’était une demeure pauvrement seigneuriale, avec peu de bétail et peu de culture, sise à une lieue du village. Le Baragan la guettait déjà, avec son envie féroce de tout dévorer. Et elle, tristement cernée par la solitude, semblait n’opposer aucune résistance à cet ogre amoureux d’immensité inhabitable.

À notre arrivée, une bonne odeur de mamaliga en ébullition vint nous chatouiller les narines et invita Oursou à remuer aimablement la queue. Les domestiques, — hommes, femmes et enfants, — déambulaient par toute la cour, alors que les poules se dirigeaient, myopes, vers leurs perchoirs.

Ce fut la cellérière qui nous accueillit, une femme à l’aspect citadin, aux nombreuses clefs accrochées à la ceinture et au visage volontaire. Elle ne nous interrogea pas longtemps et s’en alla crier sous une fenêtre :

— Doudouca ! Doudouca[19] !

La personne qui apparut sur le balcon était une vieille aux cheveux blancs, grande, noblement ridée et très maigre, mais se tenant bien droite. Elle demanda d’abord qu’on fît taire les chiens, qui aboyaient contre nous, puis :

— Qu’y a-t-il, Marie ?

— Deux bouches étrangères, qui demandent le gîte et, si possible, du travail.

— Approchez-vous, — fit la Doudouca, se penchant sur la rampe.

Nous laissâmes Oursou dehors et vînmes sous le balcon, les caciula à la main. Elle nous dévisagea longuement, avec de grands yeux tendres qui me chauffèrent le cœur. Et lorsque, sur ses brèves questions, le père lui eut tout raconté :

— Pauvres diables ! — murmura-t-elle.

Ses vêtements noirs, démodés, la rendaient sévère, mais le timbre de sa voix bienveillante effaçait cette dureté.

— Et vous avez un chien, — soupira-t-elle.

— Faut-il le tuer ? — demanda le père.

— Non… Un chien trouve toujours sa nourriture. Restez ici, avec les autres. Et puisque vous vous y connaissez en fait de poisson, commencez par faire un peu de salaison pour la ferme.

— Ça y est ! — dit le père, en s’éloignant ; — nous n’en aurons jamais fini avec ce sacré poisson !

Et son visage s’allongea, saisi de détresse. Nous nous voyions retomber dans cette existence farcie de boyaux écœurants, de sel qui vous brûle à la moindre écorchure, d’écailles qui vous sautent aux yeux, d’arêtes dangereuses qui peuvent vous empoisonner le sang : toute cette vie de Laténi que nous connaissions si bien et que nous venions de fuir.

Comme pour confirmer nos craintes, à l’instant même la cour s’emplit d’une fumée épaisse provenant du poisson salé qu’on grillait pour le repas du soir. Et quel poisson ! Ce petit brochet et cette malheureuse carpe aux écailles noirâtres que nous appelions du « fretin phtisique » et qu’on peut ramasser avec la pelle dans les vases puantes. Oursou en mangeait de meilleur à Laténi.

Mais, avant de nous mettre à table, nous nous aperçûmes que tout allait de pair, chez la Doudouca. Autour du tchéaoune où bouillait la mamaliga, des enfants squelettiques dansaient une ronde d’affamés, prêts à ramasser avec le doigt les gouttes de terciu qui sautaient sur le facaletz[20]. Ce faisant, ils se brûlaient les mains, ce qui ne les empêchait pas de revenir à la charge et de se lécher les doigts comme si c’eût été du miel. D’autres gamins préféraient à cette gourmandise les épis de maïs, déjà à moitié secs, qu’ils chipaient et grillaient au prix de mille peines. On les chassait, les uns et les autres, on blasphémait contre eux sourdement, on les battait à l’exemple des chiens qui rôdaient autour des braises et volaient le poisson en un clin d’œil.

Hommes et femmes besognaient avec lenteur, avec lassitude, la mine sombre, silencieux, jetant des regards furtifs à Marie la cellérière qui veillait sur cette « cour » où vraiment l’abondance ne régnait point. On voyait bien que l’ordre, la sévérité, ne régnaient pas davantage, et que chacun perdait son temps à ne rien fiche, mais, alors, pourquoi tous ces domestiques ?

