Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCCXIII

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CHAPITRE CCCXIII.


Comment messire Robert Canolle vint devant la cité de Noyon, et comment un chevalier Escot y fit une grand’appertise d’armes.


Tant exploitèrent les Anglois qu’ils vinrent devant la bonne cité de Noyon, qui bien étoit pourvue et garnie de gens d’armes. Si s’arrêtèrent là environ, et l’approchèrent de moult près, et là avisèrent moult bien si nul assaut leur pourroit valoir. Si la trouvèrent, à leur avis, bien breteschiée[1] et guéritée et appareillée de défendre, si mestier étoit. Et étoit messire Robert logé en l’abbaye d’Orkans, et ses gens là environ ; et vinrent un jour devant la cité, rangés et ordonnés par manière de bataille, pour savoir si ceux de la garnison et de la communauté de la ville istroient point ; mais ils n’en avoient nulle volonté. Là eut un chevalier d’Écosse qui fit une grande appertise d’armes ; car il se partit de son conroy, son glaive en son poing, monté sur son coursier, son page derrière lui, et brocha des éperons tout contreval la montagne. Si fut tantôt devant la barrière ; et appeloit-on le dit chevalier messire Jean Asneton, hardi homme et courageux malement, et aussi avisé et arrêté en toutes ses appertises, là et ailleurs. Quand il fut devant les barrières de Noyon, il mit pied à terre jus de son coursier, et dit à son page : « Ne te pars point de ci ; » et prit son glaive en ses poings, et s’en vint jusques aux barrières, et se écueillit, et saillit outre par dedans les barrières. Là avoit de bons chevaliers du pays, messire Jean de Roye, messire Lancelot de Lorris, et bien dix ou douze autres, qui furent tous émerveillés qu’il vouloit faire ; néanmoins ils le recueillirent moult faiticement. Là dit le chevalier Escot : « Seigneurs, je vous viens voir ; vous ne daignez issir hors de vos barrières, et je y daigne bien entrer ; je vueil éprouver ma chevalerie à la vôtre, et me conquérez si vous pouvez. » Après ces mots, il jeta et lança grands coups à eux de son glaive, et eux à lui des leurs ; et fut en cel état, lui tout seul sur eux, escarmouchant et faisant grands appertises d’armes plus d’une heure, et navra un ou deux des leurs ; et prenoit si grand’plaisance à lui là combattre, que il s’entr’oublioit ; et le regardoient les gens de la ville et de la porte, et des guérites, à grand’merveille, et lui eussent porté grand dommage du trait si ils eussent voulu : mais nennil ; car les chevaliers françois leur avoient défendu, Tant fut en cel état, que son page vint sur son coursier, moult près des barrières, et lui dit tout en haut en son langage : « Monseigneur, partez-vous, il est heure ; car nos gens se partent. » Le chevalier, qui bien l’entendit, s’appareilla sur ce, et lança depuis deux ou trois coups, et quand il eut fait, il prit son glaive et se relança à l’autre lez sans nul dommage ; et tout armé qu’il étoit, il se jeta sur son coursier derrière son page. Quand il fut sus, il dit aux François : « Adieu, adieu, seigneurs, grands mercis. » Si brocha des éperons et fut tantôt à ses compagnons. Laquelle appertise d’armes de monseigneur Jean Asneton fut durement prisée de toutes gens.

  1. Fortifiée, environnée de tours et de créneaux.