Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCCIII

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 605-606).

CHAPITRE CCCIII.


Comment le duc de Bourbon assiégea Belle-Perche, et comment le comte de Cantebruge et le comte de Pennebroch y vinrent pour secourir ceux de la ville.


Le duc Louis de Bourbon, qui sentoit les Anglois et les compagnies en son pays de Bourbonnois, et comment Ortinge et Bernard de Wist et Bernard de la Salle tenoient son châtel de Belle-Perche et madame sa mère dedans, si lui tournoit à grand’déplaisance, s’avisa qu’il mettroit sus une chevauchée de gens d’armes, et viendroit mettre le siége pardevant le dit châtel, et ne s’en partiroit jusques à ce qu’il le r’auroit. Si en parla au roi de France. Le roi lui accorda légèrement et dit qu’il lui aideroit à faire son fait de son siége, de gens et de mise. Si se partit le duc de Paris. Et avoit fait son mandement à Moulins et en Auvergne à Saint-Poursain, et eut tantôt grand’foison de gens d’armes et de bons combattans ; et le vint servir le sire de Beaujeu à deux cents lances, le sire de Villars et de Roussillon à cent lances, et grand’foison de barons et de chevaliers d’Auvergne et de Forès dont il étoit sire de par madame sa femme, fille à ce gentil seigneur monseigneur Beraut, comte Dauphin[1]. Si s’en vint le dessus-dit duc loger et aménager devant le châtel de Belle-Perche, et y fit devant une bastide grande et grosse, où ses gens se tenoient et retraioient à couvert tous les soirs ; et tous les jours venoient escarmoucher à ceux du fort ; et avoit le dit duc de Bourbon fait venir, amener et charrier jusques à quatre grands engins devant la forteresse, lesquels jetoient à l’estrivée nuit et jour, pierres et mangonneaux, tellement qu’ils dérompoient et brisoient tous les combles des tours et de la maison, et abattirent la plus grand’partie des toits. De quoi la mère du duc de Bourbon, qui laiens étoit prisonnière en son châtel, étoit durement effrayée et grévée pour les engins, et fit plusieurs prières à son fils qu’il se voulsist cesser de faire tel assaut des engins qui si la grévoient. Mais le duc de Bourbon, qui bien savoit et supposoit que cette requête venoit de ses ennemis, répondit que jà ne cesseroit pour chose qui avenir pût. Quand les compagnons du fort virent comment ils étoient oppressés et grévés, et que tous les jours multiplioit l’effort des François, car encore y étoit venu messire Louis de Sancerre, maréchal de France, atout grand’foison de gens d’armes, si s’avisèrent qu’ils manderoient et signifieroient leur povreté à monseigneur Jean d’Évreux, sénéchal de Limousin, qui se tenoit à la Souterraine[2], à deux petites journées près d’eux, et qui savoit comment les seigneurs de Poitou et de Gascogne, en celle année, quand ils partirent de la chevauchée de Quersin leur eurent enconvenancé sur leurs fois que si ils prenoient forteresse en France et ils y étoient assiégés, ils seroient confortés. Si escripsirent tantôt lettres, et envoyèrent de nuit un de leurs varlets à la Souterraine, à monseigneur Jean d’Évreux ; lequel messire Jean reconnut bien les enseignes, et répondit, quand il eut lu les lettres, qu’il s’en acquitteroit bien volontiers ; et il même, pour mieux exploiter, iroit en Angoulême devers le prince et les seigneurs qui là étoient, et les induiroit tellement que ceux de Belle-Perche seroient confortés et délivrés de ce péril. Si se partit le dit messire Jean quand il eut recommandé sa garnison à ses compagnons, et chevaucha tant par ses journées qu’il vint en Angoulême. Là trouva-t-il le prince, le comte de Cantebruge, le comte de Pennebroch, messire Jean de Montagu, messire Robert Canolle, messire Thomas de Percy, messire Thomas de Felleton, messire Guichard d’Angle, le captal de Buch et plusieurs autres. Si leur remontra bellement et sagement comment les compagnons étoient étreints et assiégés au châtel de Belle-Perche, du duc de Bourbon, du comte de Saint-Pol et des François. À ces paroles entendirent les chevaliers de Poitou et d’Angleterre volontiers, et répondirent qu’ils seroient confortés, si comme on leur avoit promis. De cette besogne et pour aller celle part furent chargés le comte de Cantebruge et le comte de Pennebroch ; et fit tantôt un mandement le prince à tous ses féaux et sujets que, ses lettres vues, on se traist devers la ville de Limoges. Donc s’avancèrent chevaliers et écuyers, compagnons et gens d’armes, et vinrent là où ils étoient mandés et ordonnés. Si en y eut grand’foison quand ils furent tous ensemble, plus de quinze cents lances et trois mille d’autres gens ; et exploitèrent tant qu’ils vinrent devant Belle-Perche ; et se logèrent et ordonnèrent à l’opposite des François qui se tenoient en leur bastide, aussi belle et aussi forte et environnée d’eau comme une bonne ville seroit. Si se logèrent les Anglois et les Poitevins à ce commencement assez diversement, pour être à l’aise d’eux et de leurs chevaux ; car il faisoit froid et laid ainsi comme en hiver. Si n’avoient mie toutes leurs aises, et si avoit été tout le pays tout robé et pillé des gens d’armes et des compagnons allans et venans : pourquoi ils ne recouvroient de nuls vivres, fors à danger, et ne savoient mie leurs fourriers où fourrer, fors sur eux-mêmes : mais on leur amenoit quand on pouvoit vivres de Poitou et des marches voisines.

Or signifia adonc le dit maréchal de France, messire Louis de Sancerre, l’ordonnance et l’état des Anglois à Paris, au roi et aux chevaliers qui là se tenoient ; et en fit mettre et attacher cédules au palais et ailleurs, en disant

« Entre vous, chevaliers et écuyers qui désirez à trouver les armes et qui les demandez, je vous avise et dis pour vérité, que le comte de Cantebruge et le comte de Pennebroch, et leurs gens, sont venus devant Belle-Perche, en intention et pour lever le siége de nos gens ; que là nous sommes longuement tenus, et que tant avons étreint la dite forteresse qu’il faut qu’elle se rende temprement, ou que nous soyons combattus par force d’armes. Si venez celle part hâtivement ; car là trouverez-vous aucun grand fait d’armes ; et sachez que les Anglois gissent assez diversement, et en sont bien en lieu et en parti pour eux porter grand dommage. »

Je crois bien que à l’ennortation et requête du dit maréchal, aucuns bons chevaliers et écuyers du royaume de France s’avancèrent pour traire celle part ; toutes fois sçais-je bien que le gouverneur de Blois, Allart de Doustenène, atout cinquante lances, y vint ; et aussi firent le comte de Porcien, et messire Hue de Porcien, son frère.

  1. Le mariage de Louis XI, duc de Bourbon, avec Anne, dauphine d’Auvergue, n’était pas encore accompli ; il ne fut célébré que le 29 août 1371. Mais on le regardait dès lors comme possesseur du Dauphiné d’Auvergne et des biens de son épouse future, en vertu du traité de mariage conclu entre les partis le 4 juillet 1368, et des fiançailles qui en avaient été la suite.
  2. Il y a deux lieux de ce nom, l’un dans le Limousin, l’autre dans la Marche. Il s’agit probablement ici du dernier.