Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCI

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 501-502).

CHAPITRE CCI.


Comment le roi de France rendit à Clisson sa terre ; et comment le duc de Bretagne fut marié à la fille de la princesse de Galles ; comment le captal de Buch devint homme du roi de France et puis y renonça.


Avec toutes ces choses, parmi l’ordonnance de la paix, r’eut le sire de Clisson toute sa terre que le roi Philippe jadis lui avoit tollue et ôtée ; et lui rendit le roi Charles de France, et encore de l’autre assez. Celui sire de Clisson depuis s’acointa du roi de France, et faisoit tout ce qu’il vouloit ; et sans lui n’étoit rien fait. Si fut tout le pays de Bretagne tout joyeux, quand ils se trouvèrent en paix ; et prit le dit duc les fois et les hommages des cités, des villes, des châteaux et de tous les prélats et gentilshommes. Assez tôt après, se maria le dit duc à la fille madame la princesse de Galles, que elle avoit eue de messire Thomas de Hollande ; et en furent les noces faites en la bonne cité de Nantes, moult grandes et moult nobles. Encore avint en cel hiver, que la roine Jeanne, ante du roi de Navarre, et la roine Blanche, sa sœur germaine, pourchassèrent et exploitèrent tant, que paix fut faite et accordée entre le roi de France et le roi de Navarre[1], parmi l’aide et le grand sens de monseigneur le captal de Buch, qui y rendit grand’heure et grand’diligence. Et parmi tant il fut quitte de sa prison ; et lui montra et fit de fait le roi de France grand signe d’amour, et lui donna le beau châtel de Nemours et toutes les appendances de la châtellerie, où bien appartiennent trois mille francs par an de revenue. Et en devint homme au roi de France le dit captal : duquel hommage le dit roi fut moult rejoui, car il aimoit grandement le service d’un tel chevalier comme le dit captal étoit pour le temps. Mais il ne le fut mie trop longuement ; car quand il revint en la principauté, devers le prince qui étoit informé de cette ordonnance, on le blâma durement, et dit qu’il ne se pouvoit acquitter loyaument à servir deux seigneurs, et qu’il étoit trop convoiteux, quand il avoit pris terre en France où il n’étoit ni aimé ni honoré. Quand il se vit en ce parti et si durement reçu et appelé du prince de Galles son naturel seigneur, il se vergogna et dit en lui excusant, qu’il n’étoit mie trop avant lié au roi de France, et que bien pouvoit défaire tout ce que fait en étoit. Si renvoya par un sien écuyer son hommage au roi de France, et renonça à tout ce que donné lui avoit ; et demeura depuis le dit captal de-lez le prince.

Parmi la composition et ordonnance de la paix qui se fit entre le roi de France et le roi de Navarre, demeurèrent au dit roi de France la ville de Mante et de Meulan, et le roi lui rendit autres châteaux en Normandie[2]. En ce temps se partit de France messire Louis de Navarre, et passa outre en Lombardie pour épouser la roine de Naples[3] : mais à son département il emprunta au roi de France, sur aucuns châteaux qu’il tenoit en Normandie, soixante mille francs[4]. Lequel messire Louis, depuis qu’il eut épousé la dite roine, ne vesqui point longuement : Dieu lui pardoint ses deffautes ; car il fut moult courtois chevalier.

  1. Ce traité fut conclu à Paris le 6 mars 1364 (1365). On lit dans les Chroniques de France, qu’il fut fait au mois de juin de cette année : le chroniqueur ignorait vraisemblablement la date véritable du traité, ou bien il ne l’a regardé comme terminé qu’après que Charles V l’eut confirmé par ses lettres données à Paris au mois de juin de cette année. On trouvera rassemblées dans l’Histoire de Charles-le-Mauvais, toutes les pièces relatives à re traité très peu connu jusqu’alors.
  2. Charles V lui céda de plus la ville et la baronie de Montpellier pour la tenir en pairie, en échange des villes de Mante et Meulan.
  3. Froissart a confondu la reine Jeanne de Naples avec une autre princesse de la même maison, nommée pareillement Jeanne, fille de Charles d’Anjou-Sicile, duc de Duras, que Louis de Navarre épousa en effet en 1366.
  4. Louis de Navarre n’emprunta au roi que 50,000 livres, pour la sûreté desquelles il lui remit entre les mains le comté de Beaumont-le-Roger, Breval, Anet, etc.