Les Chercheurs d’or de l’Afrique australe. Colette en Rhodesia/05

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V

Benoni.


Au moment de l’attaque, le sieur Benoni s’était éclipsé ; plusieurs des assaillants l’avaient remarqué avec surprise et indignation.

« Où est-il, ce lâcheur ? disaient-ils, furieux, lorsque, après avoir repris haleine sous l’abri tutélaire de la forêt voisine, ils retrouvèrent la force d’échanger leurs impressions. Où est-il, ce misérable faiseur de promesses ? À l’entendre, il ne devait faire qu’une bouchée de ces blancs, et nous étions sûrs d’entrer sans coup férir dans la place, pour y faire les plus grasses bombances et le plus riche butin… Et voilà ce qui nous attendait !… Des coups de tonnerre foudroyant cent hommes à la fois !… Il le savait bien, ce vil coquin, puisqu’il a pris soin de s’éclipser à temps !… Alors pourquoi nous avoir conduits ici ?… C’était donc tout exprès pour nous faire massacrer ?… Le traître !… Si jamais on le rattrape, son compte est bon !…

— Peut-être est-il parmi les morts ? suggéra un esprit bienveillant, comme il s’en rencontre partout, et même sous la peau noire d’un Matabélé.

— Lui, mort !… Allons donc !… Tu n’as pas besoin d’en être en peine !…

— Qu’en savez-vous ?…

— On a vu des choses plus surprenantes… Le seul moyen d’en avoir le cœur net est d’ailleurs de vérifier quels sont les morts.

— Vérification superflue !… Benoni s’est porté en arrière au moment même où il donnait l’ordre d’avancer.

— N’importe !… Il a pu revenir sur ses pas… Il faut s’assurer de la vérité, sans compter que, pour notre sûreté personnelle, il est indispensable de relever ceux qui sont restés là-bas… La nuit vient, il faut en profiter… Sans quoi, l’ennemi constatera qu’ils sont de notre tribu pour la plupart, et, tôt ou tard, il saura se venger… »

Cet avis rencontra quelque faveur. D’autant que l’ombre s’étendait sur la plaine avec la rapidité propre aux crépuscules des régions tropicales. La panique avait pris fin désormais ; la fraîcheur du soir apaisait les cerveaux troublés et « l’obscure clarté qui tombe des étoiles » ramenait le calme parmi les vaincus. Si bien que le respect de la mort, s’associant chez eux à l’intérêt et à la curiosité, décida un certain nombre à tenter l’aventure d’un retour discret au champ de bataille.

Rampant comme des couleuvres dans les hautes herbes, ils se glissaient jusqu’à la pelouse, saisissaient les morts par les pieds et les traînaient à la rivière, où le courant les emportait. En moins d’une heure, ils eurent fait place nette, sans que Le Guen, qui montait la garde sous la verandah, eût rien vu de suspect au bas de la pelouse. Il est vrai qu’il avait préposé Phanor à la surveillance de l’autre face de la maison. Sans quoi, le bon chien eût sûrement flairé et signalé ce qui se passait au bord de l’eau.

Quand les volontaires noirs rejoignirent les camarades qu’ils avaient laissés sous bois, leur conviction était définitive : point de Benoni parmi les morts ! Ils ne se firent pas faute de le proclamer, en même temps qu’ils affirmaient une chose surprenante : aucun des amis tombés sur la pelouse ne portait trace d’un coup, d’une blessure quelconque ayant pu déterminer la mort. Tous, ils étaient comme foudroyés sans plaie apparente…

La morale à tirer des faits était claire. Benoni avait trahi son monde, et les blancs de Massey-Dorp disposaient de la foudre. Il fallait donc au plus tôt mettre une distance appréciable entre soi et la terrible maison qui vomissait le tonnerre… Tous les survivants comprenaient cette leçon, et tous s’empressèrent de l’appliquer.

