Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CIX

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CHAPITRE CIX.


Comment ces seigneurs étrangers furent mal contents de la réponse du roi, qui tout le leur avoient dépendu.


Après ce que ces seigneurs étrangers eurent tout ce diligemment regardé et considéré, et ils eurent salué révéremment le prince, les seigneurs et les barons qui étoient avecques lui, et le prince aussi les eut bien et courtoisement reçus et conjouis, ainsi que cil qui bien le savoit faire, ils prirent congé de lui et lui remontrèrent leur besogne et leur povreté humblement, en lui priant que il voulût descendre à leur nécessité. Le prince leur accorda liement et volontiers. Si passèrent outre, et chevauchèrent tant qu’ils vinrent à Calais, et là se logèrent. Le second jour après ce que ils furent venus à Calais, le roi d’Angleterre envoya à eux la réponse, par trois suffisans chevaliers qui leur dirent pleinement : « qu’il n’avoit mie apporté si grand trésor pour eux payer tous leurs frais et tout ce qu’ils voudroient demander, et lui besognoit bien ce qu’il en avoit fait venir pour fournir ce qu’il en avoit empris ; mais si ils étoient si conseillés que ils voulsissent venir avec lui et prendre l’aventure de bien et de mal, et si bonne aventure lui échéoit en ce voyage, il vouloit qu’ils y partissent bien et largement, sauf tant qu’ils ne lui pussent rien demander pour leurs gages, ni pour leurs chevaux perdus, ni pour dépens ni dommages qu’ils pussent faire ni avoir ; car il avoit assez amené gens de son pays pour achever cette besogne. »

Ces réponses ne plurent mie bien à ces seigneurs étrangers, ni à leurs compagnons qui avoient durement travaillé et dépendu le leur, engagé leurs chevaux et leurs harnois, et le plus vendu par nécessité. Et toutes voies ils n’en purent autre chose avoir, fors tant que on prêta à chacun aucune chose, par grâce, pour r’aller en son pays. Si en y eut aucuns des seigneurs qui s’en allèrent devers le roi pour tout aventurer ; car blâme leur eût été de retourner sans autre chose faire.

Or vous deviserai l’ordonnance et la manière du grand appareil que le roi d’Angleterre fit faire ainçois qu’il se partit de son pays, et qu’il eut en ce voyage, dont je ne vous ai encore parlé. Si ne s’en doit-on mie brièvement passer, car oncques si grand ni si bien ordonné n’issit hors d’Angleterre.