Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCV
CHAPITRE CCV.
Quand le roi Henry se vit en cel état et ainsi au dessus de toutes ses besognes, et que toutes gens, francs et villains, en Castille, obéissoient à lui, et le tenoient et appeloient leur seigneur et leur roi, et encore n’étoient apparant de nul contraire que on lui voulût débattre, si imagina et jeta son avis, pour son nom exaulcer et pour employer ces gens de Compagnies qui étoient issus hors du royaume de France, que il feroit un voyage sur le roi de Grenade. Si en parla à plusieurs chevaliers qui là étoient ; et en furent bien d’accord. Encore retenoit toujours de-lez lui le roi Henry les chevaliers du prince, messire Eustache d’Aubrecicourt et messire Hue de Cavrelée et les autres ; et leur faisoit et montroit grand semblant d’amour, en intention de ce qu’il en vouloit être aidé et servi au voyage de Grenade, où il espéroit à aller.
Assez tôt après son couronnement, se partirent de lui et prirent congé la plus grand’partie des chevaliers de France ; et leur fit grand profit au partir. Et retournèrent le comte de la Marche et messire Arnoul d’Andrehen, le sire de Beaujeu et plusieurs autres[1]. Encore demeurèrent en Castille de-lez le dit roi Henry messire Bertran du Guesclin, messire Olivier de Mauny et les Bretons, et aussi les compagnies, jusques adonc que autres nouvelles leur vinrent[2]. Et fut messire Bertran du Guesclin connétable de tout le royaume de Castille par l’accord du roi Henry premièrement et de tous les barons du pays.
Or vous parlerons du roi Dam Piètre comment il s’étoit maintenu.