Comme ils se dispersaient en silence, la lune montait sur l’horizon, et l’un des Matabélés, s’il se fût attardé au lieu même qu’ils abandonnaient, eût pu voir une face blême émerger d’un amas de feuilles et de branchages habilement disposé pour masquer une excavation au flanc du talus ; poste d’observation d’où il était facile à la fois de surveiller la maison Massey, d’explorer une assez vaste étendue de contrée environnante et qui certainement n’avait pas été choisi au hasard. Cette face pâle, malsaine, mal éclairée par deux yeux louches, couronnée d’un fez et suivie d’un corps malingre, était la propriété peu enviable du sieur Benoni, qui sortait absolument indemne de l’échauffourée, ayant eu soin d’aller se tapir en lieu sûr dès la première alarme.

Cette retraite n’avait même pas été déterminée par une terreur involontaire à la vue des ravages causés par les premiers projectiles ; le terrier, soigneusement aménagé et préparé, témoignait amplement qu’en menant à l’assaut ses troupes crédules, Benoni était fermement résolu à ne rien risquer, et à ne donner de sa personne qu’à l’heure où il s’agirait de récolter le butin.

Quand Benoni se fut assuré que nul traînard ne demeurait en arrière pour le châtier, il se hissa tout entier hors de la tanière où il étouffait et, ayant soufflé un peu, se donna le luxe de jurer et de tempêter à l’aise, accablant impartialement de ses malédictions adversaires et complices.

« Lâches coquins !… maladroits imbéciles !… canailles de bois d’ébène !… meurt de faim !… va-nu-pieds !… On vous en servira, des occasions pareilles, pour les gâcher de la sorte !… Tout si bien préparé !… à l’heure du dîner !… Nous les prenions sans défense !… Il suffisait d’aborder la maison sur les côtés !… Ces misérables Massey !… Il faut qu’on les ait avertis !… Qui a pu éventer la mèche !… que je le pince jamais, celui-là !… Je lui arrache le cœur avec les ongles que voici et je le lui mange avec les dents que voilà !… » grommelait le Levantin qui possédait, entre autres talents, celui des hyperboliques invectives.

Ainsi fit-il rage pendant un quart d’heure. Puis, un léger bruit s’étant produit, — quelque lièvre peureux qui détalait, — il se tapit derechef dans son trou, ramenant sur sa tête les branchages écartés et bredouillant déjà d’abjectes supplications… Mais tout redevenait tranquille ; l’incident avait détourné le cours de ses pensées. Benoni se mit à considérer la situation d’un œil plus calme.

Le mercanti était un de ces étranges produits humains, spéciaux aux rives orientales de la Méditerranée. Descendants de races antiques et déchues, héritiers de toutes les décadences, de toutes les pourritures, résidus des grands empires du passé, ils ont des capacités pour le mal et pour le bien qui semblent dépasser celles des autres hommes. Généralement dépourvus de sens moral, exerçant tous les métiers qui sont le rebut du commerce, capables de tous les crimes pour le plus mince profit, ils montrent cependant une intelligence vive, déliée, multiforme qui semble les désigner pour de meilleures destinées et qu’on ne peut sans gémir voir gaspiller misérablement aux entreprises basses et louches qui ont toutes leurs préférences. Benoni, en particulier, dont les quarante ans de vie s’étaient dépensés à rager de n’être pas riche, à envier bassement les mortels mieux partagés que lui, à pratiquer les plus viles besognes, voleur, receleur, usurier et pis encore, tout cela pour des profits en somme assez piètres, recueillis non sans danger ; Benoni avait été doté par la nature de dispositions pour les choses scientifiques, qui, si elles eussent été honnêtement cultivées et utilisées, eussent fait de lui depuis longtemps l’homme considérable que toute sa vie il avait si fort désiré d’être. Au temps où la famille Massey avait entrepris l’exploitation du filon d’or découvert par Gérard et où s’était passé le drame auquel il a été fait allusion précédemment, M. Weber, toujours à l’affût d’un génie en puissance ou d’un talent en herbe, n’avait pas été long à découvrir chez Benoni (alors cabaretier), une aptitude marquée pour les sciences en général et la mécanique en particulier, et, selon son habitude invariable, il s’était attaché à encourager, à développer ce don, dans l’honnête espoir de donner un aide utile à tous et d’arracher le Levantin à un métier qui était la plaie de la colonie.

