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Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCLXXXVII

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 588-589).

CHAPITRE CCLXXXVII.


Comment Jean Chandos fit moult de maux au pays d’Anjou ; et comment il gâta et exilla la terre du vicomte de Rochechouart, excepté les forteresses.


Le terme pendant que cette chevauchée fut faite à Tournehen et là environ, avinrent en Poitou aucuns faits d’armes qui ne sont mie à oublier ; car messire Jean Chandos, qui étoit sénéchal de Poitou et un très hardi et vaillant chevalier, et qui très grand désir avoit de trouver les François et combattre, ne vouloit point plenté séjourner. Si mit, pendant ce qu’il se tenoit à Poitiers, une chevauchée sus de gens d’armes, Anglois et Poitevins, et dit qu’il vouloit chevaucher en Anjou et revenir en Touraine, et voir les François qui se tenoient sur les frontières. Tout son propos et sa chevauchée il signifia au comte de Pennebroch, qui se tenoit en garnison atout deux cents lances à Mortagne sur mer. Le comte de Pennebroch de ces nouvelles fut moult réjoui, et volontiers y fût allé ; mais ses gens et aucuns chevaliers de son conseil lui brisèrent son propos et lui dirent : « Monseigneur, vous êtes un jeune seigneur et un sire à parfaire : Si vous vous mettez maintenant en la compagnie et en la route de messire Jean Chandos, il en aura la voix et la renommée, et vous n’y serez jà nommé, fors que son compain : si vaut mieux que vous, qui êtes un grand sire et de haute extraction, que vous fassiez votre fait à part et laissiez faire Chandos, qui n’est que un bachelier au regard de vous, le sien à part. » Ces paroles et autres refroidirent si le comte de Pennebroch qu’il n’y eut nulle volonté d’aller, et s’excusa devers messire Jean Chandos. Pour ce ne voult-il mie briser son emprise, mais fit son assemblée à Poitiers bien et ordonnément, et s’en partit atout trois cents lances, chevaliers et écuyers, et deux cents archers. Et là furent messire Thomas de Persy, messire Étienne de Cousenton, messire Richard de Pontchardon, messire Eustache d’Aubrecicourt, messire Richard Tanton, messire d’Angouses, messire Thomas Banastre, messire Jean Trivet, messire Guillaume de Montendre, messire Maubrun de Linières, messire Geffroy d’Argenton et plusieurs autres. Si chevauchèrent ces gens d’armes et ces archers, arréement et hardiment et par bonne ordonnance, ainsi que pour faire un grand fait, et trépassèrent en Poitou, et entrèrent en Anjou. Si très tôt que ils s’y trouvèrent, ils commencèrent à loger sur le pays et à envoyer leurs coureurs devant ardoir et exiller le plat pays. Si firent en ce dit bon pays et gras d’Anjou ces gens d’armes moult d’ennuis et de maux ; et nul ne leur en vint audevant ; et y séjournèrent plus de quinze jours, et espécialement en un pays qui est durement bon et plantureux, que on appelle Loudunois. Et puis se mirent au retour entre Anjou et Touraine et tout contre val la rivière de Creuse ; et entrèrent messire Jean Chandos et ses gens en la terre du vicomte de Rochechouart, et l’ardirent et gâtèrent malement et n’y laissèrent rien, fors les forteresses, que tout ne fût exillé ; et furent devant la ville de Rochechouart et l’assaillirent de grand’façon ; mais rien n’y conquirent, car il y avoit dedans bonnes gens d’armes, desquels Thibaut du Pont et Alliot de Calais étoient capitaines ; si la gardèrent de blâme et de prendre.

Si passèrent outre les dits Anglois et vinrent à Chauvigny. Là entendit messire Jean Chandos que le maréchal de France messire Louis de Sancerre et gens d’armes, étoient en la Haie en Touraine. Si eut très grand’volonté d’aller celle part, et signifia son intention moult hâtivement au comte de Pennebroch, en lui priant qu’il voulsist être et aller avec lui devant la Haie de Touraine, et qu’il le trouveroit à Châteauleraut. Si fut Chandos le héraut noncierre et porteur de ce message, et trouva ledit comte de Pennebroch à Mortagne sur mer, qui là faisoit son amas et son assemblée de gens d’armes, et vouloit faire, ainsi qu’il apparoit, une chevauchée. Si s’excusa encore le dit comte par l’information de ses gens et de son conseil, et dit qu’il n’y pouvoit être.

Au retour que le héraut fit, il trouva son maître et ses gens à Châteauleraut. Si lui dit réponse de son message. Quand messire Jean Chandos entendit ce, si fut tout mélencolieux, et connut tantôt que par orgueil et présomption le comte laissoit ce voyage à faire : si répondit à ces paroles et dit : « Dieu y ait part. » Et donna là à la plus grande partie de ses gens congé et les départit, et il même retourna en la cité de Poitiers.