Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCCXXXV

La bibliothèque libre.
Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 631-632).

CHAPITRE CCCXXXV.


Comment le comte de Herefort déconfit en Bretagne sur mer plusieurs Flamands qui envahi l’avoient.


Le roi d’Angleterre, qui se véoit harié et guerroyé des François malement, acquéroit amis ce qu’il pouvoit par deçà la mer ; et avoit pour lui le duc de Guerle, son neveu, et le duc de Juliers ; et devoient mettre en celle saison sus une grand’quantité de gens d’armes, et bien étoit en leur puissance, pour entrer en France. Et de ce et d’eux se doutoit bien le roi de France.

En ce temps envoyoit le roi d’Angleterre le comte de Herefort et les chevaliers de son hôtel moult ordonnément en Bretagne, pour parler au duc sur certaines ordonnances qui devoient être entre lui et le duc[1], et pour lors n’étoient point amis les Anglois et les Flamands, et s’étoient celle saison hardoiés et envahis sur mer, et tant que les Flamands avoient perdu, dont il leur déplaisoit. Si se trouvèrent d’aventure devant un havèle en Bretagne que on dit à la Bay[2] ces Anglois et ces Flamands. Si étoit patron de la navire des Flamands Jean Pietresone, et des Anglois messire Guy de Brianne. Si très tôt comme ils se furent trouvés, ils férirent ensemble et assemblèrent de leurs vaisseaux : et là eut grand’bataille et dure malement. Et étoient là des chevaliers du dit roi avec le comte de Hereford, messire Richard Slury, messire Thomas de Wisk et des autres. Si se combattirent ces chevaliers et leurs gens moult âprement à ces Flamands et se portèrent très vaillamment, combien que les François fussent plus grand’foison et pourvus de leur fait : car ils n’avoient désiré toute la saison autre chose que qu’ils pussent avoir trouvé les Anglois : mais pour ce ne l’eurent-ils mie d’avantage. Si dura celle bataille sur mer bien trois heures ; et là eut fait plusieurs grands appertises d’armes, et maint homme navré et blessé du trait. Et avoient leurs nefs attachées à crochets et à chaînes de fer, par quoi ils ne pussent fuir. Et finablement la place demeura aux Anglois, et furent les dits Flamands déconfits, et sire Jean Pietresone, leur patron, pris, et tout le demeurant mort ou pris[3] : oncques nul n’en échappa. Et retournèrent les dits Anglois arrière en Angleterre, et amenèrent leurs conquêts et leurs prisonniers, et ne firent point leur voyage pour lors. Si contèrent ces nouvelles au roi d’Angleterre leur seigneur, qui fut moult joyeux de leur avenue, quand il entendit que les Flamands qui envahis les avoient étoient déconfits. Si furent tantôt envoyés en prison fermée Jean Pietresone et les autres, et épars par Angleterre.

  1. On trouve dans Rymer des pouvoirs de traiter avec le duc de Bretagne adressés à Robert de Nevill, chevalier, et à Raullin Barry, écuyer de sa chambre, et datés, l’un du 1er , l’autre du 4 novembre de cette année.
  2. On ne sait de quelle baie il s’agit ici.
  3. Les Anglais prirent aux Flamands, dans cette rencontre, vingt-cinq vaisseaux chargés de sel, ainsi que le rapportent Thomas Otterbourne et Walshingham, qui placent l’un et l’autre cet échec des Flamands au commencement de l’année 1372. Comme ils ne sont contredits par aucun monument, on peut commencer à compter ici cette année.