Curieux, fureteur, content qu’on s’occupât de lui, et d’ailleurs assez intelligent pour être intéressé par les leçons de ce maître éminent, Benoni avait d’abord accepté avec transport une proposition qui lui donnait libre accès chez Weber et, par suite, lui mettait un pied dans l’enceinte réservée des Massey ; et, pendant quelque temps, le brave inventeur crut presque avoir trouvé dans ce nouvel élève un disciple digne de devenir son associé, son collaborateur ; mais, par malheur, une tare fatale, l’inconstance, ressort et secret de la vie décousue du Levantin, vint bientôt démontrer à M. Weber la futilité de son espoir ; le cancre ne s’était dégoûté d’étudier : l’apprenti honnête homme soupirait après ses vils compagnons d’autrefois ; le méridional paresseux regimbait contre une tâche régulière, regrettait ses journées passées à bayer aux corneilles, à somnoler, à jouer aux cartes sur une table poisseuse, à comploter des « coups » qui devaient lui assurer la fortune en un jour…

Bref, Benoni et son maître s’étaient séparés. Le premier avait repris sa profession de cabaretier ; et, quand ce fut clairement démontré qu’il avait recelé l’argent volé au pauvre Bernier, il avait été expulsé sommairement de la colonie. Mais, de son passage à la villa Massey, il avait gardé une haine inextinguible pour toute la famille et des connaissances scientifiques qui, emmagasinées dans un cerveau apte à les comprendre et à les retenir, pouvaient, le cas échéant, donner des résultats considérables, soit pour le bien, soit pour le mal.

Or, ce n’était pas précisément vers le bien que les pensées du sieur Benoni étaient habituellement tournées ; et l’éclair de joie qui brilla dans ses yeux eût paru suspect à toute personne habituée à lire sur une physionomie.

Voici le tour qu’avaient pris ses réflexions : « Ce n’était qu’une fausse alerte !… Calme-toi, Benoni, mon garçon ! Et au lieu de tempéter inutilement, considère combien le hasard t’a mieux traité que tous ces imbéciles qui se sont fait bêtement écrabouiller… Rien de cassé !… Pas la plus petite égratignure ! Seulement un projet avorté ! Il n’y a pas tant de quoi crier… Pense un peu à ce que serait ton sort si tu te trouvais là-bas sur cette maudite pelouse, grièvement blessé… ou pis encore, mort, mort irrémissiblement !… Par le ciel, ils besognaient bien, ces gens-là !… Il n’y a pas à dire, c’était là du bon ouvrage, et il n’est guère difficile d’en reconnaître l’auteur. Ces satanés obus portaient la signature de Weber aussi vrai que je m’appelle Benoni… plus vrai même !… Attends seulement un peu, Weber de malheur, et je te ferai expier celle-là ?… Qu’est-ce qu’il a bien pu mettre dans ces projectiles ?… Penser que si j’étais demeuré plus longtemps dans son laboratoire, j’aurais peut-être travaillé avec lui à ces obus !… Et j’en connaîtrais aujourd’hui le secret !… Mes bois d’ébène semblaient frappés d’apoplexie. Pan ! ils s’affalaient brusquement sans même avoir une blessure… Eux-mêmes, ils l’ont remarqué, les idiots… Comment arriver à filouter sa recette au vieux nécromant ?… Voyons… raisonnons !… J’ai bien observé, si loin que je fusse… Je ne m’aventure pas sottement où il fait trop chaud, moi ! j’ai vu de mes yeux cette chose incroyable : un seul obus qui a suffi pour jeter à bas une cinquantaine d’hommes dans un rayon de cent mètres au plus… Que ces chiens de Roumis soient en possession d’un explosif formidable, non employé jusqu’ici, il faudrait être une bête pour en douter, et je ne suis pas une bête… Ce sont eux qui le sont, imbéciles, et qui jamais ne se méfient !… À moi de profiter du défaut de la cuirasse pour leur dérober le secret de leur explosif et le retourner contre eux. C’est cela qui serait drôle, de les frapper avec leurs propres armes !… Une fois la chose découverte — et je la découvrirai ou j’y brûlerai mon fez — je ne perds pas de temps, je rassemble les débris de ma troupe… non ! Ces gens sont trop sots… à qui pourrais-je bien m’adresser ?… Il me faudrait de bons lurons capables de marcher droit et de manier des choses dangereuses, car, pour moi, je laisse ce soin aux autres ! je me contenterai de diriger l’action. Comment pourrais-je sans dommage personnel arriver à retourner contre eux le feu de leurs obus ?… Ah ! j’y suis !… Je vois le plan se dessiner… Les Anglais sont mes hommes… Une fois la chose en mes mains, je cours à Kimberley ou à Boulouvayo ; je m’adresse à qui de droit, j’accuse formellement les Massey d’intelligences avec l’ennemi, ils doivent pactiser avec les Boers et quand même il n’en serait rien, cela m’est profondément égal, je les accuse donc de trahison, je donne un aperçu des ressources de tout genre que renferme l’établissement, je donne le secret de l’explosif, j’obtiens les moyens d’action nécessaires et je vois enfin ces damnés Massey mordre la poussière !…

