Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCCXXVII

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CHAPITRE CCCXXVII.


Comment quatre chevaliers bretons et leurs gens prirent le châtel de Montpaon, et comment le duc de Lancastre et les barons de Guyenne les vinrent assiéger.


Assez tôt après que le prince fut parti de Bordeaux, le duc de Lancastre entendit à faire l’obsèque de son neveu Édouard, le fils du prince son frère : si le fit faire moult grandement et moult révéremment en la dite cité de Bordeaux ; et là furent tous les barons de Gascogne et de Poitou qui avoient juré obéissance à lui. Pendant que ces ordonnances se faisoient, et que on entendoit à faire cel obsèque, et que ces seigneurs se tenoient à Bordeaux, issirent hors de la garnison de Pierregord bien deux cents lances de Bretons qui là se tenoient, que le duc d’Anjou y avoit envoyés, des quels étoient capitaines quatre bons chevaliers et hardis hommes malement : si les nommerai : messire Guillaume de Longval, messire Alain de la Houssaie, messire Louis de Mailly et le sire d’Arcy. Si chevauchèrent ces seigneurs et leurs routes jusques à un châtel bel et fort que on dit Montpaon[1], dont un chevalier étoit sire. Quand ces barons furent venus jusques là, et ils eurent couru devant les barrières, ils montrèrent grand semblant d’assaut, et l’environnèrent moult faiticement. Messire Guillaume de Montpaon, à ce qu’il montra, avoit le courage plus françois qu’il n’avoit anglois, et se tourna et rendit François à peu de fait ; et mit les dessus dits chevaliers et leurs gens en sa forteresse ; lesquels dirent qu’ils la tiendroient contre tout homme. Si le réparèrent et rappareillèrent tantôt et rafraîchirent de ce qu’il appartenoit.

Ces nouvelles furent sçues à Bordeaux tantôt, comment le duc de Lancastre et les barons de Guyenne n’exploitoient mie bien ; car les Bretons chevauchoient et avoient pris Montpaon qui marchist assez près de lui : de quoi le dit duc et tous les seigneurs qui là étoient eurent grand’vergogne quand ils le sçurent ; et s’ordonnèrent et appareillèrent tous pour traire celle part, et partirent de la cité de Bordeaux sur un mercredi après boire.

Avec le duc de Lancastre étoit le sire de Pons, le sire de Parthenay, messire Louis de Harecourt, messire Guichard d’Angle, messire Percevaux de Couloingne, messire Geffroy d’Argenton, messire Jacques de Surgières, messire Maubrun de Linières, messire Guillaume de Montendre, messire Hugues de Vivones, le sire de Crupegnac et plusieurs autres barons et chevaliers de Poitou et de Xaintonge. Si y étoient de Gascogne : le captal de Buch, le sire de Pommiers, messire Hélie de Pommiers, le sire de Chaumont, le sire de Montferrant, le sire de Langueren, le soudich de l’Estrau, messire Bernardet de Labreth sire de Géronde, messire Aymeri de Tarstes et plusieurs autres ; et d’Angleterre, messire Thomas de Fellelon, messire Thomas de Percy, le sire de Ros, messire Michel de la Poule, le sire de Villebi, messire Guillaume de Beauchamp, messire Richard de Pontchardon, messire Baudouin de Franville, messire d’Agouses, et plusieurs autres. Si étoient bien sept cents lances et cinq cents archers. Si chevauchèrent moult arréement et ordonnément par devers Montpaon, et firent tant qu’ils y parvinrent.

Quand messire Guillaume de Montpaon sçut que le duc de Lancastre et tous ses gens le venoient assiéger, si ne fut mie trop assuré ; car bien savoit que s’il étoit pris, il le feroit mourir de male mort, et que point ne seroit reçu à merci ; car trop il s’étoit forfait. Si s’en découvrit aux quatre chevaliers dessus dits et leur dit qu’il se partiroit et iroit soi tenir à Pierregord, et que du châtel ils fissent leur volonté. Adonc se partit le dessus dit ainsi que proposé l’avoit, et s’en vint en la cité de Pierregord qui est moult forte, et laissa son châtel en la garde des quatre chevaliers dessus dits.

  1. Il y a un bourg ou village de ce nom dans le Rouergue, mais il paraît que celui dont il s’agit ici était moins éloigné de Bordeaux.