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Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCLXXXIX

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 590-591).

CHAPITRE CCLXXXIX.


Comment le comte de Pennebroch envoya un sien écuyer, environ minuit, à Poitiers, pour avoir secours de messire Jean Chandos.


Vous devez bien croire et savoir de vérité que les seigneurs, premièrement le comte de Pennebroch et les chevaliers qui là étoient assis et enclos de leurs ennemis dedans l’hôtel de Puirenon, n’étoient mie à leur aise, car ils sentoient leur forteresse, qui n’étoit pas trop forte pour durer à la longue encontre de tant de bonnes gens d’arme ; est si étoient mal pourvus d’artillerie, qui leur étoit un grand grief, et aussi de vivres ; mais de ce ne faisoient nul compte ; car au fort ils jeûneroient bien un jour et une nuit pour eux garder si mestier étoit. Quand ce vint en la nuit qu’il faisoit brun et épais, ils prièrent à un écuyer, appert homme d’armes, en qui ils avoient grand’fiance, et lui dirent qu’il se voulsist partir, et on lui feroit voie par derrière, et chevauchât appertement, et il seroit au jour à Poitiers ; là trouveroit-il messire Jean Chandos et ses compagnons ; si leur dit comment il leur étoit, et que encore viendroit-il bien à temps pour eux conforter : car ils se tiendroient bien encore en la dite maison jusqu’à nonne. L’écuyer, qui vit le grand danger où il et tous les seigneurs étoient, dit que il feroit volontiers ce message, et encore se vanta-t-il de trop bien savoir le chemin. Si se départit de l’hôtel dessus dit, environ heure de minuit, quand ceux de l’ost furent apaisés, par une fausse poterne, et se mit au chemin, au plus droit qu’il put et qu’il sçut, pour venir à Poitiers : mais tant y eut que oncques celle nuit il ne put ni ne sçut tenir voie ni chemin, et se fourvoya, et fut grand jour ainçois qu’il pût entrer en la voie de Poitiers. Quand ce vint à l’aube du jour, les François qui avoient ainsi assis les Anglois au Puirenon comme vous oyez, sonnèrent leurs trompettes et s’armèrent ; et dirent et regardèrent entre eux qu’ils assaudroient en la froidure du jour, car ce leur étoit plus profitable que la chaleur du jour.

Le comte de Pennebroch et les chevaliers qui dedans leur enclos étoient, et qui toute la nuit point dormi n’avoient, mais de ce qu’ils avoient pu fortifiés s’étoient, de pierres et de bancs que sur les murs apportés avoient, sentirent bien que les François s’ordonnoient pour eux venir assaillir. Si se confortèrent et avisèrent sur ce. Devant heure de soleil levant, une bonne espace, furent les dits François tous appareillés et ordonnés pour venir assaillir, et leur fut commandé par leurs seigneurs et capitaines de se traire avant. Lors s’en vinrent devant le dit hôtel par connétablies, et entrèrent de rechef en grand’volonté en l’ouvrage de leur assaut ; et trop bien en ce commencement s’en acquittèrent et firent leur devoir. Et avoient apporté échelles ; si les appuyoient contre le mur et montoient sus à l’estrivée, armés et garnis de pavais suffisamment : car autrement ; ils n’eussent point duré ; et tenoient à honneur et à grand vasselage celui qui pouvoit être monté premier ; aussi étoit-ce vraiment. Là n’étoient mie les Anglois oiseux ni recrus d’eux défendre ; car autrement ils eussent été pris : mais se défendoient si vaillamment que merveille seroit à penser, et jetoient pierres sur ces targes et bassinets, parquoi ils les rompoient et effondroient, et en navroient plusieurs et blessoient bien grièvement par celle défense. Ni on ne vit oncques gens eux si vaillamment tenir en si petit fort contre tant de bonnes gens d’armes. Ainsi fut cil assaut continué du matin jusques à prime.