« Que dis-je ? s’écria soudain le songeur avec une véritable explosion de joie, je donne ceci, je donne cela ? Ah ça, Benoni, est-ce que le bruit de la bataille t’a tourné la cervelle ? Je donnerais, moi, comme un benêt, des choses aussi précieuses que de l’or en barre ? Non, non, pas si bête ! Je les vendrai à beaux deniers comptants ; ils sont riches ces Englisch ; il faudra qu’ils déboursent ; je leur serrerai la vis, je sais marchander, Allah soit loué ! je veux leur extorquer une somme dont ils se souviennent. Et, ma foi ! ma poudre la vaut bien… Bon, voilà que je m’emballe, que je parle déjà de ma poudre comme si je l’avais emmagasinée… Bah ! Elle est mienne ou c’est tout comme !… Ce n’est pas pour rien que Benoni a appris à parler toutes les langues, à se glisser dans un trou de souris, à avoir des yeux derrière la tête et jusqu’au bout des doigts. Bien fin qui me cache son secret quand une fois j’ai résolu de le surprendre. De la patience, du temps, et je les tiens !… »

Cela dit, le sieur Benoni se mit d’abord en devoir de se transformer. Il tira de sa poche un miroir et des ciseaux, et en quelques coups donna à sa barbe, à ses cheveux une coupe toute nouvelle, puis il étendit sur sa face un onguent rougeâtre, s’affubla un instant d’une paire de lunettes bleues, qu’il remit dans leur étui après en avoir vérifié l’effet ; enfin, il retourna prestement ses habits et parut costumé de telle sorte que sa propre mère ne l’eût pas reconnu. Sous cette forme, un seul détail trahissait le Levantin, c’était le fez crasseux qu’il gardait même en dormant et qu’une prudence sans défaut lui eut fait sacrifier. Mais chacun a ses faiblesses : celle de Benoni était logée sous son fez.

Quand il eut achevé cette toilette nocturne, sous l’œil bienveillant de Diane, il se rappela qu’il n’avait pas dîné ; et ce souvenir évoqua chez lui une association d’idées naturelle.

« Où diable est Ibrahim ?… Pourvu qu’il ne se soit pas sottement fait mettre en pâtée !… »

Sur quoi, il plaça deux doigts sur sa bouche et fit entendre un cri bizarre, qui rappelait celui de la chouette.

Presque aussitôt, un cri pareil tomba du ciel. Et deux minutes ne s’étaient pas écoulées, qu’un jeune garçon vêtu d’une souquenille arabe en toile bleue dévala du haut d’un arbre touffu.

« Où diable étais-tu allé te percher ? ricana impudemment Benoni. Tu auras encore eu peur ?… Jamais on n’a vu de capon pareil !… Allons, preste, mon dîner !… »

Sans mot dire, Ibrahim tira de ses vastes poches diverses victuailles que son maître se mit à dévorer en donnant ses instructions.

« Nous allons rester plusieurs jours dans ces parages… Personne ne doit le soupçonner… Tu iras aux provisions et, chaque soir à neuf heures, je t’attendrai ici… C’est compris !… »

Ibrahim inclina la tête, en signe d’assentiment.

« … Entre temps, tu chercheras deux bons chevaux, que tu mettras au vert dans quelque fourré, pour les trouver à point nommé… Ce ne sont pas les chevaux qui manquent, à Massey-Dorp… »

Ibrahim réitéra son mouvement.