Je me le demandai surtout quand je vis la cellérière distribuer avec parcimonie des tranches de mamaliga qui constituaient la ration d’un homme, mais dont on ne faisait qu’une bouchée.

— Oui, — me dit le père, — ici on se met à deux pour traire une vache et à quatre pour avaler le même morceau de mamaliga.

Assis sur des tabourets bas, entourant de grandes nattes, tous recevaient, en dehors de cette portion congrue de polenta, une strakina de saramoura[21]. C’était tout. Et encore, pour que nul n’en fût privé, on montait une vraie garde autour de la mamaliga au moment de son dépècement, car les gamins se jetaient à l’assaut comme des louveteaux affamés. J’ai vu enfermer l’un d’eux, qu’on disait le plus adroit à ce vol.

Personne ne se montrait étonné de cette vie-là. Une résignation naturelle se lisait sur toutes les faces. On parlait peu, en mangeant ce qu’il y avait et en buvant beaucoup d’eau. Le repas fini, les hommes allèrent s’accroupir près de quelque brasier à moitié éteint et griller des épis de maïs, qu’ils grignotaient paisiblement dans la nuit tombante, pendant que les chiens se battaient sur les déchets de poisson que les femmes leur jetaient.

Ce soir-là, nous comprîmes peu de chose, mais nous sûmes tout le lendemain.

La Doudouca, — descendante d’une famille très riche, — s’était brouillée avec ses parents le jour où ceux-ci avaient voulu lui faire épouser de force un homme qu’elle détestait. Cela avait eu lieu lors de sa dixième année, quand depuis longtemps son cœur appartenait à un beau gars « aux yeux de cerf, à la crinière d’ébène et à l’allure de haïdouc », en compagnie duquel, chaque année en septembre, pendant son enfance, elle déguerpissait à la poursuite des chardons. Nul galopin, disait-on, ne savait comme ces deux-là si éperdument voler avec le Crivatz, avec le Baragan, et ses éternels chardons.

On n’en fit pas grand cas au début, mais plus tard, quand la Doudouca fut surprise dans les bras de son aimé, des hommes affreux soudoyés par le seigneur-père battirent, une nuit, Toudoraki avec une telle cruauté que le pauvre garçon ne se releva plus. La Doudouca jura alors devant l’icône de la Vierge de rester fidèle à l’assassiné. Elle tint parole. Ses parents la déshéritèrent et, en mourant, laissèrent toute la fortune à ses deux sœurs cadettes, qui en furent bien aises.

C’est à un oncle qu’elle devait la petite retraite que nous voyions. Cette retraite, mal administrée, fut, morceau par morceau, dévorée par « le Baragan assoiffé de poustiétati[22]. » Et cependant, quoique réduite presque à la misère, c’était encore « la bonne Doudouca » qui accueillait maternellement tous les domestiques dont la vie était impossible ailleurs. Elle partageait avec eux ce qui se trouvait, vivant comme une religieuse, ne se permettant aucun plaisir coûteux. Toute sa joie, c’était de contempler le Baragan, surtout à l’époque des chardons. On l’apercevait alors coulant de longues heures à se souvenir de sa jeunesse et, parfois, à pleurer, la tête sur la rampe du balcon.

Marie la cellérière était sa confidente et en même temps le poing qui dirigeait la ferme. Faible poing, certes, car la Doudouca lui interdisait d’être dure avec « son monde ».

— Que chacun fasse ce qu’il peut, ce qu’il veut, — avait-elle l’habitude de dire à Marie, — pourvu que cela aille clopin-clopant…

Oui, « pourvu que cela aille… », mais « cela » n’allait pas. Et la pauvre cellérière, prise entre l’enclume et le marteau, diminuait la portion de mamaliga et s’entendait chanter, par le village, la complainte suivante :

Chez nous, chez la Doudouca,
On fait la mamaliga pas plus grosse qu’une noix,
Et on la défend avec une massue,
Et on met les enfants dans les fers,
Pour qu’ils n’emportent pas la polenta dans leurs griffes[23].

