Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre C

La bibliothèque libre.
Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 410-411).

CHAPITRE C.


Comment le roi d’Angleterre fit faire grand appareil pour venir en France ; et comment l’archevêque de Reims, le comte de Porcien et le comte de Braine conquirent le châtel de Roussy.


Ces deux seigneurs dessus nommés retournés en Angleterre, le roi Édouard, ainsi comme il appartenoit, sçut la réponse, car ils lui relatèrent tout ainsi, ni plus, ni moins, qu’ils en étoient chargés des François. Quand le roi d’Angleterre eut entendu ces nouvelles, il fut durement courroucé ; et dit devant tous ceux qui le pouvoient ouïr que ainçois que hiver fût entré, il entreroit au royaume de France si puissamment et y demeureroit tant qu’il auroit fin de guerre, ou bonne paix à son honneur et plaisir[1]. Si fit commencer à faire le plus grand appareil que on eût oncques mais vu faire en Angleterre pour guerroyer.

Ces nouvelles issirent par tous pays, si que partout chevaliers et écuyers et gens d’armes se commencèrent à pourvoir grossement et chèrement de chevaux et de harnois, chacun du mieux qu’il put, selon son état ; et se traist chacun, du plus tôt qu’il put, par devers Calais, pour attendre la venue du roi d’Angleterre ; car chacun pensoit à avoir si grands bienfaits de lui, et tant d’avoir gagner en France que jamais ne seroient jamais povres ; et par espécial ces Allemands qui sont plus convoiteux que autres gens.

En cette même saison et environ le milieu d’août, advint que messire Jean de Craon archevêque de Reims et ceux de la dite cité et du pays environ, parmi l’aide des chevaliers et écuyers de la comté de Retel et autres chevaliers et écuyers de l’évêché de Laon, se assemblèrent et vinrent mettre le siége par devant la ville et le châtel de Roussy, et le contraignirent si, sur le terme de trois semaines qu’ils y furent, que ceux qui dedans étoient se rendirent, sauves leurs vies et leurs membres. Et de ce eurent-ils bonnes lettres, et pouvoient aller quelque part qu’ils voudroient, sauvement, sous le conduit du dit archevêque, du comte de Porcien et du comte de Brayne qui là étoient. Dont il avint que quand ils se partirent, la communauté de Reims et ceux du pays qui là étoient assemblés, leur vinrent sus et en occirent et meurtrirent la plus grand’partie ; de quoi les seigneurs furent durement courroucés, mais amender ne le purent. À grand’meschef purent-ils sauver le capitaine François Hennequin ; et le vouloient les vilains tuer entre leurs mains. Ainsi r’eut le comte de Roussy sa ville et son châtel ; et le rendit cil dit Hennequin par la composition du traité, autrement il ne eût point été sauvé.

  1. Les lettres par lesquelles Édouard annonce au clergé d’Angleterre qu’il est résolu à recommencer la guerre, et lui demande l’assistance de ses prières, sont datées du 12 d’août.