« … Si tu as le malheur de te laisser voir à n’importe qui, tu sais ce qui t’attend !… C’est compris !… à demain soir. »

Ibrahim s’éclipsa et son maître, réintégrant sa tanière, s’y établit pour dormir sur un lit de feuilles fraîches, en attendant les travaux du lendemain.

Guetter et espionner n’était pour lui, à vrai dire, ni un labeur, ni une difficulté, mais bien plutôt l’exercice d’une fonction normale et l’accomplissement d’une vocation. Or, il s’agissait uniquement ici de surveiller les mouvements de Massey-Dorp pour saisir tout ce qui pouvait se rapporter à un objet particulier et en tirer des indications.

C’est ainsi que Benoni nota dès le lendemain le départ de Bernier qui s’en allait courir le pays, selon sa coutume, en promettant à Mme Massey de l’avertir, s’il constatait des rassemblements suspects. Au fond, on ne les craignait plus guère, maintenant que les effets de la poudre K s’étaient manifestés si péremptoirement. Le Guen continuait ses rondes nocturnes, par acquit de conscience, mais tout le monde avait le sentiment que les indigènes ne viendraient plus de longtemps s’exposer aux terribles obus. Les dames descendaient chaque matin au jardin. Martine présidait, toujours active, aux soins du ménage. Goliath jouait avec Tottie. Bientôt, Martial Hardouin reprit l’habitude de se rendre dans l’après-midi à la Tour phénicienne, pour y classer les produits de ses fouilles, les étudier à la loupe quand il y trouvait une inscription ou un signe quelconque et consigner les résultats de ces études. Un jour enfin, M. Weber partit à pied et se dirigea vers le ravin qui bordait le côté nord du domaine.

Benoni le suivit de près. « Filer » un homme aussi distrait était véritablement facile. Le Levantin le vit tout à coup disparaître dans une excavation béante sur l’un des talus du ravin. Caché parmi les herbes, il attendit, le cœur battant, car son instinct lui disait qu’il brûlait, comme on dit aux jeux enfantins. Mais il eut beau attendre, M. Weber ne reparut pas ; et pourtant quand Benoni se fut décidé à reprendre le chemin de Massey-Dorp et le poste d’observation où il avait élu domicile, au bas de la pelouse, il put constater que M. Weberrevenait à l’habitation par le sentier de la Tour phénicienne, en compagnie de Martial Hardouin.

L’espion en conclut naturellement que le trou du ravin devait être en communication directe avec la tour et il se promit d’élucider la question.

Quelques jours plus tard, il n’avait plus rien à apprendre sur le laboratoire souterrain. Pourvu par son séide Ibrahim de la lanterne indispensable pour son exploration, il avait pénétré dans la galerie en pente douce qui partait du ravin, il était arrivé jusqu’à la salle voûtée, il avait vu de ses yeux l’arsenal complet, les obus de bois, les sacs marqués poudre K. Sans doute, il ne connaissait pas la nature du redoutable explosif ; mais il en connaissait désormais le dépôt ; il savait où le trouver au besoin ; il avait pu s’assurer non seulement que l’accès de ce dépôt était libre, mais qu’il était facile, à la fois par la galerie aboutissant aux abords de Massey-Dorp et par un autre souterrain débouchant sur une des terrasses inférieures de la forteresse phénicienne.

Dès lors, il avait en mains tous les éléments nécessaires au marché qu’il se proposait d’offrir aux agents anglais : non pas à vrai dire le secret du nouvel explosif, mais une provision toute faite de ce terrible moyen d’action.

Le soir même, quand Ibrahim parut devant lui, Benoni lui donna l’ordre d’amener les deux chevaux retenus au piquet, dans une clairière voisine.

C′étaient deux de ces robustes poneys du Transvaal qui vivent d’une poignée d’herbes ou de racines, échappent aux maladies fatales dans l’Afrique australe à leurs congénères d’Europe ou d’Asie, et sont toujours prêts aux plus rudes besognes. Ceux-ci avaient été choisis avec soin par M. Masseylui-même pour le service de son exploitation, et par Ibrahim parmi les vingt meilleurs poneys du Dorp.

Benoni enfourcha le plus grand, fit signe à son acolyte d’enfourcher l’autre et dit :

« En route pour Boulouvayo !… »