De toutes les épaves recueillies par la Doudouca, Marie était la plus ancienne. La plus triste aussi, car, la quarantaine venue, sa seule passion était de servir sa maîtresse, sans avoir jamais connu un Toudoraki, ni la joie de l’enfance qui court avec les chardons, sans pouvoir pleurer sur des souvenirs créés par le Baragan.

Mais il est écrit que tout être humain doit verser des larmes, pour une cause ou pour une autre. Ainsi, par les belles nuits de septembre, en entendant les paysans la narguer avec cette ironique chanson villageoise, Marie allait s’effondrer sous le balcon de sa maîtresse, et pendant que celle-ci, perdue dans ses rêves de jadis, se voyait courir, toujours à côté de son amoureux, la brave cellérière, injustement accablée par le destin, pleurait sans tendresse sur sa vie faite seulement de pâle dévouement.

Cette histoire de « mamaliga, pas plus grosse qu’une noix » et qu’on défendait « avec une massue » ; cet épique sarcasme populaire qui affirmait qu’on « mettait les enfants dans les fers », pour qu’ils ne puissent pas « emporter la mamaliga dans leurs griffes » ; cette mélopée, tendre et cruelle à la fois, devint pour mon père une hantise.

— En quelques mots d’une parfaite construction poétique, elle renferme, — me disait-il, — toute la souffrance de notre nation opprimée, non par des propriétaires comme cette Doudouca, qui est une malheureuse, mais par des seigneurs semblables au père de celle-ci, dont le pays est excédé.

Il était en mesure de savoir cela, lui, qui avait parcouru la Roumanie d’un bout à l’autre et savait par cœur la plupart de nos ballades rustiques. Mais je ne l’avais jamais vu si effrayé d’un jugement populaire, qu’il le fut de cette complainte qui accablait « deux femmes battues par le Seigneur », comme il disait. Il la chantonna depuis le lever du soleil jusqu’à la tombée de la nuit, durant toute cette semaine que je passai près de lui à saler du poisson chez la Doudouca. Et jamais, peut-être, sa flûte n’avait modulé une plus triste mélodie, ni ses lèvres articulées de plus navrantes paroles.

Cependant, affolé par la crainte de me voir rivé à une vie de chien pareille à celle que je voyais autour de moi, et la tête tournée, plus que jamais, vers une prochaine escapade avec les chardons libérateurs, je lui ai souvent crié qu’il m’agaçait « avec ses litanies ».

Combien je l’ai regretté plus tard !

Mais qui aurait soupçonné alors que cette innocente obsession devait, sous peu, lui coûter la vie ?



  1. Tout ce qui est sec et peut brûler.
  2. Qui habite les marais (balta).
  3. Autochtone.
  4. Grand récipient en tôle légère et à deux anses, dans lequel les paysans font bouillir le linge.
  5. Michel Vulpesco. Voir son admirable ouvrage : les Coutumes roumaines périodiques (librairie Émile Larose).
  6. Voile léger.
  7. D’après les évaluations du grand critique et sociologue roumain, feu Dobroyeann-Cherea, la nourriture quotidienne de notre paysan, peu avant la guerre, s’estimait à 0 fr. 35. Voir Néoïobagia.
  8. Polenta.
  9. Arrivé, parvenu.
  10. Mi-salé.
  11. Au milieu du front.
  12. 10 kilomètres environ.
  13. Autan.
  14. Boulettes de viande.
  15. Mesquin, avare.
  16. On ne fait ce geste, selon les rites orthodoxes, que lorsqu’on veut saluer la mémoire d’une personne décédée et dont il est question.
  17. Expression rituelle stéréotypée.
  18. Garçon de ferme.
  19. Mademoiselle.
  20. Le terciu, c’est le jus de la polenta en train de bouillir ; le facaletz, le bâton dont on se sert pour remuer cette bouillie.
  21. Assiette de terre cuite contenant du poisson grillé et trempé dans un peu d’eau. On y ajoute à volonté du sel et du piment : c’est la saramoura.
  22. Désert, solitude.
  23. En Roumain :

    Pe la noi, Pe la Duduca,
    Face m’maliga cât nuca
    Si-o pazesfe cu maciuca.
    Si pune copchili’n hiare,
    Sa nu ia m’maliga’n ghiare
    .